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mardi, 10 mars 2009

Du public et de l’âge

Depuis ses débuts, Léo Ferré a pu compter – dans la mesure où l’on a pu s’intéresser sérieusement à cet aspect des choses – sur le public lettré, les « intellectuels » comme on dit, dont un bon nombre de bourgeois, petits ou grands, pas mal de professeurs et des artistes. Cette audience fut la sienne, avec une tranche d’âge s’étendant du lycéen de second cycle à la personne « encore jeune » – comprendre : un peu âgée – en passant par l’étudiant. La carrière de l’artiste s’étendant sur près d’un demi-siècle, il est bien évident que le lycéen de second cycle et l’étudiant du départ eurent tout loisir de devenir des personnes « encore jeunes ».

 

L’afflux de la population estudiantine qu’on n’a pu manquer de remarquer en 1968 et dans les années qui suivirent ne constituait pas une nouveauté, ce public ayant toujours été là. On a beaucoup glosé là-dessus, mais ce fut l’augmentation considérable du nombre d’étudiants dans les salles où se produisait Ferré qui donna l’impression d’un nouveau public, alors que ce public était ancien et ne remplaçait pas le précédent. Il le masquait par le nombre, uniquement. La preuve en est que, dans les tout-derniers spectacles de 1990, 1991 et 1992, hommes et femmes plus vraiment jeunes étaient encore là, en même temps que ceux qui auraient pu être leurs enfants, voire leurs petits-enfants. En 1990, au TLP-Déjazet, j’ai trente-huit ans, il y a autour de moi des sexagénaires qui pourraient être mes parents, il y a près de moi mes filles, alors âgées de neuf et six ans (l’aînée assistait déjà au spectacle d’inauguration, en février 1986). Il y a évidemment de nombreux spectateurs se situant entre vingt et trente ans. On peut déduire de ces considérations que, dans l’ensemble, le public du début était encore là à la fin, renouvelé deux fois au moins, dans l’intervalle, mais toujours présent.

 

Si l’âge du public connut ainsi une forme de permanence, son origine sociologique varia tout aussi peu : spectateurs cultivés, « intellos », bourgeois. La part de population ouvrière ou d’employés est toujours restée relativement faible, mais il est plus difficile de savoir pourquoi. Le prix des places, modéré par rapport à ceux pratiqués par d’autres chanteurs, ne doit pas, je pense, être en cause : le facteur économique n’explique pas toujours tout. S’agissant des étudiants, je me demande si, réellement, les littéraires au sens très large (littérature stricto sensu, philosophie, linguistique, histoire, droit, sociologie…) étaient plus nombreux que les scientifiques (mathématiques, physique, chimie, odontologie, pharmacie, médecine…) Je n’en suis pas certain mais ne dispose naturellement d’aucune donnée statistique.

 

Si j’insiste aujourd’hui sur ce point qui ne me paraît pas secondaire, c’est parce que cette compréhension de facteurs socioculturels peut permettre d’aider à répondre à la question que, régulièrement, je pose, y compris ici-même : Ferré, qu’est-ce que c’est ?, avant de me risquer à dire : un OVNI artistique. Il n’y a pas d’artiste sans audience, ou bien si : c’est alors un auteur qui range sa production dans un tiroir, c’est tout. Comme ses pairs, Léo Ferré a un public. Il a mis longtemps à le constituer mais l’a conservé. Il n’est pas inutile de s’y intéresser.

14:58 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (11)

Commentaires

Jacques, vous posez une très bonne question, mais comme vous le dites, nous n'avons pas le moyen d'y répondre.Il est
difficile de faire une enquête sociologique rétroactive...Une
enquête par questionnaire auprès d'une population suffisamment
importante et diversifiée pour être significative est hors de nos
moyens , hélas....
Mais si déjà TOUS les participants qui ont laissés des commentaires sur le blog répondaient par mail à quelques
questions bien choisies,on pourrait avoir un début de commencement d'idée..Mais cela demande réflexion....ça ne s'improvise pas ( variables: Age, sexe, type d'études,centres
d'intérêts,rapport à la musique,connaissance des textes (par
quels moyens?), assistance aux concerts , etc....etc...)
C'est quelque chose à quoi nous pouvons réfléchir.
Je suis sûr que notre ami Gluglups aura une petite idée...

