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lundi, 08 janvier 2007

À propos de Cecco, par Jacques Miquel

Après nous avoir présenté Leonid Sabaniev et Jamblan, Jacques Miquel continue à nous faire connaître ces personnages qui passent dans la vie et l’œuvre de Léo Ferré et sont moins célèbres que d’autres. Ces notes biographiques très documentées permettent de cerner mieux encore l’univers artistique de Ferré. Je remercie Jacques Miquel pour son goût de la recherche et pour l’aide qu’il m’apporte.

 

Vers 1981, Léo Ferré enregistre sous le titre de Cecco, un sonnet d’un poète toscan du XIIIe siècle plaqué sur l’orchestration symphonique de Pauvre Rutebeuf [1]. Le disque sort en Italie avec, au verso de la pochette, la transcription du poème original et l’indication de l’auteur, « Cecco Angiolieri 1260-1312 ? »[2], à propos de qui le chanteur souligne par ailleurs des similitudes existentielles avec Rutebeuf († 1280). Ce single vinyle n’est pas distribué en France où il faut attendre une vingtaine d’années pour que l’on découvre Cecco en CD [3]. Parmi les rares auteurs qui ont mentionné cette chanson, certains [4] ont malencontreusement attribué le texte à un autre poète italien, Cecco d’Ascoli.

Francesco Stabili dit Cecco d’Ascoli [5], cité où il vit le jour en 1269, enseigna l’astrologie à Bologne. À la fois poète et savant, son nom reste attaché à L’Acerba, une somme de vers à résonance scientifique dans laquelle il s’oppose à Dante. Accusé  d’hérésie et de sortilèges pour avoir commercé avec des succubes, il fut condamné au bûcher par l’Inquisition en 1327. Si cet opposant à l’oppression religieuse avait de quoi inspirer Léo Ferré, il n’est dit nulle part qu’à l’instar de Rutebeuf il connaissait « des problèmes de femme et d’argent » et il n’est pas le « Cecco » de la chanson.

Né à Sienne vers 1260, Cecco Angiolieri est de la même génération que Francesco Stabili ; comme lui, sa vie s’écoule dans une Italie divisée entre gibelins inféodés à l’empereur et guelfes fidèles au pape, situation localement aggravée par la rivalité politique entre Siennois et Florentins. Dans ce paysage troublé, le parcours d’Angiolieri confine souvent à la légende du poète maudit tour à tour guerrier puis déserteur, rétif aux lois de la cité et impliqué dans une rixe meurtrière, tâtant la paille du cachot et frappé de bannissement. En réalité, sa biographie ressort en filigrane de ses œuvres poétiques, constituées de plus de cent cinquante sonnets rassemblés sous le titre de Canzoniere ou encore de Rime. Au fil de ces vers, il se pose en contempteur sarcastique de son temps, nourrissant une rancœur farouche à l’égard de son père, riche patricien dont l’avarice le réduit à la pauvreté et au dénuement. Avouant cyniquement n’avoir pour seules passions que « la femme, la taverne, et les dés », ses provocations caustiques semblent n’avoir d’autre but que de masquer un profond désarroi et le dépit de voir son talent occulté par le succès de Dante. Allant jusqu’à l’autodérision, il parodie la noblesse des sentiments du Florentin pour Béatrice en lui opposant la trivialité de ses propres déconvenues amoureuses avec la fille d’un savetier, cupide et rouée. L’expression parfois crue de sa poésie est en fait une réaction littéraire au « style nouveau » qui s’affirme alors et qui n’est pas sans évoquer l’amour courtois. Mais les inspirations passionnées et les saillies burlesques qui font de Cecco Angiolieri le principal tenant de la poésie réaliste bourgeoise, ne doivent pas faire oublier la sensibilité à fleur de cœur d’un auteur floué par l’existence. Son œuvre, longtemps négligée, n’obtint une place de choix dans la littérature italienne qu’à l’aube du XXe siècle.

En France, le romancier et poète symboliste Marcel Schwob contribua à sortir le rebelle siennois de l’anonymat en lui consacrant sous le titre de Cecco Angiolieri, poète haineux  un chapitre de Vies imaginaires, recueil de contes paru en 1896 décrivant des personnages souvent méconnus, au destin atypique. Dans ce récit picaresque on découvre un Cecco à la bouche tordue, détestant dès son plus jeune âge son père, dont il souhaite ardemment la mort pour récupérer son magot. Fils prodigue désargenté, il gagne Florence où il n’a d’autre alternative que la mendicité. Amoureux transi de la belle et moqueuse Becchina pour laquelle il écrit en pure perte des vers enflammés, il ne cesse d’épancher sa bile sur Dante, son irréductible rival en littérature. « Pauvre et nu comme une pierre d’église » il entre dans les ordres, ce qui ne l’empêche pas de nourrir toujours une aversion viscérale à l’égard de ses semblables exprimée dans le fameux sonnet dont Marcel Schwob propose cette traduction tronquée : « Si j’étais le feu, pensa-t-il, je brûlerais le monde ; si j’étais le vent, j’y soufflerais l’ouragan ; si j’étais l’eau, je le noierais dans le déluge ; si j’étais Dieu, je l’enfoncerais parmi l’espace ; si j’étais Pape, il n’y aurait plus de paix sous le soleil ; si j’étais l’Empereur, je couperais des têtes à la ronde ; si j’étais la mort j’irais trouver mon père… si j’étais Cecco… voilà tout mon espoir… » Après avoir abandonné le froc et s’être joint à une horde de guelfes noirs mettant à feu et à sang le quartier des élites florentines, il apprend avec bonheur la mort de son père. Devenu riche et venant enfin à résipiscence, sans vergogne aucune il exhorte le pape à lancer une Croisade contre tous les fils indignes !

Léo Ferré connaissait-il ce sombre portait de Cecco dû à Marcel Schwob ? On l’ignore… Quoiqu’il en soit, il est probable qu’il ait découvert lui-même cet auteur par d’autres voies. On sait en effet qu’il s’était suffisamment penché sur la littérature italienne du Moyen-Âge pour souligner sa lisibilité à l’époque moderne, contrairement au vieux français devenu hermétique pour le commun des lecteurs. De plus, sa compassion pour Angiolieri dont il rapprochait la situation de pauvreté de celle de Rutebeuf, laisse penser qu’il avait fait une lecture attentive de son œuvre. Quant à la thématique du sonnet considéré, elle est réellement celle d’un « immense provocateur ». Se substituer au XIIIe siècle au pape ou à l’empereur pour assouvir sa misanthropie constitue déjà une grave transgression ; utiliser cet habile procédé pour inférer la cruauté des princes constitue un crime de lèse-majesté. Lorsque l’on agit de même avec Dieu, hier comme aujourd’hui, cela relève du sacrilège et au « Si j’étais Dieu » de Cecco fait écho le « Si j’avais les yeux du Bon Dieu » de L’Opéra du ciel de Ferré, tissant ainsi à travers les siècles une complicité libertaire entre les deux poètes. Peut-être est-ce au nom de cette fraternité intemporelle qu’en 1983, Ferré met en scène le Toscan dans L’Opéra des rats en lui faisant déclamer cette traduction [6] sinon littérale, en tout cas très fidèle à l’esprit du poème de Cecco Angiolieri :

Si j’étais le feu je foutrais le feu au monde

Si j’étais le vent  j’y foutrais la tempête

Si j’étais l’eau je le noierais

Si j’étais Dieu je l’enverrais au plus profond

Si j’étais le Pape je serais alors très joyeux

Car je me taperais tous les chrétiens

Si j’étais empereur tu sais ce que je ferais ?

À tous je couperais la tête

Si j’étais la mort j’irais chez mon père

Si j’étais la vie je foutrais le camp de chez lui

Je ferais pareil avec ma mère

Si j’étais moi  comme je suis et comme je fus

Je prendrais les femmes jeunes et chouettes

Et je laisserais les vieilles et les laides aux autres.


[1]. Le catalogue des orchestrations réalisées par Léo Ferré dans les années 70 (in Paroles et musique de toute une vie, La Mémoire et la mer, 1998, vol. 7) signale l’enregistrement, le 8 octobre 1973, de la bande orchestrale de Rutebeuf, suggérant que l’artiste avait l’intention de reprendre ce titre avec une partition plus élaborée que celle de 1955. Ce qu’il fera en 1984 sur un album live imputant l’accompagnement à l’orchestre symphonique de Milan. C’est ce dernier accompagnement qui est utilisé pour Cecco.

