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mardi, 03 juillet 2007

Couleurs d’aimer

Mon p’tit voyou, très tendre chanson de Léo Ferré, dont le titre, il faut peut-être le rappeler car l’expression n’a guère plus cours aujourd’hui, signifie « mon chéri », « mon amour », est ainsi construite : quatre sixains d’octosyllabes croisés avec des tétrasyllabes, fondés sur des couleurs : gris pour la tristesse, bleu pour l’amour, vert pour l’espoir, noir pour la mort. Ce schéma très classique sert cependant une pensée émue, articulée non en une progression, mais en un bouquet de thèmes familiers de la poésie lyrique.

Bien plus tard, Léo Ferré enregistre De toutes les couleurs, dont la structure est plus complexe : cinq neuvains d’alexandrins construits selon le schéma de rimes a-a-a-b-c-c-d-d-b. Les strophes sont toujours, cependant, fondées sur des couleurs : vert pour l’espoir, bleu pour l’amour, jaune pour la folie, rouge pour la passion, noir pour la mort.

Au fond, rien n’est fondamentalement différent : seules deux couleurs sont ajoutées au spectre initial et, pour ce qui est de leur symbolique, elles demeurent classiques. Seul le jaune devient l’emblème de la folie, parce que, dans l’univers de l’auteur, il est supposé être nécessairement celui de Van Gogh. L’amour physique est maintenant très fortement présent, expressément dit : « De toutes les couleurs du rouge où que tu ailles / Le rouge de l’Amour quand l’Amour s’encanaille / Au bord de la folie dans la soie ou la paille / Quand il ne reste d’un instant que l’éternel / Quand grimpe dans ton ventre une bête superbe / La bave aux dents et le reste comme une gerbe / Et qui s’épanouit comme de l’Autre monde / À raconter plus tard l’éternelle seconde / Qui n’en finit jamais de couler dans le ciel » alors que, s’agissant de Mon p’tit voyou, les pudibondes années 50 n’autorisaient guère que « Quand tout est bleu / Y a l’ permanent dans tes quinquets / Les fleurs d’amour s’fout’nt en bouquet / Quand tout est bleu / C’est comme un train qui tend ses bras / Y a pas d’ raison que j’te prenn’ pas » – avec l’ambiguité voulue dans l’acception du verbe « prendre » : le train ou la femme ?

Chez Léo Ferré, on le sait, il n’est pas de différence intrinsèque entre l’amour courtois et l’amour physique, ainsi qu’il en va, d’ailleurs, dans toute la tradition de la poésie lyrique qui, par ses thèmes mêmes, n’a jamais fait que contourner, notamment au moyen des blasons, l’interdiction sociale de dire le corps, ses fêtes et ses fastes.

00:00 Publié dans Jalons | Lien permanent | Commentaires (7)

Commentaires

Lacouleur est importante pour Ferré,il a d'ailleurs dit un un jour:"je crois qu'après la mort,il y a la couleur"...
"Mon p'tit voyou" joue en partie ,comme souvent chez Ferré,sur le double sens des mots:
le gris,c'est la couleur,mais aussi le tabac,ce qui amène pipe et culotté
le bleu,associé à train,donne "train bleu",c'est ainsi qu'on appelait autrefois le train vers le midi
vert amène tapis:on a le tapis vert du jeu ,d'où "on y'a joué tous nos habits"
pour le noir ,ça fonctionne autrement

Écrit par : francis delval | mardi, 03 juillet 2007

J'étais parti dans l'idée d'un simple parallèle entre Mon p'tit voyou et De toutes les couleurs. Mais si l'on creuse chaque texte, on tombe évidemment sur ces prolongements que vous signalez, qui sont si caractéristiques de l'écriture ferréenne. C'est quelque chose qui tient à la fois de l'analogie, du jeu de mots et de l'association d'idées. "Prolongement" me paraît convenir. C'est très difficile à commenter. Comment dire ? C'est un peu comme si, dans sa tête, un mot, évidemment utilisé pour exprimer une chose, une idée, une notion, appelait immédiatement une image derrière lui et qu'alors, l'expression écrite contenait tout cela à la fois. Ce n'est pas clair, je sais. Je le ressens à peu près comme ça.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 03 juillet 2007

Finalement on ne retrouve pas souvent l’évocation des couleurs chez Ferré (enfin, moins que je ne l’aurais cru). J’ai trouvé, un peu au hasard :


Je préfère le drapeau noir
A la marée en robe noire
Quand les goélands pour y voir
Préfèrent y voir de mémoire
Les corbeaux blancs de Monsieur Poe
Géométrisent sur l'aurore
(…)
Et si des fois le drapeau noir
Sur un voilier en voile noire
Mettait la flibuste au pouvoir
Ça pourrait déranger l'histoire
Qui remettra le drapeau noir
A nos voilier en voile noire
Et les marins au beau milieu
Mettront en route leurs beaux yeux
SUR LA MER BLEUE
(La mer noire)


Si j'avais les yeux du bon dieu
Je pleurerais des larmes rouges
(L’Opéra du ciel)

Elle coule mystérieusement
La rivière des amants
Endormis dans leur lit blanc
(Le fleuve des amants)

Écrit par : Feuilly | mardi, 03 juillet 2007

Tu as dû mal chercher, Feuilly. De C'est extra à T'as d'beaux yeux, tu sais ? en passant par Comme à Ostende et Le Superlatif, de Paname à Je vous vois encore en passant par Bleu, blanc, rouge, de Guesclin à Martha-la-Mule en passant par Le Mauve de tes yeux, de La Chemise rouge à L'Affiche rouge en passant par L'Amour fou, de Je t'aimais bien, tu sais aux Amants tristes en passant par L'Etoile a pleuré rose, bref, je ne vais pas faire une liste, toute l'oeuvre abonde en couleurs.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 03 juillet 2007

t'as d'beaux yeux,tu sais? aurait pu entrer dans le cadre de votre note,Ferré y déclinant également les couleurs "fondamentales"....Notons aussi la prégnance du mauve,qui traverse de nombreux textes.....
Il faudrait mettre à part "les amants tristes",où le lexique de la couleur est assez différent:bateaux blêmes,poissons d'argent bleu,les bandits jaunes qui font aux arbres des hold-up mordorés,etc..il y a chez Ferré ,en fait, un nuancier très riche,de la couleur,et de la nuance...."du mauve,rien que du mauve,et puis de l'innocence ...."

Écrit par : francis delval | mardi, 03 juillet 2007

Et puis, et puis :

"Pour l'anarchiste à qui tu donnes
Les deux couleurs de ton pays
Le rouge pour naître à Barcelone
Le noir pour mourir à Paris"

Écrit par : lmv | mercredi, 04 juillet 2007

En effet, j'ai dû mal regarder. Il me semblait bien, pourtant, que cette poésie était très chaude et très visuelle.
L'Affiche rouge et la Chemise rouge, je les avais volontairement écartées car le rouge y est "universel".

Écrit par : Feuilly | mercredi, 04 juillet 2007

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