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mardi, 27 janvier 2009

Amical bonsoir

Le texte Bonsoir, présenté dans le programme du spectacle de Bobino en 1969 et repris dans la pochette de l’enregistrement public correspondant, est fort intéressant. Je me suis toujours étonné qu’il n’ait jamais été repris ni par son auteur, ni par un de ses interprètes. Il pourrait, en étant parlé, dit, constituer une excellente ouverture pour un récital. Imprimé dans un programme qu’on feuillette dans son fauteuil, il remplissait pourtant cette fonction. On y trouve beaucoup de choses.

 

En premier lieu, la revendication d’un statut d’artiste solitaire qui va très bien de pair avec L’Idole, une chanson du moment, renforcée encore par la présence, dans la pochette déjà citée, de Les idoles n’existent pas, qui fut publié dans la revue Janus en 1965. « Les coulisses, c’est un peu notre marais, notre pampa… à nous les artistes de variétés, les saltimbicous, comme dit le chef Popaul, gardien de la consonance, de la belle ouvrage et de la parlote extra. Nous sommes des gens de l’autre côté de la rive, du rideau. Entre vous et nous, il y a comme un Mississipi à sec, immense, intraversable, le désert, quoi ! ». Ce désert, peut-être, dans lequel crient Les Artistes, depuis « vingt mille ans ».

 

Ensuite, un coup de griffe aux journalistes et aux radios qui tripatouillent les retransmissions des récitals : « Rien ne peut se chanter, rien ne peut se dire, dans notre domaine, qui ne soit aussitôt disqué, repris, reprisé même, par les puristes de la dernière cuvée d’Europe 22 ou de RT Chose ». Ce « reprisé » sera illustré dès le soir de la première, puisque Ferré devait passer en direct à France-Inter, que cela ne se fit pas ; il déclara donc, en scène : « N’ayant pas voulu qu’on patauge dans mes textes, j’ai refusé qu’on m’enregistre en différé ».


Et tout ira sur ce ton, en passant par les formules ferréennes typiques : « Les comédiens, ça a quelque chose à voir avec le remords de Dieu », l’audacieuse trouvaille : « Quand Dieu s’emmerde, il va au music hall » qui servira de titre, longtemps après, à un spectacle d’interprètes, phrase ainsi complétée : « parce qu’il est né au music hall et que ça le travaille sa carrière divine, et que ses meilleurs souvenirs sont derrière un portant, et que ce genre de souvenirs c’est encore de la frime, et que la frime, c’est notre lot à tous, à Lui, à nous, à vous ».

 

Et encore, l’adresse au public, cette adresse qui ira se multipliant dans les années qui suivront : « Vous êtes un public de variétés… Soyez donc variés, car le seul théâtre auquel nous ayons droit c’est bien ce trou noir que vous remplissez, ces respirations haletantes ou amusées qui nous arrivent comme une rumeur, comme un reproche, comme un regret ».  C’est déjà l’ironie amère que lui inspire le statut d’artiste de variétés, ironie qui culminera bientôt dans Le Conditionnel de variétés. C’est aussi une idée qui sera reprise : « Dans la salle y a l’public / C’est notre théâtre à nous » (Sur la scène). Et cela continue : « Le jour où le public se maquillera pour venir au théâtre, il n’y aura plus de théâtre ou bien alors tout sera théâtre, il n’y aura plus rien qu’un peu de frime sous beaucoup de tendresse ou d’indifférence… Ce sera l’ère de l’amitié et de l’intelligence. Nous comptons sur vous. Merci ». C’est l’annonce du final d’Il n’y a plus rien : « Un jour, dans dix mille ans (variante : demain peut-être), nous aurons tout ».

 

Il y a là, par ailleurs, la constante présence de la frime qui, en attendant le jour où une chanson lui sera particulièrement consacrée, s’insinue déjà : « Il n’y a pas de question ; les variétés c’est un peu le hors d’œuvre de la frime, et la frime, bon Dieu, c’est le droit de ne pas se caler dans un fauteuil pour voir gigoter de pauvres diables sous les sun-lits de la désirade ». Un autre texte parlera plus tard de ces fauteuils « vendus à un prix acceptable » dans lesquels, justement, on se cale pour voir et entendre un artiste « qui s’est vendu à un prix accepté ».

