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vendredi, 25 janvier 2008

Une opinion de Gracq sur Breton

L’histoire de Léo Ferré et des surréalistes a été reconstituée dans son déroulement factuel. J’ai fait mon possible pour en mieux cerner la chronologie complète. À ce jour, en croisant et refondant mon récit des Chemins de Léo Ferré, les deux notes complémentaires parues sur ce blog il y a quelque temps et la Lettre à l’ami d’occasion, il est possible de relire cette histoire et de mieux apprécier les raisons de Breton qui, lorsqu’on dépasse l’« interdiction » de publication qu’il formula à l’encontre de son ami, paraissent maintenant bien plus claires et compréhensibles. On n’y reviendra pas ici.

La succession des faits mise à part, il reste, pour moi, un point obscur. Breton n’aime pas Poète… vos papiers ! qu’il vient de lire sur manuscrit. On ne sait d’ailleurs pas si l’état du texte correspondait exactement à ce qui fut publié peu après par La Table Ronde. Vraisemblablement, oui. Quoi qu’il en soit, cela ne change rien au fond.

Mais voilà : Breton, homme d’une très grande culture et d’une forte lucidité, ne nous a pas habitués à se tromper sur les œuvres de tel ou tel auteur. Ce qui me frappe, c’est qu’il n’ait pas su voir, lire dans ce manuscrit confié un soir par Ferré, les évidentes promesses qu’il contenait. Car si l’on n’aime pas Poète… vos papiers !, ce qui est parfaitement admissible, évidemment, il reste que ce recueil est attachant et contient en germe bien des choses. Il me paraît incroyable qu’un homme comme Breton n’ait pas su (voulu ?) voir cela, lui qui discernait en tous lieux la petite flamme de la beauté.

C’est en lisant cette phrase de Julien Gracq sur le jugement de Breton, qu’il a connu et admiré – et l’on sait que Gracq n’admirait pas facilement – que je me suis fait les réflexions qui précèdent. Voici cet extrait de Gracq (En lisant, en écrivant, Corti, 1980) : « Ce qu’il y avait de vibrant – pour reprendre son vocabulaire – dans les refus de Breton, venait, j’en ai eu souvent le sentiment, de ce qu’ils étaient conquis plus d’une fois sur une secrète complaisance, non tout à fait abolie, à ce qu’il refusait, ou plutôt se refusait. Plus que son opposé Valéry, si dédaigneusement étranger à ce qu’il rejette, il était riche, comme presque tous les bons gouvernements de combat, de quelques utiles et secrètes intelligences avec l’ennemi ».

Breton s’est-il refusé toute secrète complaisance envers son ami Léo Ferré ? A-t-il conquis sur elle son propre refus ? Ce n’est pas impossible. Cette comparaison que fait Gracq avec l’attitude de Valéry me rappelle que, jeune homme, Ferré lui avait envoyé un poème et n’avait jamais obtenu de réponse. Ce qui se comprend facilement : Valéry devait certainement recevoir chaque jour un très grand nombre de textes d’apprentis écrivains et ne pas s’en soucier outre-mesure. Mais Breton ? Cette opinion de Gracq serait-elle une clef permettant de comprendre pourquoi Breton n’a rien vu de prometteur dans le recueil incriminé ?

Peut-être suis-je en train de faire fausse route, mais ce lieu est aussi un chantier de réflexion.

00:00 Publié dans Études | Lien permanent | Commentaires (10)

Commentaires

Il n'est aucunement certain que Breton ne se soit pas rendu compte de la valeur de certains poèmes de "Poète...vos papiers!",et des promesses qu'annonçait le recueil...Mais ne s'est-il pas polarisé sur ce qu'il y avait, il faut bien le dire,d'étranger à la poésie...Je pense à quelques poèmes qui relèvent de la blague ou de l'autoparodie...Certes, Breton n'était pas ennemi de la blague, ses propres provocations, son "Anthologie de l'humour noir" le montrent bien...
Mais que penser à la fin de "poèmes" comme "les pisseuses", "la tante" ou les "cinéastes"?avec
de vers comme:
"mais il y faut surtout la paire de nichons
pour trouver l'abruti qui donnera l'oseille"

ça fait "caveau de la république", ça amuse quand on est jeune adolescent (et encore...)
mon hypothèse est que Breton s'est inquiété de ces scories,et qu'il est donc ainsi passé à côté des "promesses" (effectives) du recueil...
on trouve des vers du même tonneau chez Aragon, dans les années 50.

Julien Gracq, dans son livre sur Breton paru en 48 chez Corti et repris dans le tome 1 de ses oeuvres en pléïade,caractérise ainsi la phrase de Breton:Par opposition à
"la phrase conclusive", il l'appelle "la phrase déferlante",cette
manière de surfer sur la phrase "cramponné à la crinière d'écume".
Il me semble que l'on pourrait reprendre ces expressions pour parler de l'évolution de la poésie de Ferré,avec comme
dirait Gracq, une prédominance ,comme chez breton,progressive des images "verbo-auditives" sur le visuel.

