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mardi, 13 mars 2007

Une conversation avec The Owl

The Owl m’a adressé un message comprenant plusieurs questions appelant des développements. Je me suis dit que les réponses pouvaient éventuellement intéresser d’autres que lui et, avec son accord naturellement, j’en ai fait la note que voici.

medium_UN5DB6_6.jpg

The Owl Est-ce qu’entre fans, durant la période 1968-1975 qui a vu une évolution à grande vitesse de l’œuvre ferréenne, vous spéculiez sur cette évolution ? Genre après Amour Anarchie, pressentiez-vous le virage rock de Ferré ?

Le taulier – Un préalable : le terme de « fan » ne peut convenir ici car, s’il existait effectivement, il était vécu comme honteux et exclusivement appliqué à la chanson commerciale à laquelle le « yé-yé » avait précédemment ouvert la voie. La chanson dite « à texte » était pour nous la chanson tout court et le mot de « fan » évidemment récusé. Aucun terme, d’ailleurs, ne le remplaçait.

Non, on ne pressentait pas le « virage rock » de Léo Ferré. Il faut dire qu’en ce qui me concerne, ayant découvert son œuvre en 1969, comme je l’ai dit de multiples fois, j’ai passé l’époque dont vous parlez à suivre ce qu’il faisait et, en même temps, à remonter le temps. Si bien que toutes ses facettes me sautaient au visage dans le même moment. À l’époque déjà, je refusais le découpage en rondelles des hommes et des œuvres et, par conséquent, j’acceptais tous ces visages, tous ces registres, sans étonnement majeur, sinon celui qu’on peut légitimement éprouver devant une telle créativité.

 

Comment les fans ont reçu à l’époque un disque déroutant comme Et… basta ! ?

Réponse similaire. Au moment où je découvre Et… basta !, je découvre en même temps des disques plus anciens. J’ajoute que je découvre aussi les œuvres de plusieurs autres chanteurs, auteurs, sculpteurs, peintres, dans la même medium_Untitled-1.15.jpgpériode. C’est un âge où l’on engrange la connaissance – sans toujours être à même de faire un tri, d’ailleurs, ou d’avoir du recul – et où tout rentre facilement, délicieusement, en vous. L’apprentissage culturel (je rappelle que je suis en grande partie autodidacte), pour moi en tout cas, était facile et joyeux. Et… basta ! m’a semblé tout à fait naturel, pas déroutant du tout. Un seul long texte dans un disque, un texte mêlant divers types d’écriture et un accompagnement spécifique, pourquoi pas ? Je suis extrêmement éclectique et, dès l’abord, l’éclectisme de Léo Ferré (langue, musique) m’avait paru tout naturel. Je ne suis peut-être pas, finalement, la personne à qui il faut poser ce genre de question. Mes amis étaient aussi curieux de tout ça, naturellement, mais moins que moi, ou différemment. Et puis, avec moi, on ne restait jamais plus de dix minutes (et encore) sans parler de Léo Ferré, alors, au bout d’un moment, ça les embêtait et ils se moquaient (gentiment).

 

Vous êtes-vous dit que c’était un point-limite ? Quand vous avez découvert la noirceur de ce disque, avez-vous craint que Ferré n’arrête de chanter définitivement (cela semble avoir été le ressenti de Belleret, si l’on en croit sa bio) ?

Non, personne ne s’est dit cela, si je me souviens bien. D’ailleurs, ça ne paraissait pas noir, non. C’était une formemedium_Untitled-2.6.jpg d’expression, on en attendait d’autres ensuite, c’est tout. Il faut dire qu’à ce moment-là, la création ferréenne était constante, rapide, permanente. Il fallait suivre. Et en scène, il dégageait une telle énergie que rien ne paraissait étonnant. De toute façon, le temps que le public s’habitue à une forme nouvelle (je pense par exemple à la pop music), et lui était déjà passé à autre chose. Si, si. Le temps que les gens se disent et que ça s’insinue dans leur imaginaire : « Tu as vu ? Ferré chante avec Zoo », et il avait arrêté. Donc, Et… basta !, eh bien, oui, c’était ça et ce n’était pas étonnant, enfin, pas plus que ça. Avec un artiste comme lui, on s’attendait à tout.

