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mercredi, 20 décembre 2006

Gourdon, 11 juillet 1985, par Jacques Miquel

Jacques Miquel m’a envoyé ce souvenir, qu’il présente comme un écho à la note Trois amis et les pops.

 

Ce soir-là, Léo Ferré chante pour la Renaissance du Carillon de Saint-Pierre à Gourdon. Le récital est prévu pour se dérouler sur le parvis de cette église gothique, mais dans l’après-midi il est décidé de changer de lieu et un chapiteau de cirque est dressé à la hâte aux portes de la ville, dans un champ fraîchement fauché. Sous la toile, l’odeur de bâche se mêle à celle des foins coupés. Dans la foule qui lentement prend place, certains aperçoivent Marie-Christine Ferré, l’enfant du pays, et l’interpellent familièrement : « Marie ! Mimi ! »  Souriante, elle s’arrête pour échanger quelques mots avec les uns, embrasser les autres. Les gens semblent ravis qu’elle les ait reconnus et leur parle devant tout le monde. Il y a une sorte de fierté et de gentillesse dans l’air…

L’obscurité envahit l’espace et Léo Ferré paraît dans son halo et sous les applaudissements complices. La brise est favorable, les voiles hissées, le chapiteau appareille pour une traversée onirique sur des flots de poésie et de musique. À un moment, l’artiste s’amuse qu’on ait fait appel à lui pour faire renaître le carillon de l’église, se trouvant tout de même un point commun avec les cloches qui, comme lui, savent se faire entendre. « Les mains battent des sourires… » Peu après, le propos est plus amer. De Gourdon, il ne garde pas que des souvenirs heureux… cette femme… il lève les yeux semblant chercher dans les lointains les tours de Perdrigal. On devine à quoi il pense… Avec le temps… qu’il enchaîne par Pépée. Les derniers accords de la bande-orchestre tombent plus lourds de sens que jamais. « On couche toujours avec des morts ». Léo s’incline légèrement, les bras tendus vers une Pépée imaginaire qui lui saute au cou. Le public pétrifié assiste en silence à cette scène pleine de tendresse, quand des premiers fauteuils fuse l’outrage : « Ferré au zoo ! ». Hors de lui, le chanteur descend des tréteaux, tonnant dans le micro : « Qui a dit ça ? Qui a dit ça ? » tandis que le projecteur fouille les rangs d’où est partie l’invective. Décontenancé, tassé au fond de son siège, un spectateur finit par se désigner implicitement en risquant d’une voix mal assurée : « On est en République, non ? » Dans un grondement amplifié par la sono, la réponse cingle : « République mon cul ! T’es chez moi ici ! Fous l’camp ! Fous l’camp ! Fous l’camp ! » – ces derniers mots martelés jusqu’à ce que l’importun finisse par déguerpir piteusement. Le chanteur regagne l’estrade et se concentre quelques secondes avant de renouer le fil du récital au moment où, du fond des travées, s’élève la même voix. La poursuite lumineuse se braque aussitôt sur le personnage qui, regrettant sa bévue, balbutie quelques excuses. Ferré n’a pas l’intention d’insister et il s’adresse à l’éclairagiste pour qu’il ramène le projecteur sur lui : « Laisse tomber, Maurice… » Bien sûr, Maurice Frot n’est plus aux manettes depuis belle lurette. Visiblement ému, Léo balaie le lapsus d’un geste vague et poursuit le concert. La fin du voyage est éblouissante alors que, dans la coupole du chapiteau, les fantômes continuent à bousculer les étoiles.

Commentaires

Cela fait penser à la réaction de BHL, lorsqu'il avait reçu une tarte à la crème en pleine figure. L'atmosphère de lynchage ("Hors de lui, le chanteur descend des tréteaux, tonnant dans le micro : « Qui a dit ça ? Qui a dit ça ? » tandis que le projecteur fouille les rangs d’où est partie l’invective", "La poursuite lumineuse se braque aussitôt sur le personnage", "Fous l’camp ! Fous l’camp ! Fous l’camp ! » – ces derniers mots martelés jusqu’à ce que l’importun finisse par déguerpir piteusement."), après qu'on eut jeté un nom en pâture ("cette femme…" tellement inommable) rend compte de la violence du fanatisme que pouvait susciter Ferré.

