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mercredi, 28 mars 2007

Imprimatur, II

À Perdrigal où l’apprenti-imprimeur dispose de place et, le succès venu, de moyens d’acquérir du matériel, les choses vont changer. Léo Ferré fait l’acquisition d’une Heidelberg, communément considérée comme « la Rolls de l’imprimerie ». C’est, en matière de presse offset, ce qui se fait alors de mieux. Il achète aussi une photocomposeuse de marque Diatype et installe son atelier dans une ancienne ferme située dans son domaine, au lieu-dit Baradesque basse.

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On sait qu’il passe désormais à la vitesse supérieure et entreprend la réalisation des Mémoires d’un magnétophone, un ouvrage complet de deux-cent trente pages au format 18 x 24, à dos carré cousu, couverture illustrée par Maurice Frot et jaquette avec photographie signée Grooteclaes, en garamond de corps 14 sur papier Centaure d’Arjomari. Ce n’est pas un mince travail, même si le tirage est relativement faible. L’écho dans la presse, lui, est considérable puisque nombreux sont les journaux présentant le livre qui insistent sur le fait que Léo Ferré a lui-même procédé à la fabrication du volume, avec l’aide de Frot, quelquefois de passage dans le Lot. « Léo Ferré a créé sa propre imprimerie et sa propre maison d’édition. Il s'est d’ailleurs chargé personnellement de la composition de l’ouvrage. À la main : deux heures un quart par page » peut-on lire dans France-Soir (malheureusement sans référence). Le Figaro littéraire s’en mêle dans son numéro du 9 au 15 octobre 1967, sous la plume de Geneviève Dormann : « Il est rare que la naissance d’un auteur provoque celle d’un éditeur. C’est pourtant le cas. Léo Ferré a donc fondé sa propre maison d’édition, Perdrigal (...) Ainsi les Ferré font des livres comme d’autres font des confitures ou mettent des cornichons au sel ». Dans Elle du 7 décembre 1967, c’est Benoîte Groult qui note : « Léo Ferré a trouvé si belles les confidences de sa femme à son magnétophone qu’il a voulu faire de ce texte, qui lui était dédié, un livre qui soit leur œuvre à tous les deux. Et comme rien ne l’arrête, il a acheté des machines, il a appris à typographier, à brocher et il a réussi à éditer tout seul ces Mémoires d’un magnétophone ». La palme revient à La Dépêche du midi qui, dans son édition lotoise du 26 novembre 1967, fait une « accroche » à la Une et, en page 5, un très grand article abondamment illustré par des photographies signées Jef : « Dans sa propriété de Gourdon (Lot), Léo Ferré est devenu éditeur pour publier le premier livre de sa femme. De notre envoyée spéciale : Annette Brierre ». Car il y eut en effet une journaliste dépêchée sur place, accompagnée d’un photographe. Ferré imprime également une affiche annonçant cette parution ; elle reproduit la couverture.

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La Dépêche du midi du 26 novembre 1967 (photo Jef)

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 On sait qu’il offrit à sa femme un magnétophone  très certainement celui qu’on aperçoit dans l’émission de télévision Panorama du 22 avril 1966  et lui conseilla de raconter ses souvenirs et ses impressions. Il n’en reste donc pas là et entreprend un gros travail dont on trouve trace, entre autres, dans son texte Je donnerais dix jours de ma vie [1] où l’on peut lire : « Je suis monté voir à la "reliure". À peu près cinq à six-cents livres prêts à recevoir la couvrante, et la jaquette... Et tous ces cartons qui s’entassent. Dis donc, la librairie, c’est pas de la tarte ! » Le livre paraît en septembre 1967 (l’achevé d’imprimer est du 6) : le prix public est fixé à vingt-trois francs cinquante-cinq. Pour le diffuser, il se met d’accord avec l’Inter, le service de diffusion des éditions Seghers. Lorsque Pierre Seghers, en 1969, cèdera sa maison à Robert Laffont, celui-ci regroupera l’Inter avec sa propre structure de diffusion, Forum, et de là naîtra Inter-Forum. En décembre, l’ouvrage est en librairie. Il existe aussi, des Mémoires d’un magnétophone, un tirage de tête sur beau papier (vergé teinté de Hollande à la tête de bœuf). Il y eut quelques erreurs de brochage : dans certains exemplaires, on compte en effet des pages en double.

On se rappelle moins que Ferré envisage, au même moment, de publier lui-même son roman Benoît Misère. Il écrit, le 10 janvier 1968 : « Je typographie Benoît Misère, sans justification... ça va nettement plus vite pour les moyennes... Gutenberg ? Connais plus ! » [2] Il arrive que le matériel ne fonctionne plus : « Le type est là pour dépanner ma machine à composer. Il a changé un je ne sais plus quoi et ça marche. Deux heures. Il a mis deux heures à réparer cette attente de dix jours » [3].

