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mardi, 27 février 2007

En Angleterre

Puisque les voyag’s forment la jeunesse

T’en fais pas mon ami j’vieillirai

(LE BATEAU ESPAGNOL)

 

J’ai raconté ailleurs ce qu’avait représenté pour Léo Ferré le tournage du film de Basil Dearden, Cage of gold (La Cage d’or), en 1950. Je n’y reviendrai pas ici.

Il reste que, de ce séjour effectué en Angleterre cette année-là, le Ferré presque inconnu sinon des habitués des cabarets où, jusque là, il a pu se produire, a rapporté une bonne moisson de textes.

Une chanson, enregistrée en public en 1950 au cabaret Le Trou, 9, rue Champollion, Madame Angleterre, sera disponible au disque en 1998.

Dans ce qui sera le recueil Poète… vos papiers !, publié en 1956, on relève le poème Angleterre.

Il écrira en 1950 Les Noces de Londres, texte qui paraîtra en 2000.

Dans ce qui deviendra le projet inachevé des Lettres non postées (paru en 2006), on trouve Lettre à l’Angleterre.

Je ne prétends pas que ces textes aient été composés en Angleterre à ce moment précis. Quand j’écris qu’il « a rapporté » des textes, cela signifie qu’ils lui ont été incontestablement inspirés par ce voyage.

Il est très vraisemblable que le « poème lyrique » Les Noces de Londres aurait pu connaître la destinée de De sacs et de cordes qui en est à peu près contemporain, c’est-à-dire être joué à la radio nationale, interprété par quelques grands noms du moment. Auquel cas, l’œuvre enregistrée aurait été archivée et peut-être aurait-elle pu paraître au disque un jour ou l’autre. Madame Angleterre est d’ailleurs partiellement repris dans De sacs et de cordes.

Les autres voyages que fit Léo Ferré au cours de sa vie n’ont pas donné autant de fruits. De Martinique, il ramena en 1947 Mon Général et La Messe noire, mais on ne trouvait pas là de rapport avec le pays. On ne connaît pas, je crois, d’œuvres multiples ramenées du Japon, du Québec, d’Allemagne, d’Algérie, d’Espagne… Peur-être certains textes ont-ils été écrits lors de séjours dans ces pays, mais ils n’en portent pas la marque et ne peuvent par conséquent être recensés. Si les œuvres faisant allusion à l’Espagne sont très nombreuses, elles n’y ont pas été composées, puisque Ferré s’était interdit d’y aller du vivant de Franco, décédé en novembre 1975. De ses déplacements ultérieurs dans ce pays, je ne sais s’il rapporta quelque chose.

00:00 Publié dans Lieux | Lien permanent | Commentaires (13)

Commentaires

L'Espagne pour Ferré devait être l'Espagne de la guerre civile, donc un symbole, un mythe, plutôt qu'un pays. Il est normal qu’il ait écrit beaucoup sur ce thème (le Bateau espagnol, l’Espoir, le Flamenco de Paris…)
Par contre, pour la Belgique, bien qu’il ait dirigé l’orchestre philharmonique de Liège et que son ami Grooteclaes travaillait dans cette ville, je ne vois aucune allusion dans les chansons. Ou alors, indirectement, par les poèmes d’Apollinaire (« Vous y dansiez petite fille… »).

Écrit par : Feuilly | mardi, 27 février 2007

Euh... et par l'intermédiaire de Caussimon (Comme à Ostende), quand même...

Il a eu pour amis Grooteclaes et sa famille mais aussi Charles Szymkowicz, de Charleroi.

Il a fait bien des tournées en Belgique, tu sais : cabarets, théâtre... La RTBF a pas mal de choses dans ses archives.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 27 février 2007

Vous allez finir par me trouver bien pénible, mais encore une fois, je m'arrête sur des questions de "méthode", ou plutôt devrais-je dire, sur ce qui paraît ressembler à des artifices, à des subterfuges qui sont ceux du biographe. Disons que les "évidences" que vous rapportez semblent relever davantage d'un déterminisme positiviste, naïf, presque magique (à base d'"influences", d'"inspirations", de "moissons", de "fruits"), dont la cohérence logique serait assurée avant tout par une rhétorique conventionnelle de biographie, que de la vérité.

