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lundi, 05 février 2007

Un élève et des disques

Lundi 20 octobre 1969, de dix à douze heures. Ce jeune élève de première littéraire amène en classe le double album de Léo Ferré, n° 80389-90, paru chez Barclay quelques mois plus tôt sous le titre Récital 1969 à Bobino. Il n’est pas facile de transporter ça sur une mobylette. L’électrophone gris et vert du lycée Victor-Hugo de Marseille est un appareil monophonique dont il n’existe dans l’établissement qu’un seul exemplaire qu’il faut réserver. Il fait écouter à ses camarades Les Assis, Les Poètes, LIdole, La Révolution, Cest extra et Petite. C’est la première fois que l’élève partage ce qu’il sait de Léo Ferré avec d’autres et ce n’est pas facile parce qu’il lui est demandé, naturellement, de commenter ce qu’il fait entendre. Heureusement, le professeur vient à sa rescousse. Il aime l’artiste, qu’il appelle « Monsieur Ferré ». À la fin de l’heure, dans l’exemplaire du n° 93 des « Poètes d’aujourd’hui » également apporté par l’élève, il donne lecture de L’Homme. Ce livre et ce disque sont à peu près les seuls documents que possède alors le garçon.

Vendredi 2 octobre 1970, de seize à dix-sept heures. L’élève, maintenant en terminale, amène, dans la classe du même professeur, le premier volume du disque Barclay Amour Anarchie. Le second n’a pas encore paru et, d'ailleurs, on ne sait même pas qu’il existera un deuxième disque. Sur l’électrophone gris et vert du lycée Victor-Hugo de Marseille, appareil monophonique dont il n’existe dans l’établissement qu’un seul exemplaire qu’il faut réserver, il place le 33-tours n° 80417 et fait écouter La Mémoire et la mer et Le Chien. C’est très beau, un microsillon qui tourne avec le bras de lecture qui, en travers, lui fait chanter le souvenir.

Comme l’élève est méthodique, il note tout cela sur un feuillet qu’il encarte dans son exemplaire des « Poètes d’aujourd’hui », ce qui permet de le restituer à présent en garantissant même l’horaire des cours. Autre temps où l’on pouvait écouter en classe, sur un appareil monophonique gris et vert réservé, La Révolution et Petite auprès d’un brillantissime professeur... de droite. Cet homme est un personnage et, dans ses yeux, danse en permanence une petite flamme ironique, piquante, parfois inquiétante. Il aime beaucoup l’élève mais ne l’épargne pas, jamais.

Le professeur s’est tué en voiture un peu plus tard, sur la route d’Arles, juste avant le printemps 1971. Il n’avait pas trente-cinq ans.

00:00 Publié dans Souvenirs | Lien permanent | Commentaires (10)

Commentaires

Ménandre (IVe s. avt JC): "Il meurt jeune, celui que les dieux aiment".

Comment saviez-vous que ce professeur, dont vous avez parlé ailleurs, était de droite? Pensez-vous que la passion pour Ferré qui est la vôtre soit indissociable du souvenir de ce professeur?

Écrit par : gluglups | lundi, 05 février 2007

A ce moment-là, il était peu courant, dans l'Education nationale, que l'on fût de droite. Dans tout le lycée, il n'y avait que lui et mon professeur d'espagnol. A tel point que le prof d'espagnol (Action française) en question, après le décès de son collègue, était étonné que j'en ai été très touché. Remarque : "Je vous croyais anarchiste, Layani ?" Réponse toute juvénile : "Ce n'est pas parce qu'un homme n'a pas les mêmes idées que moi que je dois le considérer comme un ennemi". Etonnement du prof d'espagnol qui, de ce jour, m'a regardé autrement et est devenu plus sympa avec moi.