 

Comment avez-vous fait pour « l’assimiler », y trouver une signification ? Était-ce plus facile de se raccrocher à l’époque au contexte intellectuel général ou pas ? Je demande ça, parce qu’aujourd’hui, pour quelqu’un qui ne connaît pas grand-chose de Ferré, Et… basta ! est doublement opaque : contexte intellectuel de l’époque, et contexte biographique.

Oui, c’était plus facile, bien plus facile. Le bouillonnement intellectuel était permanent et la politique et l’art se mêlaient constamment (enfin, dans le milieu de lycéens, d’étudiants, de littéraires, de communistes, de gauchistes et d’anarchistes qui était le mien). L’empreinte surréaliste était forte aussi. On acceptait (on recherchait) le nouveau, l’insolite, le différent, en permanence. Et… basta ! ne nous a jamais paru opaque, hormis, évidemment, quelques allusions biographiques qui ne nous disaient rien, ne nous « parlaient » pas. Car finalement, on savait bien moins de choses, à ce moment-là, qu’aujourd’hui, concernant la vie de Léo Ferré. Et puis, l’actualité (comprendre : la présence concrète) de Ferré en général et celle de ce disque en particulier les rendaient vivants, brûlants, et permettaient d’assimiler facilement toute forme nouvelle, sinon neuve. Bien entendu, il faut dire que nous étions jeunes, libres de notre temps, sans soucis importants…

 

Au-delà de la compréhension directe de certains vers/images/passages, y avait-il des difficultés à « suivre » Ferré dans sa trajectoire ? Je veux dire de la difficulté à comprendre où il voulait en venir, les enjeux de sa démarche, de plus en plus personnelle. Comment perceviez-vous son évolution ?

medium_Untitled-3.2.jpgJe pense avoir répondu précédemment à ces questions. Quiconque avait suivi sa création récente et remonté le temps pouvait comprendre la place de sa vie dans son œuvre (je veux dire : comme matériau, bien sûr, je suis ici loin de tout biographisme) et l’implication de sa vie d’artiste. On pouvait comprendre, surtout, sa sincérité absolue. Cela induit une confiance et prépare à l’accueil de toute forme d’expression nouvelle. C’est une œuvre et un personnage qui ne m’ont jamais posé de difficulté à les suivre (attention, je n’ai pas dit que je comprenais tout de cette œuvre) parce qu’ils m’ont fasciné très vite.

 

Aviez-vous conscience que ce qui vous échappait renvoyait à la vie privée de Ferré ou était-ce seulement une sorte d’hermétisme poétique ?

Là aussi, je crois avoir répondu. En tout cas, on comprenait bien que cet hermétisme poétique était intimement lié à l’artiste lui-même, l’homme. Ce n’était pas gênant : tout artiste authentique est impliqué dans sa création et puis, à ce moment-là, tout le monde exigeait de tout le monde une cohérence absolue, ce qui, d’une certaine manière, induisait une implication personnelle dans toute action.

 

Les fans avaient-ils conscience de la partie immergée de l’iceberg (par exemple la première version du Mal-aimé) ?

