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samedi, 03 février 2007

Du contresens et des interprètes

Je tiens que toutes les chansons de Léo Ferré sont des chansons d’amour, y compris les plus véhémentes ou qui sont perçues comme telles.

Les interprètes – je parle ici de ceux, de plus en plus nombreux, qui le chantent sans la moindre espèce de talent avec une voix d’aphasique et un souffle inexistant, quand ils ne donnent pas simplement l’impression de ne pas comprendre ce qu’ils chantent – les interprètes qui hurlent et gesticulent pour dire, sans doute, la force, l’énergie, l’indignation, la colère, que sais-je, ces interprètes commettent tous un contresens : Léo Ferré n’a jamais écrit que des chansons d’amour.

C’est parce qu’il a appelé de ses vœux cet amour tout au  long de son œuvre, qu’il l’a établi comme un « programme », qu’il faut garder présent à l’esprit cette dimension essentielle lors de l’interprétation. Cela nous évitera les interprètes hurleurs et faisant de grands gestes déplacés. Les interprètes « historiques » (ceux des années 50 et 60) étaient tous bons : on pouvait ne pas les aimer, ne pas apprécier leur voix, le visage qu’ils donnaient aux chansons, ils étaient tous bons techniquement. Ils ont continué au-delà de cette période, bien sûr, mais personne ne leur a succédé, et les petites natures d’aujourd’hui, les gorges enrouées, les poitrines d’anchois, les filets de voix rares comme un ru occitan au mois de juillet, ne savent pas que chanter n’est pas faire n’importe quoi, moins encore gueuler comme un veau malade.

Il faut rappeler que la véhémence ne peut pas masquer l’absence de talent. Cela est à rapprocher de l’attitude de certains chanteurs qui, parce qu’ils n’ont aucun souffle, vont jusqu’à ajouter à la mélodie des notes qui n’existent pas afin de ne pas avoir à « tenir » la note d’origine quand cela leur est impossible. J’ai entendu un triste sire chanter : « Les anarchiii-i-stes » parce qu’il ne pouvait pas donner vocalement « Les anarchiiiiiiiiiistes ». Je ne veux pas me moquer d’impossibilités vocales parfaitement compréhensibles au demeurant, mais signifier la facilité devant laquelle certains ne reculent pas. Quand on ne peut pas chanter une chanson, on en chante une autre, tout simplement. On ne triche pas. Et si l’on ne peut pas, vocalement, chanter Ferré, eh bien, on s’abstient. On n’est pas tenu de chanter Léo Ferré. Le sire en question, qui plus est, se produisait sur des bandes de style karaoké et chantait faux.

Je pense aussi à un autre spectacle auquel j’ai assisté, présenté dans les programmes avec une prétention incroyable. Il y était question d’arrangements dûs au pianiste. Les arrangements en question consistaient en une simplification outrancière de la partition. En gros, on avait supprimé tout ce qui était sans doute trop difficile à jouer.

Artistiquement parlant, ces exemples, qui ne sont pas les seuls, sont une mauvaise action. Sur un plan plus moral, on est effaré de constater ce que des gens qui se disent artistes se permettent envers un autre artiste qu’ils sont censés admirer et célébrer. Le problème est l’accroissement du nombre d’interprètes médiocres que ces dernières années ont vu naître. Au mieux, je veux croire à leur sincérité et ne puis que déplorer qu’aimant Léo Ferré, ils le servent si mal. Au pire, et j’ose à peine y penser, ils ne voient là qu’une possibilité de se mettre eux-mêmes en avant… sans se rendre compte de l’abîme de ridicule dans lequel ils tombent sans fin. De ces interprétations nulles, nous dirons, reprenant une phrase d’un mien professeur de lettres parlant d’autre chose, qu’elles « sonnent comme les trente deniers de Judas et nous ne les accablerons pas davantage ».

00:00 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (29)

Commentaires

Bonjour,

Sans porter de jugement esthétique ou moral, comment peut-on expliquer, selon vous, cette prolifération actuelle d'interprètes?
Est-ce seulement une question de mode (car je n'ai pas l'impression que ces spectacles marchent particulièrement, pour autant, ni qu'ils parviennent à réunir un large public)?