[2]. 45-tours single, G&G Records, GG 0016 avec, en face B, Allende (en français). Les deux titres sont repris sur un album italien proposant une compilation d’artistes français (Gli intramontabili, G&G Records, RL 8650).

[3]. La musica mi prende come l’amore, La Mémoire et la mer, CD 10.004 (2000).

[4]. Notamment Robert Belleret in Léo Ferré, une vie d’artiste, Actes Sud-Leméac, 1996 (p. 369) et Christophe Marchand-Kiss in Passion Léo Ferré, Textuel, 2003 (p. 162).

[5]. Ascoli Piceno, ville de la région des Marches (Italie).

[6]. Traduction de Léo Ferré extraite de L’Opéra des rats, © La Mémoire et la mer, 2000 - LMMCD004.

Commentaires

Vraiment merci de ce texte (on avait apprécié déjà votre article sur Sabaniev).

Il semble que M. Schwob, comme l'indique le titre de son recueil, ait largement imaginé cette vie de Cecco, dont on ne connaît presque rien et qui doit effectivement "ressort[ir] en filigrane de ses œuvres poétiques". Quel crédit accorder d'ailleurs à ces confidences que Cecco fait de sa propre vie, dans une oeuvre que vous qualifiez vous-même de burlesque? Dans quelle mesure cela ne ressort-il pas des codes propres au genre, qui s'évertue à dégrader les sentiments (et les formes) nobles et élevés?

Le rapprochement du sonnet avec "L'Opéra du ciel" que vous effectuez est très intéressant. Il y a pas mal de textes chez Ferré qui s'apparentent aussi un peu à des fatrasies ou des soties médiévales, à des "mondes renversés" (par exemple, "L'Imaginaire").

On peut trouver le texte de M Schwob sur internet ici: http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=44

Lu aussi, sur Wikipédia (version italienne), que Fabrizio De André avait déjà mis le poème en musique en 1968.

Écrit par : gluglups | lundi, 08 janvier 2007

Il en va de même pour Rutebeuf, dont on a tendance à écrire la vie en fonction de son oeuvre. Mais en relisant celle-ci de près, on s’aperçoit qu’il y a chez le poète une certaine complaisance à décrire son malheur, au point que j’en viens parfois à me demander s’il ne faut pas la comprendre au second degré. Certains poèmes, en tout cas, sont délibérément exagérés, afin d’apitoyer les riches donateurs, soit que cela ressortisse à un genre littéraire en soi, soit qu’il faille y voir un clin d’œil au lecteur/auditeur.

Que sait-on de lui, finalement, si ce n’est qu’il est resté fidèle à son maître de la Sorbonne, Guillaume de St-Amour, dans la querelle qui opposa celui-ci (et le clergé séculier) aux ordres mendiants ? Appartenant au clan des perdants, Rutebeuf sera repoussé par tous et verra sa carrière brisée.

Sur cette montée des ordres mendiants, qui se donnaient comme seuls détenteurs de la vraie foi (par leurs jeûnes, leur pauvreté, leur abstinence, leurs chants) et sur la manière dont ils ont supplanté, même auprès des rois, le clergé régulier, voir le livre de Georges Duby, « L’An mil».

Écrit par : Feuilly | mardi, 09 janvier 2007

Merci Feuilly de ces précisions.

On touche là à une question curieuse -- récrire la vie en fonction de l'oeuvre -- qui est très exactement le contraire de ce qui se fait depuis quelques années, qu'on appelle "biographisme" : expliquer l'oeuvre en fonction de la vie. La pire erreur à faire. Ce qui ne signifie pas que la vie ne puisse être source d'inspiration, bien entendu. Mais le commentaire ne doit pas s'y borner.

Pour Rutebeuf et Cecco, je me garderai de trancher, je ne les connais pas suffisamment.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 09 janvier 2007

Merci à Gluglups et Feuilly de leurs interventions à propos de Cecco. L'intention première était de situer cet auteur Toscan en quelques paragraphes et ce résumé est forcément réducteur. Mais certains lecteurs attentifs élèvent le débat de façon inattendue mettant le scripteur dans un certains embarras...
Sur l'aspect biographique il semble bien que les archives italiennes aient livré plusieurs documents datés sur la vie d'Angiolieri. Son père est tantôt présenté comme un riche négociant en laines, tantôt comme un des banquiers de la papauté, ce qui pourrait expliquer l'implication de la famille dans les rangs des guelfes. La participation de Cecco à plusieurs batailles, comme les procès qui lui furent intentés pour non respect du couvre-feu ou pour sa participation à une rixe semblent avérés, même si ici ou là ses sonnets en donnent un version arrangée à sa façon. Ainsi, ses relations notamment épistolaires avec Dante sont attestées, mais le Siennois a choisi une autre voie pour les illustrer. Quelques pièces montrent également que Cecco a achevé sa vie dans la paureté et ses enfants auraient refusé son héritage, composé surtout de dettes.
Pour ce qui concerne Marcel Schwob il est évident qu'il a tracé un portrait charge de Cecco éloigné de la réalité. C'était d'ailleurs le projet de "Vies imaginaires". Toutefois Schwob était un philologue reconnu doublé d'un grand érudit et il est peu probable qu'il ne se soit pas inspiré de sources historiques fiables pour écrire ce conte.

Écrit par : Jacques MIQUEL | mardi, 09 janvier 2007

http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=44

Écrit par : Feuilly | mardi, 09 janvier 2007

Bonjour.

En naviguant sur le net a la recherches d'infos sur Ferré je suis tombé sur votre site que je découvre petit à petit.
Je me permets de vous écrire au sujet de la discussion que vous avez eu en janvier 2007 sur Cecco Angiolieri. Jacques Miquel écrit ceci:
« Se substituer au XIIIe siècle au pape ou à l'empereur pour assouvir sa misanthropie constitue déjà une grave transgression ; utiliser cet habile procédé pour inférer la cruauté des princes constitue un crime de lèse-majesté. »
Je lisais moi-même le poème de Cecco comme celui d'un sacré révolté et je ne m'étonnais pas du tout que Ferré l'ai mis en musique.
L'année dernière, à l'occasion d'un séjour en Italie, j'ai eu pourtant une sacré surprise. Pour l'ensemble de la critique italienne, le message de Cecco Angiolieri n'est pas du tout considéré comme celui d'un révolté... en tous les cas pas du tout comparable au message révolté d'un Ferré par exemple. (Vous m'excuserez de me référer ici aux critiques littéraires, en l'occurence italiens... Je sais trop bien que le monde des ferrémaniaques est allergique aux critiques et surveille son pré avec attention, discréditant d'un revers de main les lectures critiques des oeuvres de Ferré... Mais je ne partage pas cette haine et je crois que les oeuvres de Ferré (comme toutes les autres oeuvres d'ailleurs) ont tout à gagner à aller se confronter à un discours critique... ) Pour l'ensemble de la critique italienne donc, ce poème est avant tout une parodie et le discours révolté de Cecco est à prendre au second degré, discrédité qu'il est par les derniers vers du poème. Tout le long du sonnet Cecco rêve en effet d'agir sur le monde dont il dénonce les injustices et les tyrannies (Roi, Pape etc.) Lorsqu'il a enfin la possibilité d'agir (si j'étais Cecco comme je suis et comme je fus...) on s'attend alors à ce qu'il dise : je fais la révolution, je me rebelle contre cet état de fait... Non, il fait une pirouette et nous dit : « Je prendrais les femmes jeunes et chouettes / Et je laisserais les vieilles et les laides aux autres ». En fait, il s'en fout. Il constate les problèmes du monde mais tant que lui s'en sort et qu'il peut faire des coups pendables aux autres, tout va bien. (Ceci résumé grossièrement, bien sûr).
A la lecture de cette analyse de texte, assez troublante je dois dire, une question se pose donc : comment Ferré a-t-il lu ce poème? Si l'on compare l'interprétation de De André avec celle de Ferré c'est édifiant (quand je dis comparer je n'entends pas juger quelle interprétation est meilleure que l'autre... elles sont différentes, valides l'une comme l'autre, et c'est justement leurs différences qui sont intéressantes...) Comparant les chansons -donc-, fort de cette analyse du texte, on peut alors se rendre compte que les points de vue sont totalement inverses! L'interprétation de De André est toute en ironie, la musique (parodie d'une marche) comme la voix du chanteur ne sont que pirouettes. Ferré au contraire a choisi d'interpréter le texte de façon très emphatique... il chante le poème avec ampleur, au premier degré dirons-nous... il se prend au sérieux. Son interprétation semble donc passer totalement à côté du cynisme ou de l'ironie de Cecco. Ferré n'a-t-il pas vu, ou choisi de ne pas voir, que le dernier vers du poème contredisait l'aspect soit-disant rebelle du début du sonnet, et -plus encore- que ce même vers contredisait totalement le message qu'il voulait faire passer depuis des années dans son oeuvre ? La question est en suspens... que chacun y réponde... Mais il me semble qu'une contradiction demeure, mystérieuse.

cordialement
yann valade

Écrit par : yann valade | lundi, 20 octobre 2008

On salue l'arrivée de Yann Valade sur ce blog.