En lisant les livres qui existaient alors – Sigaux et Estienne, le Bertrand étant introuvable et internet n’existant pas – on pouvait en prendre conscience. On pouvait en tout cas en connaître l’existence. Tout le monde ne s’intéressait pas à cette « partie immergée » mais je n’étonnerai personne, je pense, en disant que je cherchais au contraire à tout connaître. Et puis, les maisons de disques n’étaient pas folles. Voyant l’immense succès de Léo Ferré à ce moment-là,medium_Untitled-4.2.jpg et la vague de jeunes qui le découvrait et le portait, elles ont ressorti leurs enregistrements. Ainsi, CBS réédite la première version du Mal-aimé sous une pochette différente. La matrice d’Odéon ayant été détruite, le nouveau disque est pressé à partir d’un exemplaire de l’ancien. Ce qui avait mis Léo Ferré en fureur. Il jugeait que c’était très mauvais techniquement, c’est pour cela qu’il a refait cet enregistrement chez Barclay. Aujourd’hui, graver un disque à partir d’un autre est monnaie courante parce qu’on sait remastériser, et que la gravure digitale peut même améliorer les choses, mais alors, ce n’était pas possible. C’était une arnaque commerciale. Cela dit, j’ai découvert initialement le premier Mal-aimé à partir de ce disque « refait » et ça ne m’a pas choqué. De toute façon, je découvrais aussi la musique en général… Et puis, les appareils du moment (les nôtres, en tout cas) n’étaient de toute façon pas capables de restituer l’enregistrement original. On ne souffrait donc pas de la perte de qualité que pouvait constituer cette méthode. Barclay, lui, a ressorti les chansons du Chant du monde orchestrées et nouvellement enregistrées. Le disque original n’était plus disponible à l’époque. La Table Ronde a réédité Poète… vos papiers !, aussi. Bref, tout le monde « ressortait » du Ferré, lequel Ferré, au même moment, publiait des tas de nouveautés (disques, livres), faisait des tournées conséquentes et inventait des formes nouvelles (Zoo, Glenmor, Charlebois, Et… basta !, Opéra-Comique, Vence, Palais des Congrès…) sans cesse. Oui, il fallait suivre et puis, on n’avait pas d’argent pour tout ça. J’ai eu longtemps, je l’ai raconté ici, deux disques Verlaine et Rimbaud cassés. J’ai acheté beaucoup de disques d’occasion – je les ai toujours. Nous avons acheté Les Mémoires d’un magnétophone… à trois. C’était en 1972, un exemplaire découvert par hasard dans une librairie où il se trouvait depuis cinq ans sans doute, il coûtait vingt francs, c’était cher. J’ai demandé à une camarade d’alors de m’aider à acheter la réédition de Poète… vos papiers ! (dix-huit francs), survenue moins de six mois après la parution de Benoît Misère (vingt francs). Je demande excuse de raconter ça – je ne voudrais pas passer pour un vieux crétin – mais ça existe aussi. Aujourd’hui, on achète des « intégrales », des DVD et on s’envoie des mp3 mais à ce moment-là, un 33-tours, c’était une joie de l’acheter, et c’était rare. Un 45-tours était un cadeau merveilleux. On recopiait des paroles à la main, lorsque l’un d’entre nous (devinez qui) les connaissait par cœur, sur des feuilles de classeur. Quand quelqu’un pouvait copier un disque dans une cassette audiographique (il n’y en avait d’ailleurs pas d’autres), c’était formidable.

 

Quand Ferré fait du symphonisme sur scène au Palais des Congrès, les fans vivent-ils cela comme un aboutissement artistique ou sont-ils désorientés ? Se demandent-ils ce qui va bien pouvoir suivre ? En d’autres termes, ont-ils conscience que Ferré atteint là ses « limites », son profil d’équilibre ?

medium_Untitled-5.jpgAh, ce spectacle, je ne l’ai pas vu, malheureusement. J’habitais Marseille. Je ne me rappelle pas très bien. Il se trouve que j’avais alors une vie un peu différente parce que je travaillais dans une librairie alors que mes amis étaient étudiants, nous nous rencontrions moins et différemment. J’étais moins libre intellectuellement, aussi. Et sentimentalement, n’en parlons pas… Je précise cela pour bien dire que le contexte avait changé, c’est tout. Mais à la réflexion, non, c’était pour nous encore un avatar de la création ferréenne. À présent, c’était la musique symphonique, voilà. On n’avait strictement aucun recul, on ne savait pas à quel point elle était importante pour lui. Encore une fois, cet homme nous étonnait beaucoup. On ne se demandait donc pas ce qui pourrait suivre, on imaginait une création multiforme, jamais épuisée, une source jamais tarie. Finalement, je crois qu’on recevait avec naturel le résultat d’une activité artistique  que l’on vivait comme permanente. Il n’y avait pas d’aboutissement, on avait l’impression – mais ça, c’est le propre de la jeunesse – que tout était éternel et que Ferré créerait toujours et que nous serions toujours jeunes. No comment ! Plus prosaïquement, nous ne pouvions pas avoir conscience d’un quelconque équilibre. Ça, c’est le recul qui permet de le penser, maintenant.