 

La pochette du disque a cet avantage de reproduire le dactylogramme, corrigé à la main, de Bonsoir, quand le programme, lui, propose la version définitive. L’ajout manuscrit est le suivant. Après avoir dit : « Les comédiens, ça a quelque chose à voir avec le remords de Dieu », Léo Ferré précise : « Je vous demande excuse d’employer ce mot – mais c’est plus commode pour ma démonstration et puis, comme Il n’existe pas, ça ne peut pas me faire de tort, à vous non plus d’ailleurs ». Réflexion très représentative de l’après-1968 où toute allusion au sacré était jugée ringarde, voire réactionnaire : l’auteur se croit obligé de se justifier. Le fac-similé révèle ici que le pronom personnel « il », désignant Dieu, a été récrit « Il », l’artiste n’ayant semble-t-il pas été jusqu’à ignorer la classique majuscule de déférence.

 

L’enregistrement public de 1969 à Bobino fut mon premier disque. Je crois, par conséquent, que Bonsoir est la première prose de Léo Ferré qu’il m’ait été donné de lire, l’année où je le découvris, avant même celles contenues dans le livre de Charles Estienne, que j’achetai peu de temps après. Elle me frappa beaucoup et me permit de découvrir combien Ferré pouvait, dans un même texte plutôt bref, inclure l’ironie, la mélancolie, la douceur, la désillusion, l’humour, l’espérance. De me rendre compte aussi de cette présence constante de la formule, du raccourci. Enfin, de sentir, sous-jacent, le rythme propre de sa diction, alors que le texte n’a jamais été dit, n’est jamais devenu parole proférée. Pourtant, Le Chien, premier texte parlé enregistré, n’était pas encore connu et tout le monde ignorait quel usage le poète ferait bientôt de tous les aspects de l’oralité.

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lundi, 26 janvier 2009

Demandez le programme !

Les programmes de spectacle sont une source d’informations très intéressante… et les vendeurs de papiers anciens le savent bien, qui demandent des sommes souvent importantes pour ces fascicules dont on ignore le tirage et qui ne relèvent d’aucune obligation de conservation. Je me rappelle une conversation d’il y a plusieurs années avec une bibliothécaire de l’Arsenal (département Arts du spectacle de la Bibliothèque Nationale) qui me confirma qu’il n’existait pas de procédure de dépôt légal pour ce type de publication. On se demande d’ailleurs vraiment pourquoi. Ces documents contiennent des textes et des images qui, tous, relèvent du droit d’auteur : or, en règle générale, aucun copyright ne figure dans leurs pages, rien n’est déposé et par conséquent tous les droits habituels sont violés, à commencer par la propriété littéraire et artistique. De plus, alors que le dépôt légal impose la remise d’exemplaires à la Nationale et au ministère de l’Intérieur, on ne voit pas pour quelle raison les programmes de spectacle échapperaient à la règle. L’Intérieur, on s’en doute, ne reçoit pas de dépôt afin de juger de la qualité littéraire des ouvrages… Par conséquent, pourquoi un texte contenu dans un programme serait-il moins susceptible d’être un brûlot susceptible de porter atteinte à l’ordre public, qu’un autre, paru en volume ?

 

La fragilité même des programmes suppose qu’un exemplaire qui a traversé plusieurs décennies a eu beaucoup de chance. Ils sont le plus souvent agrafés – les agrafes rouillent vite, la rouille ronge le papier – et leur couverture est la plupart du temps dans le même grammage que les pages intérieures, si bien qu’elle ne protège rien à proprement parler.

 

Les programmes de Léo Ferré ont souvent été le support de textes intéressants qui figurèrent là en première publication. Ils ont été repris en recueils par la suite, parfois longtemps après. D’autres, cependant, sont à ce jour demeurés inédits sous une autre forme, ce que les vendeurs de papiers anciens n’ignorent pas, qui font monter les prix grâce à cela. Par exemple, le livret du récital de 1962-1963 à l’ABC comprend entre autres le texte Pourquoi je fais un récital, témoignant d’un point de vue artistique à l’époque peu partagé. Il regroupe aussi des photographies signées Jean-Pierre Sudre. J’ai évoqué en détail ce document dans Les Chemins de Léo Ferré. Parmi les textes du programme de Bobino en 1969 (il comprenait une plaquette annexée, L’œuvre poétique de Léo Ferré), on pouvait lire l’excellente prose intitulée Bonsoir : « Nous sommes des gens de l’autre côté de la rive, du rideau… » ; on la retrouve dans la pochette du double disque Barclay enregistré en public, mais on l’aurait sans doute perdue si cet album n’avait pas existé.

 

Typographiquement, les programmes sont une grande satisfaction pour le curieux : mise en page, polices, publicités, témoignent de temps révolus. Les différents formats signent chacun une époque. Pour un amoureux de l’imprimerie, c’est un régal. Chaque fois que j’ai parlé d’imprimerie ici, il s’est manifesté peu d’intérêt, mais je ne désespère pas de trouver un autre amateur pour ce domaine auquel je m’intéresse depuis je ne sais combien de dizaines d’années.

