mercredi, 27 février 2008
Une chanson à variantes
Ils ont voté (1967) est une chanson dont la « plasticité » ne laisse pas de m’étonner. Je ne suis pas certain qu’aucune autre ait tant été adaptée, au fil du temps, aux circonstances. Les Temps difficiles est certes un texte qui connut trois versions, mais celles-ci étaient entièrement différentes. Au contraire, Ils ont voté a été retouché ixe fois, avec toujours beaucoup d’humour et de sens de l’à propos.
Le couplet ajouté, tout d’abord : « À leur chanter des tas d’chansons… », tiré de Poète… vos papiers ! est enté à la chanson dont il constitue la nouvelle ouverture.
« À porter ma vie sur mon dos / J’ai déjà mis cinquante berges » a été remplacé, le temps passant, par « soixante berges », mais Ferré n’est jamais allé au-delà.
« Le général Frappard » qui désignait de Gaulle et son attachement à la force de frappe (l’arme atomique pour la France) a cédé la place, après la disparition du Général, à « Ces Vespasien de l’isoloir », reprenant ainsi une comparaison, chère à Léo Ferré, entre l’isoloir et la vespasienne. Il y eut, je crois, une pique contre Pompidou également, du genre « Et Pompidou dans un placard », ou quelque chose comme ça, mais je ne m’en souviens plus.
« Dans une France socialiste », est devenu « Dans une France [longue hésitation mimée] socialiste » à la fin de 1980, quand la victoire de Mitterrand à la présidentielle de mai 1981 s’annonçait comme possible. Le refrain est alors : « Ils vont voter et puis après ». Cette victoire survenue, le vers est immédiatement transformé par l’irréductible artiste : « Et dans une France anarchiste ». Aucune récupération possible.
« Le jour de gloire est arrivé » a été tourné en « Le jour de gloire est arri… Ouais ! » assorti d’un bras d’honneur, toujours à la fin de l’année 1980. En 1988, le public du TLP-Déjazet entend : « Et Madonna est arrivée », final suivi d’une mimique évoquant la culotte de ladite madone, qu’elle avait coutume de jeter dans la salle.
Bien sûr, on peut penser que Léo Ferré possédait assez les mots et leur usage pour assortir ainsi son texte à toutes les couleurs du moment. Cependant, si l’on réécoute l’enregistrement initial de 1967 avec ses sages orchestrations, il n’est absolument pas évident qu’Ils ont voté soit alors une chanson satirique, moins encore humoristique. Rien, dans le ton initial, ne laisse supposer que l’auteur jouera ensuite avec. C’est plutôt, à ce moment-là, une chanson grave, désabusée. En 1969, à Bobino, elle se mue en cri de revendication bien que le texte premier soit conservé. C’est par la suite que viendra l’ironie. On peut dire finalement que ce n’est qu’après coup que son côté « humour de chansonnier » s’est révélé, dans le même temps que Léo Ferré s’amusait plus facilement en scène, donnant libre cours à sa fantaisie (à ce propos, les deux interprétations différentes de Marizibill d’Apollinaire sont un bon exemple).
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Commentaires
Concernant les versions "fantaisistes" de Marizibill (84 et 86), je ne crois pas qu'il s'agisse de la même chose...
On dirait que Ferré prend plaisir à en donner une interprétation débraillée, grotesque, et in fine hyper caricaturale.
C'est compréhensible dans le contexte particulier du concert aux Champs-Elysées (cf. ce que j'en dis dans ma discographie), mais pourquoi aller plus loin encore dans cette voie dans le récital Poètes ?...
Écrit par : the Owl | mercredi, 27 février 2008
En écrivant cela, je pensais aux versions de 1969 et de 1984. Je n'ai jamais réellement compris pourquoi ce poème, initialement chanté sérieusement, était devenu brusquement prétexte à une interprétation comique. Mais ce fut aussi le cas pour Le Printemps des poètes qui, en 1969, était très sombre, mélancolique, grave... puis tourna au comique.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 27 février 2008
l'explication est peut-être la plus simple.Que ce soit en 84, ou le récital "L.Ferré chante les poètes",les récitals étaient longs,et Ferré n'avait plus envie sans doute d'écrire de nouvelles chansons comiques ou satiriques,et à la fois pour se détendre et détendre le public,il y eut en 84 le long monologue qui s'insère dans "l'invitation au voyage",et les versions comiques de "marizibill",du "printemps des poètes" et le sabotage de "Avec le temps"....Et dans le récital "L.Ferré chante les poètes", tel que je l'ai vu à Douai, toujours "Marizibill","Chanson d'automne" chantée de bout en bout style rock avec l'accent américain,en demandant au public de taper dans les mains,et au beau milieu du récital,entonnant "Je t'attends" (le tube d'Halliday) en martelant le piano "sauvagement" et dédiant cette "performance" à la mort.....