Écrit par : Francis Delval | mardi, 10 mars 2009

La seule chose certaine est qu'on ne tient pas durant un demi-siècle sans renouvellement du public, lequel renouvellement n'empêche pas le maintien du public précédent. Ce "roulement" est indéniable et il coexiste avec un "fond permanent". Il doit certainement exister en effet des personnes l'ayant suivi depuis les débuts.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 10 mars 2009

"( variables: Age, sexe, type d'études,centres
d'intérêts,rapport à la musique,connaissance des textes (par
quels moyens?)": et les statistiques ethniques, tant qu'on y est...

Écrit par : gluglups | mardi, 10 mars 2009

Allons... Francis parlait là de la manière de faire un échantillon statistique, c'est tout. Personne n'est obligé d'aller dans son sens.

Je m'interrogeais, dans la note, sur un public, ce qui permettrait, à mon avis, de mieux comprendre ce qu'est exactement Léo Ferré dans l'histoire de la chanson et de la création. Cela n'allait pas plus loin.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 10 mars 2009

C'était une boutade évidemment, en lien avec la triste actualité républicaine...
L'étude des CSP, j'admets que cela soit utile pour le marketing (quand même très restreint, dans le cas de Ferré), le profilage Facebook... Je trouve quand même étonnant que pour Francis cette démarche aille de soi... et je comprends mal pourquoi il me désigne en particulier sur ce sujet.

Écrit par : gluglups | mardi, 10 mars 2009

Mais ,Gluglups, la première fois où nous avions discuté sur le blog, j'étais intervenu dans un débat sur ...Bourdieu et "la distinction" , à propos des chanteurs, et si je me souviens bien,vous meniez le débat avec Jacques...Il va de soi qu'un échantillon fait à partir des participants du blog ne serait pas
représentatif , et anti-sociologique..Je suis toujours attaché à
Bourdieu , en tant qu'il fut mon prof de socio à Lille, et que
j'ai appris énormément avec lui.mais je ne lis plus guère,je l'ai
trop utilisé et commenté dans mes cours.Mais "La misère du monde" est un très, très grand livre...!
Vous désigner était une piqûre de rappel de mon arrivée sur
le blog....

Écrit par : Francis Delval | mardi, 10 mars 2009

Francis a raison, Gluglups. Il fait allusion à cette discussion-ci :

http://leoferre.hautetfort.com/archive/2007/01/30/ferre-et-la-recherche-universitaire.html#more

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 10 mars 2009

Ah d'accord! Oui, je n'ai pas oublié cette discussion.
La sociologie du public Ferré... elle existe sans doute, mais est-ce si important? Est-elle (était-elle) très différente de la sociologie de ceux qui vont voir des spectacles (d'une certaine qualité)?
Je ne crois pas que cela le soit s'il s'agit de comprendre l'oeuvre. Ferré, ce n'est du genre à se demander: qu'est-ce que mon public attend de moi? Son discours entre-t-il en résonance avec une idéologie sociale, qui a pu évoluer avec le temps?
La présence des étudiants: sont-ils restés fidèles à Ferré? Où était-ce le côté gourou ésotérique libertaire j'explique le monde qui les a intéressés un temps?

Écrit par : gluglups | mardi, 10 mars 2009

C'est précisément ce que je me demande.

Léo Ferré n'est pas du genre à se demander ce qu'attend son public, non, vraiment pas. Moins encore à se dire : "Ils veulent ça, je vais leur servir ça". Tout au contraire.

Mais son discours, oui, entre en résonance avec un idéal de liberté -- disons, d'indépendance d'esprit -- qui a toujours existé et (je l'espère) existera toujours. Cet idéal, on peut l'espérer, demeure celui des jeunes malgré le passage des générations.

Pour ce qui est des étudiants, il y avait, comme je crois l'avoir dit dans la note, les jeunes qui, le temps passant, ne l'étaient plus, et qui sont restés fidèles à l'artiste. Il y a eu les nouveaux, étudiants à leur tour, qui étaient là. Un simple coup d'oeil dans la salle suffisait : on se rendait bien compte de l'âge des spectateurs.

