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jeudi, 14 décembre 2006

Ferré, qu’est-ce que c’est ?

L’habituelle lignée à laquelle on rattache Léo Ferré commence avec Rutebeuf, se poursuit avec Villon, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire et Breton. C’est oublier le fait qu’il a mis en musique de nombreux autres poètes, mais passons. En musique, on cite Beethoven, Ravel, Bartok et d’autres. Ce qui compte n’est pas qu’il soit ou non l’égal de ces grandes ombres, mais bien – ce qui est incontestable – qu’il en soit nourri et que, selon toute vraisemblance, son œuvre n’aurait pu exister ou eût été différente si cette filiation n’avait pas eu lieu. Or, si l’on peut, pour chacun d’entre eux, citer au moins une œuvre impérissable, qu’en est-il pour Léo Ferré ? Il n’est évidemment pas question de se livrer ici au petit jeu classique et inepte de la chanson préférée, mais bien de se demander si l’on peut, parmi les cent domaines dans lesquels s’est exercée l’activité créatrice de Ferré, déceler une dominante, une œuvre maîtresse. Je ne le crois pas. Plus les années passent ; plus s’éloigne le moment adolescent où, dans la cour du lycée Victor-Hugo, à Marseille, un mien ami m’avait dit : « Et Ferré, tu aimes ? », ce à quoi j’avais répondu : « Ferré ? Je ne connais pas » ; plus grandissent mon trouble de vieillir et mon exigence de lecteur et d’auditeur ; plus je me convaincs que, décidément, on ne peut guère isoler un fragment de cette création tous azimuts. Ferré, j’y crois de plus en plus, est un tout englobant l’homme et ce à quoi il a donné naissance, un tout qui serait monolithique tout en étant fortement composite – et c’est par là que l’auteur échapperait à toute forme de classification. Prise isolément, aucune parcelle de son œuvre n’est l’équivalent des Fleurs du mal ou des symphonies de Beethoven. Considéré dans sa totalité, l’iceberg devient une somme d’une richesse baroque qui, non seulement n’a pas d’équivalent dans le domaine de ce qu’on appelle la chanson – ne serait-ce que parce qu’elle comprend bien d’autres choses que des chansons – mais n’est réductible à rien. Si l’on ne peut considérer Benoît Misère comme un sommet, on ne peut envisager l’œuvre sans Benoît Misère. Même si l’on ne considère pas la mise en musique des poètes comme indépassable – c’est cependant ce qu’on conteste le moins chez Ferré – on ne peut la séparer de ses propres textes chantés, d’où, d’ailleurs, l’erreur de certaines firmes phonographiques qui persistent à séparer les disques consacrés aux poètes de son « intégrale » proprement dite. Pour ces raisons, je crois qu’il sera difficile, pour longtemps encore, d’en arriver au stade de la critique littéraire dépassionnée et érudite. Ce regard-là n’est pas possible pour le moment, même s’il est déjà plus autorisé qu’autrefois.

00:00 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (25)

