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mercredi, 12 mars 2008

La the môme

Il existe chez Léo Ferré un côté « témoin de son temps », peut-être involontaire d’ailleurs. Je ne pense pas ici aux textes « de chansonnier » qui fustigent l’époque, mais à de petites notations contenues dans les chansons, ici et là, dont voici un exemple qui, personnellement, me paraît frappant. Il s’agit de l’image d’une femme délurée en attendant d’être libérée et de ses métamorphoses successives.

En 1961, l’époque n’a plus la rigidité des années 50, la Ve République est jeune encore mais porteuse de promesses de stabilité et, si la guerre d’Algérie empêche d’être serein, une légère – oh, très légère – évolution des mœurs se fait jour. La femme jeune et un peu délurée d’alors s’appelle « jolie môme ». L’appellation en elle-même vaut d’être commentée. « Môme » est une survivance de l’argot des années 40 et 50, qui fait de la femme « la môme » (fût-elle Piaf), éventuellement « la môme vert-de-gris » (Peter Cheyney), « bébé », « la petite », « fillette ». La femme est alors tenue pour perpétuellement mineure. Quand elle ose, pourtant, avec l’insolence altière de sa jeunesse, elle ne porte pas de soutien-gorge, mais uniquement lorsqu’un solide pull-over la barricade et la protège : elle est « tout’ nue / Sous [s]on pull ».

Rapidement, viendra 1968 qui changera tout. Deux ans plus tard, en 1970, la jolie môme a grandi, elle s’appelle « la the nana » et porte une jupe extrêmement courte, « à ras l’bonbon », qui a remplacé « [s]a barrièr’ de frous-frous ». Si l’on écoute attentivement, on retrouve cette même fille juste après, qui croise dans Les Pops. Cette fois, elle a « la jupe en trop ».

On mesure le chemin parcouru : le pull-over a disparu, la jupe a raccourci puis elle a été enlevée. C’est l’époque de la révolution sexuelle et de l’amour libre ; profitant de l’évolution des mœurs, de la maîtrise de son corps due à la contraception et de l’air du temps qui permet aux « enfants » de s’inventer « la vraie galaxie de l’amour instantané », l’éternelle jolie femme, pleine de vie et de joie, à présent est « pop et [est] tout’ nue » et le poète « [l’]attend ». Autrefois, il lui disait : « Viens chez moi », cette fois il l’attend et l’on devine que c’est « dans la rue » puisque – il l’a dit ailleurs – « ces enfants dans la rue sont tout seuls » et que l’amour et le sexe sont devenus « des soucis de chien ». Ne nous exhorte-t-il pas, d’ailleurs, à faire l’amour « dans le quartier des chiens où l’on n’fait que passer » ?

La liberté sexuelle n’aura qu’un temps, hélas. Le sida survenu se chargera de l’interdire pour longtemps. Un temps, Léo Ferré se moquera de la peur qui s’empare de la société, en raillant le sida dans quelques plaisanteries de fin de récital. Rapidement, il prendra conscience de la réalité de l’épidémie et ne dira plus rien à ce sujet. La jolie femme passe la main et disparaît (sous cette forme) de ses écrits.

Bien entendu, faire ici un relevé de l’image des femmes chez Ferré n’est certes pas le sujet. Je voulais simplement souligner la permanence d’une notation des mœurs dans ses chansons. J’espère ne pas avoir trop sollicité les textes dans ce bref rapprochement que je viens d’opérer et que je crois justifié.

00:00 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (0)

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