 

Sur internet, le Passage Léo Ferré n’est pas uniquement constitué de la page principale, celle qui présente les ouvrages de et sur l’artiste. Je rappelle qu’il existe trois autres pages, dont une consacrée justement aux programmes.

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mercredi, 21 janvier 2009

Dans la presse de 1957 à 2005

C’est dans l’hebdomadaire Arts que Léo Ferré publie, à ma connaissance, son premier texte dans la presse, en 1957. Il s’agit de En France la poésie s’est sabordée, qui constitue la fameuse préface polémique de son recueil Poète… vos papiers ! On n’y reviendra pas, le sujet ayant été traité dans le livre Les Chemins de Léo Ferré et complété par quatre notes de ce blog : Léo Ferré et les surréalistes : nouveaux éléments, Léo Ferré et les surréalistes : encore de nouveaux éléments, Léo Ferré et les surréalistes : encore une découverte, Une opinion de Gracq sur Breton.

1960. À la suite d’une affaire de censure radiophonique, Léo Ferré publie dans France-Observateur le texte La Liberté d’intérim, auquel j’ai déjà consacré une note : Sur un texte de 1960.

En 1961, Les Lettres françaises font paraître Aragon et la composition musicale, en parallèle avec le texte d’Aragon lui-même, Léo Ferré et la mise en chanson. Ces deux articles se retrouveront dans la pochette du 25-cm original Barclay, où Ferré chante le poète.

Les Lettres françaises livrent encore, en 1963, une version du « Chant premier » des Chants de la fureur, version peu connue du fameux texte intégral de La Mémoire et la mer.

Nous Deux, en 1969, présente, avec un grand article consacré à l’artiste, un petit texte sans titre : « Le couple, c’est toi et moi… »

La chanson La Vie d’artiste est reprise par le journal Pilote, en 1973.

De larges extraits de Technique de l’exil paraissent dans Les Nouvelles littéraires à la fin de l’année 1979.

Le Monde publie, en 1980, Guillaume, vous êtes toujours là !, lors du centenaire d’Apollinaire.

En 1981, c’est encore Le Monde qui, à propos de l’affaire Knobelspiess, donne en tribune libre la Lettre ouverte au ministre dit de la Justice, à l’époque Alain Peyrefitte.

Et c’est toujours Le Monde qui publie Viens…, une adresse à un jeune, en 1983.

En 1984, le journal de Jean Clouet, Chanteuses, chanteurs, vos papiers !, au titre évidemment inspiré par Ferré, fait paraître un extrait de Je parle à n’importe qui. La même année, L’Humanité-dimanche donne Improvisation pour figer les armes : le titre est de la rédaction du journal.

En 1985, Le Monde reprend Viens… dans ses Dossiers et documents, spécial « Showbiz ». Dans le journal belge Une autre chanson, on peut lire, la même année, « Il fallait qu’un jour… » (un texte sans titre sur Ann Gaytan), ainsi que Tout ce que tu veux et Le Manque. À ce moment-là, ces deux chansons n’ont pas encore été enregistrées par leur auteur et on n’en connaît qu’une version au piano, donnée par Ann Gaytan dans un maxi 45-tours belge très peu diffusé, paru sous le label Orchidée noire.

En 1987, pour « La fête à Ferré », qui ouvre les Francofolies de la Rochelle, paraît un numéro de la revue locale Clair de terre, dans lequel Ferré signe, amicalement, un mot bref.

1990 : le Figaroscope propose à Léo Ferré, qui est alors sur la scène du TLP-Déjazet, de commenter sept photographies de la capitale. Il le fait brièvement. La rédaction titre à ce sujet Le Paris de Léo.

Les autres parutions seront posthumes. Chorus, en 1994, publie « L’ouverture de cette particulière trahison des faits… », qui ne figurait jusque-là que dans le dossier de presse – un simple feuillet – du premier disque produit par EPM-Musique, On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. On trouve aussi dans ce numéro Mon Général.

Libération, en 2000, donne un extrait de L’Imaginaire et le texte sans titre, retrouvé : « Le 1er janvier de l’an 2000... »

En 2001, La Revue des Archers, fondée à Marseille par Richard Martin, propose un court extrait de L’Opéra des rats, que le comédien avait monté en 1983 et repris en 1996.