Commentaires

j'avais sauté cette note:est-ce parce qu'on chante qu'on est dans la chanson,c'est à dire qu on déchoit vers un art mineur ou considéré comme tel?le poète qui se met à chanter devient-il un paria de l'art? c'est probablement très français .
Léonard Cohen a d'abord publié des poèmes(Flowers for Hitler,puis deux romans:the favorite game,et les perdants magnifiques-qu'il faut découvrir),quand il s'est mis à chanter,il n'a pas perdu son statut d'écrivain.Les poèmes de Jim morrisson sont très étudiés aux USA,à juste titre.
Félix leclerc fut d'abord aussi romancier et auteur dramatique;il l'est resté quand il s'est mis aussi à chanter,de même Gilles Vigneault
regardons chez nous:Mouloudji qui a laissé une oeuvre littéraire non négligeable,connu certes comme comédien,mais aussi comme romancier et auteur dramatique,tout cela a été "oublié" lorsqu'il s'est mis à la chanson :il est devenu chanteur qui se pique aussi d'écrire de surcroît...Quand Serge Rezvani s'est mis à chanter,il a pris un pseudonyme,bon ,chez lui le romancier et le peintre laissent un peu l'auteur de chanson à l'arrière-plan.
Boris Vian s'en est tiré en n'enregistrant qu'un disque,ouf,il l'a échappé belle
En france, quand on commence par être chanteur,c'est très dur de se faire reconnaître comme poète ou romancier ou compositeur.on n'aime pas le mélange des genres,les artistes
sont dans des cases ,même si on pourrait trouver des contre-exemples
Alors ferré,c'est quoi :d'abord un poète-écrivain,un poète qui compte ,dont on peut déjà travailler,étudier l'oeuvre de façon sérieuse et même érudite(je ne suis pas d'accord là avec Jacques)Qu'il ait aussi chanté et composé de la musique n'enlève rien à ses talents de poète,même s'il mettait le musicien en avant,s'il se disait d'abord musicien.L'histoire du déclassement de ferré et (d'autres) de la collection Seghers est un bon symptôme du statut du chanteur en France.
La reconnaissance universitaire,en france seule instance légitime de légitimation(expression de Bourdieu) est nécéssaire;il faut -malheureusement? heureusement? en passer par là.
Ou alors il faut nous mettre au travail (de fond) et produire de nouvelles formes de reconnaissance;être inventifs

Écrit par : francis delval | mardi, 20 février 2007

Commentaire bien intéressant. C'est aussi toute la question de la poésie chantée, vieux débat, détaillée dans "Avec Luc Bérimont".

Bien sûr que si, on peut "étudier l'oeuvre de façon sérieuse et même érudite", pourquoi dirais-je le contraire ? Je dis en général que c'est trop tôt, c'est tout : on n'a pas suffisamment de recul même si on commence à en avoir un peu, et surtout, le corpus n'est pas encore exactement délimité vu qu'il reste des choses à paraître.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 20 février 2007

"La reconnaissance universitaire,en france seule instance légitime de légitimation(expression de Bourdieu) est nécéssaire": oui, à condition que le but de tout cela ne se réduise pas à une forme de militantisme. Ce qui me gêne beaucoup dans la psychologie paranoïaque anti-système (bourdieusienne?) des amateurs de Ferré en général, c'est une certaine mauvaise foi (je ne vise pas du tout J. Layani): pour eux, les instances de "légitimation" sont fausses, nulles et formelles, donc on peut faire "semblant de", et faire "comme si". On reste dans la parodie en croyant naïvement (mais ce n'est qu'un exemple des naïvetés en Ferrétie) que cela peut suffire.

Autre chose: je ne suis pas certain qu'étudier Ferré dans des publications centrées sur Ferré, avec des rédacteurs ferrécentrés également, permette d'aboutir à quoi que ce soit de valable (il faudrait dire la même chose de ces étudiants et de leurs directeurs, qui interviennent avant tout en tant que fans. Leurs motivations n'ont que peu à voir avec une démarche scientifique). Il existe des tas de revues universitaires de qualité pouvant accueillir de telles études, à condition bien évidemment que celles-ci apportent qqch.

La note de J. Layani cerne bien quelques unes des difficultés qui se posent et invite à réfléchir sur la spécificité de cette oeuvre. Pourquoi le désir de légitimation primerait-il ainsi sur un véritable questionnement de l'oeuvre? A part ça, je suis bien d'accord avec vous sur la nécessité de conceptualiser Ferré et si possible différemment.

