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jeudi, 01 mars 2007

À propos de L’Été s’en fout

Panique, adjectif, du grec panikos, du nom de Pan, dieu qui effrayait, d’où le sens actuel du mot panique, qui n’est évidemment pas celui qui nous occupe ici. Pan, dieu des champs, des bergers et des bois, protégeait les troupeaux et prenait ses ébats avec les nymphes. Il finit par représenter l’univers et le grand tout. 

 

Cette curieuse poésie, finalement peu connue, au titre inattendu, témoigne d’une inspiration panique qui le dispute sans cesse à l’érotisme.

Il y a même, parfois, confusion : « De cette rose d’églantine / Qui pleure sous la main câline », c’est aussi bien la rose elle-même que le sexe féminin. Par conséquent, les deux vers suivants (« Et qui rosit d’un peu de sang / Le blé complice de Saint-Jean »), qu’on pourrait lire initialement comme étant d’inspiration également panique, devient une allusion à la menstruation, toujours très présente chez Ferré. Quant au « blé complice », l’image est claire.

En opposition à une écriture faisant référence à des caractéristiques alors essentiellement urbaines (voiture) en même temps qu’à des comportements physiques (cheveux au vent), l’inspiration panique présente des allusions aux bains de mer (poitrines dures, fermes, Saint-Tropez) et au soleil qui met « du crêpe » (noir, donc : bronzage) sur la peau et, par extension, « dans le sang ».

Retour immédiat à l’érotisme : « De cette sève de cactus / Qui coule au pied du mont Vénus », parole évidemment très explicite. Les nuits d’été peuvent être prises pour des nuits d’amour (« De ces nuits qui n’ont pas de bout / Et qui vous pénètrent jusqu’où » – avec, de plus, une double acception du verbe pénétrer). On relève que le mont de Vénus devient mont Vénus, pour la métrique naturellement – il y aurait un pied de trop – mais aussi pour figurer un nom de montagne réelle au pied de laquelle on peut imaginer une rivière. L’ambivalence persiste.

De nouveau, alternance d’inspiration panique : « chagrin de chlorophylle », « loin des villes », « septembre paresseux ». Septembre, c’est le retour en ville après la plage. Conséquence logique : vient l’automne, mais l’érotisme n’est jamais loin puisque l’automne, par analogie, est « adolescent / Comme une fille de quinze ans / Se défeuillant jusques au bout / Pour faire une litière au  loup ». L’adolescence est supposée molle, lascive, comme est « paresseux » septembre, qui amène l’automne. Est-il utile de préciser que « Se défeuillant jusques au bout » évoque aussi bien les feuilles qui tombent que les vêtements qui chutent ?

Confusion, ensuite, entre la nature et l’érotisme. On peut lire les vers « De ce galbe de la vallée / De ce mouvement des marées / De cette ligne d’horizon / Où ne rime plus la raison » aussi bien comme la description de paysages et d’éléments naturels que comme des métaphores érotiques. Le double schéma de lecture fonctionne alors parfaitement : galbe, vallée, mouvement, marées, ligne d’horizon et cette raison qui « ne rime plus » lorsque tout bascule, idée qui sera reprise dans L’Amour en 1956 : « Quand la raison n’a plus raison ».

Enfin, présence de la nature et, plus largement, de l’univers : « planètes bienheureuses », « jazz de nébuleuses » mais, comme toujours chez les poètes lyriques, la mort n’est pas loin. Gentille ou monstrueuse, elle habille d’un cercueil : « Enfin qui de sapin nous sape », avec une allitération en prime. Mais la nature (l’été) continue son chemin : imperturbable, elle « s’en tape ».

La présence de l’été comme une litanie plutôt qu’un refrain est aussi ambivalente. Il peut s’agir de la plénitude de l’été – la nature dans toute sa force, sa vigueur du mois d’août – comme de la période des vacances, la saison chaude supposée favoriser toutes les amours, surtout celles, physiques et sans lendemain. On note que « L’été s’en fout » est un vers de quatre pieds qui forme refrain entre des strophes d’octosyllabes. Cette division par deux du nombre de pieds brise chaque fois l’envolée de la strophe, ramenant le lecteur ou l’auditeur (le lecteur silencieux est auditeur dans sa tête) à l’à quoi bon de la nature qui se soucie peu de l’agitation des hommes.