En 2003, Libération a l’excellente idée de faire paraître six textes écrits pour la station de radio Europe n° 1 en 1960. L’ensemble est intitulé par la rédaction du journal Ici Léo Ferré… Ce sont des textes inédits hormis pour ceux qui avaient pu les entendre des décennies plus tôt.

C’est en 2005 que la Lettre à l’ami d’occasion est rendue publique par le bulletin d’informations Les Copains d’la neuille. J’ai fait dans ce numéro une présentation de ce texte qui se rapporte encore à l’histoire de Ferré et des surréalistes, et n’y reviendrai donc pas.

Il existe de très nombreuses autres parutions qu’au cours du temps, Léo Ferré put faire dans des programmes de spectacles, des ouvrages de toute nature, des pochettes de disques… Une recension serait sans fin et n’intéresserait probablement guère. Ici, on constate qu’il est sollicité par des publications de tout bord (Arts est couramment considéré comme de droite… mais est lu par tout le monde et, pour commencer, par Breton ; Les Lettres françaises, L’Humanité sont communistes ; Le Monde est considéré comme de gauche par les gens de droite et de droite par les gens de gauche ; Libération, Les Nouvelles littéraires sont de gauche au sens large…) À noter la position étonnante du Figaro. Dans les années 70, il conspuait Ferré. Dans les années 80, il lui consacrera de bons articles, lui offrira un long entretien dans le Figaro magazine, la couverture du Figaro Méditerranée, le commentaire libre de photos dans Figaroscope… Étonnant revirement.

Arts du 9 au 15 janvier 1957.

France-Observateur du 20 octobre 1960.

Les Lettres françaises du 19 au 25 janvier 1961.

Les Lettres françaises du 24 octobre 1963.

Nous Deux, décembre 1969.

Pilote, n° 737, du 20 décembre 1973.

Les Nouvelles littéraires du 20 décembre 1979 au 3 janvier 1980.

Le Monde du 29 août 1980.

Le Monde du 3 avril 1981.

Le Monde du 1er décembre 1983.

Chanteuses, chanteurs, vos papiers !, n° 2, mars 1984.

L’Humanité-dimanche du 14 octobre 1984.

Le Monde, Dossiers et documents, spécial « Showbiz », juillet-août 1985.

Une autre chanson, n° 15, juin-juillet-août 1985.

Clair de terre, spécial « Francofolies », juillet 1987.

Figaroscope du 14 au 20 novembre 1990.

Chorus, n° 8, été 1994.

Libération du 3 janvier 2000.

La Revue des Archers, n° 1, printemps-été 2001.

Libération des 12 et 13 juillet 2003.

Les Copains d’la neuille, n° 8, printemps-été 2005.

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dimanche, 18 janvier 2009

Dans les revues des années 70

La décision de créer une revue prise, il faut au groupe libertaire Louise-Michel de la Fédération anarchiste le temps de rassembler les textes, de concevoir une maquette, d’envoyer la copie chez l’imprimeur (La Cootypographie, à Asnières), de corriger les épreuves, de signer le bon à tirer – toutes ces opérations réalisées à une époque sans traitement de texte et sans internet, et le premier numéro de La Rue, « revue culturelle et littéraire d’expression anarchiste », paraît, sur quatre-vingts pages, daté… mai 1968. C’est un pur hasard mais, rétrospectivement, c’est amusant. En troisième de couverture, cette mention : « Cet ouvrage a été réalisé par des ouvriers syndiqués ». Le second numéro comptera quatre-vingt-huit pages et sera imprimé chez Borel à Paris, avec la flamme « Fédération du Livre CGT FO ». Les numéros compteront cent pages à partir du n° 4 et, à compter du n° 5, ce sera l’imprimerie 718 à Paris qui assurera le travail. Trimestrielle, la revue est présentée sous une couverture (dont la photographie – une rue pavée – est signée Hubert Grooteclaes) qui change de couleur à chaque livraison. Les responsables de la revue sont Maurice Joyeux et sa compagne Suzy Chevet. Dos carré, impression soignée – la tradition typographique est toujours vivace chez les anarchistes – La Rue va connaître une quarantaine de numéros. Léo Ferré publie des textes dans les douze premiers et répondra à une interview de Françoise Travelet dans le n° 34, en 1984. L’entretien est illustré par un dessin de Gil. Dans le n° 1, il publie Je donnerais dix jours de ma vie, journal des onze premiers jours de janvier 1968, vécus à Perdrigal (du 1er au 11 inclus, cela fait en effet onze jours, mais Léo Ferré a toujours eu des problèmes avec le compte du temps). Dans le n° 2, il donne Le Chemin d’enfer ; dans le n° 3, Perdrigal ; dans le n° 4, I have a rendez-vous avec le wind ; le cinquième numéro propose Des armes et Les Anarchistes ; le sixième, Le Chien ; le septième, Le mot, voilà l’ennemi ; le huitième, Guesclin ; le neuvième, Le Conditionnel de variétés ; le dixième, Paris, je ne t’aime plus, L’Été 68 et Comme une fille ; le onzième, Le silence ne téléphone jamais ; la douzième livraison, enfin, comprend La Violence et l’ennui. Pas toujours mais la plupart du temps, ces textes sont, au moment de leur parution, soit inédits, soit enregistrés dans le disque plus ou moins contemporain de la parution. Au sommaire, on relèvera entre beaucoup d’autres les noms de Michel Ragon, Jean-Pierre Chabrol, Maurice Laisant, Jehan Jonas, Bernard Clavel, Françoise Travelet, Roger Grenier, Maurice Frot, Arthur Mira-Milos (alias Dominique Mira-Milos, alias Dominique Lacout) et quelques auteurs plus anciens : Jean Richepin, Jean-Baptiste Clément, Victor Hugo.