C'est la question habituelle des poésies mises en musique. "Chanson d'automne" de Verlaine est différent chez Trenet et chez Ferré. "Le Serpent qui danse " de Baudelaire est différent chez Gainsbourg et chez Ferré. La "Chanson de la plus haute tour" de Rimbaud est différente chez Catherine Le Forestier et chez Ferré.

S'agissant de Cecco en particulier, je ne serais pas étonné que Léo Ferré ait été séduit par la chute du poème (en gros, je garderais les belles femmes et refilerais les laides aux autres), amusé par cela et qu'il ait voulu le chanter. Sa mise en chanson est faite sous la forme la plus fréquente dans son registre : je ne suis pas sûr qu'on puisse parler d'emphase, plutôt de gravité, chose habituelle chez lui. Il est vrai qu'il savait aussi manier l'ironie, la causticité. Toutefois, un changement de rythme (il ne reculait pas devant les changements de rythme, on le sait) en fin de chanson se serait-il justifié ici ?

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 20 octobre 2008

L'arrivée d'un participant nouveau montre assez que les discussions ne sont pas closes et qu'on peut les relancer un an et demi plus tard, et même davantage. La forme du blog a cet avantage et cette souplesse, tant mieux. Cela me conforte aussi dans ma volonté de ne jamais fermer les commentaires, y compris pour les conversations les plus anciennes. Cela me conforte enfin dans mon idée que ce lieu ne m'appartient pas en propre, qu'il est notre création commune et que seul de nouveaux commentateurs ou de nouvelles opinions peuvent le faire vivre, même quand je "sèche" un peu pour ce qui est des notes. Plus que jamais, bienvenue à tous et entière liberté à chacun.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 20 octobre 2008

Il me semble qu'il ne faut jamais perdre de vue une chose : Léo Ferré faisait les musiques qu'il aimait, comme il le voulait, et "prenait" les textes des poètes -- à égalité avec eux tous -- pour en faire SA chose d'abord. Qu'il comprenne ou non, selon nos critères-critiques-de-personnes-raisonnables, ce que les poètes qui l'ont précédé voulaient n'a, à mon sens, qu'une importance secondaire. Etre poète c'est forcément passer sur la logique (en tout cas celle des autres). Il le savait, l'a dit, l'a montré... toute mauvaise foi comprise.
En quoi nous devrait-il quelque explication ? Surtout post-mortem.

Écrit par : Martine Layani | lundi, 20 octobre 2008

Si la version chantée est effectivement quelque peu emphatique,la version "parlée",traduite à "l'emporte-pièce" que l'on trouve dans
"L'opéra des rats" ne l'est absolument pas.
La "traduction" de Ferré est peu fidèle à la lettre, mais bien dans
l'esprit cynique, féroce, voire parodique du sonnet.
Quand on parcourt les sonnets de Cecco,(l'oeuvre entière, les 150 sonnets se trouve facilement sur le net ),le sonnet choisi
par Ferré est très différent des autres , plus classiques et plus
"sages", autant que mon italien très sommaire puisse en juger.

Écrit par : Francis Delval | lundi, 20 octobre 2008

la question de la mise en musique des poètes est chez Ferré assez complexe dans la mesure où, comme pour certains de ses
poèmes,il a parfois utilisé la même musique pour des textes différents , mais aussi deux musiques différentes pour un même texte. Rutebeuf et Cecco,quasi-identiques,"la sorgue" et "l'amour" par exemple avec deux musiques qui diffèrent et n'ont
pas grand rapport.On pourrait multiplier les exemples.

Je suivrais volontiers le propos de Martine disant qu'il prenait
les "poètes" à égalité..et le reste de son commentaire.

Il faudrait en finir une fois pour toutes avec la distinction,en
ce qui concerne Ferré, entre poète et parolier.
Dire qu'il met les poètes en musique sous-entend que lui
ne l'était pas.

Que ce soit Baudelaire, Rimbaud,Bérimont, Mac Orlan,Laforgue ou Mouloudji , Verlaine ou Aragon,il les traite
musicalement à égalité,comme pour ses propres textes.

Devait-il tenir compte du dernier état de la critique pour faire
des choix musicaux ? Je ne le pense pas...S'il avait indexé
ses compositions sur telle ou telle lecture savante de Baudelaire ou de Rimbaud,le résultat n'en aurait pas été meilleur.Et Ferré lisait les ouvrages sur les poètes,il aurait
pu en faire s'il avait eu le temps.Sa préface à Verlaine en livre
de poche nous montre qu'il avait le talent pour cette besogne.

Quant à Cecco,pourquoi aurait-il choisi le dernier état de la critique italienne...?Cecco est l'exact contemporain de Dante.
Ce Dante que Ferré cite souvent et qu'il connait bien.Ferré avait une bonne connaissance du moyen-âge et du seizième
siècle.Je suppose que le lecture savante de le poésie italienne
a beaucoup évoluée au cours des siècles , comme celle de la poésie française.Et sa "traduction" de Cecco est une approche
fort différente de la chanson.
Il y a bien deux lectures de Cecco par Ferré.

Qu'il ait mis en musique également Giordano Bruno,le "soneto
proemiale",sonnet liminaire de la comédie "Il candelaio",
montre qu'il a largement balayé la littérature italienne ancienne, car Bruno est peu connu des français de notre temps.Il n'est guère lu que des philosophes,et souvent par obligation, car son "interprétation" est difficile et fort délicate.

( je rappelle en passant qu'il y a aussi une version de "la chanson de la plus haute tour" par Colette Magny,qui est particulièrement réussie;quant à "chanson d'Automne", Trenet
a modifié le texte ,on ne peut guère approuver, mais c'est une broutille)

Écrit par : Francis Delval | lundi, 20 octobre 2008

Bonjour.
Ferré est un artiste. Il est artiste non parce qu'il l'a décidé mais parce que les autres (au sens large... que ce soit son public ou non) l'ont fait artiste. Sinon il serait resté artisan-chanteur-compositeur-poète etc. mais pas artiste. Les artistes auto-proclamés le sont rarement. C'est donc l'autre, qu'il soit auditeur, spectateur, lecteur qui fait l'oeuvre d'art et non le compositeur-chanteur, l'acteur, l'auteur, etc. L'oeuvre de Ferré est là parce qu'un autre, des autres s'en sont emparés, l'ont fait leur. Discuter l'oeuvre de Ferré, la remettre en question, lui demander des comptes c'est vérifier sa validité, et la renforcer. C'est justement parce que l'oeuvre de Ferré résiste aux questions critiques (ou pose des problèmes critiques) qu'il y a oeuvre... et plus cette oeuvre résistera, plus ce sera jouissif d'aller l'interroger. Ferré lui-même lisait les critiques... cf. le problème que lui a posé le livre de Sartre sur Baudelaire... in Dis donc Ferré. Il ne dit pas que Sartre est un con même si la lecture critique de Sartre lui pose problème.
Dire que la lecture du poème de Cecco par Ferré est en contradiction avec la lecture des critiques ne veut pas dire que la lecture de Ferré est "plus" ou "moins" intéressante que celle des critiques, "juste" ou "erronnée". non. Elle est différente et c'est cette différence qui intéresse.
Ferré ne choisit pas ses amis au hasard (Rutebeuf, Villon, Verlaine, Rimbaud etc.)
Il y a aussi ceux avec lesquels il règle des comptes (Valéry, Breton, Perse etc.)
Il y a aussi tous les artistes qui traversent son oeuvre de façon plus ou moins silencieuse mais dont l'influence est indubitable (Poe, Joyce)
(on pourrait faire le même discours pour la musique... excusez-moi je n'ai pas la culture suffisante pour en parler).
Dans tous les cas, l'oeuvre de Ferré dialogue avec l'oeuvre de tous ces artistes... qu'elle s'inscrive contre ou pour, il y a dialogue.
Quel dialogue le poème de Cecco entretient-il avec l'oeuvre de Ferré? celui de la révolte. c'est évident. Effectivement la reprise du poème dans L'Opéra des rats n'est pas une redite de la mise en musique... de mémoire il me semble que Ferré le dit en effet différemment. Mais il y a longtemps que je n'ai plus écouté cet enregistrement... Cette reprise confirme en tous les cas l'importance de ce poème pour Ferré.
L'intérêt de la critique italienne c'est d'apporter un autre regard sur ce poème, de nous le faire lire différemment. Moi je fonçais tête baissé dans la lecture de Ferré! Un nouveau copain. Chouette! Et puis ces critiques, cette nouvelle lecture. Ce dernier vers. Certes si je me rappelle bien il y a de la gourmandise dans la voix de Ferré lorsqu'il dit le dernier vers dans l'Opréra des rats... sa traduction est d'ailleurs un régal. Mais cela efface-t-il le sens profond de l'attitude de Cecco à la fin du poème? Moi j'ai la sensation que Ferré se tire une balle dans le pied. et c'est pour cela que je m'interroge... Les textes qu'il a choisi de mettre en musique sont des faux hasards... Tous ces textes viennent étoffer le discours qu'il tient dans ses propres textes... Ici il y a contradiction. C'est étrange.