Écrit par : gluglups | mardi, 20 février 2007

J'insiste sur le fait que le corpus n'est pas encore entièrement connu. Peut-on aujourd'hui envisager l'oeuvre de Ferré sans les Lettres non postées ou les textes pour la radio de La musique souvent me prend comme l'amour ? Sans Les Noces de Londres ? Sans Marie-Jeanne ? Je ne le pense pas. Pourtant, c'était le cas il y a quelques années encore. Eh bien, on ne peut pas non plus l'envisager sans les choses qui restent à paraître.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 20 février 2007

Jacques, croire que parce que le corpus Ferré n'a pas été encore totalement réuni ou daté, cela a empêché l'émergence d'une critique de qualité, me paraît un peu naïf. L'érudition n'est pas un préalable suffisant ni même un préalable nécessaire à un bon commentaire.

Écrit par : gluglups | mardi, 20 février 2007

Nous en revenons au même point !

Écrit par : The Owl | mercredi, 21 février 2007

Je persiste à dire en cela qu'il faut simplement savoir de quoi on parle et qu'on ne le sait pas réellement pour le moment. Tant que l'aspect "chanson" dominera le reste (ne serait-ce qu'en quantité, en nombre), la vision sera faussée.

Par ailleurs, j'insiste une fois encore sur le recul nécessaire. Il commence à exister, certes, mais n'est toujours pas suffisant. Rimbaud meurt en 1891. Où en sont les études rimbaldiennes en 1905, soit quatorze ans plus tard ? Totalement au point mort (et de plus fondées en partie sur des éléments trafiqués par Isabelle et Paterne Berrichon). Pour Ferré, quatorze ans aussi ont passé depuis sa disparition. Je ne veux pas comparer les deux hommes ni les deux oeuvres, comprenons-nous. Je compare l'état des lieux : le corpus et le recul.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 21 février 2007

Vous "persistez" dans une certaine mauvaise foi ou un angélisme ou dans le "dilatoire"(Barthes), pardonnez-moi. Effectivement, on ne peut guère comparer la situation de Rimbaud (pourquoi ce modèle-là? c'est l'entrée dans le Lagarde et Michard en gravissant les échelons à l'ancienneté?) à celle de Ferré: c'était quoi au juste la critique littéraire en 1905? Il est en tout cas un fait: en 1905 et bien avant cette date, Rimbaud avait considérablement marqué et largement influencé les poètes et les écrivains de cette époque.

S'il faut faire des comparaisons, il convient alors de comparer la situation de Ferré à celle d'artistes de son temps, dont on est loin aussi d'avoir réuni tout le corpus. La critique universitaire, y compris la critique de très haute qualité, s'est largement ouverte à l'études de formes "en marge" depuis au moins 3 décennies, c'est une réalité incontestable. Tout s'est accéléré. Ferré a été beaucoup plus exposé médiatiquement que la plupart des artistes: on n'a pas pu passer à côté. Je ne dis pas que la chanson soit effectivement à la mode et que les confusions, le militantisme niais (la chanson, c'est de la poésie) n'ont pas contribué à son discrédit. Je suis bien d'accord pour dire que Ferré, c'est autre chose, à condition qu'on abandonne le modèle Léonard de Vinci (l'addition des talents).

Sortons des schémas, de l'eschatologie: un jour un Messie, stylisticien, musicologue (la musicologie, c'est de la littérature d'ailleurs), historien, écrivain, "cantologue", grâce aux savoirs accumulés par les petites fourmis chez les premiers disciples viendra révéler le MESSAGE. C'est grotesque. Ferré n'est pas plus difficile à "expliquer" que Breton, Duras ou Leiris, voyons...

Écrit par : gluglups | mercredi, 21 février 2007

Nous ne parlons pas de la même chose.