 

En 1976, Léo Ferré publie aussi dans la revue de photographie Zoom un des très nombreux textes qu’il consacrera à son ami photographe. Celui-ci s’intitule simplement Hubert Grooteclaes et voisine évidemment avec quelques images de lui.

 

Durant ces années, Ferré publie aussi quelques textes dans la presse, mais ils n’entrent pas dans le dessein de cette note.

 

La Rue, n° 1, mai 1968.

La Rue, n° 2, octobre 1968.

La Rue, n° 3, 1er trimestre 1969.

La Rue, n° 4, 2e trimestre 1969.

La Rue, n° 5, 3e trimestre 1969.

La Rue, n° 6, 4e trimestre 1969.

La Rue, n° 7, 1er trimestre 1970.

La Rue, n° 8, 2e et 3e trimestres 1970.

La Rue, n° 9, 4e trimestre 1970.

La Rue, n° 10, 1er trimestre 1971.

La Rue, n° 11, 3e trimestre 1971.

La Rue, n° 12, 4e trimestre 1971.

Zoom, n° 37, mai 1976.

La Rue, n° 34, 2e trimestre 1984.

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samedi, 17 janvier 2009

Dans les revues des années 60

Les revues des années 60 font appel à Léo Ferré à plusieurs reprises.

 

Dans son numéro 5, Janus dont l’objectif avoué est « l’homme, son histoire et son avenir » et qui n’hésite pas à affirmer « Janus, la grande revue des grands problèmes, répond dans ses cahiers consacrés à une seul sujet aux questions d’aujourd’hui sur hier et demain », propose le thème « L’Homme et ses idoles ». C’est dans cette revue que paraît pour la première fois Les idoles n’existent pas, cette belle prose de  Léo Ferré qu’on retrouvera dans la pochette du double disque enregistré en public à Bobino, en 1969. Les signataires des articles sont Mircea Eliade, Gabriel Marcel, Henri Noguères, Edgar Morin. On traite de la religion, de l’idolâtrie, des mythes, des symboles, de la science, du culte de la personnalité. On est alors en pleine vague « yé-yé » et Léo Ferré parle de la télévision et des idoles de la chanson. Son texte est suivi de Quand j’étais môme. Le rédacteur en chef est Claude Manceron, le directeur Noguères et l’éditeur, la Nouvelle librairie de France et Robert Laffont.

 

Le numéro 22 de Planète propose Pureté, chagrin d’adulte…: il s’agit de réflexions sur sept photos, des portraits en noir et blanc de la petite Marianne Grooteclaes, évidemment réalisés par son père. Au sommaire, entre autres, une découverte du dessinateur Desclozeaux. Planète est dirigé par Louis Pauwels, qui n’est pas encore un homme de droite. La revue s’installe dans le mouvement alors à la mode, mélange d’ésotérisme et de science-fiction, avec un brin de fantastique. Ce pêle-mêle aboutira plus tard à la collection « Les Énigmes de l’univers », dirigée chez Robert Laffont par le même Pauwels, collection à la couverture noir et or, qui sera très contestée pour son manque de rigueur et son sensationnalisme, alors qu’elle se prétendait sérieuse. Le texte de Léo Ferré sera repris dans un numéro hors-série de cette même publication, intitulé « L’amour à refaire » (au sommaire, Jean-Louis Barrault, Suzanne Lilar, Geneviève Dormann, Reich…) qui, quelques années plus tard, voguera sur la mer de la libération sexuelle, de l’amour libre, lorsque, dans la mouvance de 1968 et au cœur du féminisme grandissant, leur mode intellectuelle se sera affirmée.