J’espère n’avoir pas trop paraphrasé cette chanson que j’ai toujours beaucoup aimée et qui mérite je crois qu’on veuille bien en lire le texte.

00:00 Publié dans Jalons | Lien permanent | Commentaires (12)

Commentaires

Bonjour,

Merci de cette lecture très suggestive et convaincante de ce poème, dont vous montrez qu'il repose sur une dissémination de connotations érotiques.

L'"ambivalence" de l'été, c'est aussi que progressivement s'installe dans cette "plénitude" la dysphorie, l'idée de perte, la dégradation ("mettre le crêpe", est une expression qui veut dire instiller de la mélancolie, le chagrin de chlorophylle, la j.f. qui se défeuille...), préparant ainsi l'intervention de la mort à la fin. Car, il y a bien une progression dans le texte, qui est celle de l'été se mutant en automne: du blé de la St Jean (solstice) à la chlorophylle qui "se caille" en "septembre", cet "automne adolescent" jusqu'à la tombée des feuilles (+ l'arbre sapin qu'on peut associer aussi à l'hiver).

Car le 4ème "niveau de lecture" possible, en superposant cette dimension érotique et cette dimension mélancolique, ce pourrait être Baudelaire, le Léthé (fleuve de la mort et de l'oubli), ou pour mieux dire: Léthé s'en fout. Le jeu de mots peut paraître too much, mais pourtant beaucoup d'images érotiques que vous avez relevées se retrouvent dans le poème de Baudelaire... Ce serait en quelque sorte un Léthé tropézien.

PS: "« L’été s’en fout » est un vers de quatre pieds qui forme refrain entre des strophes d’octosyllabes. Cette division par deux du nombre de pieds brise chaque fois l’envolée de la strophe": je crois qu'il ne faut pas parler de "pieds" (métrique de la poésie antique, fondée sur un système "qualitatif" du rythme et des syllabes) mais de "syllabes".
De plus le refrain est répété dans la chanson, donc on obtient 8 syllabes, de toute façon.

Écrit par : gluglups | jeudi, 01 mars 2007

"Léthé s'en fout. Le jeu de mots peut paraître too much" : il ne me paraît pas ainsi. Il me paraît excellent et je me mords les doigts, pour rester poli, de n'y avoir jamais pensé. Bon sang mais c'est bien sûr...

"De plus le refrain est répété dans la chanson, donc on obtient 8 syllabes, de toute façon" : là, je vous suis moins. on n'obtient pas huit, on obtient quatre et quatre. Je ne joue pas sur les mots. On n'entend pas : "L'été s'en fout l'été s'en fout", mais "L'été s'en fout / L'été s'en fout". Il y a bien je crois brisure du rythme.

Oui, j'ai souvent entendu cette remarque selon laquelle "syllabe" est préférable à "pied", et vous avez raison. Il faut que je m'y fasse, mais je n'y arrive pas. Rien à faire, je parle toujours de pieds.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 01 mars 2007

...Lire: ...l'été se muant en automne...
Pour la brisure du rythme, oui, je suis d'accord. Le détachement du vers est sans doute aussi rendu perceptible par d'autres facteurs.
Le statut du vers chanté est problématique. A un autre endroit du blog, il me semble que vous parliez d'un vers de 16 syllabes ("pieds"). Formellement, pê (je ne suis pas sûr que cela existe dans la versification française). Mais c'est traité comme 2 octosyllabes ordinaires quand c'est chanté.

Écrit par : gluglups | jeudi, 01 mars 2007

"Je ne suis pas sûr que cela existe dans la versification française" :

Dans l'absolu, non, bien sûr. Mais à partir de quand doit-on le reconnaître ? Aragon a inventé des mètres nouveaux (naturellement, il ne m'en vient pas le moindre exemple à l'esprit, je crois que c'est dans Le Fou d'Elsa, pas sûr). L'oeuvre d'Aragon constitue-t-elle une lettre de créance suffisante pour que la versification française "homologue" des rythmes nouveaux ?