Je n'entends pas "Un jour", mais "Un peu plus tard". Je n'ai jamais parlé de message, mais d'une oeuvre complète.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 21 février 2007

je réponds à Gluglups:Je suis en accord avec vous sur l'essentiel,notamment sur la nécéssité d'une neutralité axiologique(qui n'enpêche pas une certaine empathie) avec l'objet de l'étude.vous parlez souvent d'étude "scientifique" sans jamais dire quelles sciences sont à mettre en oeuvre pour étudier Ferré:linguistique,sémiologie,sociologie de l'art,histoire littéraire rigoureuse etc..j'aimerais vous entendre à ce sujet
Je n'aime pas les pseudos(affaire de goût) et je peux dire d'où je parle:philsophe de métier(enseignant du secondaire puis du supérieur,en retraite à ce jour)J'ai donc-privilège de l'âge traversé le "périple structural,où nous mêlions allègrement marxisme althussérien,linguistique,Lacan, Change et Tel Quel?tout cele s'est décanté..mais il y avait là une boîte à outils pas complètement obsolète ou ringarde,quoiqu'en disent certains que vous reconnaîtrez
Je" connais " Ferré depuis l'âge de 14 ans,mais je n'ai jamais voulu jusqu'à il y a peu en parler,jusqu'à ce blog ouvert et non terroriste....
Car je constate que depuis quelques années la "ferrétie" tourne en rond,notamment du côté de l'université,où je crains que certaines publications ne soient mues que par l'obligation de publier....plus que par l'intérêt porté au sujet
Je ne fais pas partie de ce pays imaginaire;je n'ai jamais mis les pieds et je n'irai jamais,quoiqu'habitant le nord' à un colloque Ferré
je ne parle ici -ou ailleurs- qu'en mon propre nom
Je pense, contrairement à jacques, que le temps est venu de déplacer l'axe des études ferréennes,et, avec les outils"scientifiques" dont nous disposons d'ouvrir de nouveaux chantiers.Même si le corpus est incomplet,on a ,je pense, un recul suffisant.

Écrit par : francis delval | mercredi, 21 février 2007

je répondais au message précédent;je souscris tout à fait à la dernière phrase de gluglups: Ferré n'est pas plus difficile que les autres poètes!

Écrit par : francis delval | mercredi, 21 février 2007

Il y a du vrai dans ce que dit Gluglups. D'abord je ne suis pas sûr que la connaissance exhaustive des moindres faits et gestes de Ferré apporte un nouvel éclairage sur la compréhension de l’œuvre. C’est toujours intéressant, évidemment, et je suis le premier demandeur parce que j’aime bien Ferré. Mais ou bien on tombe dans une exhaustivité méticuleuse (du genre : quelles sont les chansons qu’il a vraiment chantées tel jour dans tel lieu) ou bien on tombe dans les travers de l’histoire littéraire classique, qui finit par croire qu’on ne peut aborder le texte d’un écrivain si on n’a pas digéré au préalable trois ou quatre biographies.

Mais c’est vrai que parfois cela apporte incontestablement quelque chose, comme de savoir que tel texte de telle année est un calque d’un autre écrit vingt ans plus tôt, etc. Si on veut par exemple étudier l’évolution dans le travail de création, il serait dommage d’attribuer une chanson à une mauvais période.

D’un autre côté, une chanson comme « La mémoire et la mer » semble parfois difficile à comprendre. Non sur le plan poétique, mais sur la réalité qu’elle décrit. Il doit y avoir des « clefs » que la biographie devrait pouvoir nous donner. J’avais déjà suggéré ici même une telle approche précédemment.

Enfin, tout cela doit finalement être fort personnel. En ce qui me concerne je suis plus sensible à l’œuvre en tant que telle qu’à la biographie qui tombe parfois dans l’anecdotique (même si, je le répète, elle apporte toujours quelque chose).

