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mardi, 26 juin 2007

Contester Ferré

The Owl me pose une série de questions sur la contestation de Léo Ferré. Au cours de notre discussion, je lui réponds que, contrairement à ce que j’avais cru dans les premières années 70, les critiques avaient commencé longtemps auparavant. Elles étaient faites, surtout, par des journalistes. J’écris : « Or, les années passant, je découvre, dans la presse, des traces écrites d’une contestation équivalente... depuis 1962. C’est-à-dire : équivalente dans l’esprit (évidemment, il n’est pas attaqué dans la rue à ce moment-là). Mais déjà, on lui reproche, en gros, de gagner de l’argent alors qu’il se dit anarchiste. Cela commence finalement dès le lendemain du succès de l’Alhambra en 1961. Cela continuera, doucement mais réellement, jusqu’à la contestation « politique » des jeunes gens, plus tard. En 1966 (émission « La Vie de château », Panorama, qu’on peut voir à l’INA), on le pique un peu, dès le début, sur son château, ses « toiles de maître » supposées. Il est obligé de répondre que ce ne sont pas des toiles de maître et de s’emporter un peu. Et puis, d’archives en archives, je découvre qu’on lui faisait des reproches, déjà, en 1954 ! Au lendemain du spectacle de Monaco en présence de Rainier, on écrit ironiquement « l’ex-dynamitero pour cabarets d’avant-garde devenu musicien de cour » (je cite de mémoire) et autres gracieusetés. En résumé, donc, ce reproche d’une inadéquation supposée entre ses idées et son mode de vie lui a toujours été fait, dès qu’il a connu un peu de succès. Après 1968 – en gros, à partir de 1971 – ce sera bien plus violent, au point qu’il devra tenter de s’expliquer au micro de Campus (Europe 1) pour calmer le jeu, ce qui ne servira pas à grand-chose, d’ailleurs. Je crois qu’il a eu très peur de se faire descendre en scène, carrément. Il l’a dit plusieurs fois. Jusqu’en 1975 au moins, cela continuera. Puis ça se tassera mais, en 1979 encore, il y aura quelques problèmes ».

The Owl me demande alors de recenser tous les incidents survenus. Ce n’est pas possible : je ne les connais pas tous et une liste incomplète ne signifierait pas grand-chose. De plus, un chahut dans la salle et des coups de poing dans la rue, ce n’est pas la même chose.

The Owl pose aussi deux questions intéressantes :

 

Pourquoi à votre avis la critique se déplace-t-elle des journalistes au public ?

Il est très difficile de répondre à cette question d’une manière simple. Il faut prendre en compte l’évolution de la société, et l’arrivée de 1968. Avant cette date, la société de consommation est quelque chose de très stable. Il y a le plein-emploi : on n’hésite pas à changer de travail pour gagner un franc de l’heure de plus ; le chômage dure une semaine au maximum. On change de réfrigérateur tous les ans et de voiture tous les deux ans. Je simplifie, certes, mais ne caricature pas du tout. Cette société stable, on la croit éternelle : mieux, on croit que la société, c’est ça. Mais pour les jeunes de vingt ans, changer de réfrigérateur n’est pas un but en soi. À cette époque, la presse est le porte-parole essentiel. Radio et télévision d’État sont aux mains du pouvoir. Les radios dites « périphériques » (Europe 1 et RTL) sont un peu plus libres, mais soumises à des impératifs publicitaires. Il n’y a pas d’internet, bien évidemment, et fort peu de téléphones fixes. Le courrier et la presse sont donc les vecteurs essentiels de tout échange. C’est la presse qui se fait l’écho des tendances de la société, c’est par elle que la société s’informe. Si remarque sur Ferré il y a, c’est dans la presse qu’elle s’exprime. Les journalistes ont toujours eu beaucoup de pouvoir et, dans ces années, ils portent toute forme de débat. Ce qui nous amène à la question suivante de The Owl.

 

Pourquoi cela commence-t-il précisément en 1971 ?

Je ne garantis pas l’exactitude de l’année. Ce fut peut-être tout à fait à la fin de 1970, mais certainement pas avant. Je table sur 1971, en tout cas. Pourquoi ? À cause de l’affaire de L’Idiot international qui, dans son numéro 15 daté mars-avril 1971, appelle à recevoir Ferré, partout, « à coups de pavés dans la gueule ». Cela déclenchera une vague de violence qui durera plusieurs années. Que s’est-il produit ? 1968 a changé la société. Pas seulement en France, mais dans toute l’Europe et aux États-Unis (voir Daniel Cohn-Bendit, Nous l’avons tant aimée, la Révolution, Barrault, 1986). Les jeunes ont pris la parole et la rue avec. La société a changé du tout au tout. Tout est devenu politique (on disait d’ailleurs : « Tout est politique »). La moindre analyse du moindre fait social se fonde sur une dialectique marxiste, léniniste, maoïste, trotskyste, anarchiste, avec un doigt de Marcuse et une bonne louche de surréalisme. Pour être honnête, c’est très difficile à vivre et pourtant, rétrospectivement, cela paraît formidable : il y a bouillonnement incessant des idées… et mise en cause permanente de tout et de tous. Le comportement de chacun est en permanence questionné par autrui et chacun se doit, par ailleurs, de se remettre en question régulièrement. L’argent est honteux. Le féminisme, qui existe déjà, ne tardera pas à devenir très virulent, ce qui achèvera de déstabiliser les « vieux » (comprendre : plus de trente ans). Adoncques, les jeunes s’arrogent le droit de juger et de demander des comptes. Il faut impérativement avoir les cheveux longs, être barbu si possible, participer aux manifestations (plusieurs par mois) et se justifier si l’on n’y va pas : « Qu’est-ce que c’est pour toi, l’anarchie ? C’est les disques ? » (dialogue authentique). C’est un temps difficile à comprendre à présent : on fume librement et partout (des gauloises, autrement gare, il faudra rendre des comptes), on roule en voiture sans limitation de vitesse, sans ceinture, sans appuie-tête, sans contrôle d’alcoolémie (je ne dis pas que c’était intelligent, je dis que c’était ainsi), on fait l’amour sans précaution aucune (pas de sida, naturellement, peu de maladies vénériennes et arrivée de la pilule). On vit en communauté (pas longtemps). Il y a le mythe du retour à la terre, que beaucoup tenteront et dans lequel peu demeureront. Tout est libre : la vitesse et l’amour. Et les amours meurent en vitesse, aussi…

Le racisme anti-jeunes s’installe. Sous Pompidou, Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, est persuadé qu’il existe un complot anti-France, dirigé de l’étranger. La répression augmente dans les manifestations interdites, qui ont lieu quand même. Le fait d’être jeune peut suffire à être arrêté et je ne sais plus où j’ai lu ce témoignage de quelqu’un qui avait été interpellé parce qu’il marchait dans la rue avec Charlie-Hebdo sous le bras. Les CRS lui avaient pris son journal et l’avaient déchiré.

Et, donc, ces jeunes-là demandent des comptes à Léo Ferré. Beaucoup l’ont découvert en 1969 seulement et ignorent tout de son histoire antérieure. En janvier et février 1969, le récital présenté à Bobino reçoit l’accueil triomphal dont deux enregistrements publics conservent la trace. La popularité de Ferré augmente chaque jour et C’est extra berce les amours de l’été. En 1970, Amour Anarchie est reçu en mai comme un très grand manifeste et, quand, en novembre, paraît le second volume, on est épaté de constater cette force crétarice considérable, dont on ne sait pas qu’elle était déjà là avant. Il faut dire qu’alors, un 45-tours est un beau cadeau, un 33-tours davantage encore, et deux 33-tours, c’est immense. C’est difficile à comprendre, maintenant qu’on achète des « intégrales » de plusieurs disques compacts. Léo Ferré commence ainsi à devenir, à son corps défendant, un gourou, un prophète. Là, se produit ce qui se produit toujours en pareil cas. Le prophète-malgré-lui est victime de sa propre image, même si celle-ci ne correspond à rien ou seulement à une image, née dans l’esprit du public. Il doit être ce qu’on croit qu’il est, autrement, c’est la guerre. Et ce fut la guerre. On lui demande alors des comptes, en permanence, sur son mode de vie qui, selon les jeunes, devrait être moindre : en ces temps où une 2 CV ou une 4 L sont seules admises, la DS est mal ressentie. Les restaurants et les hôtels confortables, plus encore. La légende de la Rolls naît à ce moment-là : elle le poursuivra toute sa vie.

Cette contestation est donc la même que celle qui s’exprimait auparavant dans la presse, elle est seulement plus radicale, plus entière, parce que faite avec la fougue de la jeunesse dans une société libérée des contraintes des années 50 et 60, une société maintenant empreinte d’histoire, d’idées, de manifestes, d’utopie totale, de poésie aussi, parfois – encore qu’une vision poétique des choses soit mal acceptée par certains gauchistes, qui l’assimilent à la bourgeoisie. La presse est de plus en plus importante, mais ce n’est plus la même. Les journaux politiques et féministes abondent, ils se démarquent de l’information bourgeoise. Léo Ferré est souvent assimilé à la bourgeoisie. Les jeunes du moment contestent même l’artiste, concept infiniment bourgeois, selon eux.

Bien sûr, certains journaux révolutionnaires, tout comme les groupuscules qui les publiaient, durèrent le temps d’une chanson. Bien sûr, ce qu’on a appelé « le choc pétrolier de 1973 » sonnera la fin de la récréation. Bien sûr, en 1976, Chirac claquera la porte de Matignon et fondera le RPR, cependant que Giscard nommera Barre au poste de Premier ministre et tout ça changera, avec le chômage qui commencera à s’installer plus que durablement. Dans les premières années 80, le sida achèvera de transformer la société, dans le moment même où les socialistes introduiront la rigueur. Plus rien ne sera pareil. Les mentalités évolueront. Un jour, un des contestataires du palais des Congrès de Marseille, un de ceux qui, en groupe, lui avaient craché dessus, ira, seul, voir Ferré chez lui et lui dira, en substance, qu’il a changé, qu’il regrette, qu’il n’avait rien compris. Le poète le fera entrer et boira avec lui un verre de vin blanc.

00:00 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (59)

Commentaires

Jacques, votre note est une excellente entrée en matière, qui appelle justement un recensement rigoureux des incidents, afin de vraiment éclairer le phénomène.
En l'état, trop de questions restent irrésolues.


"The Owl me demande alors de recenser tous les incidents survenus. Ce n’est pas possible : je ne les connais pas tous et une liste incomplète ne signifierait pas grand-chose. De plus, un chahut dans la salle et des coups de poing dans la rue, ce n’est pas la même chose."

Le but n’est pas d’être exhaustif d’emblée, mais d’ouvrir un chantier où chacun peut apporter éventuellement sa pierre (comme il a été fait pour certains récitals). Votre blog n’est–il pas le lieu idéal pour recouper ce genre d’informations ?
En outre, chahut dans la salle et coups de poing dans la rue sont des modalités d’un même phénomène. Il faut tout recenser avant de faire des distinctions plus fines, ne croyez-vous pas ?
Permettez-moi d’insister…


"Le courrier et la presse sont donc les vecteurs essentiels de tout échange. C’est la presse qui se fait l’écho des tendances de la société, c’est par elle que la société s’informe. Si remarque sur Ferré il y a, c’est dans la presse qu’elle s’exprime. Les journalistes ont toujours eu beaucoup de pouvoir et, dans ces années, ils portent toute forme de débat."

Ok. Mais la presse pré-68 n’est pas faite d’un bloc. Les attaques sont-elles plutôt ponctuelles ou de principe ? Sont-elles diffuses ou localisées, c’est-à-dire d’une normativité générique ou d’un rejet artistico-idéologique précis ?
Autrement dit, qui critique quoi et comment à quels moments ?

(je dis cela, parce que vous semblez privilégier les critiques « morales » de Ferré aux critiques sur son positionnement artistique, que vous recensez pourtant à propos des récitals…)


"Je ne garantis pas l’exactitude de l’année. Ce fut peut-être tout à fait à la fin de 1970, mais certainement pas avant. Je table sur 1971, en tout cas. Pourquoi ? À cause de l’affaire de L’Idiot international qui, dans son numéro 15 daté mars-avril 1971, appelle à recevoir Ferré, partout, « à coups de pavés dans la gueule ». Cela déclenchera une vague de violence qui durera plusieurs années."

Vous croyez sincèrement que l’origine du phénomène est uni-factorielle ? Que tous les perturbateurs ont été influencés par L’Idiot international ? Est-ce bien crédible ? Quelle était la diffusion de ce journal ? Quel est le premier incident recensé ? Nous ne sommes pour l’instant qu’à la surface des choses…


"Adoncques, les jeunes s’arrogent le droit de juger et de demander des comptes."

Finalement c’est une période de liberté et d’intolérance entremêlées ?
(de cette belle intolérance de la jeunesse sûre de son fait)


"C’est un temps difficile à comprendre à présent : on fume librement et partout (des gauloises, autrement gare, il faudra rendre des comptes),"

Ah bon ? Les autres cigarettes étaient bourgeoises ? Ferré transforme La Gauloise 64 en La Gitane 72, pour ne pas être taxé de démagogie ?


"on roule en voiture sans limitation de vitesse, sans ceinture, sans appuie-tête, sans contrôle d’alcoolémie"

D’où : « les accidents abstraits que je m’invente au hasard des cent cinquante à l’heure »… ?


"Le racisme anti-jeunes s’installe. Sous Pompidou, Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, est persuadé qu’il existe un complot anti-France, dirigé de l’étranger. La répression augmente dans les manifestations interdites, qui ont lieu quand même. Le fait d’être jeune peut suffire à être arrêté et je ne sais plus où j’ai lu ce témoignage de quelqu’un qui avait été interpellé parce qu’il marchait dans la rue avec Charlie-Hebdo sous le bras. Les CRS lui avaient pris son journal et l’avaient déchiré."

La contextualisation que vous opérez est intéressante, mais est-ce là un facteur pertinent ? Je veux dire : Ferré a toujours clairement pris le parti de la jeunesse. Son travail de mise en marge, pour lui-même, du « monde adulte » ne donnait aucune prise aux anti-vieux, non ? Soit les perturbateurs étaient dans la pure mauvaise fois, soit dans l’aveuglement, soit leur reproche portait sur autre chose…


"Et, donc, ces jeunes-là demandent des comptes à Léo Ferré. Beaucoup l’ont découvert en 1969 seulement et ignorent tout de son histoire antérieure."

Voulez-vous dire que beaucoup se sont demandés si Ferré n’était pas devenu anarchiste sur le tard pour relancer sa carrière ? Qu’il exploitait 68 sur leur dos à eux les jeunes ?

