mardi, 02 janvier 2007
Sur un texte de 1960
Dans la note Tout finit à la République, j’ai raconté qu’en 1960, Léo Ferré avait eu à souffrir d’une affaire de censure. Il présentait à la radio la chanson Les Poètes et, dans son introduction, disait en substance que les ministres seraient oubliés, pas les poètes et qu’il était heureux de chanter cette chanson « en ce moment ». L’émission fut diffusée en différé trois jours plus tard. Les mots « ministres » et « en ce moment » avaient été coupés. Il écrivit alors un texte de protestation qu’il adressa à France-Observateur et qui fut publié dans la livraison du 20 octobre. Il me paraît intéressant d’évoquer la structure de ce texte, La Liberté d’intérim. Il est en effet typique des proses – souvent des libelles – que Léo Ferré pouvait écrire et qu’il publia ici et là à plusieurs reprises.
Un court « chapeau » indique : « Léo Ferré n’est pas content du tout, et il tient à le faire savoir. Voici le cri d’indignation que nous a adressé l’auteur de tant de chansons non-conformistes ». Un rappel : en 1960, le terme « non-conformistes » est quelque chose de très fort.
Le texte commence par deux paragraphes d’idées, variations sur la liberté qui s’achèvent par une phrase ouvrant sur les mots « la Radio ». À ce moment-là, « la Radio » avec un article défini et un R majuscule, c’est la radio d’État, la radio de service public.
Viennent ensuite deux autres paragraphes exposant le sujet de l’article à travers l’objet du débat : les mots supprimés.
Suivent six paragraphes (introduits par un intertitre qui est manifestement dû à la rédaction du journal) d’une glose sur la censure et la disponibilité à l’obéissance des fonctionnaires de la Cinquième République.
Enfin, deux paragraphes de conclusion introduisent le lyrisme au travers d’une écriture typique. Les deux premières phrases du dernier paragraphe commencent par « Je », alors qu’elles n’ont rien qui les rattache au propos initial. Ce lyrisme serait inattendu si, précisément, on ne connaissait l’auteur et sa manière de construire ses textes.
On remarque donc toujours cette présence de l’auteur dans son texte et cette quasi impossibilité à s’extraire, à dire les choses du dehors. Au bout du compte, La Liberté d’intérim devient non plus une information portée à la connaissance des lecteurs, non plus une protestation au nom de la liberté d’expression, non plus une colère contre la censure (bien que tout cela à la fois), mais un texte de Léo Ferré à part entière. On observe par ailleurs que les quatre articles du « Code de la peur » évoqué par l’auteur se retrouveront tels quels dans La Violence et l’ennui, plusieurs années plus tard. Des remarques similaires pourraient être faites à propos d’autres proses d’une nature pourtant différente, comme Guillaume, vous êtes toujours là ! ou Lettre ouverte au ministre dit de la Justice.
00:00 Publié dans Jalons | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Bonjour Jacques,
Ne crois-tu pas qu'il serait également intéressant et logique par rapport à ta note de mettre en ligne ce texte "la liberté d'intérim" parce qu'inconnu pour beaucoup ?
Bonne continuation sur ton blog pour 2007 avec des notes que nombre d'entre nous lisons avec grand intérêt pour ne pas écrire avec gourmandise.
Écrit par : thierry | mercredi, 03 janvier 2007
Je m'attendais à cette demande, mais ces textes ne m'appartiennent pas. Cela dit, celui-là a été publié dans la presse. On doit pouvoir le trouver comme je l'ai trouvé moi-même il y a des années de cela. A Beaubourg sur microfilm, pour les Parisiens. Sur un site de vente de journaux anciens ou sur Ebay pour les autres. Internet a fait disparaître -- tant mieux -- la notion de livre ou de document introuvable.
Merci pour ton intérêt. Pendant quelque temps, les notes ne seront plus quotidiennes comme elles l'ont été jusqu'à présent. Elles paraîtront un jour sur deux, au moins jusqu'à mi-janvier.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 03 janvier 2007
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