 

Janus et Planète sont ce qu’il est convenu d’appeler des « revues de bibliothèque » ou des « revues-livres », c’est-à-dire qu’elles sont imprimées en offset, brochées comme de véritables ouvrages et disposent d’une couverture d’un grammage important, comparable à celui des livres. Leur contenu, qu’on l’apprécie ou pas, est assez solide. Elles n’ont de revue que le caractère collectif et la relative abondance de l’illustration (en noir et blanc ou en trichromie), chose alors rare en imprimerie. On observe qu’une mode graphique leur confère un format carré, d’ailleurs très agréable. Ce même format se retrouvera dans Plexus, revue traitant de sujets à connotation sexuelle (« Plexus décomplexe », est-il affirmé dans une allitération), dans laquelle Ferré ne signera rien mais où l’on retrouvera à plusieurs reprises le nom et les images de Grooteclaes.

 

L’éditeur Jean-Jacques Pauvert ayant repris Le Crapouillot, fondé avant-guerre par Galtier-Boissière, on voit paraître un numéro 66, spécial « Hommage au Crapouillot, histoire d’un journal libre et de son directeur, hommages, commentaires et souvenirs » contenant des textes de très nombreux auteurs (Rostand, Simenon, Lanoux, Guillemin, Paulhan, Maurice Garçon, Morvan Lebesque, Michel Vaucaire, Guy Béart, Roger Peyrefitte, Boudard, Max-Pol Fouchet…), dont Ferré. Curieux destin que celui de ce journal d’abord anticonformiste et frondeur, puis de gauche, qui deviendra d’extrême-droite quand Minute le reprendra. Pour l’heure, il est de grand format, a un dos carré, est sous-titré « Magazine libre trimestriel » et Léo Ferré y signe un article, à ma connaissance le seul où il salue publiquement un éditeur : « Jean-Jacques Pauvert – que je tiens pour le premier éditeur de langue française », écrit-il. Pauvert est alors l’éditeur non-conformiste, prenant des risques et connaissant de perpétuels démêlés avec la censure, comme son concurrent Éric Losfeld avec qui il arrive qu’on le confonde, notamment à cause de certaines similitudes de leur catalogue (surréalisme, érotisme, érudition).

 

Durant ces années, Ferré publie aussi quelques textes dans la presse, mais ils n’entrent pas dans le dessein de cette note.

 

Janus, n°5, « L’Homme et ses idoles », février-mars 1965.

Le Crapouillot, n° 66, « Hommage au Crapouillot », mai 1965.

Planète, n° 22, mai-juin 1965.

Dossier Planète, hors-série, n° 1, « L’amour à refaire », décembre 1971.

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jeudi, 15 janvier 2009

Dans les revues littéraires des années 80

Dans les années 80, de nombreuses revues littéraires ont demandé à Léo Ferré de leur confier des textes, ce qu’il a toujours fait. C’était bien évidemment afin d’inscrire au sommaire un nom prestigieux et de compter sur une « locomotive » pour vendre le numéro (la plupart du temps, le n° 1). À cette période, relever les parutions ferréennes tenait du pari ou du jeu de piste. Il y en eut en effet beaucoup et je ne suis pas certain de les connaître toutes. Depuis, les textes en question ont tous été repris dans tel ou tel recueil mais alors, il s’agissait la plupart du temps d’inédits.

 

Cela n’a jamais empêché ces publications de demeurer confidentielles. La palme revient à la revue libertaire La Cannibale, qui parut… une seule fois et mit immédiatement fin à ses activités, après avoir donné à lire Le Noir et l’érotisme dans le numéro « Noir, variations sur une anti-couleur ». Il est d’ailleurs remarquable que, fondée quelques années auparavant, La Rue, « revue libertaire et culturelle d’expression anarchiste » publiée par le groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste, soit parvenue à proposer près de quarante livraisons. Il est vrai que La Cannibale était beaucoup moins intéressante que sa sœur aînée. Les temps, déjà, avaient changé, le niveau baissé et le public disparu. Toutefois, le Magazine libertaire connut, lui, un certain intérêt et Ferré lui donna Une page n’est jamais blanche.

