mardi, 19 décembre 2006
Le préfacier
Il ne sera pas question ici des très nombreux textes que Léo Ferré a pu rédiger pour d’autres chanteurs – et singulièrement pour des interprètes de ses œuvres – qui figurent sur des pochettes de disques ou dans des programmes de spectacles. On pense davantage au préfacier, celui qui introduit le travail d’un autre à la demande d’un éditeur, pour une publication en volume.
Trois textes, parmi les seize connus à ce jour, me paraissent intéressants à retenir dans cette optique. La préface de 1961 aux œuvres de Verlaine [1], celle de 1967 aux textes de Caussimon [2], celle de 1991 pour Francis Simonini [3].
La préface écrite pour Verlaine – je ne sais toujours pas dans quelles circonstances exactes elle lui a été demandée – relève du texte d’humeur, amical, ému, tel qu’on pouvait alors le concevoir et le publier dans une collection dénommée « Le Livre de Poche classique », c’est-à-dire avant qu’une optique universitaire stricto sensu n’impose une présentation plus critique, plus fouillée, plus précise. Avant, surtout, que l’évolution des mœurs et des habitudes de lecture, doublée de l’augmentation considérable du nombre d’étudiants après 1968, n’impose le livre au format de poche comme un instrument de travail et non plus comme l’attribut d’une élite cultivée mais aux moyens financiers limités. Dans le même temps, la critique change d’âge et de visage. Les éditions populaires elles-mêmes s’entourent d’appareils critiques, de variantes. Aux notes, vraiment très succinctes, de Jacques Borel, succèdent celles, plus détaillées et plus importantes, du normalien Claude Cuénot. La préface de Ferré demeure un texte chaleureux, elle sera là jusqu’à la fin des années 80, mais disparaîtra de la collection publiée par Hachette, des années plus tard.
Le texte rédigé par Ferré pour son ami Caussimon est d’une nature différente. Dès l’abord, le double visage de la collection imaginée par Seghers fait d’ailleurs se poser une question : s’agit-il d’un livre de Caussimon préfacé par Ferré ou d’un ouvrage de Ferré sur Caussimon ? C’est plus qu’une anthologie présentée par un tiers, la collection « Poètes d’aujourd’hui » présentant souvent une préface et un choix de textes pratiquement aussi importants en nombre de pages. Personnellement, j’ai toujours considéré cette œuvre comme un livre de Ferré sur Caussimon, ainsi d’ailleurs que tous les volumes de cette collection prestigieuse : ce sont des essais sur tel poète, suivis d’un choix de ses textes. Cette introduction à Caussimon est un livre de poète. Quand un écrivain préface un autre écrivain, il le trahit presque à coup sûr en parlant non du modèle, mais de lui. Comme il a déjà été dit ici, le premier « je » arrive sous la plume de Léo Ferré à la septième ligne et la fin de son texte présente un « nous autres » pour le moins inattendu. Là encore, Ferré œuvre au sentiment. Le livre disparaîtra quelques années après du catalogue de l’éditeur qui, en 1969, a cédé sa maison à Robert Laffont. Lorsqu’il sera réédité ailleurs, l’introduction de Ferré deviendra cette fois une préface à part entière, actualisée par quelques lignes [4]. Cette réédition, à mon sens, implique un changement de nature du texte, pourtant presque identique. C’est en tout cas l’impression que l’on a.
Ces deux préfaces représentent, chaque fois, un nombre de pages relativement important. À l’opposé, Ferré donne à Francis Simonini un texte très bref : une page. Il le fait aussi pour beaucoup d’autres, mais celui-ci est intéressant en ce qu’il présente un roman, ce qui n’est arrivé que trois fois [5]. Là, Ferré met surtout son nom en avant pour aider l’auteur. Verlaine, Caussimon : les deux fois, il s’agissait d’un auteur envers qui Ferré était autorisé – il les avait tous deux chantés et était l’ami personnel d’un d’entre eux. Mais il permet à Simonini d’avancer sous les auspices de son nom à lui, sésame éditorial sans doute. Les éditeurs raffolent des noms connus qu’ils peuvent imprimer sur leurs couvertures. Cela étant, le registre reste identique : le préfacier parle de lui, mais c’est pour évoquer cette fois des souvenirs de jeunesse contemporains de l’intrigue (en 1931, un village d’Italie sous le poids du fascisme).
Une constante, en tout cas. Là comme ailleurs, Léo Ferré réagit à l’amitié, toujours. C’était vraiment chez lui un moteur. Verlaine ne fait pas exception : son rapport aux poètes tient incontestablement aussi de l’amitié.
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[1]. Paul Verlaine, Poèmes saturniens suivi de Fêtes galantes, collection « Le Livre de Poche classique », n° 747, 1961.
[2]. Léo Ferré, Jean-Roger Caussimon, collection « Poètes d’aujourd’hui », n° 161, Seghers, 1967.
[3]. Francis Simonini, Il était une fois Strappona, collection « Voix d’Europe », L’Harmattan, 1991.
[4]. Jean-Roger Caussimon, Mes chansons des quatre saisons, Plasma, 1981 (rééd. Le Castor astral, 1994).
[5] Romans de Maurice Frot, Francis Simonini et Jean-Michel Lambert.
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