J'observe ainsi plusieurs "glissements" dans votre "méthode": tantôt le fait de ne pas avoir écrit sur place ne constitue pas un critère ("Je ne prétends pas que ces textes aient été composés en Angleterre à ce moment précis"), tantôt il en constitue un (" Si les œuvres faisant allusion à l’Espagne sont très nombreuses, elles n’y ont pas été composées"). Je ne comprends pas que vous puissiez écrire "De Martinique, il ramena en 1947 (...) La Messe noire, mais on ne trouvait pas là de rapport avec le pays.", quand tout dans ce poème contribue justement à l'ancrer dans cette réalité référentielle. Inversement, qu'est-ce qui vous garantit que le texte a bien été rédigé en 1947, en Martinique? L'épigraphe correspond-elle à une mention de lieu et de date de rédaction ou à une volonté rétrospective d'inscrire le texte dans un certain contexte?

Pardonnez-moi de reprendre une note plus ancienne, mais on y observe des dérives interprétatives et "biographisantes" comparables:
"Musicalement, la chanson Monsieur mon passé, dont le copyright date de 1955, où l’on entend : « J’ai dans la tête un vieux banjo / De mil neuf cent vingt cinq », montre une influence du style dixieland. L’allusion est claire : « Ce banjo-là donnait le la / De mil neuf cent vingt cinq ». La partition précise en outre : « Tempo di fox (dans le style 1925) ».
Jusque-là, rien à dire, d'autant plus qu'aupavant vous avez développé des précisions sur la musique jazz des années 20 et sur l'importance de l'emploi du banjo qui en est en quelque sorte l'emblème. Ce qui est gênant, en revanche, c'est que, progressivement, vous vous engagez dans une sorte de scénario de plus en plus particularisant et biographisant. Et plus vous construisez ce scénario, bien hypothétique, plus vous multipliez les adverbes conjurant la certitude ("légitimement", "certainement", "d'évidence"):
"On peut légitimement imaginer que se trouve un banjo dans la petite formation d’orchestre qui, traditionnellement, accompagne alors la projection des films muets. C’est certainement ainsi qu’il faut comprendre les vers : « Un vieux banjo qui s’grattait l’dos / En regardant Chaplin ». Léo Ferré a neuf ans et, d’évidence, cela l’impressionne, puisqu’il en parle trente ans plus tard."

Déjà, il paraît peu vraisemblable que, dans un cinéma de l'époque, les films aient été accompagnés un jour par une formation d'orchestre, même "petite". Ensuite vous transformez insensiblement votre "imagination" "légitime" en un événement de vie réel vécu par Ferré à l'âge de 9 ans (quand le "style 1925" ne se limite pas à l'année 1925), qui l'aurait tellement "impressionné", que mécaniquement, 30 ans plus tard, cela se graverait dans l'oeuvre. En gros un jour, Ferré voit un film de Chaplin à l'âge de 9 ans, accompagné par un banjo, et ce souvenir marquant remonte et vient flotter à la surface. Or il me semble que le banjo, comme Chaplin, comme d'autres éléments de la chanson fonctionnent avant tout comme autant de métonymies des années 2O, et à ce titre, comme des pièces du dispositif, du système que constitue la chanson qui les décline. Ce qui n'exclut pas bien évidemment que Ferré ait pu voir un film de Chaplin ou entendre du banjo dans son enfance... Mais de même que le style de sa musique et son accompagnement "font" 1925, les éléments du texte "font" 1925, plus qu'il n'indiquent un souvenir d'enfance précis.

J'en reviens à l'Angleterre. Je veux bien admettre que Ferré ait tiré "quelque chose" de son séjour là-bas, à l'occasion du tournage du film de Bearden. Cependant, il faut bien se rendre à l'évidence: tant dans Les Noces de Londres que dans les Lettres non postées, il s'agit d'une Angleterre rêvée, fantasmée, plus que d'une Angleterre vécue. Pour tout dire, il s'agit d'une Angleterre LITTERAIRE (Brontë, Brecht, pê Dickens). Même chose pour l'Espagne (où il n'est pas allé effectivement avant 75), même chose pour la Martinique (imitation du style "nègre"?).

Dans votre article sur la biographie à faire, vous parlez de "tranches de vie". Hitchcock disait qu'il voulait offrir à son public non des "tranches de vie" mais des "tranches de gâteau". Il me semble que ce qu'une biographie moderne pourrait apporter, ce serait moins une accumulation de pages, de faits, de témoignages supplémentaires (même si ce travail doit être fait bien entendu), que des "tranches de gâteau", ou plutôt montrer comment le gâteau s'est au fur et à mesure constitué.