Par ailleurs, pensez-vous qu'il y ait des constantes dans ces spectacles, voire une forme d'"idéologie"? Je n'ai pas vu ce spectacle "Expérience Ferré" et j'ignore si "la bande annonce" (http://desirdesarts.lesquais.org) est conforme à son "esprit", mais je suis particulièrement atterré par le choix de phrases du type "On va essayer de faire passer des choses, de dire des choses de Léo Ferré à notre facon, A NOTRE GENERATION A NOUS. On fait le pont entre la génération de Ferré et la nôtre, c'est ça qui est super. Enfin, moi, Léo Ferré, moi j'adore, franchement c'est un mec genial.", qui sont assez symptomatiques d'un discours ambiant et, quand même, d'une faillite certaine de l'intelligence, d'un certain obscurantisme (je ne veux pas seulement parler de la pauvreté de la forme) et même d'une négation du passé, de Ferré lui-même.

Que pensez-vous enfin de ce parti pris (ou cette absence de parti pris) qui consiste à mettre en avant (Les Copains d'la Neuille, l'agenda immanquable du site officiel Ferré) l'actualité des interprètes de Ferré, sans aucune hiérarchie, comme une fin en soi?

Écrit par : gluglups | dimanche, 04 février 2007

La prolifération d'interprètes, je ne sais pas très bien. Dans les années 50 et 60, il y avait beaucoup d'interprètes aussi, qu'on pouvait ne pas aimer mais qui savaient chanter. C'était bien le moins, de la part de chanteurs célébrant un chanteur. Apparemment, aujourd'hui, la condition sine qua non pour chanter n'est plus de savoir chanter. Bon, je veux bien, mais qu'ils "interprètent" de leur côté et moi, j'irai la semaine prochaine entendre Gréco au Châtelet. Maintenant, pourquoi ces supposés interprètes choisissent-ils Léo Ferré ou, plus précisément, entre quatre et dix chansons de Léo Ferré, pas trop difficiles à comprendre de préférence ? Je me le demande. Je veux croire, a priori, à leur sincérité. Autrement, autant ne plus rien croire tout de suite et foutre le camp sur une île déserte, s'il en existe encore. S'ils sont sincères, ils sont pitoyables. S'ils ne le sont pas, ils sont abjects. Supposons qu'ils ne le soient pas. Cela signifierait qu'avec Ferré, ils espèrent redorer (ou dorer pour la première fois) leur propre blason. Et là, ça m'étonne parce que ces artistes ne rassemblent pas beaucoup de public, je crois. Et puis, on les oublie aussitôt après, ils disparaissent. Alors ? je ne comprends pas très bien. Je comprends encore moins pourquoi, après des spectacles comme certains, le public applaudit.

Cette "Expérience Ferré", dont le seul titre à la mode me fait fuir et dont la vidéo, que je connaissais depuis un moment, me donne envie de fuir aussi, est la chose la plus consternante qui soit. Et qu'on ne vienne pas me sortir des banalités du genre : "Allez voir le spectacle avant d'en parler", la merde c'est la merde, pas besoin de mettre le nez dedans. Je m'explique : ce que vous citez ("On va essayer de faire passer des choses, de dire des choses de Léo Ferré à notre facon, A NOTRE GENERATION A NOUS. On fait le pont entre la génération de Ferré et la nôtre, c'est ça qui est super. Enfin, moi, Léo Ferré, moi j'adore, franchement c'est un mec genial") est atterrant. C'est l'erreur à ne pas commettre, surtout pas. Donc, on la commet tranquillement. Si Léo Ferré est un poète (un auteur, un artiste, le mot qu'on voudra) de grande qualité, il n'est absolument pas nécessaire de tenter des expériences et de dresser d'absurdes frontières générationnelles qui n'ont pas lieu d'être. S'il est un poète (un auteur, un artiste), ils se transmet de lui-même, sans problème. On n'a pas besoin d'Expérience Racine, on ne désire pas d'Expérience Flaubert, ni de Tentative Stendhal. Cela me fait penser à l'après-68, où l'on voulait "dépoussiérer" les classiques qui n'en avaient pas besoin. On voulait tout dépoussiérer à ce moment-là. Molière ayant résisté au balai O'Cédar mao-spontex et à la cire Kibrille libertario-krypto-communiste, tout a continué comme devant. Expérience Ferré, c'est une idiotie, une fausse bonne idée et, de la part des plus vieux qui produisent ce genre de spectacles, le summum de la démagogie la plus dégoulinante et de l'hypocrisie baveuse.