 

Il y eut aussi la revue Jungle, élégamment sous-titrée « Sur les pas fauves de vivre », qui reçut En ces temps-là, des vagabonds…pour le numéro ayant pour thème « Errances et vertiges » ; la revue Grande nature, un brin luxueuse et bellement imprimée, qui put ressortir Guillaume, vous êtes toujours là !, texte paru auparavant dans Le Monde, pour une livraison évoquant Apollinaire ; la revue L’Encrier qui, elle, existe peut-être encore, fit paraître une livraison consacrée aux « Poètes de la rue » : elle contenait La poésie est dans la rue et un texte extrait du porte-folio L’Éternité de l’instant. Il y eut Introduction à la folie dans les Cahiers Créativité et folie que l’éditeur Actes Sud avait repris et qui disparut fort vite.

 

Quel enseignement peut-on tirer de cette revue des revues ? Dans les années 70, Ferré est au faîte de sa gloire mais les seules publications qui lui demandent des textes sont celles de la Fédération anarchiste. Dans les années 80, les demandes se multiplient, provenant de divers horizons et mêlant Léo Ferré aux écrivains et aux universitaires (en vrac, Michel Decaudin, Nabile Farès, Tristan Cabral, Julia Kristeva, Sam Shepard, Hervé Guibert, Marcel Moreau, Tennessee Williams, Verlaine, Corbière, Laforgue, Mistral, Richepin, Rimbaud, Hugo, Lionel Bourg…) Dans le même temps, il se trouve à cette époque de sa vie et de sa carrière où il va chanter de plus en plus fréquemment et de plus en plus longtemps, chaque fois. Toujours au même moment, il publie aussi quelques textes dans la presse, mais ils n’entrent pas dans le dessein de cette note.

 

Cahiers Créativité et folie, n° 1, février 1984.

Magazine libertaire, n° 1, 1984.

Grande nature, n° 1, hiver 1984-1985.

Jungle, n° 8, 1985.

La Cannibale, n° 1, avril 1987.

L’Encrier, n° 26-27, janvier 1990.

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mercredi, 14 janvier 2009

Une question d’interprétation

Au lu ou à l’audition d’Avec le temps, on considère habituellement que « on n’aime plus » représente l’échec. On peut facilement penser exactement le contraire, et c’est d’ailleurs, à mon avis, le sens que donne Léo Ferré à cette chute. Ne plus aimer, ici, c’est être victorieux, même a minima (« tout seul peut-être mais peinard »).

 

Évidemment, si on reste sur un plan biographique, on peut dire que Ferré veut nous faire croire qu’il n’aime plus, alors qu’on sait bien qu’en réalité, on n’oublie rien. Des deux opinions, « on oublie tout » et « on n’oublie rien », celle de Brel était plus juste : une de ses chansons portait ce titre, On n’oublie rien, mais, si elle est plus exacte, elle est malheureusement écrite en charabia (d’un autre texte de Brel, Il nous faut regarder, Catherine Sauvage disait : « C’est du belge »). On ne cesse jamais d’aimer, même si on a quitté l’autre. Personne (et heureusement) ne remplace personne. On ne « refait pas sa vie », contrairement à ce qu’on dit, mais les vies se succèdent, simplement.

 

Il reste que, du point de vue littéraire, un artiste a écrit « on n’aime plus » à la clausule d’un texte où il montre qu’avec le temps, on oublie. On a beau savoir que c’est faux, le texte, lui, est là et c’est de lui qu’on doit parler. Donc, affirmer que « on n’aime plus », c’est l’échec, est à mon avis un contresens. L’auteur nous présente ici la fin du sentiment comme une libération, donc une victoire.

 

Dans la réalité, ce n’est pas vrai, mais le texte est là, qui dit l’intention de l’auteur. Peut-être dit-il, d’ailleurs, plus que son intention. Peut-être prouve-t-il l’effort désespéré que fait un homme pour se convaincre qu’on oublie tout et le reste. Mais on tombe là dans le biographisme, dont on ne veut pas.

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jeudi, 08 janvier 2009

Un spectateur indiscret

Marseille, décembre 1972. Dans la Simca 1100 de son père, le jeune homme désormais familier aux lecteurs emmène quelques camarades au théâtre Toursky. Le rendez-vous est fixé devant le Jimmy – quartier général, centre névralgique – ce café près du lycée Victor-Hugo de Marseille, fermé à cette heure. Le jeune homme a eu vingt ans quelques jours auparavant. La voiture blanche aux sièges rouges file vers la Belle-de-Mai, Saint-Mauron…

 

Dans la salle, les jeunes gens vont occuper une rangée entière, à gauche de l’allée centrale, au premier rang. Évidemment, tous ne sont pas entrés dans la même voiture. On est venu comme on a pu. Parmi eux, une jeune fille de seize ans a disposé sur la scène, ouvertement, un magnétophone à cassettes, le célèbre Philips Mini K7. Le micro est dirigé vers le centre de la scène. Évidemment, le piano de Popaul est tout près, il risque de tout couvrir et l’enregistrement de n’être pas très bon, mais on est alors peu regardant vis-à-vis de la qualité du son : seul, le contenu compte.