Écrit par : gluglups | mardi, 27 février 2007

Gluglups vient de me faire savoir qu'il avait écrit un commentaire qui n'est pas apparu. Il me l'a envoyé en privé. Je fais donc figurer, ci-dessous, son texte et ma réponse.

Commentaire de Gluglups :

Vous allez finir par me trouver bien pénible, mais encore une fois, je m'arrête sur des questions de "méthode", ou plutôt devrais-je dire, sur ce qui paraît ressembler à des artifices, à des subterfuges qui sont ceux du biographe. Disons que les "évidences" que vous rapportez semblent relever davantage d'un déterminisme positiviste, naïf, presque magique (à base d'"influences", d'"inspirations", de "moissons", de "fruits"), dont la cohérence logique serait assurée avant tout par une rhétorique conventionnelle de biographie, que de la vérité.

J'observe ainsi plusieurs "glissements" dans votre "méthode": tantôt le fait de ne pas avoir écrit sur place ne constitue pas un critère ("Je ne prétends pas que ces textes aient été composés en Angleterre à ce moment précis"), tantôt il en constitue un (" Si les œuvres faisant allusion à l’Espagne sont très nombreuses, elles n’y ont pas été composées").
Je ne comprends pas que vous puissiez écrire "De Martinique, il ramena en 1947 (...) La Messe noire, mais on ne trouvait pas là de rapport avec le pays.", quand tout dans ce poème contribue justement à l'ancrer dans cette réalité référentielle. Inversement, qu'est-ce qui vous garantit que le texte a bien été rédigé en 1947, en Martinique? L'épigraphe correspond-elle à une mention de lieu et de date de rédaction ou à une volonté rétrospective d'inscrire le texte dans un certain contexte?


Pardonnez-moi de reprendre une note plus ancienne, mais on y observe des dérives interprétatives et "biographisantes" comparables: "Musicalement, la chanson Monsieur mon passé, dont le copyright date de 1955, où l’on entend : « J’ai dans la tête un vieux banjo / De mil neuf cent vingt cinq », montre une influence du style dixieland. L’allusion est claire : « Ce banjo-là donnait le la / De mil neuf cent vingt cinq ». La partition précise en outre : « Tempo di fox (dans le style 1925) ». Jusque-là, rien à dire, d'autant plus qu'aupavant vous avez développé des précisions sur la musique jazz des années 20 et sur l'importance de l'emploi du banjo qui en est en quelque sorte l'emblème. Ce qui est gênant, en revanche, c'est que, progressivement, vous vous engagez dans une sorte de scénario de plus en plus particularisant et biographisant. Et plus vous construisez ce scénario, bien hypothétique, plus vous multipliez les adverbes conjurant la certitude ("légitimement", "certainement", "d'évidence"):
"On peut légitimement imaginer que se trouve un banjo dans la petite formation d’orchestre qui, traditionnellement, accompagne alors la projection des films muets. C’est certainement ainsi qu’il faut comprendre les vers : « Un vieux banjo qui s’grattait l’dos / En regardant Chaplin ». Léo Ferré a neuf ans et, d’évidence, cela l’impressionne, puisqu’il en parle trente ans plus tard."

Déjà, il paraît peu vraisemblable que, dans un cinéma de l'époque, les films aient été accompagnés un jour par une formation d'orchestre, même "petite". Ensuite vous transformez insensiblement votre "imagination" "légitime" en un événement de vie réel vécu par Ferré à l'âge de 9 ans (quand le "style 1925" ne se limite pas à l'année 1925), qui l'aurait tellement "impressionné", que mécaniquement, 30 ans plus tard, cela se graverait dans l'oeuvre. En gros un jour, Ferré voit un film de Chaplin à l'âge de 9 ans, accompagné par un banjo, et ce souvenir marquant remonte et vient flotter à la surface. Or il me semble que le banjo, comme Chaplin, comme d'autres éléments de la chanson fonctionnent avant tout comme autant de métonymies des années 2O, et à ce titre, comme des pièces du dispositif, du système que constitue la chanson qui les décline. Ce qui n'exclut pas bien évidemment que Ferré ait pu voir un film de Chaplin ou entendre du banjo dans son enfance... Mais de même que le style de sa musique et son accompagnement "font" 1925, les éléments du texte "font" 1925, plus qu'il n'indiquent un souvenir d'enfance précis.