Aujourd'hui cependant, je ne suis pas certain que les étudiants connaissent seulement son nom, malheureusement.

"La sociologie du public Ferré... elle existe sans doute, mais est-ce si important? Est-elle (était-elle) très différente de la sociologie de ceux qui vont voir des spectacles (d'une certaine qualité)?"

Là aussi, c'est mon interrogation et je tente par ce biais, comme je l'ai tenté autrement, de comprendre ce qu'est Ferré, ce que représente l'"OVNI artistique".

"Je ne crois pas que cela le soit s'il s'agit de comprendre l'oeuvre".

Il ne s'agit pas cette fois, dans mon esprit, de tenter de comprendre l'oeuvre mais, pardon de me répéter, de tenter de comprendre ce qu'il pouvait représenter dans la création artistique. Certainement un peu plus qu'un chanteur, mais justement : quoi d'autre ?

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 11 mars 2009

On aimerait pouvoir oser encore un humaniste "qui est l'autre? On ne le sait jamais".

Il y a probablement plus de vérité humaine dans le feuilleton on va dire picaresque du jeune homme timide et maladroit, à la rencontre de son idole, que dans n'importe quelle étude de sociologue. Alors qu'il s'agit d'une expérience effectivement particulière.

Dans le marketing social auquel on nous réduit, nous pouvons cumuler les "quoi": vieux, chômeur, handicapé et noir tant qu'à faire... Tu es CSP+ ou CSP-, tu as une Rolex ou pas à 50 ans ? Il n'y a que cela qui compte pour beaucoup au final, c'est la "vérité" irréfutable de ces temps difficiles. La sociologie a été validée par son dévoiement et s'est mise au service de la domination, etc.

On peut-être partagé entre un pessimisme lucide (les étudiants de maintenant ne savent pas qui est Léo Ferré. Vous pouviez ajouter: si vos filles avaient été celles du voisin, il est plus probable qu'elles aient assisté à un spectacle de Dorothée) et un côté "non seulement...mais encore", un côté formule sur les paquets de biscuits "Ferré est vraiment universel, il traverse toutes les générations, il réunit vieux et jeunes, riches et pauvres, malades et bien portants, etc."

Comme le dit Francis, il y a public et public. Ceux qui, comme vous, connaissent très bien l'œuvre et auront un jugement précis, fondé, éclairé (en gros les abonnés des CDLN) et ceux qui voient les choses de plus loin. A la limite, l'étude sociologique du "grand public" actuel, on la trouverait dans ce qui ressort des commentaires "spontanés" en dessous des vidéos Ferré sur YouTube. Ferré a toujours un potentiel populaire, qui va au-delà de ceux qui déplaçaient pour ses spectacles ou ceux qui continuent d'acheter ses disques:

- Ferré, l'abbé Pierre de la chanson, un sage, un grand Monsieur généreux et bon, le père positif
- La "qualité", l'authentique (un bon vieux vin du terroir vs le chimique qui donne le cancer), le bon temps de l'ORTF, l'artisanat vs les multinationales
- Celui qui vient venger le silence organisé par les médias
- Dans la série les Grands Disparus (un film YouTube illustre la chanson Avec le temps avec un diaporama de stars mortes): ici, c'est la mort
- etc.

Dans les années 70, on aurait sans doute eu un intérêt plus politisé.
C'est quand même rarement des jugements portant sur la musique ou la poésie (preuve que Ferré ce n'est pas cela?). Même si un discours du même genre pourrait s'appliquer à beaucoup d'autres personnalités, qui n'ont pas forcément grand chose à voir avec Ferré, il y a une forme de vérité. Qui serait formulable ailleurs de façon plus subtile.

Mais la constante, ce serait: "il exprime (exactement) ce que je ressens". Ce qui autorise, encore, pas mal de possibilités et permet d'espérer un peu.

Écrit par : gluglups | mercredi, 11 mars 2009

J'aime beaucoup l'ensemble de ce commentaire, l'évolution du propos et la présence de ce "pessimisme lucide" avec, à la fin, l'espoir malgré tout. Rien d'autre à dire en ce qui me concerne car vous avez exprimé tout ça avec beaucoup d'intelligence.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 12 mars 2009

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