Pour revenir aux propos de Gluglups, je crois que les admirateurs de Ferré vivent ses textes autrement qu’on ne le fait habituellement avec un poète, précisément parce qu’ils ont pu l’écouter par les disques ou le voir sur scène. Il y a alors une « présence » du personnage qu’on ne peut oublier. Sans doute que toute une partie de l’art de Ferré sur scène consistait précisément à cultiver cet aspect « poète maudit qui a quelque chose à dire ». Mes propos ne doivent d’ailleurs pas être pris dans un sens négatif. Cela faisait partie du génie (et de la magie) du personnage. Mais rien d’étonnant à ce qu’après il soit devenu pour eux comme une sorte de mythe, mythe dans lequel ils finissent eux-mêmes par mettre leur propre conception de l’art et de la poésie

Écrit par : Feuilly | mercredi, 21 février 2007

Je rappelle que moi-même, je ne parle qu'en mon nom et que je ne prétends pas avoir raison. Sur ces deux points, le recul et le corpus, je n'exprime vraiment que mon avis (et sans mauvaise foi, vous le savez bien, Gluglups, j'espère). Certes, je peux me tromper.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 21 février 2007

Bon, tous les commentaires se croisent, ce matin.

Feuilly, qui a parlé de "connaissance exhaustive des moindres faits et gestes" ? Je n'ai évoqué que l'étendue du corpus.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 21 février 2007

A Francis Delval. Je n’aime pas plus les pseudos que vous, mais personnellement j’en utilise un afin de ne pas voir mon nom (qui par ailleurs ne dira rien à personne) répertorié imprudemment dans Google.
Pour le reste, vous n’avez pas tort . Le structuralisme et autres méthodes ont sans doute vieilli et il faut savoir en revenir. Mais elle ont toujours été une grille de lecture possible et se sont d’ailleurs toujours données pour telles, sans prétendre à l’exhaustivité.

En d’autres termes, pour parler de Ferré, il faut parler de ses textes et pour comprendre ses textes, il faut les analyser. Libre à chacun d’employer la méthode qu’il veut à condition qu’il en comprenne les limites.

Pour Ferré, précisément, une approche sociologique devrait être intéressante, puisqu’il est à cheval entre le monde de la chanson et celui de la poésie. Toute l’approche bourdeusienne sur la « reconnaissance » devrait pouvoir apporter quelque chose.

Mais rien ne remplacera jamais ce que ressent tout un chacun à la lecture (ou à l’audition) d’un texte de Ferré. Le problème est : comment expliquer à d’autres ce « je ne sais quoi » (comme dit Jankelevitch) indicible sans tomber dans une apologie aveugle et déraisonnée ? (problème que relevait ici notre intervenant Owl)

Écrit par : Feuilly | mercredi, 21 février 2007

Feuilly, pour l'approche bourdieusienne, je te renvoie à la note "Trois aspects de la critique universitaire".

Quant au "je ne sais quoi", je te renvoie à mon texte sur Grooteclaes dans lequel je cite un mot de Ferré à ce propos : « Dans vos photographies, il passe quelque chose « en plus », ce que les Italiens appellent le non so che, la dernière auberge des critiques et des experts désarmés ».

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 21 février 2007

A Jacques: oui, tu n'as parlé que du corpus. Mais faut-il attendre qu'il soit complet pour oser en parler? ce serait comme ne rien dire du livre d'un auteur sous prétexte qu'on n'a pas lu l'intégrale.

Écrit par : Feuilly | mercredi, 21 février 2007

Je ne sais pas pourquoi le débat se focalise là-dessus ce matin : ça fait des années que je le répète. J'en ai parlé pour la première fois sur internet en 2003. Je ne dis pas qu'on ne peut pas parler de ce qui existe, je dis que la vision qu'on en a sera modifiée quand on connaîtra la totalité de l'oeuvre. Mais je n'ai jamais empêché personne de parler de ce qu'on connaît déjà. Moi-même, je le fais.