Ferré use de vers de seize syllabes dans La Mort des loups : mais là, c'est vrai qu'on entend, quand c'est chanté : un deux trois quatre cinq six sept huit / Un deux trois quatre cinq six sept huit.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 01 mars 2007

"Mais à partir de quand doit-on le reconnaître ?" Au-delà d'un certain seuil, le vers se décompose automatiquement en vers plus restreints (question de souffle pê, en tout cas de sentiment d'unité), ça n'a plus d'intérêt. Les audaces métriques d'Aragon ne se situent pas dans la longueur des vers, je pense.

Écrit par : gluglups | jeudi, 01 mars 2007

"Au-delà d'un certain seuil, le vers se décompose automatiquement en vers plus restreints" : c'est vrai. Mais à quoi est-ce dû ? Est-ce notre esprit qui, à la lecture, "découpe" en mètres plus habituels, par habitude ? Je ne sais pas.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 01 mars 2007

Je ne le sais pas moi-même: je ne suis pas spécialiste de ces questions. J'essaierai de trouver des choses là-dessus dans des livres. Je crois qu'au grand maximum, on doit trouver des vers français de 15 syllabes. Au-delà, cela me paraît un peu gratuit ou absurde.
En tout cas, je ne crois pas que ces vers de 16 syllabes puissent constituer un argument en faveur de l'originalité de Ferré ni d'ailleurs que celle-ci se situe dans les audaces formelles (en dehors des à-peu-près qu'autorise ou favorise la chanson)

Écrit par : gluglups | jeudi, 01 mars 2007

mon intervention,
il me semble que le texte suggère l'interprétation qui est écrite (intrasèquement)
rien de nouveau sous le soleil
seul la référence au pieds (syllabe) semble interessante, merci glups de relever le débat
et puis l oubli que jacques veut bien accepté ;) dit lethé

Écrit par : antyprine | samedi, 03 mars 2007

SUR LES VERS DE 18 PIEDS : Lire Jacques Brel par Jean Clouzet in Poète d'aujourd'hui n° 119, Seghers 1964. Page 20 à propos de la chanson Les vieux "Ainsi opta-t-il pour un mètre d'une longueur inusitée : un vers de dix-huit pieds (...) aéré par une double césure". En note : "Brel, en vrai poète, en habile manieur de mots, rejoint très naturellement un procédé d'écriture qu'utilise Aragon dans ses derniers recueils de poèmes".

Écrit par : Jacques Miquel | samedi, 03 mars 2007

Je connais cette citation, en effet. Mais dans Les Vieux, on entend : un deux trois quatre cinq six / un deux trois quatre cinq six / un deux trois quatre cinq six. Clouzet peut toujours dire que le vers est "aéré", il reste qu'on a un collage de trois hexamètres et pas un vers de dix-huit pieds.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 03 mars 2007

j'aime aussi beaucoup ce texte mal connu,et,comme les commentaires l'ont montré,assez complexe;mais c'est aussi un des nombreux poèmes/chansons où,une fois de plus il fait rimer "lune" avec "fortune" (de "la fortune" à "la lune" cette rime convenue et plate revient souventes fois)-paresse,négligence, ou référence malicieuse à Laforgue qui use de cette rime à tour de plume de façon répétitive et souvent humoristique
C'est promis,Jacques,devant nos lecteurs,je vous envoie d'ici peu une note sur Ferré,Laforgue et Corbière,juste pour indiquer quelques pistes

Écrit par : francis delval | samedi, 03 mars 2007

Ah, promesse faite en public ! Il faudra la tenir. Nous attendons.

Lune et fortune, c'est presque une tradition. Bruant, entre autres... D'ailleurs, ici, la référence à Bruant est explicite.

C'est comme arbre et marbre. Mais essayez de trouver une rime en arbre autre que celle-là. Il n'y en a pas.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 03 mars 2007

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