Cela voudrait dire qu’ils étaient absolument vierges de Ferré auparavant, qu’ils ne savaient même pas que Ferré existait. Ca me paraît peu crédible.
Parce que bon quand même, depuis presque 10 ans Ferré fait partie du paysage, ne serait-ce qu’en arrière-plan, au détour d’une émission radio ou télé, d’un disque parental, etc.
Or la labellisation simplificatrice des individus n’aura pas manqué de réduire Ferré à sa caractéristique distinctive : c’est un anar. Il y a continuité dans les esprits, nécessairement.
En quoi l’ignorance par le jeune public de l’histoire antérieure de Ferré fait-elle litière au procès d’intention ?


"En 1970, Amour Anarchie est reçu en mai comme un très grand manifeste"

C’est-à-dire ? De quel point de vue ? A cause du Chien ? Comment a été perçu, compris et interprété ce morceau à l’époque ? Cette idée de manifeste, n’est-ce pas un souvenir reconstruit (Introduction à l’anarchie n’est édité que dans la version unifiée d’Amour Anarchie…) ?


"et, quand, en novembre, paraît le second volume, on est épaté de constater cette force créatrice considérable, dont on ne sait pas qu’elle était déjà là avant. Il faut dire qu’alors, un 45-tours est un beau cadeau, un 33-tours davantage encore, et deux 33-tours, c’est immense."

De quoi parlez-vous ? En quoi le côté "bel objet à offrir" d’un 33 tours a à voir avec l’admiration pour l’inspiration créatrice de Ferré ?


"C’est difficile à comprendre, maintenant qu’on achète des « intégrales » de plusieurs disques compacts. Léo Ferré commence ainsi à devenir, à son corps défendant, un gourou, un prophète."

A cause de la sortie rapprochée des deux volumes d’Amour Anarchie ? N’y allez-vous pas à la truelle ?
Ne peut-on pas dire que Ferré est déjà un gourou en 69, à Bobino ?


"Là, se produit ce qui se produit toujours en pareil cas. Le prophète-malgré-lui est victime de sa propre image, même si celle-ci ne correspond à rien ou seulement à une image, née dans l’esprit du public."

Et quelle est cette image ? Cette image était-elle partagée par tous, ou n’était-elle que dans les têtes de ceux qui se sont « révoltés » ?


"Il doit être ce qu’on croit qu’il est, autrement, c’est la guerre. Et ce fut la guerre."

On peut se faire une image fantasmée de quelqu’un sans pour autant lui déclarer la guerre si cette image se révèle fausse. On peut aussi être simplement déçu, ou changer de perception. Ce n’est pas une explication suffisante.


"On lui demande alors des comptes, en permanence, sur son mode de vie qui, selon les jeunes, devrait être moindre : en ces temps où une 2 CV ou une 4 L sont seules admises, la DS est mal ressentie. Les restaurants et les hôtels confortables, plus encore. La légende de la Rolls naît à ce moment-là : elle le poursuivra toute sa vie."

Bon, mais ces comptes lui sont-ils demandés pendant le tour de chant même ? Les perturbations sont-elles constantes ou ciblées durant les concerts ?


"Cette contestation est donc la même que celle qui s’exprimait auparavant dans la presse, elle est seulement plus radicale, plus entière, parce que faite avec la fougue de la jeunesse dans une société libérée des contraintes des années 50 et 60, une société maintenant empreinte d’histoire, d’idées, de manifestes, d’utopie totale, de poésie aussi, parfois – encore qu’une vision poétique des choses soit mal acceptée par certains gauchistes, qui l’assimilent à la bourgeoisie. La presse est de plus en plus importante, mais ce n’est plus la même. Les journaux politiques et féministes abondent, ils se démarquent de l’information bourgeoise. Léo Ferré est souvent assimilé à la bourgeoisie."

Par qui ? Les jeunes ?


"Les jeunes du moment contestent même l’artiste, concept infiniment bourgeois, selon eux."

Dès lors, le positionnement de Ferré en tant que super-artiste n’était-il pas une manière de provocation ? A tout le moins un manque de discernement sur les déterminations idéologiques de son jeune public ?

Écrit par : The Owl | mardi, 26 juin 2007

Une seconde, je prépare une réponse.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 26 juin 2007

Mon cher Owl, chaque réponse que l’on vous fait appelle cent questions à la suite. Je ne peux pas et ne pourrai pas suivre.

Vous avez bien compris que « finalement c’est une période de liberté et d’intolérance entremêlées (de cette belle intolérance de la jeunesse sûre de son fait) ». Vous êtes exactement dans le vrai. À partir de là, c’est dans cet esprit qu’il faut raisonner et analyser les choses. Autrement dit, la raison entre assez peu en ligne de compte.

Vous avancez des pistes toujours justes. Par exemple, « Ferré a toujours clairement pris le parti de la jeunesse. Son travail de mise en marge, pour lui-même, du « monde adulte » ne donnait aucune prise aux anti-vieux, non ? Soit les perturbateurs étaient dans la pure mauvaise foi, soit dans l’aveuglement, soit leur reproche portait sur autre chose… ». Mais vous demandez des réponses alors que vous les fournissez vous-même : les perturbateurs étaient non dans la mauvaise foi (je suis pratiquement certain de leur sincérité) mais dans l’aveuglement, ça oui, et dans l’aveuglement doublé d’idéologie, ce qui est terrible. Impossible de discuter avec eux dans ces moments. Il va falloir que vous acceptiez de me croire un tout petit peu sur parole : j’ai si souvent tenté cette discussion à l’époque…

Quand vous dites : « On peut se faire une image fantasmée de quelqu’un sans pour autant lui déclarer la guerre si cette image se révèle fausse. On peut aussi être simplement déçu, ou changer de perception. Ce n’est pas une explication suffisante », c’est parfaitement exact… aujourd’hui. Ou avant 1968. Pas dans cette période qui va, en gros, de 1968 à 1976 (avec des ramifications jusqu’en 1981-1983) ainsi que je le détaille dans la note, où la guerre idéologique se déclarait vite et où, en permanence, le questionnement politique s’exerçait.

Vous me demandez : « Voulez-vous dire que beaucoup se sont demandés si Ferré n’était pas devenu anarchiste sur le tard pour relancer sa carrière ? Qu’il exploitait 68 sur leur dos à eux les jeunes ? » La réponse est oui, c’est justement ça, mais ce n’est pas nouveau, tout le monde sait que c’était ça, là, je n’apprends rien à personne.

« Cela voudrait dire qu’ils étaient absolument vierges de Ferré auparavant, qu’ils ne savaient même pas que Ferré existait. Ca me paraît peu crédible » : ça vous paraît peut-être peu crédible mais, là encore, il faut que vous acceptiez de me croire un peu. Je n’ai aucun intérêt, vous le pensez bien, à travestir la réalité. Le contexte, toujours le contexte. D’une part, l’information n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. D’autre part, avant 1968, le public de Léo Ferré ne comprend pas ces jeunes (ou leurs prédécesseurs), en tout cas pas en majorité. Or, à partir de 1968 et singulièrement de Bobino en 1969, il y a un renouvellement très important du public (Ferré lui-même l’a suffisamment dit et répété, il en était fier).

« En quoi l’ignorance par le jeune public de l’histoire antérieure de Ferré fait-elle litière au procès d’intention ? » : justement, ses quinze années de galère (de 1946 à 1961) sont ignorées des contestataires de Ferré. Je ne sais pas d’ailleurs si elles auraient pu représenter quelque chose pour eux : pour des garçons et des filles de vingt ans, quinze ans, c’est beaucoup et c’est aussi abstrait. Par ailleurs, et je pense que c’est important, la logique des uns n’est pas celle des autres. Un artiste en général, lorsqu’il débute, a envie que ça marche ; lorsque c’est long à démarrer et qu’il s’accroche, il n’oublie pas les difficultés et quand, enfin, ça marche, il est content et n’envisage pas a priori de se remettre à vivre comme quand ça ne marchait pas. Forcément, sa situation s’améliore, son mode de vie avec, c’est humain. Pour les jeunes, à l’opposé, Ferré devait vivre bien plus modestement et se consacrer à la lutte sociale, à l’engagement politique. Bref, autant de choses qu’il ne désirait pas faire (encore qu’il avait accepté de chanter pour rien dans des usines, mais personne ne lui a organisé ce genre de spectacle), en tout cas pas systématiquement. Ce que je voudrais faire comprendre, c’est que les jeunes en question et lui ne parlaient pas de la même chose. Ce qui constitue une réponse à votre question : « Le positionnement de Ferré en tant que super-artiste n’était-il pas une manière de provocation ? À tout le moins un manque de discernement sur les déterminations idéologiques de son jeune public ? » Une provocation, non ; un manque de discernement : au début, peut-être, oui, mais rapidement, il a dû comprendre, quand même. Simplement, il voulait être celui qu’il était et n’acceptait pas qu’on lui dicte une quelconque conduite – ce qui ne nous étonnera pas, ce fut une constante chez lui, sa vie durant.

Vous écrivez : « ces comptes lui sont-ils demandés pendant le tour de chant même ? Les perturbations sont-elles constantes ou ciblées durant les concerts ? » Je pensais m’être fait comprendre et puis, j’ai l’impression d’en avoir parlé souvent. Il y eut d’une part les spectacles perturbés (des cris et insultes au fil de micro coupé en passant par les crachats et les prises à parti) ; d’autre part, les agressions physiques dans la rue (des tomates ou fruits pourris lancés à la sortie de son hôtel aux coups de poing en passant par les vitres de la voiture cassées).

« À cause de la sortie rapprochée des deux volumes d’Amour Anarchie ? N’y allez-vous pas à la truelle ?
Ne peut-on pas dire que Ferré est déjà un gourou en 69, à Bobino ? » : j’ai encore une fois dû me faire mal comprendre. Évidemment, c’est depuis Bobino en 1969. Je voulais dire que les deux disques de 1970 font une forte impression et donnent une idée de sa puissance créatrice à ceux qui ne la connaissaient pas encore. Je dois répéter et je répèterai qu’on achetait peu de disques parce que c’était cher, parce qu’il y en avait beaucoup moins et parce qu’on considérait davantage l’objet, non pas du tout comme « bel objet à offrir » – là, vous n’avez pas compris – mais comme un bien possédé, presque une richesse, en un temps où l’argent est honteux, je le répète. Avoir beaucoup de disques, chez les jeunes d’alors, est un signe capitaliste. Vous comprenez ? C’est difficile de réaliser ça, aujourd’hui. Je vous en prie, croyez-moi sur parole.

Vous me demandez : « Cette idée de manifeste, n’est-ce pas un souvenir reconstruit (Introduction à l’anarchie n’est édité que dans la version unifiée d’Amour Anarchie…) ». Non, ce n’est pas ça. C’est l’ensemble de la nouveauté artistique et (estime-t-on) politique contenue dans ces disques, qui crée un choc. Ce que vous appelez « la version unifiée d’Amour Anarchie », à savoir le double album noir et rouge, passe alors relativement inaperçu pour tous ceux, nombreux, qui avaient déjà acheté les deux volumes séparés. En apercevant, chez les disquaires, ce double album et en voyant qu’il contient un livret avec un texte, on a un peu râlé contre Barclay parce qu’on n’allait pas racheter les disques juste pour le texte. Ce n’était pas comme aujourd’hui où la même compilation est resservie dix fois avec un bonus différent (formule qui ne serait jamais passée à ce moment-là).

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 26 juin 2007

« Mon cher Owl, chaque réponse que l’on vous fait appelle cent questions à la suite. Je ne peux pas et ne pourrai pas suivre. »

Décontraction et patience mon cher Jacques, le chantier d’une vie ne saurait se résoudre en deux coups de cuiller à pot. C’est un processus lent et tortueux dont nous ferons jaillir la vérité.


« Mais vous demandez des réponses alors que vous les fournissez vous-même : les perturbateurs étaient non dans la mauvaise foi (je suis pratiquement certain de leur sincérité) »

Vous conviendrez qu’on puisse suspecter un pamphlétaire haineux comme Jean-Edern Hallier de ne pas être dans la pure bonne foi quand il provoque au lynchage de Ferré. La question de la mauvaise foi se pose en ce qui concerne la presse, plus que le public effectivement.


« mais dans l’aveuglement, ça oui, et dans l’aveuglement doublé d’idéologie, ce qui est terrible. Impossible de discuter avec eux dans ces moments. Il va falloir que vous acceptiez de me croire un tout petit peu sur parole : j’ai si souvent tenté cette discussion à l’époque… »

Je suis convaincu par le fait que les perturbateurs aient agi par aveuglement plus que par pure malveillance. Mais cela ne résout rien.
L’aveuglement par l’idéologie n’explique pas tout (voir plus loin).


« Quand vous dites : « On peut se faire une image fantasmée de quelqu’un sans pour autant lui déclarer la guerre si cette image se révèle fausse. On peut aussi être simplement déçu, ou changer de perception. Ce n’est pas une explication suffisante », c’est parfaitement exact… aujourd’hui. Ou avant 1968. Pas dans cette période qui va, en gros, de 1968 à 1976 (avec des ramifications jusqu’en 1981-1983) ainsi que je le détaille dans la note, où la guerre idéologique se déclarait vite et où, en permanence, le questionnement politique s’exerçait. »

Si tout le monde était dans un rapport oppositionnel à ce qui niait SA vérité, alors pourquoi les perturbateurs n’étaient-ils qu’une poignée à chaque fois ?
La dimension « phénomène de mode » du battage autour de Ferré accrédite l’existence d’un rapport générationnel à l’artiste. Or dans ce rapport du groupe à l’individu, l’individu est nécessairement iconisé (l'idole, etc.).
Dès lors, ceux qui n’ont pas perturbé les concerts échappaient-ils totalement à cette iconisation ambiante ?
Dit autrement : ceux qui ne perturbaient pas, ne perturbaient pas parce qu’ils avaient mieux compris le positionnement moral et politique de Ferré (était-ce seulement possible en 2-3 disques ?) ou parce que tout simplement ce n’était pas dans leur nature d’adhérer à une idéologie et à une action violente ?

On en revient à ma question que vous laissez sans réponse : quelle était la part des projections personnelles et du consensus collectif (en tant que projection de la catégorie « jeunes ») sur Ferré ?
Quelle image de Ferré dans la tête du jeune public ?


« Cela voudrait dire qu’ils étaient absolument vierges de Ferré auparavant, qu’ils ne savaient même pas que Ferré existait. Ca me paraît peu crédible » : ça vous paraît peut-être peu crédible mais, là encore, il faut que vous acceptiez de me croire un peu. Je n’ai aucun intérêt, vous le pensez bien, à travestir la réalité. Le contexte, toujours le contexte. D’une part, l’information n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. D’autre part, avant 1968, le public de Léo Ferré ne comprend pas ces jeunes (ou leurs prédécesseurs), en tout cas pas en majorité. Or, à partir de 1968 et singulièrement de Bobino en 1969, il y a un renouvellement très important du public (Ferré lui-même l’a suffisamment dit et répété, il en était fier)."

Bon. Qui était ce public alors ? Une bande d’incultes, d’autistes et d’orphelins ?
La radio existait dans beaucoup de foyers tout de même.
Or il semble bien que Ferré était toujours été labellisé comme l’anar de service.