Par contre, je suis contre le biographisme, évidemment. Pas contre la biographie, non : contre le biographisme systématique. C'est pour cela que je t'ai répondu plus haut.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 21 février 2007

Francis: merci de ce que vous dites, cela fait du bien et c'est libérateur. Je suis entièrement d'accord avec votre message. Je serais presque prêt à vous désigner pour notre messie :)

Peu importe la "spécialité". Barthes, Foucault, Deleuze, Veyne, Todorov, Derrida... étaient spécialistes de quoi au juste? Historiens, sociologues, sémioticiens, psychanalystes, linguistes, structuralistes, esthètes...? L'important, c'est de produire des concepts, quel que soit le domaine, ou plus modestement des espaces d'intelligibilité (ce à quoi contribue effectivement ce blog). Après, tout est possible: on est d'accord ou pas, le tout c'est que cela apporte quelque chose, de quoi penser. Je ne pense pas qu'un philosophe soit incapable d'entrer dans une approche musicologique ou stylistique de l'oeuvre, parce que ce ne serait pas sa spécialité.

Merci de parler de forme de terrorisme. Je ne m'étendrai pas là-dessus car cela m'a créé toutes sortes de problèmes. Terrorisme dont le but essentiel, tant on est dans la parodie, le vidage de la pensée, c'est de montrer que Ferré, c'est le plus beau, le plus grand, le plus poète, le plus philosophe... Où est l'intérêt? Cela me fait penser aux discussions dans des galeries de province pour déterminer la valeur de tel peintre local ("achète, dans 10 ans, ce sera un bon investissement"). Tant qu'on ne sortira pas de cette approche petit-bougeoise (je ne dis pas qu'elle ne soit pas induite par Ferré lui-même et il y a plusieurs éléments qui se superposent pour qu'on en arrive là), on peut désespérer. La question ce n'est pas "c'est bon/c'est mauvais" mais "c'est quoi?". En sachant qu'il y a plusieurs réponses possibles, recevables (une formule qu'utilise souvent Jacques Layani: "ce n'est pas faux").

Feuilly: là aussi, je suis 100% d'accord avec ce que vous dites. "Il y a alors une « présence » du personnage qu’on ne peut oublier... et la suite": un "complot d'affects" pour reprendre l'expression de Deleuze et qu'il faut décrire et analyser d'emblée. Ainsi les problèmes liés à la (non) "neutralité axiologique" dont parle Francis se poseraient déjà moins.

LMELM "existe" effectivement en dehors de considérations biographiques ou philologiques donc une analyse reste possible en dehors de ce cadre. Je ne sais pas si la biographie offre véritablement des "clefs" ou plutôt, je me demande dans quelle mesure ces clefs n'ouvrent pas seulement des placards.

Écrit par : gluglups | mercredi, 21 février 2007

"Je ne dis pas qu'on ne peut pas parler de ce qui existe, je dis que la vision qu'on en a sera modifiée quand on connaîtra la totalité de l'oeuvre. Mais je n'ai jamais empêché personne de parler de ce qu'on connaît déjà. Moi-même, je le fais."

Jacques, "science" à distinguer de "scientisme": la science, c'est une élaboration permanente, le scientisme, c'est croire qu'il existe une vérité arrêtée. La science s'efforce d'intégrer le non connu dans son discours (d'où la notion de prudence scientifique). Il existera toujours du non connu du reste, même quand tout tout tout sera publié et lu.

Écrit par : gluglups | mercredi, 21 février 2007

Eh bien voilà, dans l'ensemble, nous sommes tous proches.

Depuis quelque temps, je me demande ce que signifie exactement, pour ceux qui l'aiment, "aimer Léo Ferré" (je sais que Gluglups se pose la question depuis plus longtemps que moi).

Si c'est collectionner stérilement des pochettes de disques, ça ne m'intéresse pas. Ce qui ne veut pas dire que les pochettes de disques n'éveillent pas en moi de la curiosité, de l'amusement : ça, c'est autre chose, mais ce n'est pas "aimer Ferré".

Si c'est acheter sur internet ou dans les conventions des documents qu'on a déjà simplement pour en avoir plus, ou même pour en faire cadeau, ça ne m'intéresse pas. Ce qui ne veut pas dire que les documents n'éveillent pas en moi de la curiosité mais pour moi, ils doivent servir à aller plus loin dans la connaissance, non à être entassés stérilement.