yann

Ps:Personnellement dans l'Opéra des rats j'aurais plutôt pensé que le personnage du Toscan était Dante... mais y voir Cecco why not. ça m'intrigue... va falloir que j'aille voir ça de plus prêt.

Écrit par : yann valade | mardi, 21 octobre 2008

Je trouve le point de vue de Yann Valade très intéressant. Je ne pense pas, personnellement, qu'il y ait contradiction et j'ai, maladroitement sûrement, tenté de le dire plus haut. Ni que Léo Ferré se tire une balle, etc. Mais quand Yann écrit : "Les textes qu'il a choisi de mettre en musique sont des faux hasards... Tous ces textes viennent étoffer le discours qu'il tient dans ses propres textes...", je ne peux qu'approuver, moi qui répète depuis cent sept ans que la mise en musique des poètes fait partie intégrante de son oeuvre et que, chez Barclay-Universal, on n'a rien compris en séparant les pseudo-intégrales.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 21 octobre 2008

C'est toujours un réel plaisir de s'apercevoir qu'un article comme Cecco suscite des commentaires, plusieurs mois après sa mise en ligne sur le blog. Donc merci à Yann Valade de faire rebondir le débat.
Pour ma part je ne connais pas du tout l'ensemble de la critique italienne visée par M. Valade et je m'en étais essentiellement tenu à la documentation facilement accessible dont le texte de Marcel Schwob consacré à Cecco dans Vies Imaginaires. Ici le portrait est celui d'un marginal cynique mais pas forcément sympathique.
Quant à la chute du Sonnet comme remise en question de tout ce qui précède c'est un procédé proche me semble-t-il de celui qu'utilise parfois Léo Ferré. Je pense par exemple aux derniers vers du poème L'amour meurt.
Toujours à propos de Cecco j'ai eu il y a peu, quelques échanges hors blog avec Francis Delval et nous étions convenus que parmi les pistes de réflexion offertes par le Sonnet d'Angiolieri, une interprétation ésotérique était tout à fait envisageable, nous éloignant ainsi des préoccupations sur la révolte supposée ou non de Cecco (Je crois d'ailleurs avoir parlé dans l'article plus de transgression que de révolte.)

Écrit par : Jacques Miquel | mardi, 21 octobre 2008

Oui, je m'en souviens, j'avais , entre autres hypothèses,suggéré que certaines figures du sonnet se retrouvaient dans le Tarot dit de Marseille (Le Pape, L'Empereur,
l'amoureux font partie des arcanes majeurs..)...Le tarot de Marseille est plus récent que l'oeuvre de Cecco ,mais il a eu des
tarots plus anciens.Il faudrait voir si cet aspect ésotérique et savant se retrouve dans les autres sonnets, c'est une hypothèse
qu'on ne peut fonder sur un seul texte.L'oeuvre de Dante,celle
de Nicolas de Cues, celle de Bruno,peuvent supporter plusieurs lectures, une exotérique,de surface, une ésotérique.
Ce n'était pas rare à l'époque.Les travaux de Cassirer,philosophe rationaliste s'il en est, l'ont bien montré

Un mot pour Yann Valade:
En ce qui concerne le rapport de Ferré aux autres poètes.

Ferré a eu quelques démêlés avec l'oeuvre de Baudelaire,essentiellement un malentendu dû à la lecture de Sartre.
Je me permets de renvoyer à ma note "Ferré lecteur de Sartre", sur ce blog.Je n'y reviens pas.

Certes, il n'aimait pas Perse,il a un rapport ambigu à Valéry,
mais on ne peut pas dire, en dépit de leur fâcherie qu'il n'aimait pas la poésie de Breton ou des surréalistes en général
On peut même soutenir que c'est avec les symbolistes,les poètes qui l'ont le plus marqué.Malgré la préface anti-surréaliste de "Poète..vos papiers!"....Breton, Aragon,Peret ,(à qui il doit certainement son anti-syndicalisme
radical;"Les syndicats, c'est la mort de la révolution", c'est du
Péret pur jus),mais aussi Ribemont-Dessaignes qu'il a chanté,
et surtout Réné Char,que Ferré, on ne le dit pas assez, admirait beaucoup.Et Charles Estienne, son ami et préfacier,a fait partie du groupe surréaliste et du mouvement de peinture
"tachiste".

Quant on lit les textes de Ferré avec attention, cette influence des surréalistes est nettement perceptible;(il a bien
connu aussi Philippe Soupault).

Yann Valade, vous parlez de Poë.Ferré connaissait très mal
l'anglais (ou l'américain).Il l'a surtout connu à travers Baudelaire.Il évoque souvent Poë ,mais presque toujours à travers le même poème : "The Raven".

Quant à Joyce, ça me laisse perplexe...Je connais assez bien
depuis très longtemps l'oeuvre de Joyce,et celle de Ferré.
le rapprochement n'est pas évident..L'a-t-il lu ? nous n'en savons rien...Peut-être pensez vous aux mots-valises,ou à l'écriture sans ponctuation qu'on retrouve parfois chez nos deux auteurs,ou aux créations verbales et néologismes ?
L'influence de Lautréamont ou de Céline, (on est sûr au moins qu'il les connaît bien), est nettement plus évidente
qu'une présence joycienne dissimulée......

Écrit par : Francis Delval | mardi, 21 octobre 2008

Bonjour à tous!!!!!


Le texte de Jacques Michel était, comme d'habitude, suffisamment précis et nuancé et ne proposait pas une lecture excessivement "romantique" du personnage. Je lis par exemple: "Allant jusqu’à l’autodérision, il PARODIE la noblesse des sentiments"... "L’expression parfois crue de sa poésie est en fait une réaction littéraire"... et cela ne va pas à l'encontre, me semble-t-il, de ce que qu'a pu lire Yann Valade auprès des meilleurs spécialistes de Cecco. La première discussion nous engageait d'ailleurs sur un terrain rhétorique.

Heureusement pour nous, Cecco n'était pas un "Insoumis", fier de se regarder dans la glace, tant cela lui crée un sentiment de légitimité et de bonne conscience. J'ajouterais aussi qu'il serait bon de ne pas toujours lire Ferré au premier degré, ce qui nous éviterait cette bigoterie insupportable (car il n'y a pas d'autre terme, c'est exactement la même chose - "y'a pas + cons que les zapôtres" - avec, en plus, l'intolérance et la haine idéologique) qui règne autour de lui et qui, peu à peu, le transforme en "Monsieur tout Chiant", et pour tout dire le rend inécoutable. Bigoterie à laquelle on serait d'ailleurs tenté d'opposer une "bouche tordue" à la Cecco.

Yann Valade ne précise pas de quoi Cecco serait la parodie, alors que le texte de J. Miquel opposait le style de Cecco au "dolce stil nuovo" et soulignait sa dimension satirique ("il se pose en contempteur sarcastique de son temps").

Il est évident que le poème de Cecco a un côté exercice de style, exercice de rhétorique.

On pourrait le rapprocher d'un des topoï les plus anciens de la littérature, celui du "monde renversé" et des adynata (ou impossibilia en latin). Pour ceux que cela intéresse, on trouve des éléments dans l'article du Dictionnaire International des Termes Littéraires => http://www.ditl.info/arttest/art6147.php

On trouve de nombreux adynata chez Ferré (exemples: "Les fleurs des champs s'en iront prendre un verre de sollicitude chez Interflora", "Les coqs du matin feront la sieste le matin et laisseront crever les prétentions hormonales et économiquement inconsistantes", "C'est un lièvre tranquille un revolver aux pattes", etc., etc., etc.).