Mon père, qui écoutait exclusivement du jazz avec ses copains, n’avait rien à carrer de la chanson française en général et de Ferré en particulier, ne pouvant souffrir sa voix bêlante. Il savait juste deux choses :
Un, que Ferré avait adapté Aragon et donc qu’il était du côté de la culture, pas de la variètoche populo.
Deux, qu’il était un anarchiste, ce qui était suffisamment rare (voire bizarre) pour être noté et retenu.

Si vous confirmez l’idée selon laquelle une bonne part de la jeunesse n’avait JAMAIS, ni d’Eve ni d’Adam, entendu parler de Ferré avant 69, alors cela accrédite à fond la thèse de l’effet de mode générationnel (n’excluant pas un rapport personnel authentique bien sûr, c’est à deux niveaux – je m’attache ici seulement au phénomène sociologique), avec bouche-à-oreille et suivisme à la clé.
On va voir Ferré pour pas paraître con devant les potes.
Effet boule-de-neige garanti.


« Un artiste en général, lorsqu’il débute, a envie que ça marche ; lorsque c’est long à démarrer et qu’il s’accroche, il n’oublie pas les difficultés et quand, enfin, ça marche, il est content et n’envisage pas a priori de se remettre à vivre comme quand ça ne marchait pas. Forcément, sa situation s’améliore, son mode de vie avec, c’est humain. Pour les jeunes, à l’opposé, Ferré devait vivre bien plus modestement et se consacrer à la lutte sociale, à l’engagement politique. »

Je me demande quels signes extérieurs de richesse les jeunes se rendant à ses spectacles pouvaient percevoir de Ferré ? La presse et la télé ont nécessairement fait caisse de résonance dès lors (sur les hôtels où il descendait, etc.) ? Quelles émissions, quels articles ?
L’idiot internationnal n’est pas la seule cause du basculement…



« Vous écrivez : « ces comptes lui sont-ils demandés pendant le tour de chant même ? Les perturbations sont-elles constantes ou ciblées durant les concerts ? » Je pensais m’être fait comprendre et puis, j’ai l’impression d’en avoir parlé souvent. Il y eut d’une part les spectacles perturbés (des cris et insultes au fil de micro coupé en passant par les crachats et les prises à parti) ; d’autre part, les agressions physiques dans la rue (des tomates ou fruits pourris lancés à la sortie de son hôtel aux coups de poing en passant par les vitres de la voiture cassées). »

Oui, oui, tout ça je le sais, mais cela reste éminemment vague.
Ce que j’aimerais savoir c’est si les prises à parti et insultes advenaient sur TOUTES les chansons, ou si le raffut n’intervenait que pour certains titres précis (et lesquels ?).
Ferré ne propose pas le même rapport à son public quand il chante La mémoire et la mer et quand il chante Le chien.


« Je voulais dire que les deux disques de 1970 font une forte impression et donnent une idée de sa puissance créatrice à ceux qui ne la connaissaient pas encore. Je dois répéter et je répèterai qu’on achetait peu de disques parce que c’était cher, parce qu’il y en avait beaucoup moins et parce qu’on considérait davantage l’objet, non pas du tout comme « bel objet à offrir » – là, vous n’avez pas compris – mais comme un bien possédé, presque une richesse, en un temps où l’argent est honteux, je le répète. Avoir beaucoup de disques, chez les jeunes d’alors, est un signe capitaliste. Vous comprenez ? C’est difficile de réaliser ça, aujourd’hui. Je vous en prie, croyez-moi sur parole. »

Ah mais je vous crois. Mais je ne comprends toujours pas le lien… Ferré met ses admirateurs dans un rapport honteux à l’argent en les « obligeant » à accumuler les disques symboles du capitalisme, c’est ça ? En faisant des disques, il est complice du système ?


« Vous me demandez : « Cette idée de manifeste, n’est-ce pas un souvenir reconstruit (Introduction à l’anarchie n’est édité que dans la version unifiée d’Amour Anarchie…) ». Non, ce n’est pas ça. C’est l’ensemble de la nouveauté artistique et (estime-t-on) politique contenue dans ces disques, qui crée un choc. »

Nouveauté artistique par rapport à quoi ? Comment le public jeune peut-il avoir le sens de cette nouveauté s’il n’a pas de points de comparaison (Ferré avant, ce qui se fait par ailleurs dans la chanson, etc.) ?
Ne trouve-t-il pas ça nouveau parce qu’on lui dit que c’est nouveau (là encore, effet de mode – quand bien même c’est effectivement nouveau) ?

Quelle nouveauté politique ces disques contiennent-ils pour les jeunes à l’époque ?
On retombe sur ma question : comment a été perçu, compris et interprété Le chien à l’époque ?

Bref, si vous étiez partant pour un « Contester Ferré II », je crois que ce ne serait pas de trop…

Écrit par : The Owl | mardi, 26 juin 2007

Tout ça est intéressant et il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites. Mais vous m'épuisez. Je répondrai. Patience.

(Il n'y a plus personne ici, à part The Owl et moi ?)

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 26 juin 2007

Le chantier d’une vie : ça fait trente-huit ans que je suis en chantier… Quel travail !

N’accordons pas à Jean-Edern Hallier plus d’importance qu’il n’en a dans cette histoire. Je m’appuyais sur l’article de son journal parce qu’il fournit une date, un point de repère. On sait donc que les problèmes que connut Léo Ferré remontent au moins à cet article. Au moins. C’est juste une balise, pour moi.

Donc, nous sommes d’accord, il s’agissait, chez les perturbateurs, d’aveuglement et d’idéologie.
Et vous demandez : « pourquoi les perturbateurs n’étaient-ils qu’une poignée à chaque fois ? » Qu’est-ce que vous appelez une poignée ? Réfléchissons : souvent, les problèmes commençaient quand des gens voulaient, par principe, entrer gratuitement. Souvent aussi, on entrait en forçant les portes. Tous ne passaient donc pas. À ce moment-là, il y en avait une poignée dedans (une ou deux dizaines, quand même). Mais ils étaient, au total, plus nombreux. Lorsque le directeur de la salle appelait la police, la bagarre avait lieu à l’extérieur (1973, Aix-en-Provence, cinéma Rex, sang et vitrines cassées, arrestations… J’en ai parlé ici, il me semble).

« Dit autrement : ceux qui ne perturbaient pas, ne perturbaient pas parce qu’ils avaient mieux compris le positionnement moral et politique de Ferré (était-ce seulement possible en 2-3 disques ?) ou parce que tout simplement ce n’était pas dans leur nature d’adhérer à une idéologie et à une action violente ? » Voilà, là, vous êtes dans le mille. Ceux qui ne perturbaient pas avaient mieux compris, oui. En deux disques ou trois ou je ne sais comment, mais ils avaient mieux compris. Et puis, ce ne devait pas être dans leur nature, effectivement. N’oublions pas, également, la présence de Léo Ferré et sa force persuasive, sa capacité à provoquer l’émotion. Il y en avait plus qui étaient touchés que ceux qui ne comprenaient pas son mode de vie.

« On en revient à ma question que vous laissez sans réponse : quelle était la part des projections personnelles et du consensus collectif (en tant que projection de la catégorie « jeunes ») sur Ferré ?
Quelle image de Ferré dans la tête du jeune public ? » Je laisse les questions sans réponse lorsque je n’ai pas la réponse, tout simplement. Comment voulez-vous que je fasse ? J’étais moi-même, dans ces années, très jeune, totalement « dans le bain », sans recul aucun. Et aujourd’hui, il faut que je rassemble des souvenirs vieux de plusieurs décennies en prenant garde à ne pas les réinventer et à en tirer une analyse. C’est très difficile. Je rappelle qu’il y a ici des personnes qui connaissent Léo Ferré depuis plus longtemps que moi. S’ils pouvaient parler un peu…

« Si vous confirmez l’idée selon laquelle une bonne part de la jeunesse n’avait JAMAIS, ni d’Eve ni d’Adam, entendu parler de Ferré avant 69, alors cela accrédite à fond la thèse de l’effet de mode générationnel (n’excluant pas un rapport personnel authentique bien sûr, c’est à deux niveaux – je m’attache ici seulement au phénomène sociologique), avec bouche-à-oreille et suivisme à la clé.
On va voir Ferré pour pas paraître con devant les potes. Effet boule-de-neige garanti » : eh bien, je ne m’étais jamais posé la question comme ça, mais, rétrospectivement, ça me paraît très juste. En ce qui me concerne, je l’ai assez répété, c’est un camarade de lycée qui, en 1969, me parle de Ferré pour la première fois. Je ne connaissais absolument pas, ni lui, ni son travail, ni évidemment sa vie. L’effet de mode a existé à coup sûr, sur le plan sociologique mais, comme vous le dites, cela n’empêche pas un rapport authentique sur le plan personnel. Il ne faut pas condamner systématiquement les effets de mode : ils peuvent servir de « déclencheur » et comporter des suites. C’est rare, mais possible. Le bouche-à-oreille, oui, incontestablement, et beaucoup. Le suivisme, évidemment, ça va avec.

« Je me demande quels signes extérieurs de richesse les jeunes se rendant à ses spectacles pouvaient percevoir de Ferré ? » La voiture, à une époque où la voiture qu’on a ou qu’on n’a pas signifie encore quelque chose : une imagerie. Comprenez bien : à ce moment-là, tout est suspect, il y a, je dois le reconnaître, une forme de terrorisme intellectuel appliqué par des jeunes qui, précisément, condamnent toute forme de terrorisme intellectuel. Compliqué ? Eh oui. Cela dit, en province, on sait très vite à quel endroit descend tel artiste et dans quelle voiture il arrive. Pour tout vous dire, à Marseille, on guettait la DS noire immatriculée à Monaco devant la Résidence du Vieux-Port, simplement pour savoir qu’il était là. Pour d’autres, la légende suffit : la Rolls fantôme roule encore aujourd’hui.

« Ce que j’aimerais savoir c’est si les prises à parti et insultes advenaient sur TOUTES les chansons, ou si le raffut n’intervenait que pour certains titres précis (et lesquels ?) » : non, quand il y avait des problèmes, ça commençait dès le début, presque immédiatement. Ce n’était pas le répertoire qu’on contestait, mais l’artiste lui-même. D’ailleurs, cette posture d’artiste, quelquefois, ne plaisait pas, dans l’optique maoïste, surtout (d’autres aussi, bien sûr) : l’art est petit-bourgeois s’il n’est pas au service du peuple. L’individualisme était par essence condamnable.

« Mais je ne comprends toujours pas le lien… Ferré met ses admirateurs dans un rapport honteux à l’argent en les « obligeant » à accumuler les disques symboles du capitalisme, c’est ça ? En faisant des disques, il est complice du système ? » : il y a un peu de ça, enfin, dans l’esprit des contestataires. Surtout qu’il enregistre alors chez Barclay, vécu comme un grand patron et un marchand de choses commerciales. Je ne sais pas comment faire comprendre les choses : à l’époque, acheter un disque est un acte ; je demande à mes parents l’autorisation d’acheter un disque. Est-ce encore pensable aujourd’hui ? Pour certains gauchistes du moment, il ne faut pas avoir trop de disques parce que les ouvriers n’en ont pas, ou pas autant. D’ailleurs, c’est tout le problème de la propriété privée qui est en permanence sur la sellette. En permanence. Et avoir des disques n’est pas fondamentalement différent d’avoir des maisons ou des usines : ce n’est qu’une question de proportions.

« Ne trouve-t-il pas ça nouveau parce qu’on lui dit que c’est nouveau (là encore, effet de mode – quand bien même c’est effectivement nouveau) ? » Pas faux. Pas faux du tout. Mais tout le monde n’est pas dans le suivisme ou l’absence de réflexion. Un certain style d’écriture, de musique, d’interprétation, on sent bien que c’est nouveau, en tout cas différent du caramel déversé par la radio et la télévision… de papa (façon de parler, mes parents n’avaient pas la télévision).

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 26 juin 2007

Quel passionnant débat ! Pour comprendre l'ampleur des phénomènes sociaux de l'époque, il ne faut pas hésiter à s'en référer (hum, pardon) au répertoire de... Johnny Hallyday. Le racisme anti-jeunes, par exemple, est confirmé en 1971 par une chanson qu'a écrite Philippe Labro pour le rocker : "Flagrant délit de jeunesse/C'est un péché plus sérieux que l'ivresse/Dans les rues, faites attention/Ils vous piquent à la moindre occasion/La chevelure ou bien la silhouette/Ça leur suffit pour repérer la bête/Ils courent après comme après un lapin/Qui vient saccager leur joli jardin (...)".

Écrit par : Richard | mardi, 26 juin 2007

« Donc, nous sommes d’accord, il s’agissait, chez les perturbateurs, d’aveuglement et d’idéologie. »

Pas seulement. A mon avis c’est plus compliqué. Je crois qu’il y a des déterminations identitaires qui entrent en jeu.
La bi-partition entre perturbateurs n’ayant rien compris et public ayant compris est trop schématique...


« Et vous demandez : « pourquoi les perturbateurs n’étaient-ils qu’une poignée à chaque fois ? » Qu’est-ce que vous appelez une poignée ? Réfléchissons : souvent, les problèmes commençaient quand des gens voulaient, par principe, entrer gratuitement. Souvent aussi, on entrait en forçant les portes. Tous ne passaient donc pas. À ce moment-là, il y en avait une poignée dedans (une ou deux dizaines, quand même). Mais ils étaient, au total, plus nombreux. »

Le groupe perturbateur était systématiquement constitué par les individus qui entraient en force ?
Il n’y en avait jamais qui avaient payé leur place ?

Comme j’imagine mal une bande de 30-40 bons copains, je suppose qu’il s’agissait systématiquement de groupes déjà constitués, de groupements politiques avec mots d’ordres, concertation et tout le tintouin ?
La contestation n'était jamais spontanée ?


« Je laisse les questions sans réponse lorsque je n’ai pas la réponse, tout simplement. Comment voulez-vous que je fasse ? J’étais moi-même, dans ces années, très jeune, totalement « dans le bain », sans recul aucun. Et aujourd’hui, il faut que je rassemble des souvenirs vieux de plusieurs décennies en prenant garde à ne pas les réinventer et à en tirer une analyse. C’est très difficile. Je rappelle qu’il y a ici des personnes qui connaissent Léo Ferré depuis plus longtemps que moi. S’ils pouvaient parler un peu… »

Oui ce serait bien. Sans recoupements, le terrain reste glissant.
Mais il faudrait vraiment dépouiller dans le détail tous les incidents.
Allez Jacques, come on !


"En ce qui me concerne, je l’ai assez répété, c’est un camarade de lycée qui, en 1969, me parle de Ferré pour la première fois. Je ne connaissais absolument pas, ni lui, ni son travail, ni évidemment sa vie. L’effet de mode a existé à coup sûr, sur le plan sociologique mais, comme vous le dites, cela n’empêche pas un rapport authentique sur le plan personnel. Il ne faut pas condamner systématiquement les effets de mode : ils peuvent servir de « déclencheur » et comporter des suites. C’est rare, mais possible. Le bouche-à-oreille, oui, incontestablement, et beaucoup. Le suivisme, évidemment, ça va avec."

