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lundi, 22 janvier 2007

Censure à la radio

Voici quelques faits précis et datés, sans commentaires, suivis d’un souvenir personnel.

Le jeudi 23 avril 1953, le comité d’écoute de la Radiodiffusion française interdit Paris-Canaille.

Le jeudi 19 novembre 1953, le comité d’écoute de la Radiodiffusion française interdit Et des clous.

Le jeudi 12 juillet 1956, le comité d’écoute de la Radiodiffusion française interdit Le Temps du plastique.

Le mardi 13 février 1962, le comité d’écoute de la Radiodiffusion française interdit Regardez-les.

En 1960, Ferré présente la chanson Les Poètes à la radio, disant en introduction que les ministres seront oubliés mais pas les poètes, ajoutant être heureux de chanter ce texte en ce moment. L’émission passe en différé trois jours plus tard, les mots « ministres » et « en ce moment » sont coupés. Pour protester contre cette affaire de censure, il écrit La Liberté d’intérim, que publie France-Observateur dans son numéro du jeudi 20 octobre. On l’a vu dans une note précédente.

Les samedi 18 février, vendredi 17 mars et mercredi 26 avril 1961, il enregistre un 25-cm de chansons censurées à la radio, Les Chansons interdites de Léo Ferré, qui comprend Les Rupins, Miss Guéguerre, Thank you Satan, Les 400 coups, Pacific Blues, Regardez-les, Mon Général et La Gueuse. Ce disque est interdit à la publication et le pressage est détruit (il n’en demeure qu’un 45-tours portant le même titre et proposant Les Rupins, Miss Guéguerre, Thank you Satan, Les 400 coups).

À la fin des années 60, peut-être au début des années 70, j’achète pour cinq francs, chez un bouquiniste du cours Julien à Marseille, le double album Barclay Verlaine et Rimbaud chantés par Léo Ferré. Cinq francs, c’est une somme pour un lycéen, mais c’est peu de chose pour un double 30-cm. La raison de ce prix bas est très simple. Les deux 33-tours sont cassés. Ils sont cassés de la même manière, c’est-à-dire qu’un morceau de quelques centimètres manque, qui empêche l’écoute du premier morceau de chaque face, soit quatre chansons en tout. Cette brisure n’est pas accidentelle – d’ailleurs, on se demande comment on pourrait casser accidentellement un disque de cette manière, à plus forte raison deux disques. Manifestement, cela a été fait volontairement, sans doute avec une pince. Les deux disques sont estampillés « ORTF » sur l’étiquette centrale. C’est une censure par le fait, dirigée contre l’interprète car on ne voit pas pourquoi Verlaine et Rimbaud auraient été frappés d’ostracisme à la radio à ce moment-là. Par quel hasard ce disque appartenant à une discothèque de service public à Paris s’est-il retrouvé à Marseille, chez un marchand de livres et de disques d’occasion, tenant étal en plein air ? Pendant des années, le plateau tournant déjà, je poserai comme je pourrai le bras du tourne-disques au-delà des deux cassures. C’est une époque où le bras de lecture se manœuvre à la main ; il n’y a pas encore de levier avec descente amortie. Même avec un appareil de professionnel comportant cet équipement, aucun régisseur, à la radio et dans des conditions normales de travail, ne se donnera la peine de viser ainsi. Le disque est bel et bien inutilisable sur les ondes. Pendant des années, je ne pourrai pas écouter quatre morceaux de ce double album. Plus tard, je rachèterai ce disque, neuf, chez le disquaire Raphaël sur la Canebière, et je découvrirai les quatre chansons dont j’ignorais tout. Je regrette de n’avoir pas conservé l’ancien.

00:00 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (15)

Commentaires

A côté de la censure officielle qui a touché Ferré,Vian,Mouloudji,brassens etc..,il y avait une pratique simple pour interdire la diffusion de certaines chansons:rayer au poinçon les plages qui pouvaient "choquer" ou diffuser des idées"subversives",afin de les rendre inutilisables,sans doute j'usqu'au départ de De Gaulle....Ferré avait un jour expliqué le "truc"

Écrit par : francis delval | lundi, 22 janvier 2007

Oui, il a dit avoir vu des disques rayés au poinçon. La cassure dont je parle ici est selon toute vraisemblance le même genre de pratique.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 22 janvier 2007

On veut bien "comprendre" certaines censures mais qu'est-ce qui pouvait vraiment justifier l'interdiction de "Et des clous"?