J'en reviens à l'Angleterre. Je veux bien admettre que Ferré ait tiré "quelque chose" de son séjour là-bas, à l'occasion du tournage du film de Dearden. Cependant, il faut bien se rendre à l'évidence: tant dans Les Noces de Londres que dans les Lettres non postées, il s'agit d'une Angleterre rêvée, fantasmée, plus que d'une Angleterre vécue. Pour tout dire, il s'agit d'une Angleterre LITTERAIRE (Brontë, Brecht, pê Dickens). Même chose pour l'Espagne (où il n'est pas allé effectivement avant 75), même chose pour la Martinique (imitation du style "nègre"?).

Dans votre article sur la biographie à faire, vous parlez de "tranches de vie". Hitchcock disait qu'il voulait offrir à son public non des "tranches de vie" mais des "tranches de gâteau". Il me semble que ce qu'une biographie moderne pourrait apporter, ce serait moins une accumulation de pages, de faits, de témoignages supplémentaires (même si ce travail doit être fait bien entendu), que des "tranches de gâteau", ou plutôt montrer comment le gâteau s'est au fur et à mesure constitué.


Réponse de Jacques :

"tantôt le fait de ne pas avoir écrit sur place ne constitue pas un critère ("Je ne prétends pas que ces textes aient été composés en Angleterre à ce moment précis"), tantôt il en constitue un (" Si les œuvres faisant allusion à l’Espagne sont très nombreuses, elles n’y ont pas été composées")."

Vous avez raison. Maladresse de ma part, ou incohérence.

"qu'est-ce qui vous garantit que le texte a bien été rédigé en 1947, en Martinique? L'épigraphe correspond-elle à une mention de lieu et de date de rédaction ou à une volonté rétrospective d'inscrire le texte dans un certain contexte?"

Là, vous m'ouvrez des horizons nouveaux. Pour moi, ce poème, le seul daté de tout le recueil PVP, avait été écrit en Martinique, et c'était le sens de l'épigraphe. A la réflexion, on peut comprendre, effectivement, une volonté rétrospective. Mais alors là, je ne sais plus quoi dire parce que ça ne m'était pas venu à l'idée. Des fois, comme ça, vous bousculez les certitudes, ce qui est très bien d'ailleurs, mais on se retrouve alors dans le vide.

S'agissant du texte plus ancien, Cet air qu'on cherche, c'est autre chose, je crois. L'objet du texte est de rechercher ce que le jeune Ferré pouvait écouter, en se fondant sur ce qu'il en reste dans ses écrits. Ce n'est pas du biographisme. Le biographisme, c'est vouloir expliquer l'oeuvre par la vie. Dans ce sujet-là, je cherche la vie dans l'oeuvre. Ce n'est pas un commentaire de l'oeuvre, c'est une étude biographique, ou plutôt historiographique. J'aime faire cette nuance : l'historiographie, c'est la biographie raisonnée, mise en perspective et contextualisée.

"progressivement, vous vous engagez dans une sorte de scénario de plus en plus particularisant et biographisant."

Mais, dans ce texte-là, c'est le but, justement.

"il paraît peu vraisemblable que, dans un cinéma de l'époque, les films aient été accompagnés un jour par une formation d'orchestre, même "petite"."

Vous croyez ? Le cinéma muet était bien accompagné par une musique ? Au moins à cette période ? J'ai souvent entendu parler d'un pianiste, au moins. Qu'il y ait eu un banjo ne me paraît pas inimaginable.

"Mais de même que le style de sa musique et son accompagnement "font" 1925, les éléments du texte "font" 1925, plus qu'il n'indiquent un souvenir d'enfance précis."

C'est vrai.

"il s'agit d'une Angleterre rêvée, fantasmée, plus que d'une Angleterre vécue. Pour tout dire, il s'agit d'une Angleterre LITTERAIRE".

Mais c'est bien ainsi que je l'entendais ! Si l'on comprend autre chose, c'est que je me suis très mal exprimé, comme souvent. Il n'y a nul doute là-dessus : ce ne sont pas des photographies, ni des souvenirs de voyage, ni des rapports de police, mais des textes rêvés.