Dans le prochain numéro des Copains, justement, qui va paraître bientôt, il y a une recension de très nombreux spectacles d'interprètes que je n'ai pas vus personnellement. Mais il s'agit cette fois d'un vrai dossier, introduit par un long article un peu iconoclaste de Jacques Bertin sur la façon d'interpréter, le sens qu'on peut donner à cela - et s'achevant sur une petite synthèse : "Ils ont interprété Léo Ferré... Et puis après ?" C'est peut-être la réponse à votre question.

On peut s'interroger sur ce qu'apportent à Léo Ferré (comprendre : son oeuvre, son devenir) ces interprétations successives. Il n'est pas certain que ce soit toujours le meilleur service à lui rendre. Mais il y a des gens pas mal, quand même. Serge Utgé-Royo chante Le Flamenco de Paris et Ni Dieu ni maître. C'est à la fois très bien et très personnel. Il faut dire que lui a une voix, du souffle et qu'il comprend ce qu'il chante. J'ai un peu insisté la semaine dernière auprès de sa compagne pour qu'il fasse un disque entier consacré à Léo Ferré. Apparemment, il n'est pas contre (et Mathieu, je crois, le lui a déjà demandé) mais, m'a-t-elle dit : "Tout le monde le fait". C'est ennuyeux d'obtenir une réponse comme ça de la part d'un chanteur authentique (ou de sa compagne) : ça prouve que la kyrielle de petits moineaux à la gorge qui gratte l'a un peu dégoûté de ce qu'il aurait pu faire et qui aurait pu constituer un réel apport à la représentation de Léo Ferré aujourd'hui.

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 04 février 2007

Vous formulez et détaillez ce que je ressens. Je ne fais que prolonger votre propos...

Qu'il soit désormais possible de créer son studio, produire son disque, communiquer et diffuser à moindre frais et de façon facilitée par internet, sans passer par le filtrage institutionnel, me paraît être un progrès et je suppose que vous partagez cet avis.
Par ailleurs, je (nous, je suppose aussi) n'ai (n'avons) rien contre le fait qu'un artiste utilise le langage et les moyens d'expression qui lui sont propres (par exemple le rap ou le hip hop) pour interpréter Ferré. A la limite, cela peut donner lieu à quelque chose de surprenant et d'intéressant, à condition, bien sûr que cela ne devienne pas obligatoire ou systématique. Et d'ailleurs, il vaut mieux partir du préalable que l'artiste ait la maîtrise de ses moyens.

La question du "contresens" est rendue délicate, car il n'est pas sûr que chacun s'accorde sur un "sens" particulier à donner à cette oeuvre.

Il faut faire la part des choses entre la malhonnêté que vous évoquez (l'argent (hypothétique), les libertés prises avec l'oeuvre pour faire passer les insuffisances artistiques, dont vous donnez des exemples concrets, et le besoin d'ajouter une sorte de plus-value morale et "intellectuelle" à son cv, à sa carrière (l'effet serait inverse s'il s'agissait d'un livre :) ) et ce qu'on pourrait appeler le militantisme naïf, qui répond sans doute au désir très sincère et très louable de faire connaître et de faire vivre cette oeuvre.

Or le problème de ce militantisme naïf (pur et innocent comme sans doute le sont ces djeuns de banlieue) se résume volontiers dans cette phrase: "On va essayer de faire passer des choses, de dire des choses de Léo Ferré à notre facon, A NOTRE GENERATION A NOUS." C'est-à-dire que ce qui fait spectacle, ce sera moins les artistes que l'on interprète, qu'une origine, un âge, une cité. Cela me fait penser à un micro-trottoir de Christine Bravo où l'on voyait une jeune fille (affranchie) déclarer quelque chose comme "Non, je n'aime pas Léo Ferré. Pourquoi? Parce que ce n'est pas quelqu'un de ma génération". Car les deux déclarations reposent sur le même implicite (Léo Ferré, c'est vieux et c'est mort), sauf que la première d'entre elles est, on va dire, tournée dans un sens "positif".

Le spectacle en lui-même n'est peut-être pas réductible à cette vidéo. Cependant, on peut se demander si cette forme de communication ne s'est pas généralisée dans le discours culturel (et éducatif, comme vous le soulignez). En voulant tellement faire vivre, on ne fait que tuer. Au fond, artistiquement, il n'y a pas d'interprétation possible, au sens où il y aurait un message superposable à délivrer.