Ainsi, Léo Ferré, avec « les éditions et imprimeries de Perdrigal », inscrites au registre du commerce sous le n° RC 66 B 00029, franchit-il un pas de plus dans cette passion pour la chose écrite et imprimée qui l’anime depuis longtemps. Comme toujours, il voit grand et tente de s’approcher le plus possible du professionnalisme... d’une manière autodidacte : il apprend seul l’art d'imprimer, dans des manuels et sur le tas. Il a abandonné le « quatre pages » en bichromie des petits-formats pour un livre, non pas de luxe mais à la fois artisanal et de haut de gamme, comme on ne disait pas encore, qui demeurera son plus gros travail typographique.

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[1]. « Je donnerais dix jours de ma vie », in La Rue, n° 1, mai 1968.

[2]. Ibidem.

[3]. Ibidem.

00:00 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (4)

Commentaires

Je ne ferai pas de commentaires,vous avez tout dit,juste une remarque "dans la marge"
Je ferai volontiers un lien entre l'intérêt de Ferré pour l'imprimerie et ses goûts en matière d'art,notamment pour les gravures,eaux-fortes, estampes (Stampa, en italien ,à la fois presse et estampe).On a souvent évoqué son goût pour Dürer.Mais je veux ici évoquer le peu connu Bracelli(début XVIIème),qu'il évoque dans la préface au "Caussimon" de chez Seghers (p 33-34),y voyant le précurseur méconnu de Braque et du Cubisme.De Bracelli, il n'existe qu'un exemplaire de son livre d'eaux-fortes à la biblio nationale.Je viens de les regarder en ligne,c'est fort intéressant...
Allez sur Google(si ce n'est déjà fait),taper "Bracelli",on trouve le site "Bizarrie die varie figure" (gallica.bnf.fr),vous verrez les 50 estampes.Les surréalistes connaissaient bien cet aquafortiste à peu près inconnu.On peut faire l'hypothèse qu'il l'a connu par Breton,ou Aragon,ou Estienne.cela est de peu d'importance
seconde petite remarque:peut-on penser que le vocabulaire tout à fait spécifique de l'imprimerie a pu venir enrichir son lexique ,son vocabulaire poétique?Il y a bien sûr "Night and day",mais je pens à des formules qui pourraient plus subtilement dériver de termes techniques ou de l'argot des typos?Je n'ai pas cherché, ça me vient comme ça...Mais j'empiète ici sans doute sur la suite de votre note

Écrit par : francis delval | jeudi, 29 mars 2007

Non, vous n'empiétez pas sur la suite parce que cette série de notes reste "historiographique", en quelque sorte, et je n'y aborde pas le langage. Mais vous avez raison. Il y a sûrement quelque chose, des termes, à part Night and day. J'y réfléchirai parce que ça ne me vient pas, là, comme ça. Mais il est bien évident que cette langue de tous les registres, comme je dis souvent, doit comporter des termes techniques et, pourquoi pas, d'imprimerie ? On trouve déjà la présence du blanchet dans Testament phonographe.

Pour le reste, je ne connais pas Bracelli, je vais aller regarder ce que vous indiquez.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 29 mars 2007

Perdrigal est au centre de la vie de Léo FERRE et pourtant cette période est souvent mise entre parenthèses, un peu comme si Léo n'avait existé qu'après Perdrigal. Or, c'est bien dans ce lieu magique du Lot que sa vie bascule.
Ne pas parler de Perdrigal, c'est nier Madeleine et dans une certaine mesure c'est aussi nier Marie-Christine.
C'est là qu'il cesse d'aimer Madeleine et c'est là que commence sa nouvelle vie avec Marie-Christine.Les "Mémoires d'un magnétophone" témoignent de ce moment.
Ecrit par Madeleine FERRE, ce livre, retrace une période douloureuse et dramatique de leur vie. A vec une étonnante pudeur, Madeleine décrit sa vie près de Gourdon à un moment crucial où l'obssession du vieillissement et de la mort l'entraîne inexorablement vers la dépression.
Il importe d'aller au-delà des mots de ce livre, un peu comme l'on va derrière le miroir. Une lecture superficielle nous laisse imaginer que nous sommes en présence d'un texte relatant l'amour pathologique d'une femme pour les animaux et particulièrement pour une guenon, substitut de l'enfant qu'elle n'a pu avoir avec l'homme qu'elle aimait.
En réalité, il n'en est rien. Il ne s'agit que d'un prétexte désespéré pour tenter de retenir cet homme qui ne l'aime plus et qui va partir avec une autre femme, qu'elle connaît.
Et c'est bien ce que nous trouvons en allant derrière les mots de Madeleine : une extraordinnaire lucidité.
Ne pas parler de Perdrigal, c'est dans une certaine mesure, nier Léo.

Écrit par : LMV | samedi, 31 mars 2007

Sur ce blog, toute l'existence de Léo Ferré est envisagée, toute son oeuvre a droit de cité. D'ailleurs, le livre en question est bien au centre de cette note, dans l'optique de l'imprimerie puisque c'est le sujet.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 31 mars 2007

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