Oui, je parle beaucoup de lui, souvent. Même mes enfants, qui ne l'ont évidemment pas connu, savent qui il est et parfois l'évoquent (!) C'est à lui -- vous l'aurez compris, je pense -- qu'est dédié le livre Les Chemins de Léo Ferré.

Non, ce n'est pas indissociable parce que j'avais découvert l'oeuvre de Ferré avant. J'ai d'autres souvenirs du prof en question, bien sûr, mais sur d'autres plans. Ici, j'évoque celui-là parce qu'il est dans le sujet, c'est tout.

Merci pour la citation, qui me rassure (c'est bête, hein ?). Au vrai, je ne me suis jamais remis de sa disparition.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 05 février 2007

Je suis persuadé que l'activité littéraire a quelque chose à voir avec la communication tournée vers les morts, avec le deuil.

Écrit par : gluglups | lundi, 05 février 2007

Ah ? Dites-nous en plus. C'est intéressant. Allez plus loin.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 05 février 2007

On sortirait de l'"objet d'études" de ce blog, et franchement je serais incapable de théoriser là-dessus, même s'il y aurait de nombreux exemples à donner. Cela relève davantage d'une intuition et c'est pourquoi, d'ailleurs, je vous demandais si vous associiez Ferré à ce jeune professeur.

Au fait, ce n'est pas vous qui avez publié votre premier livre à 35 ans? :-)

Écrit par : gluglups | lundi, 05 février 2007

Oui, vous le savez bien, mais ce n'est pas faute d'avoir essayé plus tôt. J'ai commencé à tenter des démarches éditoriales à l'âge de dix-neuf ans.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 05 février 2007

Et bien le hasard fait bien les choses on dirait car je viens d'assister à l'évocation de Ferré ce jour même par un professeur lors d'un séminaire... Le sujet n'avait rien à voir, il s'agissait de finance solidaire et un autre professeur, après qu'on lui évoqua les fonds éthiques, lui dit que les rendements des "fond sataniques" leur étaient supérieurs, et c'est là qu'il dit quelque chose comme, "oui et d'ailleurs il n'y a pas une chanson qui dit Thank You Satan" !

Écrit par : Raoh | lundi, 05 février 2007

Tiens, c'est marrant, ça. Effectivement, ça tombe bien.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 05 février 2007

j'ai curieusement eu une expérience analogue, en 63, en classe de philo:nous avions 2h de littérature sans programme,et j'ai un jour apporté le Baudelaire de 57,qui a bien été accueilli, le prof ayant quand même un peu tiqué sur l'accordéon d'Harmonie du soir!j'ai peu après commis un 4 pages sur Ferré dans le journal du lycée,article que je suis très heureux d'avoir perdu;il devait beaucoup,je pense, à Sigaux et Estienne!
Je viens de reparcourir la préface du "93",pas relue depuis des lustres;en fait je me suis rendu compte que c'est Estienne qui rapproche Ferré de Corbière,sans commenter,et c'est néanmoins ce qui m'a fait plonger dans Corbière,puis laforgue....

Écrit par : francis delval | mercredi, 07 février 2007

Eh bien, si ce rapprochement fait par Charles Estienne s'est installé en vous depuis si longtemps, c'est qu'il vous parle vraiment. Nous attendons le résultat de cette germination avec intérêt.

J'allais vous demander de nous faire lire votre article de quatre pages, mais s'il est perdu... Dommage.

Cette question de l'accordéon dans Harmonie du soir est celle qui revient le plus souvent à propos du disque Baudelaire de 1957. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi. En quoi Baudelaire et la valse musette sont-ils incompatibles ? L'essentiel est que ce soit bien fait et la forme du pantoum utilisée par Baudelaire se prête remarquablement, par ses mouvements répétitifs et "tournants" sans doute, à la valse. Ou alors, c'est qu'on considère que Baudelaire est au-dessus de l'accordéon, qu'on établit une hiérarchie sorbonnarde et cela ne m'intéresse pas.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 07 février 2007

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