En sait-on plus sur ce comité d’écoute de la Radiodiffusion française (composition, missions)?

Écrit par : gluglups | lundi, 22 janvier 2007

Justement, je n'en sais rien. Les raisons des censeurs sont toujours obscures. On n'imagine pas un cahier des charges, n'est-ce pas. Alors ? Mystère. Sans doute une somme d'appréciations subjectives confrontées à une situation sociale, politique, donnée. A un air du temps et à une somme de convictions du moment. Et des clous n'est peut-être pas suffisamment chrétien ? Ce n'est qu'une supposition.

Je ne connais pas la composition du comité (j'avais un an, quatre ans et dix ans aux dates indiquées). Ses missions devaient être, du moins je le suppose, celles d'un comité de la morale en quelque sorte, comme le Centre catholique français du cinéma, dans les années 50 et après. Il y avait une emprise réelle sur les esprits et les comportements. Les années 50 et 60 étaient très corsetées, rigides et codifiées, je l'ai souvent dit. 1968 n'est pas né de rien. C'est aussi pour cela que j'avais insisté sur le contexte dans l'étude sur les Lettres non postées.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 22 janvier 2007

"un comité de la morale en quelque sorte": oui, qui devait prescrire de mettre à l'écart tout ce qui pouvait être perçu comme dépressif, non héroïque, anti-parlementaire. L'esprit de la Résistance, dans son côté épuration... Avant 58, il ne devait pas s'agir que d'une censure gaulliste...

On doit supposer qu'il pouvait s'y trouver quelques gens "bien". Je me demande si Cora Vaucaire n'en a pas fait partie quelque temps: il me semble avoir lu ou entendu cela quelque part et elle se justifiait en disant qu'avec des gens comme elles, cela permettait de laisser "passer" un maximum de trucs. Ce serait à vérifier. De toute façon, ce serait bien de trouver une étude d'historien là-dessus car, comme le rappelle Francis, pas mal de chanteurs ont eu ce genre de problèmes.

"Les Chansons interdites" de Léo Ferré a été interdit à la publication: s'agit-il d'une interdiction Barclay (une forme d'autocensure) ou d'une interdiction officielle?

Écrit par : gluglups | lundi, 22 janvier 2007

La censure n'était pas un vain mot, à cette époque. On finirait par l'oublier. C'est ainsi que les événements du 17.10.1961 ont pu être minimisés au maximum.

Écrit par : Feuilly | mardi, 23 janvier 2007

La censure n'était pas un vain mot, à cette époque. On finirait par l'oublier. C'est ainsi que les événements du 17.10.1961 ont pu être minimisés au maximum.

Écrit par : Feuilly | mardi, 23 janvier 2007

Feuilly : en 1961, on est en pleine guerre d'Algérie et il existe un ministère de l'Information, c'est-à-dire une censure tout ce qu'il y a de plus officielle. Le comité d'écoute, avant 1958 en tout cas, donc sous la IVe République, c'est autre chose, c'est sûrement moins politique et beaucoup plus moral. A la limite, on peut supposer qu'il veille à ce que les "idées" nazies ne soient pas diffusées discrètement. On n'est pas si loin que ça de la guerre et les gens sont obsédés par elle, ce qui se comprend d'ailleurs. Donc, chape morale excessive.

Gluglups : pour ce qui est de la censure gaulliste, c'est encore le ministère de l'Information. Comme je l'ai dit dans une note précédente, je suis persuadé que jamais de Gaulle en personne n'a donné d'ordres pour que Léo Ferré soit censuré. Il devait exister des zélateurs qui censuraient et lui ne devait même pas être au courant. Je veux dire par là qu'on peut lui reprocher bien des choses et notamment une mainmise totale sur l'information, mais il serait vain de croire qu'il agissait personnellement. Je pense qu'il devait même ignorer ou presque qui était Ferré et ce qu'il chantait contre lui.

