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samedi, 25 novembre 2006

L’Opéra des rats, un spectacle du Toursky

« Je devins un opéra fabuleux » avait noté Rimbaud. Le mot « opéra » éveille souvent chez les poètes comme une magie. Chez Ferré, on le trouve trois fois, placé en titre : L’Opéra du ciel, L’Opéra des rats, L’Opéra du pauvre.

L’Opéra des rats est une pièce de théâtre que Ferré écrivit sur une idée de Richard Martin, créée à Marseille, au théâtre Axel-Toursky, en 1983, fort peu commentée par la presse nationale, pour ne pas dire pas du tout [1], reprise en 1996 durant deux mois, dans une mise en scène nouvelle, signée bien sûr par Richard Martin, jouée dans un décor nouveau dû à Michel Lagrange, avec l’idée d’associer une vingtaine de jeunes des quartiers environnants à cette re-création. Ils participeront au montage du décor, et joueront des rôles dans la pièce, après avoir suivi des cours avec des professionnels du spectacle. Des costumes de Guylaine Péricat, des lumières de Richard Psourtseff habillent, en scène, une quarantaine de personnes. Comment citer tous les noms ? Avec beaucoup d’injustice, on ne parlera donc ici que de Tania Sourseva, remarquable dans un rôle, jubilatoire, de mamma italienne, de l’émouvante Antonella Amirante en femme enceinte, de Wladislaw Znorko en travesti tragique, désespéré… La musique est de Phil Spectrum. Le groupe marseillais Leda Atomica interprète en direct la partition, avec un grand nombre d’instruments de musique, clavier, violon, percussions, accordéon et, là, il serait vraiment inacceptable de taire le nom de Marie-Ange Jannucillo, chanteuse à la voix indicible. Si la voix peut avoir une couleur, la sienne est noire, mieux, elle est le noir en soi. Sublime.

De quoi s’agit-il ? Une communauté d’origines multiples, Italiens, Africains, Slaves, Nord-Africains, vit au pied d’un viaduc, dans une décharge qu’une espèce de gigantesque, effrayante pelle mécanique arrivée du ciel vient remplir régulièrement des déchets de ceux qui vivent au-dessus, tranquillement. Un jour, d’ailleurs, l’horrible engin n’apportera plus rien, puisque, chaque fois, il en déverse un peu moins encore. Là, un jeune garçon italien rêve et réinvente la destinée des habitants de la décharge, jusqu’au tableau final, indescriptible, où une carcasse de vieille voiture, une DS, est transformée en navire (quelle puissance de décor et de mise en scène), devenant arche de la misère peut-être vaincue. Tel est, trop rapidement évoqué ici, le sujet de l’œuvre.

Le texte ? On ne s’en étonnera pas, c’est du Ferré pur. C’est-à-dire que ce ne sont pas des dialogues à proprement parler, encore moins des réparties ou des tirades, mais une série de textes de Léo Ferré : des poèmes et des proses poétiques. Avec, si l’on y prête attention, des extraits du Chien, de La Solitude en italien, de Tu ne dis jamais rien en italien, et même la traduction française du poème de Cecco Angiolieri… À cela s’ajoutent une chanson où il est question de mer partie chercher fortune (il s’agit de la chanson Le Vieux marin, qui sera publiée en 2000 dans le disque Métamec), donnée par la voix enregistrée de Léo Ferré lui-même et, lors de la scène ultime, un autre texte, authentique et très fort, dit en voix « off » par Martin (Je t’aime toi qui pars…) Au moment du salut, le saxophoniste joue L’Âge d’or, naturellement.

Les personnages, en dépit des apparences, ne sont pas des archétypes, plutôt des images, des rêves de Ferré, de ceux qui vivent naturellement dans son imaginaire, du vieux marin au cordonnier, en passant par l’aveugle, le fakir manqué, le travesti, le poète toscan, le garçon, la mamma, la femme enceinte… On aurait pu en croiser certains dans L’Opéra du pauvre, d’autres dans La Vie d’artiste, De sacs et de cordes ou Benoît Misère. Pour ceux qui connaissent les mises en scène de Richard Martin, assurons que celle-ci, comme toujours, lui ressemble, témoin de l’outrance et de la générosité, de la démesure et du rêve qui l’animent. Tant pis pour Paris dont les journalistes n’ont pas cru devoir se déplacer, la presse régionale est considérable. Le meilleur titre observé, parmi tous ces articles, est celui de Quand Madame la Misère hisse la grand-voile [2], en tous points parfaitement justifié.

Les dialogues de L’Opéra des rats ont été enregistrés chez lui par Léo Ferré. Ils ont fait l’objet de deux disques compacts hors commerce, d’une durée totale de 46 mn 55, publiés en 2000 au moment de la sortie du disque Métamec.

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[1]. Acteurs, janvier-février 1984 et L’Express du 20 au 26 avril 1984.

[2]. Taktik du 23 au 30 octobre 1996.

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