Si c'est écouter des disques uniquement, et de préférence le fonds Barclay stupidement dit "Les années de feu" et tout simplement le plus facile à comprendre, ça ne m'intéresse pas. Ce qui ne signifie pas que je n'aime pas le fonds Barclay.

Si c'est collectionner des livres sans les lire, simplement parce qu'ils sont consacrés à Léo Ferré, ça ne m'intéresse pas.

C'est quoi, aimer Léo Ferré ? Le livre Les Chemins de Léo Ferré (j'ai oublié le nom de l'auteur) ne se vend pas : on en est 700 et quelques exemplaires en près de deux ans. Pourquoi ? Que s'est-il passé entre La Mémoire et le temps (entre 6 et 7000 exemplaires) et Les Chemins ? Qu'est-ce que c'est, aimer Léo Ferré ?

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 21 février 2007

Vu comme ça, ce n'est pas faux © ®.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 21 février 2007

j'ai été interrompu tout à l'heure:deux choses à ajouter
1) oui, Ferré n'est pas plus difficile à étudier et à travailler que d'autres poètes,mais il faut trouver les bons outils...on a bien décrypté Mallarmé ou T.S.Eliot...pourquoi Ferré ferait-il exception?.Mais i faut sans doute,par décision de méthode,mettre entre parenthèses nos souvenirs des récitals,la voix Ferré,et tout le cortège d'affects,provisoirement.Avec Mallarmé, on n'est pas troublé par les affects,c'est évident
2) oui, jacques, il faut travailler avec le corpus actuel,quitte à avoir des éclairages nouveaux avec les inédits
Le fonds du problème,c'est:qu'est-ce qu'une oeuvre?
les thèmes anglais de Mallarmé,publiés en PLéïade,font-ils parti de l'oeuvre?
et les correspondances? les entretiens? qu'en faire?
il y a deux sortes d'inédits:ce que l'auteur n'a pu publier(decès prématuré) et ce qu'il n'a pas voulu publier parce que c'est trop intime ou qu'il pense trop mauvais ( nous devons tous avoir des trucs comme ça dans nos tiroirs)
Faut-il TOUT publier?(Mathieu se pose sérieusement la question !)
Faisons avec ce que l'on a
Il reste une malle entière de papiers et d'écrits de Pessoa;ça n'a pas empêché Judith Balso de publier enfin un excellent livre sur cet auteur mythique(Pessoa, le passeur métaphysique;je fais pas de pub pour l'éditeur)
pour le "biographique",je suis totalement de votre avis

Écrit par : francis delval | mercredi, 21 février 2007

Tout fait partie de l'oeuvre. Correspondance bien entendu, entretiens aussi, et préfaces. Et journaux, écrits intimes de toute sorte... Je parle ici en général, pas seulement pour Ferré. Je ne sais pas ce que signifie exactement l'expression "fond de tiroir". L'inachèvement d'un texte n'en diminue pas l'intérêt : il se peut qu'un texte soit nul, mais il n'est pas nul parce qu'il est inachevé.

Mettre la voix de côté ? Vous y parvenez ? Alors là, s'il est un point sur lequel butera la critique longtemps encore, c'est bien celui-là : la voix. Cette voix-là.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 21 février 2007

C'est marrant, tout le monde se décide à sortir du bois.


"la science, c'est une élaboration permanente, le scientisme, c'est croire qu'il existe une vérité arrêtée. La science s'efforce d'intégrer le non connu dans son discours (d'où la notion de prudence scientifique). Il existera toujours du non connu du reste, même quand tout tout tout sera publié et lu."

Je ne disais pas autre chose dans le fil "La musique, la tomate et le hibou".
M'enfin...

Écrit par : The Owl | mercredi, 21 février 2007

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