Pour ce qui est du disque Barclay, je crois bien que c'est une autocensure. En 1961, pas question de toucher au Général. Il est glorieux d'une part et, d'autre part, le critiquer est perçu comme une entrave à son action en Algérie, voire à la sécurité du territoire. On est en pleine guerre, même si on ne le dit pas. Donc, on détruit le disque, sachant bien que, de toute façon, il ne passera jamais à la radio. Or, à ce moment-là, la radio fait une grande part des ventes. Donc, le disque serait un échec. Là, les préoccupations commerciales rejoignent les préoccupations sociales et politiques.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 23 janvier 2007

juste un mot pour rappeler que la censure était large,touchait aussi la télé,le cinéma,le thêatre,et qu'il n'y avait pas forcément intervention d'un comité:je prends l'exemple d'armand gatti,qui après son premier film "l'enclos"(première fiction sur les camps de concentration,59),dont la distribution a été entravée en france,n'a plus trouvé de subsides et a dû tourner le suivant à Cuba!Début 68,sa pièce "la passion du général Franco" a été interdite,à la demande de Franco:De gaulle a appelé Malraux au téléphone,et Malraux(l'auteur de "lespoir!) a fait arrêter les répétitions,et Gatti,comme les Straub a dû partir en allemagne pour continuer son oeuvre.On s'éloigne de Ferré,mais c'est pour faire sentir le "climat" de l'époque,une chape de plomb sur la création,et faut-il rappeler les interdictions frappant Guyotat en 71 et les nombreux procès d'éditeurs et d'écrivains(bernerd Noël,andré hardellet,calaferte) pour "pornographie";la censure est restée active jusqu'au milieu des années 70!

Écrit par : francis delval | mardi, 23 janvier 2007

La pornographie, c'était vite atteint, en plus ! Trois fois rien, et c'était porno.

Il y avait aussi censure sur les livres, les journaux. Or, officiellement, elle n'existe pas : en France, la presse et la librairie sont libres. On utilisait donc la loi sur les publications destinées à la jeunesse, une loi de 1949, pour interdire à la vente aux mineurs et à l'affichage tout journal ou livre qui déplaisait. Cette loi, toujours en vigueur, peut servir à tout. L'interdiction à l'affichage est quelque chose de terrible : personne ne réclamera au vendeur une publication dont personne ne sait qu'elle existe.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 23 janvier 2007

Quelques exemples récents:

http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp?id=1200

http://www.humanite.presse.fr/journal/2005-12-28/2005-12-28-820790

On se souviendra aussi du refus de l'administrateur général de la Comédie française de jouer une pièce de Peter Handke.

Enfin un article qui dresse un historique de la censure.

http://www.lire.fr/enquete.asp/idC=34416

Écrit par : Feuilly | mardi, 23 janvier 2007

Merci, Feuilly, pour ces liens documentaires. La prochaine étape sera (est déjà) celle du contrôle d'internet : on ne nous laissera pas longtemps encore parler librement.

Pour revenir à notre sujet, je regrette vraiment de n'avoir pas conservé ce disque. Je n'avais pas alors le sens de l'histoire comme aujourd'hui. J'avais acheté un disque neuf, le disque cassé ne m'intéressait évidemment plus. Je ne pouvais pas prévoir, en 1969-1970, qu'internet existerait. C'est dommage : j'aurais volontiers publié ici les photographies des disques et l'estampille ORTF.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 23 janvier 2007