Le récital est long ,2H 30 sans entracte....C'était sans doute nécéssaire pour lui de chanter "Marizibill" et le Verlaine en descendant dans la salle et en faisant participer le public,des moments de détente partagée....
Écrit par : francis delval | mercredi, 27 février 2008
Au sujet de "Ils ont voté", un soir il a finit par "Le jour de gloire est arrivé, le jour de gloire est arrivé......bah qu'il entre!"
Mais je ne saurais plus dire où était ce récital. Paris ou banlieue, puisque j'étais parisien à cette époque. Mais ou?
Écrit par : Marc | mercredi, 27 février 2008
Euh, non, cette fin-là, c'est celle du Printemps des poètes, complètement modifiée : "C'est la lutte finale / Groupons-nous... ça va pas, non ? / Allons enfants de la patrie / Le jour de gloire est arrivé / Le jour de gloire est arrivé, mais qu'il entre, qu'il entre". C'est pour ça que j'évoquais cette chanson, plus haut.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 27 février 2008
Non Francis, il apparaît assez clairement que le live 84 a un statut spécial (je ne peux que vous renvoyer à ce que j'en dis ailleurs).
Ferré avait-il besoin de faire de la détente ? Et de cette manière ?
Dans le cas de Marizibill 86 et de Chanson d'automne, que vous citez, le poème devient d'une démonstration extérieure à lui, matériau d'une "performance".
Je trouve ça étonnant de la part de Ferré (à ce moment précis, il n'est plus dans le partage, il est dans le discours).
Pourquoi Marizibill et Chanson d'automne en particulier ?...
Écrit par : The Owl | jeudi, 28 février 2008
partage/discours....ne retombons pas par un autre biais dans l'idée de périodes chez Léo Ferré..Je n'ai jamais senti cette dichotomie dans les récitals auxquels j'ai assisté.
Pourquoi "chanson d'automne"?sans doute parce que la musique se prêtait à cette autoparodie.
redonnez-moi les coordonnées de votre site.
Écrit par : francis delval | jeudi, 28 février 2008
Une hypothèse possible pour "Marizibill", pour expliquer pourquoi Ferré va dans le comique:Sans doute pour atténuer le portait -charge du "maquereau juif",la figure du juif étant toujours chez Apollinaire (comme chez Baudelaire) à la limite de l'antisémitisme.
On retrouve d'ailleurs la figure de Marie-Sybille, dont "marizibill"serait la prononciation en Allemagne du Nord,dans une nouvelle de "L'hérésiarque et cie",(l'amphion faux-messie), ce livre qui alterne le dramatique et le bouffon, et où la figure du Juif Errant est omniprésente.
Je n'ai aucune certitude quant à la valeur de mon explication.
Écrit par : francis delval | jeudi, 28 février 2008
Ah, elle est intéressante.
Mais... Et Le Printemps des poètes, alors ? Pourquoi la farce ?
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 28 février 2008
j'ai retrouvé le site de "The owl"..A propos du récital 84, il constate que tous les "Barclay" ont perdu leur accompagnement
initial,et parle même de "déconstruction Barclay".....Il y a notamment "Le printemps des poètes", qui finit en "farce", mêlant allègrement la Marseillaise et l'Internationale,et le sabotage délibéré de "Avec le temps"....Est-ce une façon de bien
signifier que l'époque Barclay, l'époque Defaye ou Popaul est bien finie..Il aurait pu se limiter à changer les accompagements (comme pour "Le chien,passant du pop à O vos omnes)...
C'est sans doute plus simple:"Avec le temps", il devait en avoir marre qu'on le ramène à ça...Que "le printemps des poètes" soit devenu le nom de bon nombre de manifestations locales de poésie...D'où ce sabordage de quelques chansons..
Ses grands succès, il les a peu chantés.Que ce soit "Paris -canaille", "Jolie môme", "paname" ou "C'est extra"....mais avec le temps, il semble qu'il se soit réconcilié avec "avec le temps",puisque son dernier récital s'achevait sur ce titre.
La "farce", comme vous dites, c'est que le P des poètes ou
Avec le temps,...y'en a marre...