Bien, voilà donc un point provisoirement acquis.
A partir de là, deux questions :

- Sur la masse des suiveurs venue à Ferré parce que ça faisait bien d’aller à ses concerts, seule une partie est vraiment « convertie » (normal). Que deviennent les autres ?

- L’effet de mode Ferré a-t-il été ressenti en tant que tel par certains des jeunes ? Comment cela a-t-il été vécu ?
(d’après ce que vous dites, sur ce point vous êtes hors-jeu Jacques)


"« Ce que j’aimerais savoir c’est si les prises à parti et insultes advenaient sur TOUTES les chansons, ou si le raffut n’intervenait que pour certains titres précis (et lesquels ?) » : non, quand il y avait des problèmes, ça commençait dès le début, presque immédiatement. Ce n’était pas le répertoire qu’on contestait, mais l’artiste lui-même."

Mais l’artiste donne à voir plusieurs visages de lui-même en fonction du répertoire qu’il interprète. Et j’ai du mal à imaginer les mecs crier « vendu ! » ou « à bas l’exploitation ! » en plein milieu de Avec le temps…
C’est tellement hors de propos que ça les ridiculise. On a beau être contestataire, jeune et con, on est pris dans une relation à trois, avec Ferré, mais aussi avec la pression silencieuse de la salle, de la majorité…
A moins bien sûr que les mecs aient systématiquement été des têtes brûlées complètement inconscientes, des fanatiques quoi, insensibles au ridicule.


"D’ailleurs, cette posture d’artiste, quelquefois, ne plaisait pas, dans l’optique maoïste, surtout (d’autres aussi, bien sûr) : l’art est petit-bourgeois s’il n’est pas au service du peuple. L’individualisme était par essence condamnable."

Ici se nicherait alors une critique artistico-idéologique (le côté vieillot de la posture prométhéenne ?) et non plus morale ?

Question subsidiaire : dans la contestation, Ferré est-il comparé (à son avantage ou désavantage) à d’autres artistes ?

Écrit par : The Owl | mercredi, 27 juin 2007

« La bi-partition entre perturbateurs n’ayant rien compris et public ayant compris est trop schématique... » : je ne fais pas cette partition ; d’ailleurs, comme signalé dans la note, certains perturbateurs ont changé d’avis ensuite. Simplement, il y a cette bipolarisation à un moment donné, pour un temps donné.

« Le groupe perturbateur était systématiquement constitué par les individus qui entraient en force ?
Il n’y en avait jamais qui avaient payé leur place ? » : non, je ne crois pas. On ne payait pas sa place pour venir gueuler, ça m’étonnerait. Cela dit, je n’ai pas vérifié leurs billets.

« Comme j’imagine mal une bande de 30-40 bons copains, je suppose qu’il s’agissait systématiquement de groupes déjà constitués, de groupements politiques avec mots d’ordres, concertation et tout le tintouin ? La contestation n'était jamais spontanée ? » : au début, c’était certainement spontané puis c’est devenu organisé, forcément : pour couper un fil de micro, il faut avoir amené de quoi le faire, tout bêtement. Cette fois-là, d’ailleurs, les gens en question portaient des cagoules : ils les avaient donc amenées avec eux.

« Sur la masse des suiveurs venue à Ferré parce que ça faisait bien d’aller à ses concerts, seule une partie est vraiment « convertie » (normal). Que deviennent les autres ? » : mais comment voulez-vous diable que je le sache ?

« L’effet de mode Ferré a-t-il été ressenti en tant que tel par certains des jeunes ? Comment cela a-t-il été vécu ? (d’après ce que vous dites, sur ce point vous êtes hors-jeu Jacques) » : non, je ne crois pas qu’on ressente un effet de mode, quel qu’il soit, au moment où il se produit. Il faut un minimum de recul. En ce qui me concerne, j’ai été passionné tout de suite et ça ne s’est pas démenti depuis.

« Mais l’artiste donne à voir plusieurs visages de lui-même en fonction du répertoire qu’il interprète. Et j’ai du mal à imaginer les mecs crier « vendu ! » ou « à bas l’exploitation ! » en plein milieu de Avec le temps… » : c’est parce que vous imaginez mal la situation. Les mecs en question (et d’ailleurs, il y avait aussi des filles, parfois) n’écoutaient pas. Rien du tout. Ils gueulaient, crachaient, menaçaient. Mais n’écoutaient rien.

« C’est tellement hors de propos que ça les ridiculise. On a beau être contestataire, jeune et con, on est pris dans une relation à trois, avec Ferré, mais aussi avec la pression silencieuse de la salle, de la majorité… » : oui, vu comme ça, de 2007, en y réfléchissant. Pas en 1973 (par exemple), dans la salle, avec des CRS qui cognent à l’extérieur.

« À moins bien sûr que les mecs aient systématiquement été des têtes brûlées complètement inconscientes, des fanatiques quoi, insensibles au ridicule » : il devait y avoir aussi un peu de ça. Mais dans le feu de « l’action », ils n’en avaient pas conscience.

« Ici se nicherait alors une critique artistico-idéologique (le côté vieillot de la posture prométhéenne ?) et non plus morale ? » : ce n’est pas impossible. L’âââââââââârtiste, chez les trotskystes et les maos, à ce moment-là, ce n’est pas terrible…

« Question subsidiaire : dans la contestation, Ferré est-il comparé (à son avantage ou désavantage) à d’autres artistes ? » : eh, eh, non, justement. Les noms qu’on cite habituellement aux côtés du sien n’ont jamais été inquiétés, eux. Pas davantage, les chanteurs yé-yé et autres artistes anodins qui auraient eux aussi pu être soupçonnés de servir le capitalisme. Je crois bien qu’il fut le seul (et parfois Charlebois, lors de leur tournée commune).

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 27 juin 2007

Richard, la citation que tu fais n'est pas si mal venue, elle peint bien la situation d'un moment. C'était d'ailleurs une période où Johnny demandait à ses paroliers de faire un effort dans l'écriture des textes et de sortir de "Dadou ron ron / Dadou ron ron". Il a même été question, en 1971, qu'il chante Ferré (chanson Les Albatros) dans le film L'Albatros, de Mocky. Cela ne s'est pas fait, je ne sais pas pourquoi. Une photo les montre en train de travailler ensemble.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 27 juin 2007

Cette contestation a été très spéciale,car elle n'a touché que Ferré.Ni colette Magny,ni Servat ,plus engagés du côté "mao" et plus violents dans les textes n'ont été ainsi "chahutés":ils faisaient il faut le dire surtout des récitals pour la G Prolétarienne,ou pour Front Rouge.....Quand Ferré a chanté (à la demande de Godard ?) "le conditionnel de variétés",à l'entracte on entendait souvent "quel salaud,quel démago",alors qu'il navait rien à y gagner:Combien Ferré a-t-il donné de récitals gratis pour aider à financer "Libé",le vrai,celui de Sartre et de July,quand July n'était pas encore de droite?je reviendrai dans un autre commentaire sur le concert de Lille de 71
Et puis il y a les clichés qui ont duré longtemps:en 87, discutant avec des étudiants,on m'a encore dit:"Ferré,il a des usines,il a des Ferrari"
J'ai démenti formellement,mais on ne m'a pas cru,il y a comme ça des mythes increvables qui trainent et se transmettent on ne sait comment
à suivre,à tout à l'heure

Écrit par : francis delval | mercredi, 27 juin 2007

Donc, si on comprend bien, Ferré peut être contesté par une certaine presse de droite (voir Hedern-Hallier) pour ses idées, mais paradoxalement, dans la salle, ce serait plutôt des gens qui se disent à gauche qui lui reprocheraient sa richesse et sa vie de petit-bourgeois qui est arrivé.
Mais pourquoi lui et pas les autres artistes ? Parce que, justement, il chante l’anarchie et qu’il se dit en dehors du système. Aux yeux de ce public, il trahit. Notons que si ces jeunes ne paient pas leur billet, c’est qu’ils constituent déjà une certaine tranche marginalisée. Ils ne conçoivent pas, sans doute, qu’il faille payer pour entendre parler de la révolution. Payer, c’est enrichir, Ferré. Donc, ils le prennent pour un traître alors qu’ils espéraient un copain.

Il y a manifestement incompréhension de part et d’autre. Ferré parle de liberté dans sa poésie et eux ils comprennent qu’il faut aller brûler les abris d’autobus. Ils ramènent le discours de Ferré dans une sphère qu’ils connaissent, par exemple la violence. En politique, Ferré est certainement plus contestataire qu’eux, mais cela ils ne le comprennent pas. Du coup ils réagissent contre celui qui tient un discours séduisant mais qui ne passe pas aux actes (du moins aux actes qu’eux-mêmes considèrent comme important).

Derrière tout cela il y a peut-être aussi le mythe du poète maudit, qui, pour être bon et authentique, doit obligatoirement vivre dans une mansarde au sixième étage et manger une fois par semaine. Par son luxe extérieur ou par ce qu’ils considèrent comme tel, Ferré appartient à la bourgeoisie. Du coup son discours semble entaché de mensonge.

Écrit par : Feuilly | mercredi, 27 juin 2007

Eh oui, le public - surtout les jeunes, mais pas seulement - tire souvent les artistes (et pas seulement de variétés, pas uniquement dans le domaine de la musique) vers lui-même.
On pourrait dire : "c'est humain". Mais un humain est obligé de se dépasser un minimum, sinon à quoi bon ? Autant remonter dans les arbres...

Écrit par : Martine Layani | mercredi, 27 juin 2007

Comme Jacques l'a bien montré,Ferré a ,dès les années 50,été souvent critiqué,voire malmené par les journalistes esentiellement,l'un des plus acharnés étant Clément ledoux ,dans le "canard enchaîné",même Yvan audouard dans le même journal a parfois été féroce:l'anar ferré déplaisait à certains,l'anar Brassens n'a jamais eu de problèmes à ma connaissance:il n'intervenait guère dans les problématiques politiques réelles;Brassens n'est pas un poète "engagé"...Du côté public, Ferré n'a pas,autant que je sache,eu de pb avec son public avant 71,et seulement avec une infime minorité,et ça n'a duré qu'une année ou deux;dès 73,il n'y eut plus ,dans les concerts que j'ai vu le moindre trouble...
Il y eut en 71 l'offensive Hallier,que l'on connaît,quelques manifs de la LCR (ils prenaient des places et partaient quand Ferré commençait "les anarchistes",quelques situs égarés,n'ayant sûrement rien à voir avec Debord,qui avait d'autres chats à fouetter.
au concert de Lille,à l'opéra,de la salle,on ne percevait rien de ce qui se passait dehors (des jeunes voulant entrer sans payer ont été refoulés et certains embarqués par la police appelée par le directeur)Quelques uns ont réussi à entrer et ont crié:"Ferré,fais quelque chose,les flics embarque des mecs qui veulent entrer",et ils sont repartis.Ferré n'a pas arrêté de chanter,avec la sono,il n'a sans doute pas compris;puis il y eut les critiques à l'entracte,certains ne comprenant pas qu'un anar puisse défendre un journal "mao",à moins d'être "vendu"...et après l'entracte,des bruits inquiétants,des jets de boulons sur la scène venus du poulailler,Ferré a vite compris:il a dit exactement (ça marque):"hé,le mec là-haut qui m'balance,tu peux me descendre,mais sais gaffe à Popaul,il y voit rien"
Et tout s'est arrêté,le concert s'est bien terminé,et a été très applaudi
Ces coups de main anti Ferré ont toujours été le fait de minorités incontrôlées;mis à part les sorties programmées des trotzkystes (qui ont fait fort dans leur canard à la mort de Ferré),ni les situs ni les maos n'ont lancé de campagne anti Ferré:ils avaient(nous avions dirai-je) d'autres cibles

Écrit par : francis delval | mercredi, 27 juin 2007

ps:"l'idiot international" se voulait un journal ultra-gauche et non de droite, Le côté "droitier" d'Hallier s'est révélé peu après ,notamment quand il a détourné des fonds destinés à la résistance chilienne,ceci est une autre histoire

Écrit par : francis delval | mercredi, 27 juin 2007

La violence existe aussi du côté de l'idolâtrie: il faudrait étudier cet aspect-là aussi. Ce serait plus intéressant: je pense comme Francis que les incidents ont été relativement limités. Apparemment, cela n'a rien été d'autre que l'expression de la beaufitude de l'époque. Cela parle plus de cela que de Ferré.
Pour info, Francis, les cahiers d'études LF avaient exhumé un article situationniste défavorable à Ferré.

Je pense que les critiques ou les rumeurs concernant l'insincérité supposée de Ferré ont commencé bien avant 68.

Certes d'autres artistes engagés n'obtenaient pas le même genre de réactions, mais Ferré lui-même, par ses discours et ses actes, se plaçait lui-même dans ce genre de situation. Par exemple, je ne vois pas ce qu'un fan de base pouvait penser de déclarations du genre "Te marie pas" et d'apprendre quelques mois plus tard que LF venait de se marier lui-même. Sinon que le discours "dans l'absolu" divergeait des faits "dans la pratique". Assez banal ("bourgeois") finalement.

Ferré se situait trop lui-même dans le jugement moral pour pouvoir être exempt des jugements de ce type.

Même contesté, Ferré conservait une certaine aura dans les années 70. Cela me semble moins vrai dans les années 80.

Écrit par : gluglups | mercredi, 27 juin 2007

"Je pense que les critiques ou les rumeurs concernant l'insincérité supposée de Ferré ont commencé bien avant 68" : dans la presse, oui, je l'ai dit dans la note. Et la presse se faisait certainement l'écho d'une opinion répandue.

Francis et Gluglups : le "plein" de violence s'est fait entre 1971 et 1973, effectivement, mais cela a continué jusqu'en 1979 au moins. De moins en moins fréquemment, mais c'était toujours une éventualité.

"Apparemment, cela n'a rien été d'autre que l'expression de la beaufitude de l'époque. Cela parle plus de cela que de Ferré" : oui, finalement, c'est vrai, avec le recul, c'est une bonne vision des choses.

"Certes d'autres artistes engagés n'obtenaient pas le même genre de réactions, mais Ferré lui-même, par ses discours et ses actes, se plaçait lui-même dans ce genre de situation" : il faut lire l'échange entre Nougaro et Ferré dans le livre de Lancelot, Campus, dont j'ai souvent parlé. Ce point est évoqué.

"Ferré se situait trop lui-même dans le jugement moral pour pouvoir être exempt des jugements de ce type" : parfaitement exact, rétrospectivement. Mais il a eu vraiment peur -- c'est lui-même qui le disait -- durant toute une période.

