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mercredi, 13 décembre 2006

Jamblan « le doux chansonnier », par Jacques Miquel

J’accueille aujourd’hui Jacques Miquel qui inaugure la catégorie « Les invités du taulier » avec un sujet qu’il a lui-même choisi et auquel il a donné la forme qui lui a plu.

Jacques Miquel est né en 1948. Il intervient régulièrement sur le thème « poésie et chanson » dans l’émission hebdomadaire de Christian Saint-Paul, Les Poètes, sur Radio Occitanie. En 1999, il a publié, en collaboration  avec Jacques Lubin et Marc Monneraye, « Discographies de Jacques Brel et de Léo Ferré » dans Sonorités – Cahiers du patrimoine sonore et audiovisuel.

 

« J’ai fait un seul grand voyage dans ma vie, en Martinique. C’est très loin, très, très loin. J’en ai rapporté une allergie au rhum, au ti punch comme ils disent, et la certitude qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil… » [1]. Si l’image surréaliste d’un Léo Ferré en smoking, tapant du piano dans l’étuve tropicale, a maintes fois été évoquée, en revanche, on ne sait que peu de choses sur la tête d’affiche de cette tournée désastreuse, dont le nom de scène reste cependant attaché à l’œuvre de Ferré au travers de quatre chansons qu’ils ont co-signées. Il s’agit bien sûr de Jamblan, « charmant garçon » dont Léo accompagne le tour de chant en 1947 à l’autre bout du monde et qu’il évoque bien des années plus tard comme son camarade.

De son vrai nom Jean, Marie Blanvillain, il voit le jour en 1900 à Bressuire, qu’il quitte à vingt-cinq ans pour tenter sa chance à Paris, préférant l’incertitude de la bohème au singulier métier de tailleur de soutanes qui est alors le sien. Ses débuts sont incertains et difficiles et si, en 1927, son nom est associé à celui du peintre abstrait Jean Hélion dans la fondation d’une éphémère revue avant-gardiste, ce sont plutôt ses prestations de  chansonnier dans des boîtes de seconde zone qui lui assurent tant bien que mal l’ordinaire. Conjointement, il écrit des paroles de chansons sans prétentions et l’une d’elles, Béguin biguine,mise en musique par Michel Emer, est enregistrée en 1932 par Jean Sablon, dont le nom commence à scintiller dans la galaxie du music hall.

Le filon semble bon et Jamblan parvient à placer quelques titres auprès d’artistes en vogue, comme Berthe Sylva [2] ou le duo Pills et Tabet [3]. Le guitariste Django Reinhardt ne dédaigne pas de poser ses notes sous ses paroles [4] tandis que, dans un registre tout différent, la sulfureuse Suzy Solidor inscrit la chanson Obsession d’amour [5] à son répertoire. Jamblan lui-même enregistre certaines de ses propres œuvres et notamment une romance plutôt naïve, Ma mie [6], avec laquelle il ne fait toutefois pas ce qu’il est convenu d’appeler un tabac… Mais, d’une façon générale, les années 30 lui sont plutôt favorables, que ce soit comme parolier d’interprètes de renom, ou chansonnier se produisant sur des scènes aussi prestigieuses que le Théâtre des Deux-Ânes et Bobino, ou encore second rôle de cinéma dans Le petit chose [7].

Malgré l’Occupation, la décennie suivante se présente tout aussi bien avec, une nouvelle fois, Jean Sablon pour tremplin. Devenu vedette internationale, celui-ci passe les années noires sur le continent américain. Le 28 mai 1942, il entre aux studios Decca à New York pour une séance d’enregistrements qu’il débute par les versions française et anglaise de Ma mie, le titre déjà ancien de Jamblan et Herpin. Cette fois la chanson est remarquée et recréée sous le titre de All of a sudden my heart sings [8] dans la comédie musicale Anchors Aweigh [9] bientôt portée à l’écran. Le succès est considérable ; rebaptisée My heart sings, elle devient au fil des années un des plus grands standards américains repris par Duke Ellington, Nat King Cole, Errol Garner, Paul Anka, Dany Kaye pour ne citer que les plus célèbres. L’engouement atteint la France où Jamblan adapte de nouvelles paroles et la chanson, devenue En écoutant mon cœur chanter, est enregistrée dès 1946 par Charles Trenet et Lys Gauty.