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(Théâtre Axel-Toursky, Marseille, décembre 1972. Photos X)

00:00 Publié dans Souvenirs | Lien permanent | Commentaires (19)

Commentaires

Mais précisément, cette création artistique permanente, sans cesse renouvelée, n’est-elle pas apparue à certains comme un manque de constance ? Ce qui à nous nous semble un refus de figer la poésie dans une forme spécifique ne peut-il être interprété par les détracteurs de Ferré comme de l’opportunisme ? Personnellement je ne le crois pas puisqu’il risquait au contraire de désorienter à chaque fois son public, mais j’ai entendu certains le qualifier de « touche-à-tout » (d’ailleurs n’a-t-il pas ironisé lui-même sur les spécialistes ?) . Après la poésie classique des débuts il y aurait eu Zoo, puis la musique symphonique et enfin les longs textes parlés. Au sujet de ces derniers, on a pu parler (je l’ai entendu) de « remplissage hermétique ».

Une nouvelle fois il est clair que l’approche du public est déterminante. Celui qui veut critiquer trouvera toujours matière à le faire. Il suffit de ne pas vouloir entrer dans un texte pour le déclarer médiocre. Inversement, nous tous ici qui avons un regard plutôt sympathique sur cette œuvre (et c’est un euphémisme), ne sommes-nous pas victimes d’un à-priori trop positif ?

Écrit par : Feuilly | mardi, 13 mars 2007

Je pense qu'un artiste, quel qu'il soit et quelle que soit sa discipline, doit se remettre sans cesse en cause et chercher des choses nouvelles. L'appellation de touche-à-tout se veut péjorative mais, en ce qui me concerne, en art, j'aime surtout les touche-à-tout, les polygraphes, les artistes multidisciplinaires.

D'ailleurs, chez Léo Ferré, il n'y a pas eu de périodes, ce n'est pas vrai. Les "longs textes parlés" voisinent avec "la musique symphonique" et la "poésie classique des débuts" a aussi voisiné avec la pop music. Ses spectacles ont toujours donné à entendre des textes créés au long de plusieurs décennies, avec tous les genres rapprochés les uns des autres. Ferré n'a jamais renoncé à interpréter des "périodes" particulières. Il a cessé de chanter certains textes parce qu'il ne s'y retrouvait plus, mais jamais certaines "périodes" complètes.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 13 mars 2007

Oui,ce qui est inquiétant ce sont les artistes ou les écivains ou les philosophes qui font toujours la même chose ,et aussi ceux qui renient leus productions et leurs engagements tous les cinq ans.Ferré ne fait pas partie de ceux-là,et qu'il changerait était très tôt lisible!Cela me semble être une erreur de vouloir faire coïncider ses changements aux ruptures personnelles...
Je fais ici figure de vétéran,ayant découvert Ferré en 58 par les "baudelaire" diffusés à la radio,puis les premiers EP Odéon, et les premiers Barclay,"poètes vos papiers" acheté en 60(mon ex est en lambeaux),et les livres de Sigaux et d'Estienne.Il suffit de lire dans le Seghers les inédits de la fin,les chants de la fureur,le style,etc pour comprendre qu'il n'appartenait déjà plus seulement au monde de la chanson,et d'écouter "la chanson du mal aimé"....mais qu'il était déjà aussi dans autre chose.Nul besoin d'être prophète,il suffit de lire et d'écouter...
Il y a eu le "tournant" pop:j'ignorais tout de cette musique,et je remercie Ferré de m'avoir donné envie d'aller voir,de découvrir les "moody blues", hendrix,lou Reed et quelques autres...Comme Colette Magny m'afait découvrir le free-jazz,qui ne m'a pas quitté depuis,avec ses musiciens François Tusques et Barre Philips (Mouloudji a pris aussi le risque de faire découvrir le free avec son label)
quant à l'évolution des modes d'écriture de Ferré,je la trouve très logique,je comprends l'envie de faire coexister le vers, le vers libre, la prose....Ferré a répondu largement, au delà de ceque je pensais, à mes attentes des années 60:Ferré, cest d'abord 49 ans d'émotion ,d'affect...parfois aussi de dépit face à certains propos (par exemple sur les femmes:je n'admets pas qu'on puisse traiter les femmes d"ovaires intelligents" par exemple,ou dénoncer "le péril jaune" dans "salut beatnik",etc...)
Il est salutaire (avec n'importe quel artiste,et surtout avec ceux qu'on apprécie par dessus tout) de ne jamais prendre tout en bloc:ferré n'est ni un gourou,ni un penseur politique,ni un philosophe,et il convient,à mon sens, de savoir rejeter certains propos malheureux ou des pensées parfois sans consistance.
Pour moi,le parcours poétique et musical de Ferré a largement répondu à mon attente:je regrette(mais ça le regarde) qu'il se soit épuisé en donnant des centaines de récitals et qu'il n'ait pas composé ou écrit davantage.
Je l'ai peu vu chanter, une douzaine de fois,(j'aime bien ma taule et mes bouquins),entre 62 et 86,c'est déjà une bonne moyenne,mais il y eu et il ya peu de jours sans "Ferré", ne serait-ce que cinq minutes s'un viel Odéon,ou un texte pris au hasard:pour bien aimer, il faut ne pas être totalement inconditionnel.C'est mon avis,que bien sûr je partage!