L'article du Dictionnaire International des Termes Littéraires, plutôt que de mentionner en bibliographie la prose amphigourique de G. Molinié, aurait mieux fait de citer les quelques pages que Barthes a consacrées aux adynata (une idée: relire ce texte de Barthes + son Fourier avant d'écouter L'Imaginaire de Ferré) et surtout "La Littérature européenne et le Moyen Age latin" (pp.170-176, édition Presses Pocket) d'Ernst Robert Curtius, qui est le premier, dans les années 1930, à avoir mis "sur le devant de la scène" cette figure de rhétorique. Le livre de Curtius est indispensable car il répertorie tous les topoï de la littérature antique qui ont traversé les âges: "Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent"...

Les poètes du Moyen Age ont pris comme modèle cet adynaton de Virgile (Eglogue 8, 53): alors qu'un pâtre se fait à l'idée qu'il a été abandonné par sa maîtresse, cette catastrophe le conditionne psychologiquement à envisager un renversement complet de l'ordre du monde: "que maintenant le loup fuie devant les moutons, que les chênes portent des pommes d'or, que les hiboux rivalisent avec les cygnes [considérés au temps de Virgile comme les oiseaux ayant le plus beau chant]..." (Aristophane avait écrit bien avant des adynata, qui parodiaient Homère).

Selon Curtius, dès l'époque carolingienne, parce que c'était aussi un exercice scolaire, on va, en poésie, développer les adynata sur le modèle virgilien avec des séries un peu formelles (Théodulphe d'Orléans: "Que vont faire les cygnes si les corbeaux font entendre de tels accents, si le perroquet imite les Muses..."; Walahfrid Strabon: "puissent les poules mettre bas des chevaux, les chèvres pondre des oeufs").

Or, à partir du XIIe siècle, alors qu'on redécouvre la satire romaine (Juvénal), "l'épanouissement de la civilisation fait naître une nouvelle conscience. On se risque à soumettre l'époque à une critique de grand style. La décadence de l'Eglise et du monachisme, la paysannerie, tout est pris à partie. Le cadre de l'adynaton antique sert donc à la critique de l'époque, aux lamentations de l'auteur. La série des impossibilia donne naissance au topos du monde renversé". Autrement dit, ce n'est pas qu'un exercice formel qui tourne à vide mais cela devient une satire, qui permet à l'auteur de se définir, sur un mode de lamentation burlesque virant à l'autodérision. La Vendetta du pauvre en quelque sorte.

Et cette tradition se poursuit, chez le maître de Dante par exemple, Arnaut Daniel ("je suis si fort que je puis arrêter le torrent, et mon boeuf court plus vite que le lièvre") et on la retrouve à la Renaissance (Rabelais mais aussi la peinture, cf: Les Proverbes flamands de Bruegel => http://bruegel.pieter.free.fr/proverbes.htm). Dans la poésie baroque et surréaliste, etc.

J'en profite pour saluer et remercier tous ceux à qui je n'ai pas donné signe de vie. Jacques, évidemment mais aussi Francis!!!!
+ Moreno et les zamis de MSN et La Vendetta

Écrit par : gluglups | mercredi, 22 octobre 2008

Retour en grande forme de Gluglups, dont je respectais le silence choisi. Salve !

Le lien en signature ne fonctionne pas, mais je pense qu'il était identique à l'adresse donnée dans le commentaire :

http://bruegel.pieter.free.fr/proverbes.htm

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 22 octobre 2008

Eh bien, on salue le retour de l'ami Glupglups... et quel ! Wahoo, comme on dit en petit français quotidien, belle démonstration. Merci pour les précisions.

Écrit par : Martine Layani | mercredi, 22 octobre 2008

Je salue également le retour de Gluglups...

Je mets en "commentaire" un essai de traduction littérale
du sonnet de Cecco, fait il y a deux ans.Je ne connaissais
pas la traduction de Ferré, ayant manqué la distribution de "l'opéra des rats" ,avec l'achat de "Métamec"..Je n'étais pas allé
dans la bonne boutique.J'ai pu récupérer les 2 CD l'an dernier.


Si j'étais le feu je brûlerais le monde
Si j'étais le vent je le tourmenterais
Si j'étais l'eau je le submergerais
Si j'étais Dieu profondémént le changerais
Si j'étais Pape serais alors joyeux
Que les chrétiens soient opprimés
Que ferais-je si Empereur j'étais?
A tous je couperais le tête
Si j'étais la mort j'irais chez mon père
Si j'étais la vie m'enfuirais de chez lui
Et ferais de même avec ma mère
Si j'étais Cecco ce que je suis et je fus
Je prendrais les femmes jeunes et belles
Les laides et vieilles aux autres les laisserais


J'ai essayé de rester au plus près du texte.il y a
peut-être des erreurs.Je n'ai pas mis volontairement
de ponctuation.

Écrit par : Francis Delval | mercredi, 22 octobre 2008

J'ai cherché la littérature qui existait sur Cecco.
Deux livres disponibles en anglais:
-Sonnets. trad Scott.Avril 2008
-Comédie et culture:la poésie de Cecco A.et la société
médiévale tardive, par F.Alfie (2002)
(des ex disponibles sur Amazon)

Livres épuisés mais qu'on peut trouver en bibliothèque
-Sonnets (trad française de Claude Perrus ) 1967
En allemand (je continue à donner les titres en français)
-"Le cours de la vie,les maladies et leurs traitements dans
les poésies de Cecco et autres poètes burlesques du temps
de Dante ".1960 . Collectif Université de Munich

En italien.
La patrie et la vie de Cecco .(1902) par A.F.Massera
(ouvrage que Schwob a pu connaître);
Cecco A. et la poésie autobiographique entre 1200 et
1300,de Mario Marti (1945)
La muse bizarre de Cecco A.par F.Figurelli (1950)

il y a probablement des travaux plus récents en Italie, mais pas forcément diffusés en France.

Je rappelle que les 129 sonnets de Cecco sont téléchargeables en italien sur le net.Sur un site de la ville de Sienne....On trouve aisémént sur Google.


J'ai bien apprécié l'érudition amusante de Gluglups.

Cette période de l'histoire italienne entre 1200 et 1500 est
assez étonnante par sa richesse artistique , poétique,et philosophique.Et par ses contradictions apparentes.
Dans ses écrits de jeunesse sur Marsile Ficin ,Pomponazzi et Pic de la Mirandole, mon "maître" en philo , Eric Weil ,a bien
montré les contradictions apparentes de cette société toscane
qui, au sortir de la messe, allait consulter les astrologues,aimait les farces et les plaisanteries érotiques, et jusqu'à Machiavel inclus.(cf.sa comédie " La mandragore")
( La " maquerelle" est d'ailleurs une figure récurrente chez
Cecco.)

Écrit par : Francis Delval | mercredi, 22 octobre 2008

Je tiens que, dans la vie, d'une façon générale, les contradictions n'existent pas. Il n'y a que des complémentarités. C'est une chose que je répète souvent, qu'on a déjà dû lire ici, mais j'y crois beaucoup.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 22 octobre 2008

salut à tous.
un petit mot sur les surréalistes, joyce et poe.
pour les surréalistes je crois que le livre de lucienne cantaloube-ferrieu Chanson et Poésie des années 30 aux années 60: Trenet, Brassens, Ferré... ou les ‘enfants naturels’ du surréalisme clot définitivement le débat. L'influence surréaliste est évidente et les relations amicales ou non entre Ferré et certains d'entre eux sont connues.
pour Poe il y a de nombreuses allusions au poème le corbeau en effet... il y aussi un clin d'oeil aux aventures d'arthur gordon pym cf. les corbeaux blancs de Monsieur Poe.
pour Joyce c'est simple. En travaillant sur les manuscrits du roman j'ai découvert que Ferré le cite texto en plein milieu du monologue intérieur de benoît (allusion qu'il a ensuite effacé)... l'allusion est évidente, Ferré avait alors en tête le monologue de Molly Bloom à la fin d'Ulysse. J'ai été moi même très surpris mais là c'est écrit noir sur blanc... et lorsqu'on ouvre le tiroir Joyce on s'aperçoit alors qu'il y a une grande similitude entre le portrait de l'artiste en jeune homme et benoît misère. affaire à suivre...

yann

Écrit par : yann valade | mercredi, 22 octobre 2008

J'ai toujours ressenti Léo Ferré dans la série surréaliste : Rimbaud, Breton, Ferré. Je n'ai pas eu l'occasion de lire toutes les références citées par les uns ou les autres. Impossible de tout lire. Mais tout cela va dans le même sens.