"Même contesté, Ferré conservait une certaine aura dans les années 70. Cela me semble moins vrai dans les années 80" : à ce moment-là, c'est devenu autre chose. Il bénéficiait d'un silence parfait et d'une écoute totale dans la salle. Puis il y eut les ovations debout à la fin des spectacles et, les toutes dernières années, les ovations debout dès son entrée en scène, et à la fin aussi. C'était devenu une autre forme d'acccueil, de réception. Il n'est pas interdit de penser que c'était celle, au moins en partie, des contestataires, quelques années plus tard.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 28 juin 2007

En 71,en effet,les "situs"-ce qui en restait après les multiples scissions-ont publié une photo "détournée de Ferré...ça n'allait pas loin,pas bien méchant,il en avait lu et vu d'autres...
Certains journalistes avaient d'ailleurs après "la complainte de la télé" parlé de "chanson situationniste" dénonçant "la société du spectacle",dont parlait Debord bien avant de publier le livre.Ce qui est d'ailleurs un contresens sur l'expression de Debord:la "société du spectacle" est d'abord celle où, d'acteur de sa propre vie,on en devient le spectateur passif,la critique du "spectacle" en est la conséquence.Passons
Ferré a aussi été attaqué parce qu'il a toujours transgressé une règle implicite du show-bizz(il en parle dans la préface au "Caussimon"),qui veut qu'on ne se critique pas entre artistes:il n'a épargné dans ses chansons ,ni Halliday, ni Moreno,ni Dalida,Gloria Lasso, Bob azzam ou son ancien copain Aznavour...Quand Dalida a refusé de chanter "EP love",il a dit "je ne comprends pas pourquoi, c'est la chanson préférée de Pépée".Si ces critiques étaient méritées,elles ont dû néanmoins attiser certaines rancoeurs:Ferré ne savait pas bien "se vendre" et ne pouvait pas ne pas dire ce qu'il avait envie de dire,même si ça ne se disait pas....
Ce qu'on peut bien appeler sa sincérité devait bien finir par se retourner contre lui.Ce qui n'excuse en rien les violences qu'il a subi dans les années 70

Écrit par : francis delval | jeudi, 28 juin 2007

Je le dis souvent, je sais, mais il faut le redire : sa sincérité est permanente. Incontestable, y compris dans l'excès, dans l'éventuelle maladresse. Les critiques fondées sur l'insincérité ne tiennent pas. Toutes les autres sont recevables, on peut discuter, pas celle-là.

Cette sincérité n'empêche ni le paradoxe, ni l'habileté. Il était très habile.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 28 juin 2007

Yeah ! Même Zombie Glups sort de terre, c’est la foire !
Puisque c’est mon plus grand fan, je commence par lui.

« La violence existe aussi du côté de l'idolâtrie: il faudrait étudier cet aspect-là aussi. »

Violence faite vis-à-vis de Ferré ?
Violence faite à ceux qui ne sont pas réceptifs à Ferré (voir plus loin) ?

« Apparemment, cela n'a rien été d'autre que l'expression de la beaufitude de l'époque. Cela parle plus de cela que de Ferré. »

C’est quoi la beaufitude ?
Ouvrir sa gueule à tord et à travers ou/et être trotskyste ?


« Ferré se situait trop lui-même dans le jugement moral pour pouvoir être exempt des jugements de ce type. »

J’ai déjà évoqué cette question du prêche normatif et du viol auditif, dans les commentaires de la note « La musique, la tomate, le hibou » :
http://leoferre.hautetfort.com/archive/2007/02/13/la-musique-de-la-tomate.html#comments

Mais je me suis heurté à l’incompréhension générale.
Toi-même tu n’y as pas réagi.


« Même contesté, Ferré conservait une certaine aura dans les années 70. Cela me semble moins vrai dans les années 80. »

De ce point de vue, le live Champs-Elysées 84 est charnière, comme je tente de le faire comprendre dans ma discographie commentée.


Reprenons le fil :

« Sur la masse des suiveurs venue à Ferré parce que ça faisait bien d’aller à ses concerts, seule une partie est vraiment « convertie » (normal). Que deviennent les autres ? » : mais comment voulez-vous diable que je le sache ? »

Eh bien je ne sais pas, vous auriez pu discuter avec des copains, des connaissances, des inconnus, qui vous auraient dit : « ouais Ferré, je connais, je l’ai vu à tel concert, c’est nul parce que etc. »
Et là on a la critique d’un public qui n’est ni idolâtre ni agitateur. Ne me faites pas croire que vous n’avez jamais été confronté à cette parole.
Vous ne faisiez que des soirées entre fans ou quoi ?
Lol
Ici peut se nicher la violence idolâtre faite à l’encontre des « tièdes », pas voyante, banale, à l’écart des récitals.


« Mais l’artiste donne à voir plusieurs visages de lui-même en fonction du répertoire qu’il interprète. Et j’ai du mal à imaginer les mecs crier « vendu ! » ou « à bas l’exploitation ! » en plein milieu de Avec le temps… » : c’est parce que vous imaginez mal la situation. Les mecs en question (et d’ailleurs, il y avait aussi des filles, parfois) n’écoutaient pas. Rien du tout. Ils gueulaient, crachaient, menaçaient. Mais n’écoutaient rien. »

Et sans discontinuer pendant 2h30 ?
Ils devaient sortir épuisés des récitals nos chers cagoulés.
Cherchaient-ils à faire du brouillage et déconcentrer Ferré, à casser l’effet d’immersion dans la chanson pour le public, ou juste à ce qu’on entende clairement leurs slogans ?
Cela implique des modes d’interventions différents.


« C’est tellement hors de propos que ça les ridiculise. On a beau être contestataire, jeune et con, on est pris dans une relation à trois, avec Ferré, mais aussi avec la pression silencieuse de la salle, de la majorité… » : oui, vu comme ça, de 2007, en y réfléchissant. Pas en 1973 (par exemple), dans la salle, avec des CRS qui cognent à l’extérieur. »

Bon ok, les 70’s c’était vraiment le cirque. Beaufland, why not. Mais il a été dit que parfois la salle proteste.
Des « chut ! », des « ta gueule ! » ?
Il y a donc une pression objective de la majorité. Elle n’a jamais aucun effet ?
Les agitateurs sont des bulldozers incoercibles ?

L’exemple de Francis avec les boulons montre bien que non.
Comme il montre que la contestation n’est pas forcément constante sur toute la durée du récital.
Et donc la question du moment choisi par les perturbateurs pour intervenir se pose.


« À moins bien sûr que les mecs aient systématiquement été des têtes brûlées complètement inconscientes, des fanatiques quoi, insensibles au ridicule » : il devait y avoir aussi un peu de ça. Mais dans le feu de « l’action », ils n’en avaient pas conscience. »

Oui enfin, 2h30 de récital c’est long. Le feu de l’action à largement le temps de s’essouffler.
Qui plus est, le tour de chant passe par des climats émotionnels variés, la contestation va dès lors plus ou moins tomber à plat, sonner plus ou moins bien.
Ne croyez-vous pas que votre souvenir tend à reconstruire un bloc de contestation là où il y avait du va-et-viens ?


« Comme Jacques l'a bien montré,Ferré a ,dès les années 50,été souvent critiqué,voire malmené par les journalistes esentiellement,l'un des plus acharnés étant Clément ledoux ,dans le "canard enchaîné",même Yvan audouard dans le même journal a parfois été féroce »

Vous avez l’air de bien connaître tout ça Francis, vous ne pourriez pas avec Jacques mettre en place une cartographie de la contestation journalistique de Ferré : qui ? où ? quand ? quoi ?
Les grandes tendances.
L’approche récital par récital entreprise par Jacques ne permet pas cet éclairage.


« Du côté public, Ferré n'a pas,autant que je sache,eu de pb avec son public avant 71,et seulement avec une infime minorité,et ça n'a duré qu'une année ou deux ; dès 73, il n'y eut plus dans les concerts que j'ai vu le moindre trouble... »

Mettez-vous d’accord messieurs !
Jacques dit : « Jusqu’en 1975 au moins, cela continuera. Puis ça se tassera mais, en 1979 encore, il y aura quelques problèmes ».
Et d’avancer que de 1968 à 1976 (avec des ramifications jusqu’en 1981-1983) le questionnement politique continue de s’exercer en permanence.
Alors alors ?
Pour la période 73-79, vous parlez ensuite d’ « éventualité » et non pas d’incidents précis, c’est très flou.
Avec une liste d’incidents, nous serions fixés. Allez, quoi Jacques, please !

La période 73-75 est aussi intense dans la contestation que la période 71-73 ?
A quelle occasion les problèmes ressurgissent-ils en 79 ?



« Il y eut en 71 l'offensive Hallier, que l'on connaît, »

C’est ce qui déclenche l’ire des Trotskystes ou ces derniers l’ont devancé et Hallier joue sur du velours ?
Quoi qu’il en soit, si je vous ai bien compris, les premiers à lancer le mouvement de contestation sont les Trotskystes. Ils adoptent dans un premier temps une méthode douce : payer leur place et quitter la salle quand passe Les anarchistes.
Comment s’opère le durcissement ?
Hallier ?
L’exemple donné par des situ ou des mao ?

Le micro coupé, les tire-fonds, les crachats, les boulons, c’est plutôt LCR, situ ou mao ?
Qui était le suiveur de qui ?



« puis il y eut les critiques à l'entracte, certains ne comprenant pas qu'un anar puisse défendre un journal "mao", à moins d'être "vendu"... »

Vous voulez dire que vous discutiez avec vos voisins de rang, où c’était la foire, genre empoigne générale dans la salle ?



« Ces coups de main anti Ferré ont toujours été le fait de minorités incontrôlées; mis à part les sorties programmées des trotzkystes (qui ont fait fort dans leur canard à la mort de Ferré), ni les situs ni les maos n'ont lancé de campagne anti Ferré: ils avaient(nous avions dirai-je) d'autres cibles »

Vous voulez dire que les contestations situs ou mao étaient spontanées selon les villes ?
Cette contestation prenait une forme spécifique ?
(hormis les détournements de photo)



« Mais pourquoi lui et pas les autres artistes ? Parce que, justement, il chante l’anarchie et qu’il se dit en dehors du système. Aux yeux de ce public, il trahit. Notons que si ces jeunes ne paient pas leur billet, c’est qu’ils constituent déjà une certaine tranche marginalisée. Ils ne conçoivent pas, sans doute, qu’il faille payer pour entendre parler de la révolution. Payer, c’est enrichir Ferré. Donc, ils le prennent pour un traître alors qu’ils espéraient un copain. »

Intéressant, ce rapport copain-copain.
Cela remet sur le tapis la question à laquelle Jacques ne veut décidemment pas répondre : quelle image la jeunesse se faisait globalement de Ferré ?



« Il y a manifestement incompréhension de part et d’autre. Ferré parle de liberté dans sa poésie et eux ils comprennent qu’il faut aller brûler les abris d’autobus. Ils ramènent le discours de Ferré dans une sphère qu’ils connaissent, par exemple la violence. »

Et donc l’incompréhension de ferré consisterait à en rajouter une couche dans la violence ?
Effectivement, remember Nougaro.
Pas de fumée sans feu.


« En politique, Ferré est certainement plus contestataire qu’eux, mais cela ils ne le comprennent pas. Du coup ils réagissent contre celui qui tient un discours séduisant mais qui ne passe pas aux actes (du moins aux actes qu’eux-mêmes considèrent comme important). »

Oui, mais quels actes ?
Les trotskystes, les mao et les situ n’ont pas la même conception de l’action, non ?
La critique « Ferré, tu n’agis pas » émane-t-elle d’un groupe en particulier ?

« des armes et des mots c’est pareil, ça tue pareil »
Il faut envisager la possibilité que les perturbateurs aient compris le message du Chien, qu’ils aient estimé que Ferré prêchait le faux et qu’ils aient consciemment décidé de s’y opposer idéologiquement, par l’action directe.
Dès lors, c’est complètement autre chose que la beauferie et autre contestation anti-système ou anti-traître ; c’est la lutte de deux systèmes, deux visions.
C’est l’idéologie pleinement assumée, pas l’idéologie-prétexte des aveuglés dont parle Jacques.
Me trompé-je ?


« Derrière tout cela il y a peut-être aussi le mythe du poète maudit, qui, pour être bon et authentique, doit obligatoirement vivre dans une mansarde au sixième étage et manger une fois par semaine. Par son luxe extérieur ou par ce qu’ils considèrent comme tel, Ferré appartient à la bourgeoisie. Du coup son discours semble entaché de mensonge. »

Mythe que Ferré se sera complu à entretenir autour de sa personne.
Il faut quand même admettre qu’il y a là une contradiction difficilement compréhensible pour le spectateur lambda, nécessairement sans recul.
Comme le « te marie pas ! » cité en exemple par Glups.


La suite de la grosse foire 70’s au prochain épisode.

Écrit par : The Owl | jeudi, 28 juin 2007

Et pour continuer dans la bonne humeur des cerveaux qui jutent, du rab :

Le paramètre générationnel a-t-il été un facteur de la contestation de Ferré ? A-t-il été critiqué par les jeunes sur son âge ?

Dans quelle mesure l'évolution de l'art contemporain irrigue-t-elle la critique gauchiste de l'artiste ?

Écrit par : The Owl | jeudi, 28 juin 2007

A raison, on parle beaucoup du tort que Jean-Edern Hallier a causé à Léo Ferré auprès de certains lecteurs de l'Idiot International, considérés comme des intellectuels d'extrême gauche. Le mot d'ordre de sortir Léo Ferré s'adressait donc à un public numériquement très limité et peu influent. Bien plus grand, me semble-t-il, a été le préjudice moral fait à la même époque à Léo Ferré par le fantaisiste Jacques Martin dans son émission satirique "Le petit rapporteur". C'es dans cette émission dominicale à grande écoute que Léo Ferré fut présenté comme "l'anarchiste à la rolls" à un pubic de plusieurs millions de téléspectateurs. Là aussi l'artiste se crut obligé de se justifier, de jurer ses grands dieux qu'il n'avait pas de rolls mais une vieillle DS cabossée qui était plus un outil de travail qu'une objet de luxe... Peu rancunier, Léo Ferré présenta en 1991 ses chansons Les vieux copains et Elle tourne la terre à Dimanche Martin !

Écrit par : Jacques Miquel | jeudi, 28 juin 2007

Bon, devant l’habituelle avalanche de questions, je réponds à The Owl pour la partie qui me concerne, directement ou indirectement. Gluglups, Feuilly et Francis répondront s’ils le désirent.

« Ne me faites pas croire que vous n’avez jamais été confronté à cette parole » : épargnez-moi le ton de ce genre. Je ne cherche pas à vous faire croire quoi que ce soit. Je vous réponds, simplement.

« Vous ne faisiez que des soirées entre fans ou quoi ? » : « fan » est un anachronisme, comme je vous l’ai déjà expliqué. Je ne suis pas, par ailleurs, du genre à faire des « soirées », terme qui est aussi un anachronisme.

« Et sans discontinuer pendant 2 h 30 ? » : les spectacles ne duraient pas si longtemps, alors. Deux heures, tout au plus.