 

Le spectacle commence. Il y a encore un entracte. Au début de la deuxième partie, Léo Ferré chante Les Poètes. Et se trompe, comme cela lui arrive quelquefois. Il commence à chanter : « Ils ont des chiens… » avec un quatrain d’avance, se rend compte de l’erreur, hésite. Irrésistiblement poussé – par quoi ? Son « oisive jeunesse » ? – notre lascar, les mains en porte-voix, crie : « Ils mettent des couleurs sur le gris des pavés », se rend soudain compte de son audace un peu bête, tandis que Ferré dit : « Voilà ! », enchaîne sans se démonter, que Popaul se tourne, ironique, dans la direction de la voix : « T’en sais des choses, toi ! », qu’une grande partie du public applaudit en criant : « Bravo Kiki » – c’est ainsi qu’on appelle alors le jeune homme – parce qu’incroyablement, dans le noir, on a su que c’était lui qui s’était involontairement mis en avant. Il faut dire qu’il a la réputation d’être fou de Ferré, voire fou tout court, et qu’il connaît alors beaucoup de monde. Tout cela s’est déroulé en quelques secondes, les différentes interventions ayant été ramassées dans un bref moment commun, sans se chevaucher pourtant, et demeurant parfaitement audibles.

 

Si audibles que le micro du petit appareil les a fidèlement captées… Un peu plus tard, le jeune imbécile demandera à sa propriétaire de dupliquer la cassette. Comme on le faisait alors : deux magnétophones reliés par un cordon. C’était une cassette C 120, car le spectacle durait deux heures. Incroyablement, la copie elle-même était techniquement encore acceptable.

 

Quatre ans après, le jeune homme part vivre à Paris, nommé là par l’Éducation nationale. Il n’emporte pas la cassette avec lui. Des années plus tard, il cherche à la récupérer : elle a été effacée. Heureusement.

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samedi, 03 janvier 2009

Lettres d’amour

Je tente de me rappeler l’impression que me fit, en 1970, l’écoute de La Lettre. Ce beau texte amoureux n’était pas alors ressenti – du moins par moi, du haut de mes dix-huit ans et ne connaissant Ferré que depuis une année – comme quelque chose de particulièrement autobiographique, si bien que l’allusion à l’« enfant de la honte » demeurait obscure ou bien uniquement littéraire : on sait bien qu’un auteur peut écrire une chanson d’amour dans le vide, c’est-à-dire qu’elle sera non dédiée, non inspirée par quelqu’un en particulier.

 

En revanche, on était frappé par les images, le ton et naturellement la voix du chanteur. Quand l’existence de Mathieu fut rendue publique par son père, en 1974, on comprit que La Lettre était réelle. Marie apparut ensuite, dans une plaquette puis dans un disque, en photo, après avoir été en quelque sorte présentée dans la chanson L’Espoir.

 

Lorsque parut, en 1986, Lorsque tu me liras, il y eut moins (ou davantage, c’est selon) d’étonnement. Il était alors vraiment évident qu’on entendait là le texte d’une lettre authentique, adressée à Marie et dont le contenu même laissait comprendre qu’elle datait de nombreuses années auparavant. Il faut dire que, dans l’intervalle, bien des aspects de la biographie de l’auteur avaient été révélés et que son histoire était mieux connue, encore que, de son vivant, on ne soit pas allé jusqu’à la recherche biographique détaillée qui exista par la suite.

 

Qu’est-ce qui poussa l’artiste à graver, longtemps après, Lorsque tu me liras, alors que La Lettre l’avait été quelques mois à peine après sa rédaction ? On imagine qu’il existe un certain nombre d’autres lettres qui furent envoyées à Marie.

 

Léo Ferré n’aimait pas beaucoup qu’on cherche qui était le ou la dédicataire, qui était l’inspirateur ou l’inspiratrice d’une œuvre. Il estimait que ce qui comptait, c’était le résultat artistique. Ce point de vue est parfaitement compréhensible et, sans le faire totalement mien, comment ne pas lui reconnaître une pertinence ? Cependant, Christie est nommément citée dans Lorsque tu me liras : il est donc difficile de vouloir ignorer de qui il s’agit. C’est pour cela qu’on peut rêver au pourquoi de la mise en musique de ces deux lettres. Uniquement celles-là.

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