Il en est malheureusement des poètes comme des membres d'une famille : l'entente n'est pas systématique ni quotidienne. Et nous sommes là à guetter les clins d'oeil qu'ils pourraient se faire. C'est tout de même mieux que peigner la girafe... même si j'aime bien les animaux.

Écrit par : Martine Layani | mercredi, 22 octobre 2008

Il est effectivement fort possible que la lecture d'"Ulysse" ait donné à Ferré l'idée du monologue intérieur sans ponctuation
de "Benoit Misère", et si le nom de Joyce est mentionné,c'est
alors certain.Mais peut-on vraiment parler d'influence de Joyce?
Ce n'est pas du tout le même mode d'écriture.La prose de Ferré,même sans ponctuation, est très éloignée de l'écriture
joycienne.Je suis moins convaincu par votre rapprochement entre" B Misère" et "le portrait de l'artiste...".Il faudrait, pour me convaincre,montrer les similitudes, en quoi ces récits d'enfance
et d'adolescence auraient des points communs et donc différeraient des autres récits d'enfance que l'on trouve à
foison dans nos littératures.

Écrit par : Francis Delval | mercredi, 22 octobre 2008

salut à tous!

oui en effet le mode d'écriture de joyce et de ferré sont très différents... et l'influence évidemment moins forte que celle des poètes maudits du XIXème ou des surréalistes par exemple.
Mais il y a en tous les cas une piste de travail inédite: voir quelles sont les similitudes et les différences entre le monologue intérieur à la Joyce et le monologue intérieur à la Ferré... qu'est-ce que Ferré emprunte à Joyce? Si vous connaissez des bouquins qui font le point sur les particularités du monologue intérieur de Joyce je suis preneur...
Le rapport entre le portrait de l'artiste en jeune homme et benoît misère... Qu'est-ce que benoît misère sinon le portrait du poète en jeune homme? Mais les similitudes ne sont pas formelles of course (la façon dont Joyce organise son récit n'a rien à voir avec celle du roman de Ferré). Par contre il y a une similitude thématique quant au portrait de ces deux héros. Leur rapport face à la société oppressive, l'expérience du collège, la sensation d'être autre lorsqu'ils se confrontent au social, le vécu d'une exprérience initiatique qui les confirme dans leur statut d'artiste... (je n'ai pas internet chez moi, je vous écris d'un cyber, je n'ai donc pas les livres sous la main pour être plus précis)
Ceci dit, comme pour Ulysse, tout reste à comprendre et à vérifier. Peut-être qu'au final Ferré ne cite Joyce dans le monologue de benoît qu'au détour d'une association d'idée, rien de plus... En tous les cas la qualité d'écriture de l'un et de l'autre vaut bien qu'on s'arrête pour comprendre.

ceci dit, je n'ai pas dit que le portrait et benoit différaient d'autre srécits d'enfance. à vrai dire je ne m'étais pas posé la question sous cet angle.

yann

Écrit par : yann valade | jeudi, 23 octobre 2008

Je suis allé refeuilleté "Dédalus" (portrait de l'artiste..) que je
n'avait pas ouvert depuis longtemps.Le seul point commun évident est que ce roman, comme "B Misère",traite du rapport
de l'enfance et de l'adolescence avec la religion, et les religieux..
Mais cette particularité n'en est pas une , car les récits d'enfance
qui traitent de ce thème sont très nombreux.C'est presque un passage obligé de ce genre de récit .

Quant au monologue intérieur et à l'écriture sans ponctuation,ils ont été aussi largement repris de Joyce (déjà
inspiré par Svevo),et on en trouve à foison dans les littératures de tous les continents.
Je pense , pour le France, particulièrement aux années 60,
avec les écrivains de Tel Quel entre 63 et 74, et ceux liés à la revue Change.
Le roman sans ponctuation , souvent combiné avec le monologue intérieur, se retrouve dans le Sollers de ces années -là (Drame,Lois, H,Nombres ,etc )-à l'époque où
Sollers se donnait encore la peine d'écrire.Et Barthes ,ainsi
que Derrida , se sont intéressés de près à ces oeuvres.Citons
aussi les romans de J.Henric ,M.Roche.J.L.Baudry,Severo Sarduy...et du côté de Change, par ex Philippe Boyer , les premières proses de Jacques Roubaud Etc...
Le roman de Ferré est exactement contemporain de ces tentatives, bien qu'il n'ait , sur le fond et la forme,ou sur l'idéologie ,guère de rapport avec ces auteurs.L'air du temps?
D'autres proses ou poèmes de Ferré sont aussi non ponctués.Ou pourraient être assimilés à des "monologues intérieurs".Ce n'est pas propre à son roman.

Qu'est-ce que Ferré emprunte à Joyce?..J'ai envie de dire:pas grand'chose.Le monologue de Benoît est très court, par rapport à celui de Molly Bloom, qui est donc un monologue
de femme...Quant à la non -ponctuation des textes, c'est dans
les années 60 une pratique devenue courante.
Le grand intérêt de Benoit Misère ne réside pas selon moi
dans ses innovations formelles, largement dépassées et déjà
usées à cette époque, mais dans le façon dont Ferré réécrit
son enfance, dans une prose qui me fait davantage penser
aux proses surréalistes.La préface , en particulier.

Le grand livre sur Joyce, c'est celui d'Ellmann.Il doit exister
en collection Tel. Ne l'ayant pas sous la main, je ne garantis
pas que le nom soit correctement écrit.

"Benoit Misère", c'est du Ferré, du début à la fin...Qu'il ait
noté le nom de Joyce sur le manuscrit, ce n'est peut-être qu'un artifice mnémotechnique , pour dire "à partir d'ici, je ne ponctue plus".Car il y a vraiment loin de Joyce à Ferré....que ce soit l'écriture ou la pensée !

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 23 octobre 2008

Un petit oubli dans mon dernier commentaire...
Vous dites,Yann Valade, que le livre de L Cantaloube-Ferrieu
clôt le débat sur Ferré et le surréalisme définitivement...
Je n'ai pas lu ce livre, ne lisant pas tout ce qui sort sur Ferré.
Mais je trouve votre affirmation exagérée:Il y a de grands livres, mais que soit en littérature ou en philosophie ...etc..il n'y
a heureusement aucun livre définitif qui puisse clore un débat, quel qu'il soit.Ou votre propos est naîf, ou c'est une forme de "terrorisme" intellectuel. J'ai bien mis des guillemets.

Je rappelle d'abord que la formule "enfants naturels du surréalisme" vient du livre du critique d'extrême-droite Pierre
de Boisdeffre, dans son "Histoire de la littérature française,1940-1960".Il utilise cette formule pour qualifier les
"chansons" de Ferré, Mouloudji,et Brassens.
Que veut dire enfant naturel ? Illégitime ?

Le débat sur l'influence des surréalistes sur ces auteurs pour
moi reste ouvert et plusieurs livres de plus n'arriveront pas
à le clore.
De même que la question de l'influence des symbolistes ou de Lautréamont
sur Ferré...Ou pour reprendre un exemple de Gluglups,
l'importance du poète occitan Arnault Daniel pour bien comrendre Dante.Il y a
encore heureusement de quoi faire....7 siècles et des pous-
sières après.....

Ce serait d'une grande tristesse pour les amateurs de littérature , de poésie ou de philosophie qu'il y ait des livres
définitifs.
Comme dirait Martine, il nous resterait la girafe à peigner...

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 23 octobre 2008

J'ai moi-même évoqué cent fois la thèse de Lucienne Cantaloube-Ferrieu, dont Gluglups a dit, dans un commentaire, qu'il ne la trouvait pas si extraordinaire que ça (en substance, bien sûr). Elle n'est pas définitive, mais je trouve qu'elle fait date. En tout cas, depuis 1981, personne n'a poursuivi -- ou bien, cela n'a pas été publié.