Écrit par : francis delval | mardi, 13 mars 2007

C'est vrai, en tant que femme, certains de ses propos me taperont toujours sur les nerfs ; je déplore encore plus, de la part de quelqu'un d'intelligent, cette part d'ombre que nous avons tous. Pour "passer" sur cet épisode symptomatique de déchirure qu'il y avait en lui, il faut se souvenir qu'il n'est qu'un homme. Car, dans ces propos, ce n'est plus l'art qu'on entend. C'est peut-être dommage, mais je n'ai jamais eu d'idole et Léo Ferré ne fait pas exception. D'ailleurs, l'homme et son sourire de gamin plaident pour lui.

Écrit par : Martine Layani | mardi, 13 mars 2007

Je partage ici avec nos amis F. Delval et J. Miquel le "privilège" de l'âge. Francis et moi avons répondu à The Owl. Peut-être Jacques Miquel le fera-t-il aussi ?

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 13 mars 2007

Commentaire croisé avec celui de Martine.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 13 mars 2007

The Owl... Le Joëlle Mouton de la Layanie, lol...

Écrit par : gluglups | mardi, 13 mars 2007

Et bien décidément je prends de plus en plus de plaisir à passer voir votre blog!
Ce dernier article sous forme d'interview est très bon, et les questions posées par Owl très pertinentes.
Avec cette lecture vous m'avez fais faire un bon dans mon adolescence. A vous lire, nous devons tous être à peu près du même age. Pour ma part je suis de 1951, et j'ai découvert Léo en 1969. J'ai du le voir pour la première fois en 1970 à Bobino.
Par la suite je n'ai raté aucun tour de chant dans Paris ou la banlieue. Bravo pour ce blog. Merci à Jacques Layani.

Écrit par : Marc | mardi, 13 mars 2007

Oui, je suis de 1952 et je l'ai découvert aussi en 1969. Je l'ai vu pour la première fois en juillet 1970 à Marseille.
Je vous remercie pour vos encouragements.

Je suis heureux que vous puissiez vous reconnaître dans mes propos, tout simplement parce que je suis sûr, ainsi, que mon souvenir ne me trompe pas, ou pas trop. Par conséquent, The Owl a des réponses qui ne sont peut-être pas celles qu'il souhaitait, mais s'avèrent en tout cas assez exactes.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 13 mars 2007

"The Owl... Le Joëlle Mouton de la Layanie, lol..."

lol. Il faut bien prendre la relève; tu te fais mou, camarade !

Merci pour votre note Jacques : +1 pour la convivialité !

Ce que vous dites sur la réédition du Mal-aimé est intéressant. Peut-on en déduire que sans ce pressage malencontreux, Ferré n'aurait pas réenregistré une version studio de son oratorio ?