Lorsqu’au printemps 1947, la tournée pour la Martinique est mise sur pied, cela fait plus de vingt ans que le chansonnier montmartrois bat les planches et, avec plusieurs succès populaires à son actif de parolier, il fait figure de professionnel accompli ; de seize ans son cadet, Léo Ferré, quant à lui, n’a fait ses premiers pas sur une scène parisienne que quelques mois plus tôt. Mais ce qui semble les différencier le plus, ce sont les sources d’inspiration de leurs répertoires respectifs. On sait qu’à cette époque L’Opéra du ciel est déjà écrit et que Mon Général va faire partie du tour de chant antillais du poète. Pour sa part, Jamblan chante des couplets gentillets entrecoupés de monologues humoristiques, dont la mesure lui vaut le surnom de « doux chansonnier ». Il n’en demeure pas moins qu’une certaine complicité s’instaure entre les deux artistes, et que c’est vraisemblablement au cours de ce séjour dans « l’Amérique des Îles, des pluies, du rhum » [10] où ils ont beaucoup de temps à tuer, qu’ils écrivent les quatre chansons qui marquent leur collaboration. En 1950, Léo Ferré intègre deux d’entre elles dans son récit radiophonique De sacs et de cordes. Il s’agit de C’est la fille du pirate et Les Douze, cette dernière interprétée par les Frères Jacques. Les textes des deux autres titres, Le Marin d’eau douce et Zingare, figurent en 1952 dans le recueil de vers de Jamblan Ordre alphabétique [12], avec la mention de leur mise en musique par Léo Ferré. À cette époque, Suzy Solidor [13] enregistre la première de ces deux chansons, et il faut attendre 2003 pour que Zingare le soit à son tour par les Faux Bijoux [14]. On ne connaît à ce jour aucune interprétation par Léo Ferré de ces quatre titres dont il a signé la musique et qui restent somme toute anecdotiques au regard de son œuvre. En réalité, si prolongement de ce bref compagnonnage il y a, il est sans doute à rechercher dans la manière des chansonniers adoptée par Ferré pour des chansons telles que La Vie moderne, T’as payé et plus encore Les Temps difficiles, dans lesquelles il fait montre d’une réelle maîtrise du genre, peut-être en partie acquise en accompagnant Jamblan au piano. En tout cas, la collaboration concrète entre les deux hommes prend fin à l’orée des années 50.

Dans les temps qui suivent, Jamblan s’affirme comme un pilier du Caveau de la République et, régulièrement, on retrouve sa gouaille et sa bonhomie dans l’émission de radio Le Grenier de Montmartre. Parallèlement, il continue à écrire des paroles de chansons dont certaines se taillent un succès appréciable, comme La Bague à Jules [15] défendue par Patachou [16]. Une de ses dernières collaborations notables a lieu avec Jean Ferrat, qui met en musique et enregistre sa chanson Ma fille [17]. À la fin de sa carrière de chansonnier, Jamblan se retire dans son Bressuire natal, où il tire accidentellement sa dernière révérence en 1989.

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[1]. Texte pour une émission sur Europe 1 en janvier 1960 et publié dans le quotidien Libération en juillet 2003.

[2]. Viens danser quand même (musique de Jean Delettre, 1933), repris par Lucienne Boyer en 1939.

[3]. Gwendoline et Femmes (années 30).

[4]. La rumba da boum (paroles de Jamblan, musique de Django Reinhardt, T. Waltham et P. Olive, 1934), interprétée par Éliane de Creus et ses boys.

[5]. Paroles de Jamblan, musique de Laurent (Henri Herpin), 1935.

[6]. Musique de Henri Herpin, 1934.

[7]. Film réalisé par Maurice Cloche (1938).

[8]. Paroles américaines de Harold J. Rome.

[9]. Titre français : Escale à Hollywood. Film réalisé par George Sidney (1945) avec Gene Kelly, Frank Sinatra et Kathryn Grayson, qui y interprète All of sudden my heat sings.

[10]. Jamblan in Ordre alphabétique (cf infra).

[11]. De sacs et de cordes, Jean Gabin, Léo Ferré, CD, Le Chant du Monde, 874 1165 (2004).

[12]. Jamblan, Ordre alphabétique, Les Éditions du Scorpion, Paris, 1952. Couverture illustrée par Peynet.

[13]. Le Marin d’eau douce, 33-tours, 25-cm, Decca, 133.618.

[14]. Léo Ferré, les inédits, CD, La Mémoire et la mer, 10 088.89.

[15]. Musique d’Alec Siniavine.

[16]. 33-tours, 25-cm, Philips, 76.097 (1959).

[17]. 33-tours, 25-cm, Decca, 123.991 (1961).

Commentaires

Je ne pense pas que Jamblan ait jamais parlé de Ferré publiquement. C'est dommage. Il fait partie de ces témoins des premiers temps, quand Léo Ferré était presque inconnu, voire parfaitement inconnu.

Francis Claude n'a jamais rien raconté que d'anecdotique, ce qui est quand même un comble, alors qu'ils ont fait des chansons ensemble. Georges Arnaud, à ma connaissance, n'a rien dit non plus -- et pourtant ! D'autres encore...

Jamblan, décédé en 1989, a donc vécu la quasi totalité de la carrière de Léo Ferré. Il en a forcément pensé quelque chose, mais on ne le saura pas.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 13 décembre 2006

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