PS: J'ignore si vous connaissez cet enregistrement de "Muss es sein" par des prisonniers de Volterra ( http://www.lesanarchistes.com/mp3.html ) . Je suis incapable d'expliquer pourquoi, mais, alors qu'on pourrait comparer les deux initiatives (c'est ici la prison qui fait spectacle), l'"expérience Volterra" passe beaucoup mieux. Bref, c'est, après les futurs et les contionnels, la colle de la semaine...

Écrit par : gluglups | lundi, 05 février 2007

Espérons que si une émission d'hommage à Ferré voit le jour (en 2008, les 15 ans de la disparition...), espérons qu'il n'y ait pas une succession d'interprètes ! En toute logique Drucker devrait en faire une, alors Mathieu devrait être vigileant... Les seules interprétations que je supporte, ce sont celles en langues étrangères (Ribalta...). Il y a d'ailleurs une version anglaise très réussie de Quartier Latin, peut-être pas très connue. J’ai aussi beaucoup aimé, en langue française, le Flamenco de Paris de Utgé-Royo. Après... Même les Lavilliers et consorts, ça me dit rien, alors à plus forte raison « les nouveaux représentants » de la chanson française qui n’ont ni la voix pour ni une diction intéressante ni une stature ou une singularité… La vidéo Muss es Sein que j'avais déjà eu l'occasion de voir, je l'ai trouvée un peu grotesque...

Écrit par : Raoh | lundi, 05 février 2007

Gluglups :

« Qu'il soit désormais possible de créer son studio, produire son disque, communiquer et diffuser à moindre frais et de façon facilitée par internet, sans passer par le filtrage institutionnel, me paraît être un progrès et je suppose que vous partagez cet avis » : naturellement, c’est une bonne chose. C’est un moyen de liberté formidable.

« Par ailleurs, je (nous, je suppose aussi) n'ai (n'avons) rien contre le fait qu'un artiste utilise le langage et les moyens d'expression qui lui sont propres (par exemple le rap ou le hip hop) pour interpréter Ferré. A la limite, cela peut donner lieu à quelque chose de surprenant et d'intéressant, à condition, bien sûr que cela ne devienne pas obligatoire ou systématique. Et d'ailleurs, il vaut mieux partir du préalable que l'artiste ait la maîtrise de ses moyens » : d’accord. Et d’accord surtout sur cette condition et sur ce préalable.

« C'est-à-dire que ce qui fait spectacle, ce sera moins les artistes que l'on interprète, qu'une origine, un âge, une cité » : oui, c’est un problème, cela. Jamais la question du « d’où l’on vient » ne s’était posée avec une telle force.

« Cela me fait penser à un micro-trottoir de Christine Bravo où l'on voyait une jeune fille (affranchie) déclarer quelque chose comme "Non, je n'aime pas Léo Ferré. Pourquoi? Parce que ce n'est pas quelqu'un de ma génération" » : j’ai vu ça et je n’en suis pas encore revenu. C’est incroyable. Comment peut-on se soucier de l’âge des gens ? C’est fou, ça. Quand j’ai découvert Ferré, il n’était pas de ma génération non plus… ni même de celle de mes parents, mais de celle d’encore avant. Pas un instant je ne me suis soucié de ça. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, une chose pareille ?

« Car les deux déclarations reposent sur le même implicite (Léo Ferré, c'est vieux et c'est mort), sauf que la première d'entre elles est, on va dire, tournée dans un sens "positif" » : eh oui, et c’est dommage, voire bête. « Vieux » est un mot dont je ne connais pas le sens, honnêtement.

« J'ignore si vous connaissez cet enregistrement de "Muss es sein" par des prisonniers de Volterra » : j’avais le lien mais je ne l’ai pas encore regardé. Je verrai ça ce soir.


Raoh :

Nous sommes d’accord dans l’ensemble. Je signale par ailleurs à ceux qui habitent Paris que le principe du spectacle annuel au Trianon reprend cette année, à l’initiative de Cristine Hudin, la compagne d’Utgé-Royo. Mais ce ne sera plus le 14 juillet, date qu’elle trouvait peu réjouissante puisque c’est celle du décès de Léo Ferré. Le spectacle aura désormais lieu le 1er mai et s’intitulera « 1er mai jour Ferré ». Sont prévus pour le moment, entre autres, Serge Utgé-Royo bien sûr et Francesca Solleville.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 05 février 2007

"Au fond, artistiquement, il n'y a pas d'interprétation possible, au sens où il y aurait un message superposable à délivrer." Léo a-t-il assez dit que lui-même laissait le soin au facteur de ce travail ?
Ces jeunes ont, leur semble-t-il, trouvé un moyen -- un complice peut-être -- pour faire éclater leur désespoir. Pour ma part, je ne leur en veux pas ; ils s'expriment "à l'aide" de Léo. J'ai beau trouver dommage qu'ils se servent assez mal de cet outil merveilleux, il faut espérer qu'ils apprendront à l'utiliser, de même qu'ils ont appris à marcher, après de nombreuses chutes. Le parc, ils l'ont déjà, mais bien sûr, on n'est pas tenus d'assister à leurs premiers pas.

