lundi, 18 décembre 2006
La veine chansonnière
On ne refera pas ici, pour la centième fois, l’explication détaillée des Temps difficiles. Il est bien plutôt question d’envisager l’ensemble de la production ferréenne qu’il est possible de situer dans une veine chansonnière incontestable.
On observe en premier lieu que ce courant commence, chez lui, par La Vie moderne (1958), se poursuit avec Les Temps difficiles I (1961), Miss Guéguerre (1961), Les Temps difficiles II (1962), T’as payé (1962), Monsieur Barclay (1965), Les Temps difficiles III (1966) et s’achève avec La Révolution I et II (1969). Quand Ferré reprend La Vie moderne entre 1984 et 1986 – une version amputée de couplets devenus moins compréhensibles avec les années et augmentée d’autres, plus intemporels – ou Monsieur Barclay en 1982 – en supprimant les noms des journalistes de radio qu'on ne connaissait plus – c’est un épiphénomène. En tout état de cause, après 1969, la veine chansonnière cesse d’irriguer son œuvre, tout au moins si l’on considère sous cette définition des chansons caustiques, satiriques, comportant un certain nombre de noms propres, des allusions aux événements du moment, des « effets » nombreux et, si possible, une « chute ».
Cependant, de nombreuses chansons pourraient a priori être rattachées au mode chansonnier et, cependant, ne doivent évidemment pas l’être. Je pense à L’Esprit de famille, Monsieur Tout-Blanc, Le Temps du plastique, Les Rupins, Cannes-la-Braguette, La Langue française. Pourquoi ? Est-ce la gravité du sujet (Monsieur Tout-Blanc) ? Cela ne s’applique toutefois pas aux autres titres. En quoi Le Temps du plastique, Cannes-la-Braguette ou La Langue française se différencient-ils de La Vie moderne ? Parce qu’ils ne comportent pas d’allusions nominatives ? La chanson Les Rupins tiendrait-elle, en dépit de son ton, du portrait (à l’instar des Retraités) plus que de la satire ? Comment faut-il envisager, enfin, Ils ont voté (1967) ? Ce n’est pas un texte de chansonnier, peut-être parce qu’il prend parti alors que le chansonnier raille systématiquement les puissants en place ? Quel doit donc être le sort de la version de 1988 à la fin modifiée par l’apparition d’une personne réelle, Madonna ?
Objectivement, Vitrines (1953) n’a pas cette appartenance satirique évidente alors que son contenu autoriserait à penser à un texte de chansonnier. Là encore, pourquoi ? Sans doute à cause des différents refrains qui exposent des thèmes qui ne sont pas de ce ressort. Vise la réclame (1955) n’est pas non plus de ce registre quand tout, pourtant, pourrait le donner à croire (satire des slogans publicitaires, interpellation du passant-client-victime…) La Maffia (1958) est un coup de gueule et, malgré la citation nominative de clausule, n’est pas de ce domaine. C’est la vie (1966) se trouverait dans ce cas si la fin du texte ne manifestait subitement une allusion personnelle (« L’enfant que je ne t’ai pas fait ») suivie d’une inquiétude métaphysique résignée (« Toujours un d’moins à s’emmerder / Dans la vie »). Et La Complainte de la télé (1966) ? Est-ce parce que les noms propres et les titres d’émissions cités sont travestis en jeux de mots ? Enfin, Le Conditionnel de variétés (1971) serait entièrement dans la lignée chansonnière par ses allusions constantes à l’actualité, mais ne s’y trouve pas, vraisemblablement à cause d’un ton plus grave et d’un registre plus polémique que satirique, qui fait aborder le texte aux rives du manifeste.
La tradition chansonnière remonte, en France, aux pont-neufs et aux mazarinades. Elle est même présente, déjà, dans Villon où l’ironie et l’allusion sont fréquentes, codées toutefois par peur du gibet. Ferré s’inscrit dans un mouvement d’écriture et de satire socio-politique durant des années, avant de l’abandonner définitivement. Il continue parfois de créer des chansons aux marges de la chansonnerie mais ne s’y laisse plus enfermer. Il dépasse ce stade. Par quels moyens le dépasse-t-il ? Cela tient-il au ton, à la musique, à la voix, à l’ampleur du propos ?
Je n’ai pas réellement de réponse à apporter à toutes ces interrogations. Cela ne signifie pas qu’elles ne soient pas intéressantes à étudier.
Les dates indiquées sont celles des partitions publiées par La Mémoire et la mer dans le coffret Paroles et musique de toute une vie et-ou celles des enregistrements originaux qui ont parfois eu lieu bien plus tard.
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