« Cherchaient-ils à faire du brouillage et déconcentrer Ferré, à casser l’effet d’immersion dans la chanson pour le public, ou juste à ce qu’on entende clairement leurs slogans ? » : sait-on vraiment ce qu’ils cherchaient ? À casser le spectacle, c’est tout. Disons à faire du brouillage et à le déconcentrer.

« Mais il a été dit que parfois la salle proteste » : les fois où j’ai assisté moi-même à des récitals perturbés, personne n’a protesté, tout le monde s’est tu. Moi le premier, comme je l’ai déjà avoué dans la note Trois amis et les pops.

« Et donc la question du moment choisi par les perturbateurs pour intervenir se pose » : mais non. Il faut comprendre que ces années sont celles de la spontanéité, parfois la plus stupide, c’est vrai. Ils ne choisissaient donc rien du tout. C’était comme ça, des éclats spontanés. En ce qui concerne les fois où on amenait du « matériel » (cagoules, etc.), c’était peut-être davantage organisé, pensé, mais je n’en sais rien.

« Ne croyez-vous pas que votre souvenir tend à reconstruire un bloc de contestation là où il y avait du va-et-vient ? » : c’est très possible, oui, c’est très possible, mais je vous rappelle que je ne fais que vous répondre. En ce qui me concerne, je n’aurais pas traité ce sujet, comme je l’explique dans une note à paraître demain.

« Vous ne pourriez pas avec Jacques mettre en place une cartographie de la contestation journalistique de Ferré » : je ne peux pas répondre à toutes les demandes de documentation, à tout le travail qu’on me demande partout, surtout si ce n’est pas moi qui choisis le sujet (voir ma note à paraître demain).

« Mettez-vous d’accord messieurs ! » : je répète que cela a duré jusqu’en 1979, même si le plus dur a été de 1971 à 1973. Je répète : jusqu’en 1979, à ma connaissance. Je répète : jusqu’en 1979. Je répète : jusqu’en…

« C’est ce qui déclenche l’ire des trotskystes ou ces derniers l’ont devancé et Hallier joue sur du velours ? Quoi qu’il en soit, si je vous ai bien compris, les premiers à lancer le mouvement de contestation sont les trotskystes. Ils adoptent dans un premier temps une méthode douce : payer leur place et quitter la salle quand passe Les anarchistes. Comment s’opère le durcissement ? Hallier ? L’exemple donné par des situs ou des maos ? » : voulez-vous accepter de comprendre, je vous prie, que rien ne se passe alors selon des schémas formatés, ni même dans une chronologie, en tout cas une chronologie perceptible. Il y a diverses « éruptions » simultanées, ici et là. C’est comme l’histoire du premier homme, ça. Il n’y a jamais eu de premier homme, mais l’apparition de la vie en plusieurs endroits.

« Le micro coupé, les tire-fonds, les crachats, les boulons, c’est plutôt LCR, situ ou mao ? Qui était le suiveur de qui ? » : vous me faites rire. Les boulons signés, les crachats étiquetés ! Mais on n’en sait rien, Owl, rien du tout.

« la question à laquelle Jacques ne veut décidemment pas répondre : quelle image la jeunesse se faisait globalement de Ferré ? » : là, vous êtes désagréable comme ça vous arrive parfois et je le regrette. Ça fait trois jours que je vous réponds. Ne dites pas des bêtises pareilles. Je vous dis que je n’en sais rien. Si je vous parle d’admiration plus ou moins consciente de la part d’une vingtaine de copains, cela ne signifiera rigoureusement rien par rapport à la jeunesse en général.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 28 juin 2007

oui,je pense comme Jacques:ces agressions ne sont pas signées,je ne pense pas que les militants organisés de la LCR,de la Gauche prolet ou les situs organisaient ce genre d'expéditions punitives...ils avaient un code moral et politique ,quitter la salle est une manifestation de désaccord,concertée mais non "violente"....Plutôt penser à des "incontrolés",comme on dit maintenant,et puis comment savoir trente cinq ans après?
the owl, qu'appelez-vous la jeunesse?la majorité du public de Ferré à l'époque avait ,au pif, entre 18 et 50 berges....on ne faisait pas de décompte sociologique à l'entrée!
Je ne pense pas que Ferré était un "faiseur",sinon je ne serai pas ici en ce moment:il a toujours été sincère,des sincérités successives ,parfois contradictoires,en apparence seulement...

Quand il dit" Te marie pas","ne vote pas",il le pense vraiment?sans doute,n'oublions pas que "il n'y a plus rien" a été écrit pour un film qui ne s'est pas fait,qu'il faut recontextualiser,et à la limite,quand on relit bien le texte ,le locuteur s'adresse à son fils...et non au spectateur lambda

Parmi ceux qui ont accroché des casseroles à Ferré,il y eut aussi l'imitateur Jacques Bodoin, vers 61 ou 62,qui avait mis à son tour de chant une (mauvaise ) imitation de Ferré entrecoupée de phrases du "type" "vous saviez que léo ferré était anarchiste?oui?faut dire qu'il a tout fait pourque ça se sache""ferré c'est la révolte de l'étalon sans talent" etc... avec un public de beaufs, là oui,tout acquis à ce genre de Vannes

je préfère l'humour de catherine sauvage,qui ,après les "rupins",très applaudis, lança "y'a que fauchés dans la salle?
face à la bonne bourgeoisie de Lille...
Je ne dis plus rien sur ce sujet..

Écrit par : francis delval | jeudi, 28 juin 2007

Ah si, ah si, continuez, continuez. Jacques Miquel et vous, vous êtes plus âgés que moi et vous avez découvert Léo Ferré avant moi. Moi aussi, je veux apprendre.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 28 juin 2007

Réponse à the Owl:

« Payer, c’est enrichir Ferré. Donc, ils le prennent pour un traître alors qu’ils espéraient un copain. »

Intéressant, ce rapport copain-copain.
Cela remet sur le tapis la question à laquelle Jacques ne veut décidément pas répondre : quelle image la jeunesse se faisait globalement de Ferré ?

Je crois qu’il y a deux sortes d’admirateurs de Ferré. Ceux qui écoutent ses chansons et qui apprécient ses textes et puis ceux qui sont des inconditionnels du personnage. Je ne veux pas dire par là qu’ils n’entendent rien à la poésie de Léo, je veux dire qu’ils sont devenus des « fans » inconditionnels, avec tout ce que cela implique d’œillères et de parti-pris. J’en ai connu un ou deux comme cela, qui après le spectacle s’arrangeaient pour aller boire un verre dans le café où Léo venait se restaurer d’un sandwich. Ils n’osaient pas l’aborder, mais après le départ de l’artiste, ils allaient ramasser le bouchon de sa canette de bière ainsi que le carton sur lequel la bouteille avait été déposée. C’est une attitude tout simplement ridicule et que je ne comprends pas. Ferré aurait pu faire n’importe quoi qu’ils auraient approuvé par principe. Un assistant à l’université qui approchait de la cinquantaine (et qui était tout de même docteur ès lettres) m’avait avoué que pour lui Ferré pouvait tout faire parce que c’était Ferré. « Même violé ma fille » avait-il ajouté, ce qui m’avait laissé fort perplexe sur son rôle de père. Il est vrai qu’il avait un problème d’alcool et qu’il était passablement éméché lors de notre conversation.

Ps : ces faits se situent dans les années 80.

« En politique, Ferré est certainement plus contestataire qu’eux, mais cela ils ne le comprennent pas. Du coup ils réagissent contre celui qui tient un discours séduisant mais qui ne passe pas aux actes (du moins aux actes qu’eux-mêmes considèrent comme important). »

Oui, mais quels actes ?

Ferré, d’une manière absolue, parle de l’opposition politique. C’est chez lui une attitude de principe. Il est contre le pouvoir et en général contre tout pouvoir. Ces jeunes, au contraire, (et à mon humble avis), sont sans doute plus portés par la violence. Ce qu’ils entendent d’abord dans les textes de Léo, c’est cet appel à la liberté et une sorte d’incitation à agir (ou à ne pas agir : « ne te marie pas »). Ils voudraient sans doute que Ferré sorte avec eux dans la rue et aille casser quelques vitrines. Comme il ne le fait pas et qu’au contraire ils le trouvent finalement bien bourgeois avec son château dans le Lot, ils retournent contre lui la violence non exprimée (violence qu’il a par ailleurs susciter en eux sans doute à son insu).

C’est probablement une question d’âge ou de caractère. Par exemple je peux dire ici que je n’apprécie pas Sarkozy, ce n’est pas pour cela que je vais mettre le feu à une poubelle devant l’Elysée.

Écrit par : Feuilly | vendredi, 29 juin 2007

violence qu'il a suscitée (oups!)

Écrit par : Feuilly | vendredi, 29 juin 2007

"quelle image la jeunesse se faisait de Ferré,Jacques ne veut pas répondre"...Mais comment répondre à une telle question?Ce n'est guère posssible:même sociologiquement,la "jeunesse" n'existe pas!ce n'est pas un concept utilisable.En 68,j'avais 24 ans,j'enseignais déjà la philo au lycée,je me considérais comme un adulte,la "jeunesse" était terminée,question de génération...Des sociologues comme Baudelot prolongent maintenant l'adolescence jusqu'à 28 ou 30 ans.
Faire une analyse rétrospective, en tenant compte de toutes les variables,ça n'est guère faisable,pas plus que la demande de faire "une cartographie de la contestation journalistique":c'est une demande exorbitante:vous rendez vous compte du travail de recherche dans les archives qui serait nécéssaire,et, la plupart des titres de l'époque ayant disparu,et ne vous diraient rien,d'autant plus qu'il faudrait comparer avec le traitement des autres artistes par ces mêmes journaux.Nous ne sommes pas des machines,et je ne me considère pas comme un "spécialiste" de Ferré,juste un amateur qui en mémoire certaines choses,avec le risque de l'erreur ou de la défaillance.....
Faites des demandes raisonnables ou mettez-vous vous-même au travail,
à la prochaine,cher hibou...

Écrit par : francis delval | vendredi, 29 juin 2007

C'est juste. A ce moment-là, et même plus tard encore, on considérait généralement qu'"adolescent", ça allait de la puberté à l'âge de dix-sept ans et que "jeune", cela signifiait entre dix-sept et vingt-trois ans, au grand maximum. Allez dire aujourd'hui à quelqu'un de vingt-six ans, par exemple, qu'il n'est plus jeune.

Et encore, j'introduis là le mot "adolescent", "statut" qu'on avait reconnu, alors que nos parents à nous l'ignoraient totalement. On passait alors de l'état d'enfant à l'âge adulte, sans la moindre transition.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 29 juin 2007

C'est à chacun à s'y retrouver dans son histoire particulière ; la généralisation n'existe pas et je dirais même qu'elle est un leurre dangereux. Si on peut avoir un système de références, c'est de manière individuelle que le rapprochement se fait : voilà la seule généralisation possible.
La bonne volonté de ceux qui mettent leur savoir à la disposition d'autrui, non seulement est un échange - donc une demande autant qu'un don - mais elle est un pas paisible vers l'autre, le seul qui puisse encore réconcilier l'homme (artiste ou non) avec lui-même.

Merci de considérer cet aparté vis-à-vis du sujet de ce blog comme un élastique autour de vos crayons.

Écrit par : Martine Layani | vendredi, 29 juin 2007

je ne peux que souscrire à ce que vous dites:jusque les années 6O,il y avait des "rites de passages" ,le certificat d'études,le bac pour les plus chanceux,le "conseil de révision"...le temps d'adolescence était très court,inexistant pour ceux qui entraient à l'usine à 14 ans...c'est une notion très récente,des années 50-60,et souvent une illusion rétrospective de romancier..!
La "jeunesse"est un concept flou,qu'il faut bien redéfinir à chaque époque pour ne pas en mésuser,et aussi en fonction de chaque culture...Regardez des photos de classe du milieu des années 60,de terminale par exemple,(Julien Gracq et sa classe dans le dernier mag littéraire):Comme les élèves ont l'air vieux!
Ceux que Barthes appelait "les petits messieurs"

Écrit par : francis delval | vendredi, 29 juin 2007

Allez, voilà ce que j'ai trouvé dans mes archives, qui pourra complaire à The Owl, j'espère.

1971 (courant) : conspué à Royan ; reçoit une bouteille à Bordeaux ; des boulons à Lille ; fil du micro coupé par des personnes portant des cagoules à Poitiers ; reçoit des tomates à la sortie de son hôtel (le Pavillon Sévigné) à Vichy ; contesté à la Mutualité au cours des spectacles (avec Zoo) donnés entre le 22 et le 25 novembre, et entre le 13 et le 18 décembre.

1972 : crachats, insultes, invectives au palais des Congrès de Marseille, le 9 mars (voir la note Trois amis et les pops).

1973 : incidents au palais des Sports de Toulouse (tournée avec Charlebois) en février et à Aix-en-Provence au cinéma Rex (avec Charlebois).

1974 : coups dans la rue et vitres de la voiture brisées à Nice le 18 janvier.

1979 : incidents à la Halle-aux-Grains de Toulouse le 29 mai. Selon les sources, six blessés dont un policier ou quinze blessés dont dix policiers. Vitrines brisées, dont celle d'un marchand de chaussures qui lui en réclamera le remboursement : on connaît la réponse de Léo Ferré (in Lacout).

Voilà, c'est tout ce que j'ai. C'est évidemment incomplet.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 29 juin 2007

je ne vois rien à ajouter à votre liste...Comme j'ai déjà dit,après les incidents de Lille,je n'ai assisté qu'à des concerts sans pbs,que ce soit à Roubaix en 73 avec Charlebois ou à Douai en 74..Une curiosité:à part Lille et la mutu,tout se passe au sud de la Loire,essentiellement dans le midi,le hasard probablement.

Écrit par : francis delval | samedi, 30 juin 2007

Oui, c'est certainement un hasard, d'autant que la liste est évidemment incomplète.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 30 juin 2007

pour clôre ces débats de mon côté,je conseille à The Owl de lire l'excellent article de Bourdieu paru en 80 dans "Questions de sociologie"(Ed Minuit):" La "jeunesse" n'est qu'un mot",où il montre clairement que ce n'est jamais que le nom d'un rapport de force,à un moment donné,variant selon les époques et les groupes sociaux,que c'est un faux concept,non opératoire...Ce qui devrait évacuer sa question:la jeunesse n'existe pas!