Écrit par : Martine Layani | lundi, 05 février 2007

Il y a plusieurs problèmes, je crois.

Les interprètes que j'appelle "historiques" existaient en eux-mêmes, ils faisaient des disques et chantaient plusieurs auteurs, pas seulement Léo Ferré. Les gorges en panne d'aujourd'hui, les gicleurs bouchés de notre temps, n'existent pas par eux-mêmes. Ils sortent du néant ou de l'ultra-confidentialité le temps de chanter quelques oeuvres de Ferré. Puis ils retournent dormir.

Parfois, les interprètes historiques consacraient à Ferré un disque entier. Mais voilà : un 45-tours, c'était quatre chansons, quelque chose comme vingt minutes, et encore, et à condition que ce soit un EP (extended playing) ; un 33-tours, c'était quarante minutes environ, et encore, et à condition que ce fût un 30-cm. A présent, le CD autorise quelques soixante-dix minutes. Ce n'est pas la même chose. Il faut avoir quelque chose à dire (même au niveau d'une simple interprétation) pendant tout ce temps. Ce n'est pas toujours le cas. C'est bien gentil d'augmenter la durée, mais quid du contenu ? Alors, les gens qui aujourd'hui chantent avec la grâce d'un râteau grattant le gravier se perdent dans l'espace d'un CD pour lequel ils n'ont pas le souffle nécessaire.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 05 février 2007

Raoh : il est vrai que le film de Volterra a quelque chose de grotesque et (mais) il se se situe presque dans la parodie (le dionysisme pasolinien?). Peut-être que musicalement, cela passe mieux aussi...

Martine: "Ces jeunes ont, leur semble-t-il, trouvé un moyen -- un complice peut-être -- pour faire éclater leur désespoir".
Mais êtes-vous vraiment sûre que ces jeunes soient désespérés? Ce qui est gênant, au-delà de l'insuffisance de maturité de talent que l'on peut supposer, c'est qu'on soit obligé de faire siens, pour apprécier le spectacle, un certain nombre de clichés. C'est-à-dire que ceux qui ont conçus ce spectacle enferment complètement ces jeunes dans des clichés (cf ce que disait Jacques: "de la part des plus vieux qui produisent ce genre de spectacles, le summum de la démagogie la plus dégoulinante et de l'hypocrisie baveuse."). Un des clichés étant que c'est beau que des jeunes de banlieue puissent aimer Léo Ferré, que Ferré soit suffisamment universel pour atteindre "ces gens-là" (cliché très "bourgeois" finalement). C'est un peu comme ces films réalistes qui, pour les besoins de la cause ou de la démonstration, ne donnent aucune liberté à leur personnage, dans le destin qui lui est réservé finalement. Pour moi, c'est du mépris. Encore une fois, on ne juge que d'après la communication qui a été choisie, mais je me dis que si quelqu'un décide d'aller voir ce spectacle d'après cette vidéo, il ne peut qu'entrer dans cette logique-là.

Jacques: "Alors, les gens qui aujourd'hui chantent avec la grâce d'un râteau...": oui, il s'agit aussi sans doute d'une question de "grâce", car on peut avoir un certain talent, un joli filet de voix, selon des critères on va dire objectifs, mais "faire passer" surtout une bêtise consternante (du type: je suis jeune et je le dis), un obscurantisme rayonnant...

Écrit par : gluglups | lundi, 05 février 2007

Je vois que, dans l'ensemble, nous sommes tous d'accord. J'aimerais bien que d'autres s'expriment tout à fait librement. Les commentaires sont ouverts, il n'y a pas de préalable.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 05 février 2007

Bon, alors s'ils ne sont pas désespérés... tant pis. Je ne me sens pas l'âme "dégoulinante", de toutes façons ; j'ai formulé cette "excuse" parce qu'il faut toujours que je trouve des excuses à chacun. Je suis un don Quichote féminin, une sorte de mère-Noël, de sainte-Bernadette (pour continuer dans les clichés), si vous voulez. Mais une chose est sûre, mon mépris va se promener ailleurs que dans leurs cours.