Je crois qu'il ne faut pas se braquer sur le terme d'enfants naturels qui figure d'ailleurs, dans le sous-titre de la thèse, entre guillemets. Pourquoi "naturel" signifierait-il forcément "illégitime" ? Les enfants naturels sont dits aussi "enfants de l'amour". Léo Ferré lui-même le rappelait... à propos de Mathieu.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 23 octobre 2008

Si "enfant naturel" est entre guillemets , en sous-titre,c'est sans doute parce que la formule a ete lancée par P de Boisdeffre et que c'est donc une quasi-citation.
Nous avons dérivé loin de Cecco...Nous voilà à Joyce...C'est
un peu ici la loi du genre....qui semble très bien convenir et tenir la route.
.
La date de publication du livre (je ne le voyais pas si ancien dans mon souvenir) pose problème quant à son caractère définitif, car cette dame ne pouvait prendre en compte une bonne partie de l'oeuvre de Ferré , qui était encore à venir
ou à publier.Idem pour Brassens qui a laissé quelques titres
posthumes....

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 23 octobre 2008

Attention, la période d'étude de l'auteur s'arrête de toute façon bien avant. Le titre complet est : Chanson et poésie des années 30 aux années 60 : Trenet, Brassens, Ferré... ou les "enfants naturels" du surréalisme. Donc, en 1981 (date de la publication, mais la rédaction est évidemment plus ancienne), la période considérée est bien close et le sujet bien délimité.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 23 octobre 2008

Si le sujet est bien délimité,en effet,on ne peut pas pour autant
considérer que l'étude de l'oeuvre de Ferré dans son rapport
au surréalisme soit close.
C'est un travail qui demanderait à être complété....des années 70 jusqu'aux publications posthumes.
Il faut que les "jeunes" se mettent au rouet....

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 24 octobre 2008

Encore à propos de Cecco...
J'avais le souvenir d'avoir lu des sonnets de Cecco traduits en français, mais je ne savais plus dans quel ouvrage.
Je les ai retrouvés , ça allait de soi, dans l'édition des oeuvres
complètes de Dante . (Livre de poche, collection pochothèque).
On trouve en effet 3 sonnets de Cecco Angiolieri dans le recueil intitulé "Rimes", qui suit Vita Nova.
Ce recueil de poèmes est composé de poèmes de Dante et de poèmes d'amis ou correspondants de Dante, échange
épistolaire
sous forme de poèmes de style et de longueur variable,et donc parmi eux 3 sonnets de Cecco, que les notes présentent
comme comico-réaliste, y compris quand il évoque la mort
de Béatrice.....et très loin du "stilnovisme", ce qu'avait suggéré Jacques Miquel, avec raison.

J'en profite pour signaler à Gluglups (et à tous ceux, nombreux ici, qui s'intéressent à la poésie) le livre , malheureusement épuisé pour le moment, de Jacques Roubaud: "La fleur inverse -L'art formel des troubadours" édité chez Ramsay, où Roubaud consacre un long chapitre
au rapport de Dante à Arnault Daniel,l'un des grands
maîtres du "trobar", dont Roubaud se réclame encore.
Roubaud montre également comment la sextine de Daniel
se retrouve chez Ezra Pound et ...chez Queneau...! et demeure donc quasiment contemporaine.

Je ne dis pas cela pour faire "savant", mais parce que je pense que cela peut intéresser tel ou tel des lecteurs ou scripteurs de ce blog.Le "prof" refait parfois surface...

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 24 octobre 2008

Yann Valade: "En travaillant sur les manuscrits du roman j'ai découvert que Ferré le cite texto en plein milieu du monologue intérieur de benoît (allusion qu'il a ensuite effacé)... l'allusion est évidente, Ferré avait alors en tête le monologue de Molly Bloom à la fin d'Ulysse. J'ai été moi même très surpris mais là c'est écrit noir sur blanc... et lorsqu'on ouvre le tiroir Joyce on s'aperçoit alors qu'il y a une grande similitude entre le portrait de l'artiste en jeune homme et benoît misère. affaire à suivre..."

Merci de cette information (citation de Joyce dans le manuscrit), car j'avais été frappé par les similitudes entre les deux oeuvres (BM et Portrait de l'artiste...) et le rapprochement me paraissait assez impossible. Euh, je serais incapable de préciser aujourd'hui en quoi, car mes lectures datent un peu et, franchement, pas trop le courage de me replonger dans Joyce. Ce qu'ajoute Francis sur les formes romanesques des années 60 doit aussi être pris en compte.

Martine: "J'ai toujours ressenti Léo Ferré dans la série surréaliste": oui, mais aussi pas mal d'autres styles. Ce qui me frappe, dans cette oeuvre, c'est qu' il y a tout le "roman du monde".

Je demande si, pour vous, il existe vraiment un style Ferré. Je sais bien que Jacques Layani ici ou Francis ailleurs ont dégagé et analysé certaines caractéristiques, certains procédés de style qu'on ne peut guère contester. Mais j'aurais tendance à définir son écriture comme essentiellement "palimpsestueuse", se situant dans une certaine forme de maniérisme.

Je n'irais pas jusqu'à parler de sa Chanson comme d'un recyclage (industriel), pourquoi pas d'ailleurs. Cela va à l'encontre d'une certaine idée de l'Artiste, mais dans ce conflit, il y a peut-être la place pour un Sujet et une Ecriture.

Écrit par : gluglups | vendredi, 24 octobre 2008

en reparcourant "dedalus"de Joyce, (portrait..etc), on trouve
effctivement des similitudes, des points communs, mais , comme
j'ai déjà dit, le conflit avec la religion ( notamment le collège
jésuite pour Joyce), ou la "certitude" adolescente d'être
"artiste", donc à part, est une constante de nombreux récits
d'enfance ou d'adolescence.(Et dans "Ulysse", stephen Dedalus
devient carrément un personnage de roman, n'ayant plus grand'chose d'autobiographique).Les différences me semblent plus importantes que les similitudes....et le monologue intérieur
de Benoît n'a pas grand rapport au niveau écriture avec celui
de Ferré.

Y-a-il un style Ferré....On peut dégager des constantes, mais que l'on peut retrouver chez d'autres poètes ou prosateurs, surtout lorsque Ferré utilise le "vers libre" ou la
prose poétique, si vous me passez cet oxymore.
La marque Ferré est néanmoins caractéristique (j'avais tenté
d'en dégager quelques points....).Maniérisme,certes oui, mais
dans un sens non péjoratif.
Roman du monde,c'est une formule que je reprendrais
volontiers.On pourrait donner comme titre à l'oeuvre de Ferré, s'il n'avait
déjà été utilisé par Edouard Glissant comme titre pour ses
romans-poèmes : "TOUT-MONDE"

(blague de Claudel ouvrant "Finnegans Wake": "Moi qui croyais savoir lire l'anglais ...".)

Écrit par : Francis Delval | samedi, 25 octobre 2008

erratum: lire "au niveau écriture avec celui de Joyce", et évidemment pas "avec celui de Ferré".

Écrit par : Francis Delval | samedi, 25 octobre 2008

Comment dire cela ? Je ne m'appuie pas sur des exemples, ou bien sur la plupart de ses textes. Ce qui me fait dire que Léo Ferré *suit* la vague surréaliste, c'est plus finalement un vécu-poétique que la somme de son oeuvre. Et pourtant, c'est l'oeuvre qu'on étudie. Elle est indissociable de sa personne, cela aussi attire vers le sur-réel. Son style (son cul), sa vie, ses tripes. Tout cela, quand on sait l'importance qu'accordaient le jeune Arthur et André Breton à l'amour, me semble plus lumineux qu'aucun extrait de texte.
J'espère qu'on me comprend.

Écrit par : Martine Layani | samedi, 25 octobre 2008

Oui, Martine, je comprends très bien ce que vous nous dites..C'est que Ferré est d'abord " surréaliste" dans son rapport
au monde, à la vie, à l'amour....Mais si c'est l'oeuvre qu'on étudie,et à mon avis on ne l'a pas encore fait suffisamment, c'est que ce n'est que par le biais de l'oeuvre , écrite, chantée,qu'on peut appréhender l'homme.
Trop de "biographies" peut empêcher un accès serein et dépourvu d' a priori à son oeuvre, même si certaines ont été
nécéssaires , et que d'autres le seront encore.

De toutes façons, quelque soit l'artiste, la vie et l'oeuvre sont indissociables.Il faut les prendre ensemble,comme une
totalité ouverte , que l'artiste soit vivant ou disparu...

Que " la mémoire et la mer" soit de part en part "autobiographique" n'explique en rien la richesse des
métaphores et le puissance poétique des mots.Mais la vie
et l'oeuvre sont comme le recto et le verso d'une même
feuille.Je ne dis décidément que des banalités aujourd'hui, du moins des évidences...