en fait,à coté d'une certaine "libéralisation des moeurs"après mai 68,la censure radio-télé est ,je pense,restée très forte:qui d'entre vous a pu entendre à la radio ni dieu ,nimaître,les anarchistes ou les loups,ou petite?je n'en ai pas le souvenir;colette magny et gilles servat de fait interdits d'antenne pour leurs amitiés maoïstes,glenmor pour ses positions f.l.b etc ;on n'avait que de disque pour écouter Archie Sheep défendre les frères de Soledad et le black power....
il fallut attendre 84 pour que la télé retransmette un récital de Ferré,au thêatre des champs-élysées,en différé,en trois "épisodes",avec des coupures(la solitude par ex),et entrelardé d'entretiens avec P.Bouteiller.
Il y aurait un travail à faire pour un historien sur la façon dont la censure a pu modifier les stratégies des artistes:les articles de vallès dans"la rue"(le journal où il écrivait) le montrent bien ou ceux des poètes résistants dans les pays de l'est etc
je pose donc une question(je n'ai pas la réponse):la censure radio-télé a-t-elle modifié l'écriture de Ferré?a-t-il mis en place,consciemment ou non des stratégies de contournement?a priori,je ne le pense pas,mais c'est un sujet à mettre au rouet des études ferréennes
qu'en pensez-vous?

Écrit par : francis delval | mardi, 23 janvier 2007

Rien n'est simple, jamais. En 1971, la télévision diffuse l'émission A bout portant qui n'est pas un récital mais demeure une très bonne émission sur Léo Ferré, où il parle librement, avec des extraits de chansons, des paysages, un fil conducteur intelligent. Pour le reste, nous sommes d'accord mais prenons garde à ne pas passer pour des anciens combattants (rires).

A propos de la censure :

"Après La Révolution (...), Léo Ferré s'est adressé au public : Je ne passe pas, comme il était prévu, en direct, ce soir à France Inter. N'ayant pas voulu qu'on patauge dans mes textes, j'ai refusé qu'on m'enregistre en différé" (France-Soir du 9 janvier 1969).

"Cette année ils sont revenus en me promettant que tout mon tour de chant passerait, sans une coupure. Le type, André Blanc, m'a dit : Si ça ne passe pas intégralement, tu me gifles. Des mots... Tu crois qu'ils vont passer mon tour de chant intégralement à la radio ? A l'ORTF ?
-- Non.
-- Alors je lui casserai la gueule.
-- C'est pour quelle émission ?
-- Le Pop Club.
-- Alors tu as une chance. Ils ne sont pas cons à l'ORTF : ils savent que si ça passe à une heure du matin, il y aura 0, 3 % d'écoute. C'est comme ça qu'on s'offre un brin de libéralisme à peu de frais" (Rock et Folk, janvier 1971).

Non, je suis persuadé qu'il n'a conçu aucune stratégie de contournement de la censure. Pour une raison fort simple, au moins : la scène. Il disposait de la scène et, par conséquent, de la possibilité de s'adresser directement au public quand et comme bon lui semblait. Ce qu'on l'empêchait de dire au disque, à la radio, il pouvait le dire au public. A partir de là, plus de stratégie nécessaire, puisqu'il dispose de l'outil qu'il faut pour parler librement.

J'en veux pour preuve Mon Général, par exemple. Le disque ne sort pas. Soit. A la première occasion, il le donne en scène. La Gueuse : même chose. Regardez-les : pareil. Plus tard, il fera de même avec A une chanteuse morte, allant même jusqu'à faire distribuer dans la salle une copie de l'assignation qu'il avait envoyée à Barclay par voie d'huissier. Plus tard encore, il chante Les Anarchistes en scène, alors qu'on retarde la sortie du disque.

Cette expression directe était sa force, incontestablement. Il a toujours dit qu'il se publiait lui-même, avec sa voix. Ce n'était pas seulement une clause de style. Il avait une tribune, il s'en servait.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 23 janvier 2007

Je reviens à cette note après avoir retrouvé, dans mes livres, ce passage de Simonne et Jacques Charpentreau, spécialistes de poésie, de chanson et de littérature enfantine, in La Chanson, Éditions Ouvrières, 1960.

« Toute l’œuvre de Léo Ferré par exemple est une protestation de l’homme écrasé par la machine sociale ; aussi Léo Ferré est-il l’un des auteurs dont certains disques ont droit, à la radio, au petit cercle blanc interdisant la diffusion. Interrogé sur cette forme discrète de censure, il a expliqué qu’à son avis « un comité de variétés, instauré depuis quelques années et à seule fin de juger la qualité technique des disques, s’est petit à petit transformé en un organisme de censure pure et simple. Mes disques censurés ne se comptent plus ». »

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 28 novembre 2007

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