Écrit par : Martine Layani | lundi, 05 février 2007

Martine, "une sorte de mère-Noël"... oui j'ai failli parler d'une indulgence quasi maternelle pour vos propos, mais je me suis finalement abstenu de ce cliché :-)

Écrit par : gluglups | lundi, 05 février 2007

Nous venons de voir les vidéos de Volterra, ça nous paraît pas mal du tout, ça rend la force du verbe ferréen sans gueulante outrancière et c'est certainement plus convaincant -- le temps d'une vidéo, en tout cas -- qu'Expérience Ferré.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 05 février 2007

Ferré n'est pas plus mal loti qu'un autre.

Une masse importante de gens se contentent de biberonner ce que leur offre le temps présent, estimant que ce qui est derrière eux est irrémédiablement mort.

On appelle ça l'inculture.
Pas de quoi fouetter un chat.

Sur la durée potentielle des CD, je ne crois pas que ce soit un réel critère. Beaucoup de nouveaux disques continuent de tourner autour de 40-45 mn.

Chez les gens de talent reconnus, Dominique A et Katerine me semblent à même de faire vivre bellement le verbe ferréen.

Chez les confidentiels, Emmanuel Depoix se détache très nettement du lot par ses relectures réellement créatives. Je n'ai pas écouté son nouveau spectacle ("Léo Ferré, tu connais ?", bizarrement enlevé des news du site officiel...), mais quand il se produisait avec l'Equipage en 2003, c'était réellement enthousiasmant.

Écrit par : The Owl | mardi, 06 février 2007

Je n'ai pas dit que Ferré était plus mal loti qu'un autre, mais le sujet, ici, c'est lui.

Je ne vous suis pas trop quand vous dites que l'inculture est sans importance. La culture n'est pas un vernis mais un moyen de réflexion et d'action. Sans culture, on obéit servilement. Avec la culture, on peut au moins réfléchir et, même si l'on est contraint d'obéir par la force, l'esprit reste libre. De plus, la culture est la seule chose capable de contrebalancer le racisme, l'homophobie, l'antisémitisme qui sont les trois choses les plus dégueulantes de la terre. La culture est ce qui nous permet d'apprécier celle des autres, d'aimer les différences et de nous en enrichir, de comprendre autrui, de ne mépriser personne sauf si l'individu est méprisable (et encore, n'y a-t-il pas toujours une lueur d'espoir sous la fange ?)

Je ne connais pas les interprètes dont vous parlez. Bien sûr, sur le nombre, on en sauvera toujours un ou deux.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 06 février 2007

Saluons au moins ,à coté de ce désert trop peuplé,le travail impeccable d'Anne Gaytan et de Verdier,dont les médias ne parleront jamais

Écrit par : francis delval | mercredi, 07 février 2007

Oui mais Ann Gaytan et Verdier, sans vouloir être désobligeant, sont déjà (comme moi) des vieux de la vieille. S'ils lisent cela, qu'ils n'en prennent pas ombrage, ils savent que je les aime bien. Maintenant, c'est Trucmuche et Zigomar qui sévissent.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 07 février 2007

En tous cas, concernant Ann Gaytan, c'est la seule artiste que je connaisse qui chante mieux que Ferré sur une de ses chansons (« Tout ce que tu veux », la seule que je connaisse d’elle, auquel il faut ajouter la Jalouise par Pia Colombo…), ce qui est pour partie dû au fait qu’après La violence et l’ennui, Ferré n’était plus en pleine possession de sa voix et s’engageait dans des partis pris musicaux un peu ennuyeux.

Écrit par : Raoh | jeudi, 08 février 2007

"après La violence et l’ennui, Ferré n’était plus en pleine possession de sa voix " : pourquoi ?

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 08 février 2007

Je veux dire qu'elle n'était plus aussi puissante ni belle à écouter qu'avant les années 80. On pressent que la plupart des chansons auraient été bien meilleures si elles avaient été enregistrées avant (sauf quand c’est des textes datés avec des musiques un peu ennuyeuses, où la voix ne changerait pas grand-chose à mon avis…) C’est aussi ça qui fait que ses récitals n’ont plus beaucoup d’intérêt pour moi passés cette date… (TLP et 84…, sauf pour écouter quelques chansons au piano comme "La mort des amants" ou "La vie d’artiste" ou pour écouter Ferré « raconter sa vie » comme dans La solitude). La chanson "Tout ce que tu veux", je n’y avais jamais prêté attention avant de l’entendre par Gaytan. En fait, j’apprécie sa voix « en fin de carrière » quand il ne forçait pas trop dessus et faisait dans le parlé (Métamec, Zaza, du Coco, Marizibill…).