Cela dit, Ferré est incontestablement d'abord "surréaliste",
et ce n'est pas par hasard qu'il a donné à un de ses plus
beaux textes le titre "L'amour fou", qui est aussi le titre
d'un grand texte en prose d'André Breton....

Et si l'on connaît l'importance de l'amour pour Rimbaud ou Verlaine, pour Breton ou Eluard, c'est bien parce qu'ils
nous ont légué des textes dépourvus de toute ambigüité..

Beaucoup de gens vivent certainement de grandes histoires
amoureuses , des passions de tous ordres, dont on ne saura
jamais rien , s'ils ne nous en font pas part à travers une oeuvre , quelle qu'elle soit, roman, lettres, poèmes, peintures,
etc....
Que pourrait-on dire du vécu-poétique de Ferré si nous ne connaissions pas ses chansons, ses poèmes et proses, ses
musiques ?

Écrit par : Francis Delval | samedi, 25 octobre 2008

Vous avez parfaitement raison, Francis. Que saurait-on sans l'écriture de Ferré, musicien ou poète ? Comme toujours, ma vision est affective. Mais les textes des surréalistes -- des poètes en général -- peuvent aussi être abscons.
Je veux dire qu'au-delà de l'étude "littéraire", de la compréhension intellectuelle, il y a l'ouverture d'être à être et que c'est de cette façon que j'ai appris la poésie, parce que j'avais un professeur très compréhensif et encourageant, à l'âge où l'on découvre tout ça.
Lorsque vous dites "quelque soit l'artiste..." je pense à monsieur Perse que n'aimait pas Léo, et qui parfois, dégouline, c'est vrai. Certaines oeuvres ne ressemblent pas à leur auteur, donc.
En tant que femme de Jacques, et aimant moi-même la chose écrite, l'art en général, je suis bien persuadée qu'il est véhicule d'amour là où il existe. Cependant, comme tous les intermédiaires, il faut lui laisser sa place. Il est miroir, miroir seulement, avec toutes les déformations pensables jusques et y compris les grimaces de l'auteur.

Écrit par : Martine Layani | samedi, 25 octobre 2008

salut à tous...

excusez-moi du retard mais j'ai pas souvent accès à internet.
petit point sur cantaloube ferrieu.
quand je dis que c'est définitif c'est parce que sa thèse explique très bien le lien de ces chanteurs avec le surréalisme. Son livre est un point de repère intéressant et sûr, les faits sont là, indéniables, définitif donc parce qu'à partir de son travail on peut aller plus loin. voilà tout.
mais il est vrai que son livre est daté. Historiquement, ce livre est important car il fait entrer la chanson à l'université (en l'occurence de toulouse, à l'époque très en avance sur le sujet... j'y ai trouvé une maîtrise datant de 1971 ou 1972... pensez un peu! Basta n'existait encore pas... je trouve ça fascinant.). Son livre a donc permis à la chanson de faire son entrée à la fac mais sur la pointe des pieds... elle n'a fait qu'entrouvrir la porte. sa thèse se base en effet sur un postulat: on étudie le thèâtre sans la mise en scène, on peut donc étudier la chanson sans la musique... ceci pour donner ses lettres de noblesses au texte chanté... et calmer tous les assis qui faisaient les gros yeux à l'époque en voyant la chanson être étudiée à la fac. Elle publie donc son travail en 1980 et a travaillé pendant 20 ans à toulouse sur la chanson... Mais il fallait finir le travail, faire vraiment entrer la chanson en tant que telle à la fac . C'est ce qu'a fait stéphane hirschi en travaillant sur Brel au milieu des années 80. Il a écrit un très bon livre sur l'oeuvre du grand jacques : jacques brel chant contre silence publié chez nizet et dont la première partie est une exécution en règle du livre de cantaloube-ferrieu. Hirschi explique en effet très bien que la chanson n'est pas un poème chanté et qu'il est absurde de séparer texte et musique... d'autant plus aujourd'hui avec les moyens audio qu'on a.
bref, il a fini le travail de cantaloube ferrieu, a posé les bases de l'étude la chanson (il a notamment inventé le terme de "canteur", qui est à la chanson ce que le narrateur est au roman, terme bien utile en ses temps où l'on identifie trop souvent le narrateur de la chanson à l'auteur du texte ou au chanteur qui, même lorsqu'il est l'auteur du texte qu'il chante, n'est qu'un interprète, au même titre qu'un comédien... On oublie souvent ce détail, ce qui explique le nombre d'études qui se basent sur la bio pour comprendre l'oeuvre).

Grâce à Cantaloube et Hirschi (il y a aussi le travail de Gérard Authelain mais lui c'est un musicologue... la chanson, c'est logique, a été plus facile a faire entrer dans les sections musicologiques que littéraires...); grâce à eux donc la chanson a maintenant droit de citer à la fac comme genre à part entière... enfin, presque... si ferré est au programme du bac... musique cette année, poètes vos papiers ou testament phonographe sont loins d'être au programme des facs de france et de navarre...

Le livre de cantaloube-ferrieu est donc daté, c'est sûr mais permet de bien comprendre l'histoire de la chanson... en tous les cas moi ça m'a bien aidé à comprendre.

yann

ps: un petit mot au sujet du travail de Céline Chabot Canet et l'aspect religieux car j'ai cru comprendre que quelqu'un lui reprochait un manque d'analyse quant à l'influence de la musique religieuse chez ferré... j'ai pas encore lu son livre mais je suis surpris car elle a réalisé une excellente analyse d'une saison en enfer où elle montre justement tous les emprunts à la musique religieuse dans la mise en musique et l'interprétation de Ferré. Mais peut-être n'a-t-elle pas inclu ce travail dans son livre.

Écrit par : yann | vendredi, 31 octobre 2008

Quelqu'un, c'est moi.

Je ne lui reproche pas un manque d'analyse. J'ai dit qu'elle n'était pas allée assez loin.

J'ai fait cette remarque dans la note "Monsieur Tout-Chant". J'ai écrit exactement : "Je continue à espérer d’un musicologue qu’il s’attache à étudier l’influence de la musique sacrée chez Léo Ferré, ainsi que les aspects de son chant qui se rapprochent de la cantillation, la psalmodie, la prédication… Évidemment, Céline Chabot-Canet pose cette question de loin en loin, mais ne la développe pas, en tout cas pas suffisamment du tout. "

Elle a bien mis dans son livre Une saison en enfer, mais cela représente quoi ? Quelques pages sur l'ensemble. Il est vrai que ce n'était pas TOUT son sujet. Le travail dont je rêve reste à faire. Si j'étais le moins du monde compétent pour le faire, il y a longtemps que je m'y serais mis. Hélas...

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 31 octobre 2008

Mais Ferré est un cas "à part".Je pense qu'il sépare, justement, texte et musique.Il met ses poèmes en musique (il peut y avoir 15 ans entre l'écriture et la mise en musique, ex:des textes de"poète..vos papiers!")...des textes ont plusieurs musiques
(la sorgue, l'amour..),il utilise la même musique pour des textes
différents (C'est la fille du pirate et Vison l'éditeur),il met un texte sur l'ouverture d"Egmont"....Cela peut apparaître comme
des "cas particuliers", mais je n'ai pas tous les exemples en tête.
Il traite les "poètes" de la même manière:"l'horloge" de Baudelaire a deux musiques.Rutebeuf et Cecco ont la même
musique...
Il est donc loin d'être absurde , au moins dans le cas de Ferré
de séparer le texte et la musique....J'ai toujours trouvé la thèse d'Hirschi contestable.car, apparemment, il évacue les
contre-exemples.
Pensons aussi aux chansons tirées de "La mémoire et la mer", dont, pour certaines, la musique a été écrite bien après
les textes.Ou à "l'épitaphe Villon", qui superpose deux textes!
La "règle" d'Hirschi a des exceptions, dont on ne peut dire
qu'elles confirment la règle.

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 31 octobre 2008

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Le terme "canteur" ne me semble guère utile,et peu utilisable.
Et ici, dans la région Nord-P de Calais,C'est un mot de patois.C'est "chanteur", évidemment;
"canteur" ou "canteux", canteuse au féminin, c'est du ch'ti.ça fait bizarre de le voir transformé en nouveau concept.

Quant à "la saison en enfer", le fait de chanter essentiellement de la prose,en partie a capella ne peut que faire
penser au chant religieux, au moins dans la "manière".
"La chanson triste" a capella, idem, quand c'est Ferré qui
chante.Je n'ai pas la même impression avec Ann Gaytan.

Pas la même éducation musicale ?

Écrit par : Francis Delval | samedi, 01 novembre 2008

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