Autre chose, vous dites que pour vous Il n'y a plus rien ou Et basta ! étaient des "formes" en appelant d'autres...
Il y a contradiction avec votre croyance dans la sincérité de l'artiste, non ?
Autrement dit, le désespoir de ces textes vous paraissait purement formel ?

Sur la question de la perception de l'évolution de la trajectoire ferréenne, je songeais à une perception par rapport à ce qui faisait autour et ailleurs (dans le domaine de la chanson et autres)...

Écrit par : The Owl | mardi, 13 mars 2007

Non non, il n'y a pas contradiction. Le désespoir n'était pas formel. On sentait (on devinait, on pressentait) simplement que le désespoir en question n'empêchait pas l'existence d'une volonté créatrice et que celle-ci saurait à l'avenir traduire le désespoir autrement. Comme je le dis très souvent, les contradictions n'existent pas, il n'y a que des complémentarités. Un symbole évident de tout ça : au disque Il n'y a plus rien, succède le disque L'Espoir. Cela, par contre, à l'époque, on n'a pas pu manquer de le remarquer. D'ailleurs, de vous répondre cela me fait repenser à quelque chose : je m'étais précisément fait cette remarque à ce moment-là, et j'en avais fait part aux copains : il y a eu La Solitude, Et... basta !, Il n'y a plus rien, qu'est-ce qu'il va y avoir maintenant ? Comment va-t-il continuer ? Eh bien, c'était tout simple : L'Espoir.

Pour le Mal-aimé, je ne sais pas si, de toute façon, il ne l'aurait pas réenregistré un jour. Je sais que le CBS a joué dans le fait qu'il le réenregistre à ce moment-là.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 14 mars 2007

Juste 2 petites remarques :N'oublions pas que "Il n'y a plus rien " a été écrit pour le film projeté avec Fourastié,et selon Belleret suggéré par Maurice Frot.Si le film avait vu le jour, il n'y aurait sans doute pas eu le disque. Ce texte, pas plus que "et basta" ne peuvent être rabattus sur l'histoire personnelle de Ferré(ne confondons pas le poète et le poème) .Et passer de "et basta" à " l'espoir" en si peu de temps,ce serait de la cyclothymie:je l'ai entendu chanter "l'espoir" à Douai début 74,les deux textes sont quasi contemporains
Pour le mal aimé: la version cbs est d'assez mauvaise qualité
,mais la version Barclay,vinyl ou CD aussi:le son est à certains moments assez désagréable à l'oreille,il doit y avoir eu un pb d'enregistrement:question technique je trouve que c'est un des moins bons barclay

Écrit par : francis delval | mercredi, 14 mars 2007

J'ai vérifié les dates:"Et basta" enregistré en novembre 73,et "l'espoir" en Janvier 74:on peut en conclure qu'ils ont été conçus ensemble,c'est la même fournée,si j'ose dire.Méfions -nous,et je ne m'épargne pas, d'une approche psychologisante des textes!La sincérité de Ferré n'est pas ici le problème,elle ne fait pas question:reconnaissons qu'il sait utiliser en même temps des formes différentes d'écriture et qu'écrire poèmes, romans ou musiques,c'est un travail objectif et non une simple projection des sentiments du moment:il faut se donner des digues solides pour ne pas rabattre sans cesse l'oeuvre sur la vie,même et surtout s'il y a évidemment une subjectivité à l'oeuvre,qui existe même dans les oeuvres les plus impersonnelles,même chez Herédia,Mallarmé ou Pessoa.Nous retrouvons toujours la question de Jacques :que serait une "bio" scientifique?

Écrit par : francis delval | mercredi, 14 mars 2007

J'ai vérifié les dates:"Et basta" enregistré en novembre 73,et "l'espoir" en Janvier 74:on peut en conclure qu'ils ont été conçus ensemble,c'est la même fournée,si j'ose dire.Méfions -nous,et je ne m'épargne pas, d'une approche psychologisante des textes!La sincérité de Ferré n'est pas ici le problème,elle ne fait pas question:reconnaissons qu'il sait utiliser en même temps des formes différentes d'écriture et qu'écrire poèmes, romans ou musiques,c'est un travail objectif et non une simple projection des sentiments du moment:il faut se donner des digues solides pour ne pas rabattre sans cesse l'oeuvre sur la vie,même et surtout s'il y a évidemment une subjectivité à l'oeuvre,qui existe même dans les oeuvres les plus impersonnelles,même chez Herédia,Mallarmé ou Pessoa.Nous retrouvons toujours la question de Jacques :que serait une "bio" scientifique?