Je ne comprends pas cette complaisance ni cette dévotion à l'égard de ... l'idole.

Écrit par : gluglups | mercredi, 20 décembre 2006

Je ne sais pas très bien à qui vous vous adressez, si c'est à Jacques Miquel ou à moi. Je ne veux pas répondre à sa place mais, puisque je l'ai accueilli ici, j'assume.

Je n'ai pas vu le spectacle en question. On peut imaginer que, chantant à Gourdon, à sept kilomètres de l'endroit où il avait vécu, Léo Ferré ait été plus ému qu'ailleurs et qu'il ait mal supporté une remarque formulée juste après la chanson Pépée. Que ses réactions soient passsionnées, par ailleurs, n'est guère étonnant. S'il avait été différent, il n'aurait pas fait la même oeuvre. A mon avis, le terme de "lynchage" est au moins aussi excessif que cette réaction.

"La violence du fanatisme" s'est manifestée aussi chez ceux qui le contestaient, durant quelques années. Je me demande si ce n'était pas la même chose, finalement. J'en suis même à peu près convaincu aujourd'hui. Le même sentiment inversé. Il a toujours excité les passions : dévotion ou contestation.

En écrivant la note Trois amis et les pops, je me suis rendu compte que je m'éloignais de l'objet de ce blog. Je l'ai publiée quand même parce que ce récit, que je me suis efforcé de rendre "extérieur", témoignait d'un moment de la carrière de Ferré et de la façon dont il était parfois reçu. Jacques Miquel m'a proposé son propre souvenir en écho et c'est en écho que je l'ai mis en ligne, comme je l'ai dit.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 21 décembre 2006

"A mon avis, le terme de "lynchage" est au moins aussi excessif que cette réaction.": tout de même, la poursuite qui cherche dans le public, pour braquer le coupable, lequel est obligé, lorsqu'il se désigne lui-même, d'avoir le réflexe de se défendre, un peu bêtement, en invoquant la République avant de s'enfuir, fait penser à cela. C'est presque fritzlangien, cette scène, avec le pinceau du projecteur. Lynchage aussi, parce que pour le public, le spectacle devient forcément cet incident. Enfin, l'ambiance devait être assez glauque...

Je précise que je ne trouve pas l'intervention initiale du spectateur très intelligente (elle aurait pu être drôle au moins) et on peut espérer qu'elle était spontanée. Il faut peut-être se placer dans la situation de quelqu'un assez insensible aux "arma Christi" qu'on lui expose et qui ne peut s'empêcher de le manifester, je ne sais pas. La réaction d'un "incroyant" n'est jamais tout à fait malsaine... En ce sens, l'incident se distinguerait de ceux que vous nous avez relatés, même si la réaction de Ferré devait être conditionnée par ces souvenirs.

"En écrivant la note Trois amis et les pops, je me suis rendu compte que je m'éloignais de l'objet de ce blog.": je ne crois pas. La "réception" d'un discours, quelle qu'elle soit, parle probablement un peu de ce discours.

Écrit par : gluglups | jeudi, 21 décembre 2006

Lors de ce récital à Gourdon du 11 juillet 1985 Léo Ferré a interprété "dans l'ordre qui lui a plu" les chansons suivantes :
Les amoureux du Havre – La vie d’artiste – Pauvre Rutebeuf – Graine d’ananar – Les copains d’la neuille – La solitude / L’invitation au voyage –Mon camarade – La vie moderne – Thank you Satan – L’amour – T’es rock coco – Madame la misère – Pépée – Marizibil – Le printemps des poètes – Le chien – Ton style – Préface – Avec le temps – Je te donne – Les artistes – Tu penses à quoi – Allende – Words words words – Frères humains / L’amour n’a pas d’âge – Ta source – Un jean’s ou deux – Le tango Nicaragua – T’as d’beaux yeux tu sais – La porte – La mort des amants – Les spécialistes

Écrit par : Jacques Miquel | jeudi, 09 août 2007

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