"Dans votre article sur la biographie à faire, vous parlez de "tranches de vie"."

Diable ! Où ça, donc ? Cela m'étonne : je déteste cette expression qui me paraît aussi fausse que possible. Je dis tout au contraire : "Il faut aussi sortir de cette tendance biographique généralisée qui consiste à découper la vie du modèle en tranches". Je suis entièrement d'accord avec les "tranches de gâteau". Et comment ! Et même, si l'on pouvait servir un café avec, ce ne serait pas mal.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 27 février 2007

Bon, eh bien, tous les commentaires sont arrivés, après plusieurs heures parfois.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 27 février 2007

Exact, il y a eu déformation: le réflexe que j'avais eu à la lecture de votre note, c'était de penser à la phrase d'Hitchcock, en me disant qu'effectivement il valait mieux des tranches de gâteau que des tranches phonographiques ou conjugales, découpages que vous regrettiez par ailleurs.
J'accepte volontiers votre café:)

Écrit par : gluglups | mardi, 27 février 2007

(Au serveur) :

Voulez-vous ici même et cela sans retard,
D'un brésilien café me porter le nectar ?

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 27 février 2007

"Ce n'est pas du biographisme. Le biographisme, c'est vouloir expliquer l'oeuvre par la vie. Dans ce sujet-là, je cherche la vie dans l'oeuvre. Ce n'est pas un commentaire de l'oeuvre, c'est une étude biographique, ou plutôt historiographique. J'aime faire cette nuance : l'historiographie, c'est la biographie raisonnée, mise en perspective et contextualisée."

Mais est-ce que tout de même (quel que soit par ailleurs l'intérêt de cette démarche "historio-biographique") on ne s'éloigne pas de l'essentiel, qui est l'oeuvre? Puisque le but n'est pas d'expliquer l'oeuvre par la biographie (heureusement) mais plutôt l'inverse (retrouver la vie dans l'oeuvre), le danger n'est-il pas de négliger ce que les textes nous apportent comme émotion esthétique et littéraire?

Certes, si cette biographie exhaustive qui aurait demandé 10 ans de travail assidu était sortie, je serais le premier à la lire avec grand intérêt. Mais à force de vouloir répertorier tous les faits et gestes de Ferré, est-ce qu’on ne risque pas de tomber dans l’anecdotique ? Ou pour le dire autrement, en quoi la biographie de Ferré serait-elle plus intéressante que celle de n’importe quel quidam (si justement le but n’est pas de venir éclairer l’œuvre) ?

D’autant plus, comme on l’a vu, que rien n’est sûr. Tel poème qui semblait avoir été écrit en Martinique ne l’a pas forcément été. Le banjo, quant à lui, ne fait pas forcément référence à un banjo que Ferré aurait vu enfant (encore que. L’emploi de l’article défini me semble pourtant faire référence à quelqu’un de précis). En fait, comme Ferré transpose ses souvenirs sur un plan strictement littéraire (je veux dire que son imaginaire est avant tout littéraire beaucoup plus que référentiel) la démarche biographique perd un peu de son intérêt. Ainsi, dans ses poèmes, on ne le voit pas faire des descriptions de paysages, par exemple. La Seine est celle d’Apollinaire et même la référence aux côtes bretonnes renvoie à un monde intérieur onirique. Il déforme la réalité vécue pour atteindre un niveau supérieur. Dès lors, il me semble difficile d’éclairer un texte de Ferré par un élément biographique. De même qu’il est peut-être difficile de partir de l’œuvre pour arriver à comprendre sa vie réelle, tant le travail de création a précisément déformé tout. Il vaudrait peut-être mieux essayer de comprendre son univers mental, les structures de son imaginaire et cela à partir de l’œuvre elle-même.

Écrit par : Feuilly | mercredi, 28 février 2007

Plusieurs points ont été un peu mêlés dans cette discussion. La note sur la biographie à faire (et une biographie, une au moins, est indispensable, au moins toutes les ixe années) ; la note sur l'Angleterre ; et le texte "Cet air qu'on cherche" qu'on peut lire dans les archives du mois de novembre et qui est bien plus long qu'une note, quand même : il a été publié en quatre fois, du 12 au 15 novembre 2006 et représente plusieurs pages A 4 dactylographiées serré.