Écrit par : francis delval | mercredi, 14 mars 2007

Je répondais seulement à la question de The Owl, qu'il avait ainsi formulée : "Autre chose, vous dites que pour vous Il n'y a plus rien ou Et basta ! étaient des "formes" en appelant d'autres... Il y a contradiction avec votre croyance dans la sincérité de l'artiste, non ? Autrement dit, le désespoir de ces textes vous paraissait purement formel ?"

Pour moi, la sincérité de Léo Ferré est la chose la moins contestable qui soit. On peut contester son écriture, sa musique, son interprétation, mais sa sincérité est d'une évidence frappante. Elle n'exclut pas le métier, d'ailleurs, ni l'habileté. Mais elle demeure.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 14 mars 2007

Mais la sincérité ,c'est aussi faire en même temps des choses très différentes si on en a le désir.Je ne mettrai jamais en doute la sincérité de Ferré,sinon je ne l'écouterais plus depuis belle lurette: Ferré n'est PAS un faiseur

Écrit par : francis delval | mercredi, 14 mars 2007

Nous sommes bien d'accord. C'est justement une de ses caractéristiques, que cette sincérité qui s'exprime sur tant de registres différents.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 15 mars 2007

Réponse à The owl en essayant de ne pas trop poser à l’ancien combattant. Tout d’abord je me reconnais assez dans les réponses de Jacques et Francis. Fan ? Non bien sûr… De toutes façons on aurait plutôt dit admirateur, qui ne me convenait pas plus. Je disais pudiquement « j’aime beaucoup » et ça pouvait aller jusqu’à « je suis un inconditionnel ». Mais aujourd’hui je crois que tout ça revient au même… Pour ma part je me situe à mi-parcours entre Francis et Jacques. Je vois Léo Ferré pour la 1ère fois sur scène en novembre 1965, j’ai 17 ans ; je le vois pour la dernière fois en mai 1992. Entre temps j’assiste à un peu plus d’une vingtaine de récitals et je le rencontre à quatre reprises pour de brefs échanges.
Ma découverte de l’artiste sur disque remonte à l’automne 65. Un copain me donne un LP hors commerce où il y a les principales « vedettes » de l’écurie Barclay dont Léo Ferré qui chante « Tu sors souvent ». C’est réellement la première chanson de lui que j’écoute. Je n’ai pas tout compris des paroles, de cette langue inhabituelle, mais je ne me lassais pas de la mettre sur le tourne-disque. A la même époque j’ai assisté à un récital de poésie principalement centré sur Vian, Lorca, Rictus, et Ferré avec L’opéra du ciel. J’achète le Seghers et je découvre l’essentiel des années Le chant du monde, Odéon et le début Barclay par la lecture, sans oublier les inédits. Ne connaissant pas les musiques, je n’étais pas du tout gêné par cette absence. Les textes « tenaient » par eux mêmes, et Ferré était pour moi un poète parmi d’autres mais qui me parlait beaucoup. A partir de 1966 j’ai acheté tous les nouveaux disques à leur parution tout en m’efforçant de combler les lacunes des années précédentes disponibles sur les LP CBS, mais on trouvait encore des Odéon de tous les formats chez « le marchand de disques » (Ainsi, je me souviens avoir acheté à cette époque les EP Martha la Mule et La rue en 45 tours Odéon…). Ça se trouvait comme ça ; je pense que les invendus restaient en stock plusieurs années… Donc chaque année amène son lot de découvertes : 1966 : « Ferré 1916-19… », 1967 : Baudelaire et La Marseillaise. 4 LP en quelques mois qui vraiment habitent ou plutôt accompagnent mes pensées. C’est réellement de la création hors des chemins battus. Pour moi ça ne ressemble à rien d’autre de ce qui se fait à ce moment-là même dans le meilleur du genre. Non c’est autre chose.