Écrit par : francis delval | vendredi, 25 janvier 2008

Eh oui, tout ça m'intriguera toujours, dans la mesure où nous n'aurons jamais la réponse à la question que j'ai plusieurs fois posée : après la phrase de Breton, que s'est-il passé ? Que se sont dit les deux hommes ? Breton a-t-il donné des éclaircissements ? Des raisons ? Conseillé quelque chose ? Cela s'est passé dans l'intimité et nous ne le saurons pas.

C'est pourquoi je tente de comprendre autrement, en me fiant au témoignage de Gracq, qui l'a connu, pour espérer mieux saisir l'attitude de Breton. Attitude que, encore une fois, nous avons fini par cerner à force de recherches et de nouveaux documents, mais qui demande cependant un éclairage plus fin encore. Enfin, il me semble.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 25 janvier 2008

Petite devinette entre parenthèses:

quand Aragon écrit dans "les poètes", recueil de 1960,

"Connaissez vous l'ïle
Au coeur de la ville
Où tout est tranquille
Eternellement "

c'est le début du poème "Quai de béthune"

ça vous rappelle quoi....?

Est-ce cela qu'on appelle intertextualité?

Écrit par : francis delval | vendredi, 25 janvier 2008

Ca me rappelle le texte de Léo "L'île Saint-Louis".
J'ai bon?

Écrit par : Marc | vendredi, 25 janvier 2008

C'est amusant parce que le recueil n'a été publié qu'en 1960, soit plusieurs années après la chanson. Peut-être a-t-il été écrit avant 1960, mais il n'y a aucune chance alors pour que Ferré et Claude l'aient connu. Dire qu'Aragon a été influencé n'a aucun sens. Alors ? Cela dit, observer que l'île est "au coeur de la ville" n'est pas difficile et son atmosphère même impose presque la rime : "tranquille".

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 25 janvier 2008

Je crois en effet qu'il ne faut pas aller chercher trop loin. Deux poètes peuvent être inspirés par le même thème, surtout si cela se passe en plein Paris.

Écrit par : Feuilly | vendredi, 25 janvier 2008

Encore un petit mot sur "quai de Béthune", pour fermer la parenthèse et revenir à Breton
Ce poème, qui fait partie d'un recueil paru en 60, mais revu eu 68, puis en 76,porte dans sa marge la mention "chanté".Il est a priori un texte de chanson.
Il n'est pas impossible quand même qu'Aragon ait écouté certains disques de Ferré ou entendu la chanson à la radio: réminiscence involontaire ou clin d'oeil à Ferré...?

La dernière strophe est curieuse:

"Vienne le jour blême
Montrant que l'on aime
Rendre son poème
A Francis Carco"

S'agirait-il d'un poème en hommage à Carco, qui pourrait
être alors une source commune à Ferré et à Aragon?

Je connais surtout Carco comme romancier, assez peu le poète....
Fermons la parenthèse....

Écrit par : francis delval | samedi, 26 janvier 2008

j'ouvre de nouveau brièvement la parenthèse, pour éclairer la référence à Carco:Francis Carco a habité de 49 à sa mort en 58,18 quai de Béthune, dans l'île Saint-Louis....Il s'agit donc bien de l'ïle Saint-Louis,et Aragon devait connaître la chanson, et ce recueil a été publié au moment où il fréquentait Ferré.Il allait très souvent à ses récitals.....Réminiscence, emprunt (in)volontaire ou clin d'oeil à Ferré..Peu importe, les mots appartiennent à tout le monde.......

Écrit par : francis delval | dimanche, 27 janvier 2008

J'ai refeuilleté mes livres sur Breton ( Michel Carrouges, S.Alexandrian....) mais par rapport à Julien gracq,c'est évidemment décevant.
je n'ai pas "en lisant, en écrivant",un des rares Gracq que je ne connaisse pas (c'est un de mes auteurs préférés).Mais son André Breton publié en 48 est une merveille d'intelligence et d'écriture .On le trouve comme dit plus haut dans le volume 1 de ses oeuvres en pléîade.L'inconvénient est sa date de parution...Une bonne partie de l'oeuvre de Breton est forcémént ignorée.
Et dire que , sans doute parce que prof de géographie et attaché à la région de Nantes, je ne sais plus quel critique illettré l' a traité d"écrivain de sous -préfecture"
Amis du blog, si vous aimez Breton, faites comme Jacques, lisez Gracq!-et si vous aimez Gracq, lisez Ernst Jünger, qu'il a largement contribué à faire connaître en France,c'est u des plus grands écrivains européens, et, on le sait moins, un des grands résistants allemands au nazisme.
que tout cela n'empêche pas d'écouter Ferré, dans ce grand calme d'après la tempête...(dans un verre d'eau..)
Bon week-end à tous.

Écrit par : francis delval | vendredi, 01 février 2008

Depuis la mort de Gracq, il y a quelques semaines, Corti a fait une remise en vente de nombreux titres, dont le Breton. Je crois cependant que, pour ceux qui voudraient tout lire de lui, les deux volumes de la Pléiade, s'ils sont chers, représentent toutefois moins, au total, que les différents livres, à l'unité. Je n'ai pas fait le compte, mais je crois que c'est juste, en gros.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 01 février 2008

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