Écrit par : raoh | jeudi, 08 février 2007

J'avais compris cela. Mais il me paraît difficile de dire : à partir de La Violence et l'ennui (1980), sa voix est moins puissante et moins belle. La coupure est trop nette, trop franche. Elle équivaut à dire que jusqu'au disque Il est six heures ici (1979), ça va, et puis l'année d'après, ça ne va plus. C'est trop abrupt.

De plus, il y a à ce moment-là changement de maison d'édition avec l'entrée chez RCA. Un nouveau studio, une nouvelle prise de son. Il est difficile de comparer deux disques n'ayant pas la même technique.

"On pressent que la plupart des chansons auraient été bien meilleures si elles avaient été enregistrées avant " : ça dépend. Je veux dire qu'au début, Ferré avait "la voix d'un petit âne" (l'expression est de lui). Après, on dit qu'il avait moins de voix. Il faut donc "viser" entre les deux ?

Entre les deux, ça correspond à sa pleine maturité.

Il est difficile de reprocher à quelqu'un -- peu importe qui -- l'évolution de sa voix. On n'est pas exempt de l'usure du temps. Personne.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 08 février 2007

Je veux aussi dire que le "hasard" fait également bien les choses. Qu'il écrivît Avec le temps en 1950 et on aurait eu à redouter une interprétation moins convaincante que celle existante... De même, il était vraisemblablement incapable en 1970 de donner le cachet qu'il donnait alors à ses chansons dans les années 50. Par contre, je trouve que la détérioration de sa voix vers les années 80 a décidé de la fin de son œuvre en quelque sorte ! On perçoit certes un changement progressif dans la voix tout au long de sa carrière (et non tout le temps en mal !) mais c’est vraiment sur l’album du Bateau Ivre qu’on atteint un point de non retour, où la voix ne rend plus bien sur le chanté dès qu’il insiste dans des exaltations avec des orchestrations derrières (je suis pas technicien, alors j’ai pas le vocabulaire musicale pour dire ce que j’ai en tête !). Je trouve les TLP inaudibles par exemple quand on connaît les originales ! Mais je ne dis pas que tout ce qui suit le Bateau Ivre est mauvais. J’aime bien l’album Métamec entre autres et il me semble que lorsqu’il ne force pas sur sa voix (certaines chansons sur l’album sur Caussimon), ça passe très bien et quand il « récite » (l’opéra du pauvre au piano…), j’ai rien à redire ! Très difficile à être clair dans tout ça...

Écrit par : Raoh | jeudi, 08 février 2007

Non non, je vous comprends mieux maintenant. Il reste qu'il est impossible, de toute façon, d'avoir la même voix durant un demi-siècle.

"Je trouve les TLP inaudibles par exemple quand on connaît les originales ! " : mais vous ne pouvez pas comparer les TLP qui sont des interprétations en public aux originales, qui sont en studio. Ce n'est pas possible.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 08 février 2007

Disons que le fait que Ferré se serve de bandes n'arrangent pas les choses (dans la tentation à la comparaison). Mais ce n’est pas tellement que je m'attends à ce qu'un enregistrement public soit fidèle à l'enregistrement studio (il existe d'ailleurs des chansons plus réussies en public qu'en studio comme Thank You Satan à mon sens) mais j’attends à y trouver un intérêt spécifique. Or, les TLP, ça vire un peu au karaoké…

Écrit par : Raoh | jeudi, 08 février 2007

Un peu sévère, quand même...

L'intérêt spécifique des disques en public, ce sont les chansons qui n'existent pas ailleurs. Dans les enregistrements du TLP, il y en a peu (Quand le soleil se lèvera, en 1988). Il y a aussi La Porte (Théâtre des Champs-Elysées 1984 et TLP 1986) et la version de Marizibill différente de celle de Bobino 1969. Bref...

L'intérêt historique existe aussi : c'est d'entendre un homme dire un jour ce qu'il disait des décennies plus tôt. Ce genre de fidélité est rare.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 08 février 2007

Jacques je n'ai jamais dis que l'inculture était sans importance.