Le choc le plus grand se situe un dimanche après-midi peut-être en 1969 quand à la télé en blanc et noir Ferré paraît et annonce « Ma Bretagne à moi » qu’il chante sur un accompagnement piano. C’est la première fois que j’entends La mémoire et la mer, chanson encore inédite sur disque mais dont je connaissais des strophes grâce au Seghers. Quelle impression incomparable ! Pour moi ça dépasse les grandes évolutions dont parle The owl (Et Basta, les créations symphoniques, Zoo etc.) Après ça tout pouvait arriver ou finir… Rien n’était aussi hermétique dans l’œuvre de Ferré et pourtant rien ne me parut plus limpide… Même si évidemment je ne disposais pas de toutes les clés de compréhension…
Justement pour ce qui est de la compréhension aussi bien de La mémoire et la mer que de Et basta dès 1967 le livre de Madeleine Ferré (Les mémoires d’un magnétophone) ont apporté de nombreux éclairages sur le quotidien de Léo Ferré mais aussi sur ses créations artistiques. Pour ma part j’avais acheté ce livre dès sa sortie. Le Seghers était également précieux pour mieux saisir l’aspect créatif. Léo Ferré passait volontiers à la télé et se livrait complaisamment selon l’adresse de l’interviewer (cf. Discorama) Je me souviens d’un reportage dont on a peu parlé et qui remonte sans doute à 1969 (5 colonnes à la Une ou Panorama…) où Léo Ferré fait visiter la maison de ses parents et de son enfance à Monaco (Bd Saint-Michel) L’émission est illustrée par 2 chansons alors inédites : Marizibill (au piano) et L’amour n’a pas d’âge (a cappella me semble-t-il). Ce témoignage est particulièrement intéressant parce que je ne suis pas sûr que la maison existe encore… En 1970 Benoît Misère donne encore des indications – même romancées – sur la vie de Léo Ferré. La presse rend également bien compte de son actualité artistique. Enfin autant d’éléments documentaires qui permettent de se familiariser à l’environnement de l’artiste et permettent de décrypter certains passages hermétiques… Donc pour moi c’est peut-être plus l’évolution de la forme que de la signification qui est remarquable. Mais en réalité qu’une chanson fasse 1’30 ou un quart d’heure ce qui compte c’est le contenu. Est-ce du remplissage ou de la densité ? voilà la question. Et là tout dépend de l’auditeur et de sa sensibilité. Pour moi Il n’y a plus rien garde la même intensité du début à la fin, alors que d’autres textes me paraissent un peu longuet. Je pense par exemple à L’imaginaire. Mais là encore ça dépend peut-être de la disponibilité mentale de l’auditeur. Je ne sais pas comment exprimer ça. Longuet n’est peut-être pas le mot et il serait plus exact de dire que c’est plus convenu, que ça surprend moins… Léo Ferré m’a « presque » toujours étonné. Je dis « presque » parce que les dernières années de scène je trouvais l’expression moins percutante estimant que les bandes orchestre nuisaient à la spontanéité de la relation artiste / public. Je crois que cette méthode d’interprétation lui demandait une concentration très importante, qui le détournait d’une présence entière. D’autre part la connaissance de la musique qui était la même que celle utilisée sur les enregistrements en studio, déclenchait peut-être en moi des mécanismes de déjà entendu, de découverte de moindre intérêt. Mais je relativise tout cela car les récitals les plus émotionnellement intenses auxquels j’ai assisté se situent le 1er mai 1988 au TLP Dejazet et en mai 1992 à Montauban. Pour celui-ci peut-être que parce que j’avais le sentiment que je ne le reverrai plus sur scène…

Écrit par : Jacques Miquel | samedi, 17 mars 2007

Eh bien, je pense que The Owl aura trouvé là des réponses à ses questions. Merci, Jacques. A ma connaissance, l'appartement de l'avenue Saint-Michel à Monaco est toujours là.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 17 mars 2007

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