Écrit par : francis delval | samedi, 30 juin 2007

Réponse à The owl.
Automne 1969. Le Centre Culturel de la Ville de Toulouse organise gratuitement un récital de Léo Ferré exclusivement réservé à ses adhérents. Le tour de chant doit se dérouler au cinéma Le Royal, situé dans l’artère principale de la ville. Dès 8 heures du soir il y a foule devant la salle dont les portes sont encore closes une demi-heure plus tard. Les esprits s’échauffent puis certains passent aux actes en commençant à endommager les grilles… L’apparition de la force publique suffit à calmer les plus excités, d’autant qu’au même moment les portes du ciné s’ouvrent. Léo Ferré n’est évidemment en rien responsable de cet incident de rue qui contribue à mettre de l’électricité dans l’air. Quant à la salle de concert, il y a vraiment beaucoup de monde, sans doute plus qu’elle ne peut en contenir.
Léo Ferré paraît bientôt sur scène. Son look a évolué. Le velours noir fait place à des jean’s peau de pêche bleu et à un tee-shirt rouge. De plus il a aussi renoncé à se teindre les cheveux. Bien que grisonnant il offre une image plus jeune, plus proche du public.
Très rapidement on se rend compte que les intro-improvisations de Paul Castanier le titillent passablement jusqu’à ce qu’il le reprenne un peu sèchement sur « La The Nana » que le pianiste place trop haut. De plus on le sent franchement agacé par la présence sur scène d’une vingtaine de spectateurs, assis à même le sol, à qui finalement il demande de descendre [1]. Quelques uns s’exécutent en manifestant leur déception mais d’autres n’ayant pas bougé Léo Ferré insiste en s’énervant : « La scène c’est pas un foutoir… c’est la solitude… ». Une partie du public commence à protester, puis à siffler copieusement quand un "videur" venu des coulisses persuade fermement les derniers récalcitrants à regagner la salle. Dès lors le récital prend une tournure houleuse. Sur les textes à dominante sentimentale, une partie du public entonne des chansons à boire, lorsque le répertoire est plus engagé les mêmes ricanent grassement… Des insultes fusent, quelqu’un lance « Remboursez ! » ce à quoi Léo Ferré réplique « T’as pas payé cher ! » ce qui soulève une rumeur de désapprobation scandalisée. Léo Ferré poursuit cependant son tour de chant devant un public partagé, jusqu’à l’interprétation du poème « Le chien », alors inédit sur disque. On a le sentiment d’une quasi-improvisation pour la circonstance et lorsqu’il lance « … On peut me rire au nez… ça dépend de quel rire… Yes I’ am un immense provocateur…» on croit vraiment qu’il parle de ce qui est en train de se passer ce soir-là. Presque tout le public a basculé de son côté si l’on en croit les applaudissements….

[1]. La photo au recto de la pochette de l’album « Ferré 73 Seul en scène » montre que quelques années plus tard l’artiste a finalement accepté que des spectateurs s’assoient par terre sur la scène.

Écrit par : Jacques Miquel | samedi, 30 juin 2007

Témoignage très intéressant Jacques Micquel (comment vous différencier d'avec Jacques Ier ? Vous avez peut-être un surnom ?). Très fine observation, votre mémoire est d’enfer !
Le videur c’était Frot ?

Nous avons là l’exemple d’une contestation spontanée, que Ferré déclenche lui-même, par psycho-rigidité.
Par ailleurs, nous avons aussi l’exemple d’une réactivité de la contestation au contenu des chansons. Cela n’invalide pas forcément ce que disait Jacques Layani sur le fait que certains perturbateurs n’écoutaient rien, mais cela le nuance fortement.

Autre point passionnant : Castanier part spontanément dans le free à partir de la fin 69 (puisque le récital Bobino 69, datant de février, reste musicalement assez straight).
Vous confirmez là ce qu’avance Calvet quand il convoque son souvenir des 3 et 4 août 72, lors de la tournée avec Glenmor, où il constate que le rapport entre Castanier et les autres est imperceptiblement modifié.
Jusqu’ici, il était admis de considérer que c’est en 73 au Canada que le clash avait eu lieu entre Ferré et Castanier.
Or Ferré reprend Castanier dès 69. Le vers est déjà dans le fruit.
Qu’en déduire ?

Que Castanier passe outre et continue à être de plus en plus free?



***

Merci Jacques pour la chronologie.
Pour 71, les incidents sont advenus dans cet ordre là ?

Les boulons de Lille ne serait-ce pas en fait les fameux tire-fonds ?
Ferré raconte dans le Nouvel Obs en 1980 que c’est avant ce récital qu’il prend connaissance du papier d’Hallier. On peut donc le situer grosso modo. Lille 71, c’était en quel mois ?

Calvet mentionne des incidents à Caen, en avril 71 : les perturbateurs sont des anars.

Sur les perturbations fin 71, il semble que ce soit la première partie des ZOO qui est contestée, le calme revient quand Ferré arrive. Du moins, c’est ce que laisse entendre Belleret. Est-ce une constante ? La mauvaise musique des ZOO a-t-elle contribué à rendre Ferré moins intouchable ?
En tous cas, il apparaît que les ZOO irritent (rendant indirectement Ferré "responsable") là où Charlebois rend involontairement le public moins réceptif à Ferré.

Jacques, vous parlez du 9 Mars 72 pour Marseille, Belleret parle de février. Et de citer l’édition du 13 février 1972 du Provençal… Je suppose que Ferré est donc venu plusieurs fois ?
En 72, Belleret cite encore :
- 15 février, Bordeaux : les perturbateurs sont 50. (avec les ZOO)
- 18 février, Dole : violente prise à parti, une des rares fois où Ferré interrompt son tour de chant. (avec les ZOO)
- 14 mars, Lyon, bourse du travail : brouillage par des soit-disant anars (Ferré solo)

En 73, Belleret parle encore de problèmes à Besançon et Lyon, mais je ne sais pas s’il s’agit de la tournée avec Charlebois.
Calvet semble faire une distinction entre une période Idiot International de la contestation (71-72) et cette tournée, où les débordements semblent découler d’une première partie trop rock’n’roll (Ferré fait subir involontairement une rechute au public, qui doit passer brutalement d’un état émotionnel à l’autre. L’arrachement à l’émotion de la première partie peut être vécue comme une violence et irriter le public dont les attentes sont déçues ?)
Il semble qu’à Toulouse en tous cas, c’est plus Charlebois qui se fait molester que Ferré lui-même.

Calvet parle encore du 30 mai 73, à Colombes : des bouteilles de bière sont lancées sur scène.

En 74, vous oubliez vous-même Aix-en-Provence, dont vous avez pourtant fait une note. Mais vous n’en indiquez pas la date précise d’ailleurs…
Belleret indique aussi des insultes le 22 mars, à Montréal, Place des Arts.

Où replacer Le petit rapporteur dans cette chronologie ?
Où placer les départs de salle de la LCR ? Quelqu’un y a assisté ?
(autrement dit : jusqu’à quand ferré chante-t-ils Les anarchistes ? En 72, elle ne fait plus partie de son tour de chant).

Enfin, j’étais très intrigué par un truc dans la bio de Belleret : en 68, à la sortir Don Camillo, Frot doit faire le coup de poing avec des individus en embuscade, prêt à tabasser Ferré.
Quelqu’un en sait plus long sur cette histoire ?
C’est après ça qu’il embauche un garde du corps. Est-ce totalement déconnecté des embrouilles futures avec les djeuns ?
En tout cas, on peut comprendre ce qui motive son « un jour un malade me descendra sur scène » de 70…


En outre et par ailleurs, Belleret cite le tourneur Pierre Gairret :
« sur le plan purement commercial, Ferré n’intéressait alors pas grand monde. Il n’assurait que quelques galas par an. Et si Mai 68 l’a remis en selle, cela restait tangeant. Le phénomène a pris de l’ampleur en 1971, mais il ne fallait guère sortir des grandes villes étudiantes, Lille, Nancy, strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux… »

C’est un facteur tout bête mais plus il y a de public plus il y a de probabilité que la minorité soit présente (ou nombreuse). C’est statistique.
Cela repose aussi la grande question de façon différente : puisque les incidents débutent avec l’élargissement du public et pas avant (pour peu qu’on valide le propos de Gairret), peut-on dire des perturbateurs qu’ils sont des anciens idolâtres 69-70 (c’est la thèse défendue par Feuilly, et implicitement par Belleret et certains d’entre vous) qui retournent leur veste, ou sont-ils de pur nuisibles, venus directement à Ferré dans le seul but de se trouver un bouc émissaire ?
Dès lors, y a même pas de désamour pour l’artiste, juste de l’indifférence. On vient casser du symbole pour vivre sa jeunesse.
C’est bête, mais est-ce beauf ?
(attention les jugements de valeurs Zombie Glups !)

N’y voyez pas de mépris, mais le fait est que je vous trouve tous assez monolithiques et expéditifs dans votre approche du phénomène.
Il y a pourtant des choses à en dire il me semble.


« Le micro coupé, les tire-fonds, les crachats, les boulons, c’est plutôt LCR, situ ou mao ? Qui était le suiveur de qui ? » : vous me faites rire. Les boulons signés, les crachats étiquetés ! Mais on n’en sait rien, Owl, rien du tout. »

Est-il absolument stupide de penser que chaque groupe pouvait s’identifier à des codes vestimentaires spécifiques ?
Il ne faut pas mettre dans le même sac ceux qui agressent Ferré directement dans la rue, ceux qui s’exhibent dans l’espace public de la salle, et ceux qui au contraire profitent de l’anonymat de la salle.
Cela ne traduit pas le même rapport à l’autre. Les mecs qui insultent Ferré et lui crachent dessus ne sont pas les mêmes que ceux qui restent cachés dans l’ombre et lui jettent des tire-fonds sur scène, non plus que ceux qui sans tapage vont d’homme à homme foutre leur poing sur la gueule de l’anar parce qu’il ne veut pas leur donner de la thune.

Alors qu’ils soient anars ou mao ou quoi, ce n’est pas le plus important. Ce qui importe c’est que ces comportements témoignent de rapports contestataires divers, dont on peut supposer que les causes soient de même différentes.

A vous écoutez c’est juste le « cirque 70’s ». Circulez, y a rien à voir !
Et c’est comme ça que vous pensez faire rendre gorge au réel ?

L’idéologie n’est-elle pas un prétexte ?

Je veux dire que si les perturbateurs sont aveuglés, ils croient dur comme fer à leur truc, ok. Des moutons. Il y en a eu, évidemment. Mais est-ce tout ?
Si les perturbateurs ne sont pas (complètement) aveuglés, leur rapport à Ferré est plus complexe.
Ils sont soit de purs idéologues (cf. ce que je dis dans mon précédent commentaire), soit ils se « vengent » de quelque chose. Ils sont dans la mauvaise foi, l’idéologie est un prétexte pour autre chose…
Alors quoi ?

Est-ce que ces jeunes ne peuvent pas souffrir la différence de génération ? Personne n’a répondu sur l’âge de Ferré…

Est-ce qu’ils ne peuvent pas souffrir de se faire violer par le prêche normatif, cette forme de terrorisme intellectuel que l’artiste assume pleinement et recherche même (cf. tout les propos de Ferré sur le viol intellectuel – Ferré n’est PAS innocent, il se fantasme en boutefeu hugolien d’une armée insurrectionnelle en faisant irresponsablement fi de cette vérité selon laquelle les « chefs » ne sont légitimes que s’ils mettent eux-mêmes les mains dans le camboui), cette tyrannie du lyrisme permanent dont parle un journaliste (ce qui veut dire : ne jamais débrayer d’un premier degré « dans ta face » - après Le conditionnel de variétés, plus aucune ironie dans la prise de parole… si, à la rigueur Quand je fumerai autre chose que des Celtiques), terrorisme que l’on peut légitimement trouver insupportable, et qui aujourd’hui encore, à froid, éloigne de Ferré bon nombre de gens de qualité, est-ce pour cela que ces jeunes se hérissent et prennent inconsciemment le prétexte de l’idéologie pour « se venger » de ce qu’ils RESSENTENT intérieurement comme la domination symbolique de Ferré (parler d’une chaire, dire ce qui est bien, le faire avec une violence que le public par sa position de public ne peut que subir, etc.) ?

Tout cela a à voir avec l’autorité et le besoin d’autonomisation de la jeunesse par rapport à ses aînés.
Dire que les perturbateurs sont systématiquement des beaufs ou des aveuglés c’est faire fi d’une révolte plus profonde, non idéologique mais psychologique (quel rapport de soi aux figures de l’autorité ?).
Il y a des adolescents qui fuguent et d’autres pas. Les premiers sont-ils plus beauf ?
L’idéologie ambiante des 70’s ne fait que fournir un outillage à l’expression d’un mal-être intime, d’une recherche identitaire exacerbée.
Feuilly dit que les jeunes sont portés par la violence. Mais quelle violence ? Une violence de voyou ? Les perturbateurs seraient donc l’équivalent de nos racailles ?

« the owl, qu'appelez-vous la jeunesse?la majorité du public de Ferré à l'époque avait ,au pif, entre 18 et 50 berges....on ne faisait pas de décompte sociologique à l'entrée! »

Il semble bien que les villes où il y a des incidents répétés sont les principales villes étudiantes. Donc on peut définir la jeunesse grossièrement : jeune oisif non inséré professionnellement. En tous cas, je suppose que c’est cette jeunesse là qui fournit le gros des perturbateurs, et non pas les jeunes travailleurs.
Me trompé-je ?

« "quelle image la jeunesse se faisait de Ferré,Jacques ne veut pas répondre"...Mais comment répondre à une telle question?Ce n'est guère posssible:même sociologiquement,la "jeunesse" n'existe pas!ce n'est pas un concept utilisable.En 68,j'avais 24 ans,j'enseignais déjà la philo au lycée,je me considérais comme un adulte,la "jeunesse" était terminée,question de génération...Des sociologues comme Baudelot prolongent maintenant l'adolescence jusqu'à 28 ou 30 ans. »

L’adolescence psychologique est une chose, la jeunesse en temps que catégorie sociologique en est une autre. La jeunesse est un groupe qui émerge justement dans les 60’s, avec ses pratiques identitaires propres. Donc c’est un concept utilisable, ne vous en déplaise (même si imparfait car pas précis tel quel). Je vais tâcher de me procurer le Bourdieu Francis.

« Ce qu’ils entendent d’abord dans les textes de Léo, c’est cet appel à la liberté et une sorte d’incitation à agir (ou à ne pas agir : « ne te marie pas »)."

Pouvez-vous Feuilly détailler s’il vous plaît, exemples textuels à l’appui (c’est toujours intéressant) ?

Écrit par : The Owl | samedi, 30 juin 2007

"la jeunesse est un groupe qui émerge avec des pratiques identitaires propres",mais c'est justement ce genre d'illusion, de "sociologie spontanée",que Bourdieu démonte dans l'article que j'ai donné en référence...il faudrait a minima mettre jeunesse au pluriel ,et avec des guillemets!Bourdieu est très incisif sur ce point,et son article tjs d'actualité
Pour Lille,ce que j'ai appelé "boulons" était bien des tire-fonds,ça ne change pas grand'chose au danger auquel ferré et popaul étaient confrontés.Tout a bien fini,c'est l'essentiel...