Je sous-entendais que puisque nous baignons dans une société ultra-communicationnelle, c'est-à-dire de l'hyper-présent, doublée d'une pratique identitaire, c'est-à-dire cloisonnée, de la culture (tribus post-modernes), et donc de l'inculture, Ferré n'était typique absolument de rien.

Selon moi le disque d'Ann Gaytan n'arrive pas à la cheville de celui de Renée Claude.
Les chansons les plus réussies sont d'ailleurs les plus anciennes (Tout ce que tu veux, Le manque, Thank you Ferré). Elles sont moins factices.

Enfin, il s'agirait de ne pas mettre dans le même sac des parti-pris musicaux, les parti-pris sonores (les différents traitements électroniques de la voix dans le triptyque, cf. la discographie commentée sur Artelio), et le déclin de la voix elle-même.

Ce déclin commence à se faire sentir sur les morceaux a capella du live 84. Il éclate dans On n'est pas sérieux... (là encore, cf. Artelio, etc.).

Écrit par : The Owl | vendredi, 09 février 2007

Comment diable vouliez-vous que je comprenne qu'en écrivant :

"On appelle ça l'inculture.
Pas de quoi fouetter un chat",

vous sous-entendiez :

"puisque nous baignons dans une société ultra-communicationnelle, c'est-à-dire de l'hyper-présent, doublée d'une pratique identitaire, c'est-à-dire cloisonnée, de la culture (tribus post-modernes), et donc de l'inculture, Ferré n'était typique absolument de rien" ?

Maintenant, je comprends mieux. :-))

De même, je ne comprends pas à qui vous vous adressez en notant : "il s'agirait de ne pas mettre dans le même sac des parti-pris musicaux, les parti-pris sonores (les différents traitements électroniques de la voix dans le triptyque, cf. la discographie commentée sur Artelio), et le déclin de la voix elle-même".

Est-ce à Raoh ou à moi ? En ce qui me concerne, je suis d'accord avec vous. Je suppose donc que vous répondez à Raoh.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 09 février 2007

"Est-ce à Raoh ou à moi ? En ce qui me concerne, je suis d'accord avec vous. Je suppose donc que vous répondez à Raoh."

Yes !

Écrit par : The Owl | vendredi, 09 février 2007

c'est du réchauffé,mais je viens de regarder seulement hier les vidéos des détenus de Volterra,et j'ai trouvé cela plutôt pas mal:outre la posssibilité de chanter à visage découvert-verrait-on cela chez nous?-ils pallient leur manque de métier par une pugnacité, une alacrité qui fait "pour la première fois"ressortir la violence de la musique,et le texte prend une nouvelle dimension.Nous voilà loin de la lénifiante chorale de "l'affiche rouge"(il est vrai que je déteste les chorales)
Mention bien aussi à Barb Jungr pour son charmant "quartier latin" en anglais, et à Aviv Giffen pour "avec le temps" en hébreu,émouvant ,même si le clip est nul.
Et oublions vite "la mélancolie version rap":le texte be s'y prête pas, c'est un non-sens total
Je trouve fort par contre "la musica",de Volterra, avec les bribes de textes de Ferré et le mélange pop/free jazz:pour moi 'c'est très ,disons, "sympathique"
Le changement de langue peut être bénéfique:cf "Ferré in italiano",où Ferré prend son pied à changer d'idiome, et touve une vigueur nouvelle pour "les anarchistes" et sutout pour "les pops",meilleurs qu'en français
Tout ceci brut de décoffrage,ça pourra donner des idées pour une nouvelle note(appel aux intervenants!!!!)

Écrit par : francis delval | samedi, 24 mars 2007

Non, ce n'est pas du réchauffé, c'est très bien. Il faut reprendre les anciennes conversations, comme ici. Je répète tout le temps qu'un des dangers des blogs, c'est ce que j'appelle "la dictature de la page d'accueil". C'est pour cela que je fais figurer à l'écran les 31 derniers jours, et non les 3 dernières notes seulement, comme Haut et Fort le prévoit par défaut. J'ai essayé de mettre en permanence à l'écran la totalité du contenu du blog, mais ça devient trop lourd, il faut trop longtemps pour que ça apparaisse.

Donc, reprenez, reprenons les anciennes notes, il n'y a pas de date de péremption. Les blogs doivent vivre au-delà de l'actualité, c'est-à-dire de la page d'accueil.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 24 mars 2007

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