84 est -il un récital rupture?...86 sera consacré aux poètes, et il y a peu de textes de lui ("La poésie", peu chantée jusque là, "la folie"....)
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Vu tout à l'heure sur le site "duo" de l'INA qu'il y avait un enregistrement en duo de "c'est extra "par Claude françois et Michel Delpech.Je n'ai pas regardé ,à 1€50, trop cher.
Aussi une chanson de Mouloudji,avec une déclaration de Ferré disant qu'il était toujours très ému d'entendre la voix de
Mouloudji....Je le comprends tout à fait.
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The owl:vous avez fait, je trouve, un bon travail, même si on peut discuter tel ou tel point (On ne sera jamais d'accord sur tout).A quand une note sur ce blog?
Écrit par : francis delval | jeudi, 28 février 2008
La version de "Ils ont voté" qui figure dans "Testament phonographe", avec le premier couplet repris de "Poète...vos papiers!", Ferré l'a-t-il chantée?Je ne m'en souviens pas...ça ne me dit rien.....
Écrit par : francis delval | vendredi, 29 février 2008
Oui, je l'ai entendue quelquefois en scène, cette version. Où, quand, est une autre histoire.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 29 février 2008
Il est possible de voir "C'est extra" sans passer par l'INA qui n'en diffuse gratuitement que le début :
http://www.dailymotion.com/relevance/search/c%27est%2Bextra%2Bfran%C3%A7ois/video/xjif4_cest-extra1976
En ce qui me concerne, j'ai perdu de vue une vidéo de l'INA que le site l'arbre du poète avait signalé, il s'agissait d'une longue émission où Ferré en tant qu'invité venait interprété "Les étrangers" en blouson de cuir noir.
Désolé de dévier du sujet ;)
Écrit par : KOH | samedi, 01 mars 2008
Merci Koh, pour ceux qui ne connaissaient pas ce duo. Ma soeur m'avait trouvé cette vidéo il y a des années et me l'avait enregistrée dans une cassette.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 01 mars 2008
Avec Ferré, c'est toute une génération de chanteur à textes qui a disparu !
Écrit par : Tietie007 | samedi, 01 mars 2008
On salue un nouveau participant.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 01 mars 2008
une question, Jacques, à propos de "Franco la muerte":Dans les années 70, Ferré avait substitué à Grimau le nom d'un autre opposant au franquisme qui avait aussi été condamné à la peine du garrot.Je n'arrive plus à me souvenir de son nom ni de la date exacte (71 ou 74....ou entre les deux)......
Écrit par : francis delval | samedi, 08 mars 2008
Peut-être s'agit-il de Salvador Puig Antich ?
Écrit par : Jacques Miquel | samedi, 08 mars 2008
Eh bien... Je ne sais pas. J'avais complètement oublié, si tant est que je l'ai su. Qui répondra ?
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 08 mars 2008
Puig Antich a été exécuté le 2 mars 74...J'ai vu Ferré en concert en janvier ou début février...Entre le communiste Grimau et l'anarchiste Puig Antich, il n'y a pas eu d'autres exécutions politiques (connues).Ce ne peut être que lui...
C'est le concert où j'ai entendu "L'espoir" pour la première fois,cela ,ça ne s'oublie pas.
Écrit par : francis delval | samedi, 08 mars 2008
Ah, mea culpa alors. J'ai oublié.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 08 mars 2008
Le 29 décembre 2001,un des plus grands poètes de langue
française est mort.
Il s'appelait...ah, oui,Léopold Sedar Senghor...le cinquième
président de la cinquième République ne s'est pas déplacé, pas davantage son ministre Lionel...Il n'eut droit qu'à un vague
secrétaire d'état...
Comme si je vous disais qu'il n'était plus français mais sénégalais...
Un autre immense poète de langue française est mort...
Tous les politiques étaient là....Aimé Césaire, c'est ça...
Comme si je vous demandais combien de ces politiques se sont déplacé pour le rencontrer de son vivant et combien ont
ouvert ses livres
Comme si je vous disais qu'il faut acheter leurs livres et les lire
Comme si je vous disais de ne pas oublier de lire aussi
Edouard Glissant et René Depestre
Comme si je vous disais de lire les étonnants romans
de Jacques Stephen Alexis abattu par les tontons macoutes
alors qu'il débarquait avec son commando pour tenter une
percée en Haïti.....
Comme si je vous disais que la poésie et la littérature peuvent être aussi des variétés de la politique...et que Sartre
a tenu à préfacer Senghor..(cf "Orphée noir")
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Écrit par : francis delval | lundi, 21 avril 2008
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