Écrit par : francis delval | samedi, 30 juin 2007

Pour The Owl - suite Toulouse, automne 1969.
Pour ce qui est de savoir si Maurice Frot était le "videur" ce soir-là, on peut bien sûr le penser rétrospectivement. Mais à ce moment-là, malgré le texte de l'album Ferré 64, je ne situais pas réellement le personnage et je ne peux en dire plus.
Par ailleurs je vais proposer un surnom me concernant à Jacques Layani pour faciliter les réponses.

Écrit par : Jacques Miquel | samedi, 30 juin 2007

A partir de 68/69, Ferré constitue pour une partie de ces jeunes (et de moins jeunes), liés de manière différente au mouvement libertaire une référence. Ils se reconnaissent dans les textes de Léo. Le contenu politique et poétique fait écho à leur mode de penser, à leurs désirs, à leurs rêves. La sincérité de Ferré n'est à aucun moment mise en cause. Léo fait partie de leur univers au même titre que de'autres écrivains, d'autres poètes : Bakounine, Péret, Malatesta, Freud, Guérin, Nataf,...
Léo les accompagne, tout simplement et pour certains d'entre eux, 40 ans après, il est toujours avec eux et c'est très bien ainsi, tout simplement.
Fraternellement à vous,

Écrit par : lmv | dimanche, 01 juillet 2007

Owl, je viens de vérifier chez Belleret. Je suis au regret de dire qu'il se trompe. Il a dû utiliser une coupure de presse mal référencée. J'ai vu Léo Ferré avec Zoo au palais des Congrès de Marseille, à l'intérieur du parc Chanot, le 9 mars 1972. Comme je l'ai raconté dans la note Trois amis et les pops, nous avons, avec deux camarades, aidé l'équipe technique des Zoo à installer le matériel sur scène. Cela ne s'oublie pas. C'est ce soir-là que se sont produits les incidents en question. J'ai la presse correspondante et dûment datée dans mes dossiers. Léo Ferré n'est évidemment pas venu à Marseille en février puis en mars. J'ajoute qu'alors, je ne ratais pas un seul de ses passages dans la ville : je dis bien pas un seul.

Les tire-fond, ce sont bien des boulons. On les nomme tire-fond à partir d'une certaine taille, en général. Ferré disait que ceux qu'il avait reçus étaient ceux qui servaient à fixer les traverses des rails.

J'apprends donc, grâce à Jacques Miquel, que des problèmes ont eu lieu dès la fin de l'année 1969 et que c'est aussi à ce moment-là que Popaul a commencé, même peu, de prendre des libertés avec la partition. Pour moi, c'est une découverte, vraiment.

Un surnom ? Pourquoi faire ? Faites comme vous voulez, bien sûr, mais le nom suffit à distinguer les prénoms communs, il me semble.

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 01 juillet 2007

"JUVENTUD, DIVINO TESORO"
Une phrase me revient en mémoire, celle qui figurait en exergue, en 68, sous le titre du journal "TOUT", organe du mouvement "VLR" (Vive La Révolution) : "On n'est pas contre les vieux, on est contre ce qui les a fait vieillir".
Il y a là comme un début de réponse.

Écrit par : lmv | dimanche, 01 juillet 2007

Oh, pas mal, pas mal ! C'est bien, d'avoir pensé à ça.

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 01 juillet 2007

J'apporte un rectificatif à ce que j'ai écrit : VLR voit le jour en1969 (Roland CASTRO, était l'un des fondateurs de ce mouvement mao-spontex) et "TOUT" ne paraît qu'après, peu après. Je ne connais pas la date exacte.

Écrit par : lmv | dimanche, 01 juillet 2007

Quoi qu'il en soit, le slogan vaut la peine.

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 01 juillet 2007

Alors ça y est, c'est fini ?
Tout le monde se retire de la discussion ?

lmv, peut-être pourriez-vous un peu développer autour du slogan que vous avez porté à notre connaissance ?

Écrit par : The Owl | dimanche, 01 juillet 2007

Plutôt que de développer moi-même, permettez-moi, The Owl, de citer Guy DEBORD :

A l’excellente formule qu’un groupe de jeunes révolutionnaires a énoncée depuis lors – « Nous ne sommes pas contre les vieux, mais contre ce qui les a fait vieillir » -, les résignés pourraient répondre sincèrement, s’ils l’osaient : « Nous ne sommes pas contre les jeunes mais contre ce qui les fait vivre. » On peut lire déjà, évident comme un pavé ou une charge de C.R.S., le climat de la guerre civile.

La violence a toujours existé dans la société de classes, mais l’actuelle génération révolutionnaire a seulement commencé à refaire voir, dans les entreprises et dans les rues, que la violence peut exister des deux côtés : d’où le scandale et les inquiétudes télévisées du gouvernement. Le prolétariat et la jeunesse savent maintenant qu’ils font peur. Parce qu’ils font peur, on les pourchasse.

Il y a bien cent ans que la jeunesse n’a pas été si résolue à détruire le vieux monde, et jamais dans l’histoire elle n’a été si intelligente. (La poésie qui est dans l’I.S. peut être lue maintenant par une jeune fille de quatorze ans ; sur ce point le souhait de Lautréamont est comblé). Mais finalement ce n’est pas la jeunesse, en tant qu’état passager, qui menace l’ordre social : c’est la critique révolutionnaire moderne, en actes et en théorie, dont l’expansion rapide se manifeste partout à dater d’un moment historique que nous venons de vivre. Elle commence dans la jeunesse d’un moment, mais elle ne vieillira pas. Le phénomène qui s’amplifie chaque année, n’a rien de cyclique : il est cumulatif. C’est l’histoire qui est aux portes de la société de classes, c’est sa mort. Ceux qui répriment la jeunesse se défendent en réalité contre la révolution prolétarienne et cet amalgame les condamne. La panique fondamentale des propriétaires de la société en face de la jeunesse est fondée sur un froid calcul, tout simple mais qu’on voudrait garder caché derrière l’étalage de tant d’analyses stupides et d’exhortations pompeuses : d’ici douze à quinze ans seulement, les jeunes seront adultes, les adultes seront vieux, les vieux seront morts. On conçoit aisément que les responsables de la classe au pouvoir ont absolument besoin de renverser en peu d’années, la baisse tendancielle de leur taux de contrôle sur la société. Et ils commencent à penser qu’ils ne la renverseront pas.

Guy Debord – « Sur l’incendie de Saint-Laurent-du-Pont » (1971)

Écrit par : lmv | lundi, 02 juillet 2007

Vous allez me rendre nostalgique... Mais je prends toujours garde à ne pas sombrer. C'est difficile.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 02 juillet 2007

"Il y a bien cent ans que la jeunesse n’a pas été si résolue à détruire le vieux monde, et jamais dans l’histoire elle n’a été si intelligente."

Comme tu y vas Guy ! L'éducation n'est pas l'intelligence.
For your pleasure :

"Vous étiez de cette intelligence sûre
Et qui se connaît bien
Et qui drague la nuit les grands auteurs
Pour être sûre d'être orthodoxe
[...]
Avec ces fautes de parler et de syntaxe qui me sont devenues insupportables
Et puis cette culture qui débordait de vos calepins"

Ah ah ah !


"Mais finalement ce n’est pas la jeunesse, en tant qu’état passager, qui menace l’ordre social : c’est la critique révolutionnaire moderne, en actes et en théorie, dont l’expansion rapide se manifeste partout à dater d’un moment historique que nous venons de vivre."

La rationnalité de notre civilisation n'est qu'un vernis et la stratégie revolutionnaire un leurre.
68 ne différe pas des séditions des hommes de jadis.
Réflexe collectif face à un état d'inquiétude inscrit dans un temps donné pour un groupe donné.
Qu'ont fait les nouvelles générations de l'idéal révolutionnaire ? Rien.


Alors quoi ? Ferré est perçu comme un propriétaire de la société ?
Finalement, il n'y a que des bourgeois et des non-bourgeois quoi. Des gentils et des méchants.

Mais "jamais dans l’histoire elle n’a été si intelligente", nous dit-on. Ah ah ah !

Personne n'a rien à ajouter sur la relation Ferré-Castanier ?
Sur l'hypothèse perturbateurs = public périphérique de Ferré ?
Sur la domination symbolique de Ferré comme ressenti personnel et réalité collective ?

C'est mou, messieurs !

Écrit par : The Owl | lundi, 02 juillet 2007

Comme tu y vas The Owl ! C'est peut-être mou mais moi j'préfère çà à la masturbation intellectuelle...

Écrit par : lmv | lundi, 02 juillet 2007

The Owl, une fois de plus, votre ton est agaçant alors que ce que vous dites est toujours intéressant. Soyez plus amical, vous aurez davantage d'écho. En tout cas, c'est comme ça que je fonctionne.

En ce qui me concerne, je vous ai répondu. Tous les autres aussi, sauf Gluglups qui, sans doute, ne le désire pas ou n'en a pas le loisir. Respectons son silence.

Sur votre dernier commentaire :

La citation que vous faites, "Vous étiez de cette intelligence sûre..." se rapporte à une personne précise et vous le savez bien. Pour critiquer Debord, elle est hors de propos.

"68 ne différe pas des séditions des hommes de jadis" : si, justement. Pour la première fois peut-être, dans l'histoire récente en tout cas, une insurrection n'avait pas pour but une amélioration de la condition matérielle des insurgés. C'est pour cela qu'aux accords de Grenelle, le gouvernement, les partis et les syndicats se sont empressés de tout ramener à la satisfaction de revendications sociales et salariales. Cela remettait 1968 dans des normes connues, quantifiables, maîtrisables. Et la "révolution" s'est arrêtée là, cette révolution que Popaul avait qualifiée de "révolte collective de l'intelligence". Car "l'imagination au pouvoir", c'était fondamentalement nouveau.

"Qu'ont fait les nouvelles générations de l'idéal révolutionnaire ? Rien" : eh, tiens, c'est bien le problème, voyez-vous...

"Finalement, il n'y a que des bourgeois et des non-bourgeois quoi. Des gentils et des méchants" : oui, c'est vrai que c'était ça, il faut le reconnaître, mais vous ne pouvez pas dire hier avec les critères d'aujourd'hui. Vous êtes en permanence dans l'anachronisme.

"Personne n'a rien à ajouter sur la relation Ferré-Castanier ?" : eh bien non, j'ai dit que c'était, pour moi, une découverte d'apprendre que les premiers problèmes se situaient fin 1969. J'espère en connaître un jour davantage sur ce point. Quand je dis que Miquel et Delval ont des choses à m'apprendre...

"C'est mou, messieurs !" : franchement, laissez tomber ce ton-là, il n'apporte rien et ennuie tout le monde.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 02 juillet 2007

Je ne vous réponds pas maintenant faute de temps, mais sachez que mes petites piques ne sont pas inamicales.
Internet est aussi un espace de jeu (de masques).

Allez, je vais m'astiquer le cerveau sur un tout autre sujet.

A bientôt les copains !

Écrit par : The Owl | lundi, 02 juillet 2007

C'est ça, allez faire vos châteaux de sable ailleurs et changez vos ailes de pacotille pour de vraies ailes

Écrit par : Martine Layani | lundi, 02 juillet 2007

Mais non, mais non, du calme, allons.

The Owl, jusqu'à présent, ce lieu avait justement su éviter ces travers d'internet. Je suis un type qui fonctionne toujours à l'amitié, c'est comme ça. Les piques, ça me gonfle plus qu'autre chose.

Vous savez bien -- je vous en ai déjà parlé -- que j'essaie de jongler, ici, pour combiner plusieurs choses : un fond sérieux autant que possible, une langue accessible à tous j'espère, un ton amical parce que je ne peux pas faire autrement. J'étais content d'y être à peu près parvenu. Soyez gentil, ne fichez pas tout ça en l'air au motif qu'internet, c'est ceci ou cela. On s'en fout, de ce que c'est. Moi, je préfèrerai toujours l'amitié aux piques, a fortiori aux engueulades. Je tiens à ce que chacun se sente entièrement libre ici, ça n'est pas incompatible avec un ton dénué de piques, justement.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 02 juillet 2007

Mais rappelez-vous: 68 a commencé en 66,avec les maos,les comités" Vietnam de base",les grandes manifs d'agriculteurs de67,les grèves de 67,les affrontements CRS/ouvriers et paysans ,à fougères par exemple,et dès 65,la révolte des étudiants allemands qui a duré au moins 4 ans,avec Rudi Dutschke,et ceux de Berkeley,San Diego,autour de Marcuse,et le black power et son free Jazz,les poètes beat,Ginsberg,Kerouac,et Burroughs..les zengakuren japonais luttant contre l'industrialisation sauvage,etc etc
"mai 68" a été un peu le mélange,la résultante de tout cela,oui ,l'imagination au pouvoir,beau slogan,mais qui, comme beaucoup de slogans de 68 ,a un auteur,qui n'était pas un "jeune" par l'äge,mais par la pensée,l'initiateur du manifeste des 121, je veux parler de Maurice Blanchot,bien sûr,à qui l'on doit une bonne partie des mots d'ordre,et des formules des "enfants du mois de mai"....Ce n'est pas un scoop,mais on ne le sait pas assez....

Vendredi,à france-culture,les vendredis de la philosophie:sujet:"la pensée 68 est-elle antisémite?",eh oui,on en est là.....

Écrit par : francis delval | lundi, 02 juillet 2007

Sans doute Jacques, mais la tolérance a ses limites : la complaisance.

Écrit par : lmv | lundi, 02 juillet 2007

"et maintenant,dit le morse,parlons d'autres choses..."
Lewis Carroll"

Écrit par : francis delval | lundi, 02 juillet 2007

Et ce manifeste des 121, qui date de septembre 1960, était déjà un bel exemple de contestation, et dans un contexte difficile, celui de la guerre d'Algérie. Je veux dire par là qu'appeler à l'insubordination ce n'est pas rien.

J'étais trop jeune pour avoir compris la portée de mai 68. Mais il est clair que ce mouvement, s'il a eu ses excès, reposait tout de même sur une vérité profonde: revenir à l'authenticité et à la vérité, telle que la jeunesse peut la concevoir dans son idéal. C'était une lutte contre le mensonge et l'hypocrisie de la société, une lutte nécessaire, car que peut-il advenir d'une société qui se fonde uniquement sur le mensonge?

Malheureusement, après la crise pétrolière et la montée du chômage tout le monde s'est recroquevillé chez soi. Tant qu'on avait un emploi, on la fermait et tant pis pour le voisin. J'ai fort ressenti cela dans les années 90.

Écrit par : Feuilly | mardi, 03 juillet 2007

On a fait les mêmes reproches (d'incohérence) à Montand et Jean Ferrat. Et également aux chrétiens, aux communistes, aux socialistes, aux laïques, etc. etc.

On peut ne pas l'aimer, (Ferré) mais on peut reconnaître objectivement que c'est un homme complet, artiste, chanteur exceptionnel, poète et amateur d'art éclairé.

Il y a des chanteurs que j'aime moins, mais objectivement, ce n'en sont pas moins de très, très grands chanteurs.

Écrit par : Pivoine | lundi, 09 juillet 2007

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