Il ne faut pas considérer ces textes de la même manière. Leur objet était différent. Je ne peux pas répondre ici en un seul propos.

Feuilly, tu écris : "Puisque le but n'est pas d'expliquer l'oeuvre par la biographie (heureusement) mais plutôt l'inverse (retrouver la vie dans l'oeuvre), le danger n'est-il pas de négliger ce que les textes nous apportent comme émotion esthétique et littéraire?" -- mais en l'occurrence, avec "Cet air qu'on cherche", l'émotion esthétique et littéraire n'était pas le sujet.

Je m'applique, dans la mesure de mes capacités bien sûr, à rester dans le sujet. Avec "Cet air qu'on cherche", je traitais la question suivante, sur une idée de Patrick Dalmasso : qu'est-ce que le jeune Ferré écoutait en dehors de la musique dite classique, et comment peut-on en retrouver une trace dans l'oeuvre ? C'était ça, le sujet, pas autre chose. On peut donc penser que j'ai mal traité le sujet, mais pas que je n'aurais pas dû le traiter et en traiter plutôt un autre. Il faut simplement savoir de quoi on parle.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 28 février 2007

Sans doute les deux écoutes coexistent-elles. Je pense que certains auditeurs trouveront davantage de plaisir à (re)connaître dans certains détails des éléments biographiques. Autrement dit l'oeuvre aura d'autant plus de valeur, pour eux, qu'elle viendra confirmer une hypothétique identité entre le je qui vit et le je qui chante (mais alors si le "je" de Monsieur mon passé est la personne Ferré, pourquoi ne le serait-il pas dans L'Ame du Rouquin?).
Or l'explication "biographiste", en dépit de son allure scientifique, incontestable, en dépit de son bon sens, est tout aussi fragile qu'une explication on va dire purement "gâteau". Sans parler de l'effet d'aplatissement prosaïque qu'elle apporte, autre inconvénient...

Ce qui serait intéressant, ce serait de déterminer la position de Ferré par rapport à cela. La simple lecture de Benoît Misère indique que la réponse ne va pas de soi.
Il est possible, hypothèse personnelle, qu'il y ait eu une évolution de Ferré: que le méta-discours, le discours tenu sur soi, le méta-Je se soit progressivement confondu, dans son esprit, avec le Je de la vie. Ce qui aurait eu des conséquences sur la création elle-même.

Écrit par : gluglups | mercredi, 28 février 2007

Je pense que Léo Ferré, en la matière, n'est pas différent de quelque créateur que ce soit. Il y a la personne qui écrit, il y a la personne écrite. Elles se confondent parfois, parfois non. Et quand elles se confondent, c'est différent d'une fois à l'autre.

Il est bien évident que le matériau du créateur, quel qu'il soit, c'est la vie, et la vie, c'est en partie lui -- en tout cas, c'est ce qu'il reçoit des autres, du dehors, et qu'il filtre, réinvente à travers sa sensibilité propre, son angoisse éventuelle, ses problèmes du moment s'il en a...

L'Ame du rouquin, pour moi, c'est un clin d'oeil à Baudelaire, dans une langue qui est à l'opposé de celle de Baudelaire. C'est un peu ce qui est amusant, là-dedans, d'ailleurs.

L'hypothèse que vous avancez est séduisante. Je suis un créateur, je recrée donc le moi qui vit, je suis ensuite le moi recréé et ma création s'en ressent forcément. J'ai bien compris ?

Ce qui reviendrait à : je m'invente et me réinvente ; rien n'existe que je ne veuille considérer comme existant (il l'a écrit en substance, ça, d'ailleurs, je ne sais plus où) ; "il n'y a de vivace que le temps de ma folie", comme il l'a expressément dit. C'est bien ça ?

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 28 février 2007

Oui :)
Une biographie audacieuse s'efforcerait de compte de cette "folie", d'un système mental, d'un imaginaire de l'oeuvre.

Écrit par : gluglups | mercredi, 28 février 2007

Oui... Il faudrait parvenir à inclure ce type de développement dans le récit chronologique. Là, je parle technique : c'est très dur. Dans La Mémoire et le temps, j'avais tenté de traiter à la fois la chronologie et les diverses thématiques. On m'a reproché, quelquefois, ce qui avait été vécu comme un grand désordre. Mais ce ne doit pas être impossible à faire, tout de même. En mille pages, on peut.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 28 février 2007

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