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samedi, 14 juillet 2007

Dommage

Il fut un temps où les interprètes étaient des chanteurs, c’est-à-dire des gens ayant une voix, du souffle, une présence. On pouvait les écouter comme des artistes à part entière dans un répertoire qu’ils avaient construit, erreurs éventuelles comprises, avec soin. On est loin de nombreux « interprètes » d’aujourd’hui qui sont vocalement ineptes, artistiquement infâmes, scéniquement consternants, et qui ne « chantent » Ferré que pour exister eux-mêmes, de loin en loin. Le pire est qu’ils trouvent un public – qu’on veut espérer abusé ou attendri car venu pour Léo Ferré – pour les applaudir.

Ferré qui pensait, il l’a souvent dit, les chansons faites pour être chantées, avait souvent des idées originales dans ce domaine et l’on peut effectuer un rapide tour d’horizon des propositions qu’il fit lui-même aux interprètes du moment. On ne redira pas les refus que tout le monde connaît, mais on rappellera ceux qu’on peut considérer comme des pertes sèches pour la chanson.

Le plus grand regret, peut-être, les poèmes de Baudelaire avec sa musique, que Léo Ferré avait lui-même proposés à Piaf. On connaît la réponse : « Non, Léo, Baudelaire, c’est sacré ». On peut penser que Piaf a été effrayée par la perspective de chanter les Fleurs du Mal. Et pourtant, Piaf chante Baudelaire, musique de Léo Ferré, c’eût été quelque chose, il me semble. On aurait certainement pu discuter ce disque, voire le critiquer sévèrement, mais il eût incontestablement existé et compté.

On connaît le projet de faire chanter à Johnny Hallyday Les Albatros. Avorté pour une raison inconnue : selon toute vraisemblance, l’entourage du chanteur lui aurait déconseillé cet enregistrement, qui pouvait être de nature à déstabiliser son public. On n’en sait pas plus.

Comme on ignore les raisons – vraisemblablement les mêmes – de Mireille Mathieu pour ne pas chanter La Mort des loups. Léo Ferré voulait lui faire interpréter ce texte, jugeant qu’elle avait une voix lui autorisant autre chose que son habituel répertoire.

Moins connu est le refus opposé par les Compagnons de la chanson. Je m’étais souvent demandé pourquoi les Compagnons n’avaient jamais chanté Ferré. La réponse à cette interrogation est donnée dans ses souvenirs, récemment publiés par Fred Mella. Ferré aurait aimé leur donner Mon p’tit voyou. Le groupe trouva la chanson beaucoup trop intime pour figurer dans un répertoire à plusieurs voix. La règle des Compagnons, pour travailler et graver une chanson, était l’unanimité, que la proposition de Ferré ne recueillit pas. Je ne peux m’empêcher d’imaginer ce que cela aurait donné et je pense qu’au contraire, cette interprétation serait vraiment sortie des sentiers battus et aurait pu faire date. Léo Ferré, en effet, s’était certainement posé lui-même la question avant d’avancer ce titre.

Juliette Gréco a chanté plusieurs œuvres de Ferré. Elle qui pourtant peut tout oser, lui avait refusé Les Bonnes manières. Là aussi, on peut rêver à ce qu’elle en aurait fait, qui n’eût certainement pas été à jeter au ruisseau.

 

Je m’aperçois que cette note va paraître le 14 juillet, date à laquelle de nombreux interprètes, ici et là, chantent Ferré. Ce n’était pas préconçu et, finalement, c’est peut-être aussi bien.

00:00 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (15)

Commentaires

Ne nous plaignons pas trop,Ferré a eu quand même un nombre très important d'interprètes de grande qualité.
Parmi les refus (mais je l'ai déjà signalé ici),il y eu le refus de "EP Love",par Dalida, qui disait n'avoir pas compris les paroles.D'où la réponse de Ferré:"..c'est la chanson préférée de Pépée"-sic!
Je vous rejoins sur les interprètes actuels qui,pour la plupart n'ont guère de talent..;(je n'inclus pas les anciens:Verdier,Vasca,Ogeret,Gaytan,etc...)
Il semble que JL Murat va finalement enregistrer les Baudelaire inédits.Je ne le connais guère:a-t-il la voix pour ce répertoire?
Il faudra un jour se pencher sur les traductions de Ferré,de plus en plus chanté à l'étranger (italie, espagne,catalogne (Ribalta), Japon,Angleterre ,Israël etc....)

Écrit par : Francis Delval | samedi, 14 juillet 2007

Bien sûr, il a eu de grands interprètes. Je voulais seulement ici relever quelques ratés d'envergure : Piaf ou les Compagnons, ce n'est pas rien. Mireille Mathieu, c'eût été nouveau et culotté.

Pour les traductions, j'avais fait dans les Cahiers, il y a longtemps, un premier relevé. Il est aujourd'hui périmé. Mais il ne s'agissait que d'une liste un peu mise en forme. Pour le contenu des traductions, je ne suis pas en mesure, la plupart du temps, de juger de leur qualité.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 14 juillet 2007

j'avais oublié votre inventaire des cahiers n°4....

Écrit par : Francis Delval | samedi, 14 juillet 2007

Il ne méritait rien d'autre.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 14 juillet 2007

C'est à la suite de l'article de Jacques dans les Cahiers Ferré N° 4 que j'avais écris pour la 1ère fois à Jacques.
Depuis j'ai continué le recensement de traductions : j'en ai trouvé près de 450 !
Il y a en des choses à dire ! les plus nombreuse ? l'italien et le japonais..
Les plus belles : celles d'Enrico Medail (en italien) et d'Erich Mieier (allemand) (c'est subjectif). Mais je n'ai pas encore lu toutes celles de JP Verdier (celles que j'ai lues son superbes!)
Sinon il faut citer le turc et le grec (par exemple), et le coréen, et le yougoslave, ... etc ... etc ....
Il conviendrait à mon sens de distinguer ce que j'appellerais des adaptations, c-àd- des traductions destinées à être chantées, des traductions pures et simples.. ces dernières sont en général plus fidèles que les adaptations 'Cf. 'De dame' adaptation en hollandais de 'L'Homme'. !)

Je pourrai développer ... en septembre.... (si vous le souhaitez)
Daniel DALLA GUARDA

Écrit par : Daniel Dalla Guarda | dimanche, 05 août 2007

Jacques vous répondra,mais je pense qu'il y a matière à plusieurs notes!
la traduction n'est pas une question facile en poésie,d'autant plus lorsqu'elle est principalement destinée à être chantée,donc à se marier à la musique.Traduire?Adapter?Je suggère un autre terme (à ajouter,non à substituer):transposition.Je pense par exemple à la "transposition "en vers français de "Elegie de Marienbad,de Goethe,proposée par Jean Tardieu:ça passe très bien,d'autant plus que le texte allemand est en regard.
traduire/transposer/adapter...juste une idée ,comme en passant.....Bon courage pour votre inventaire !

Écrit par : Francis Delval | mardi, 07 août 2007

pour être plus clair:"transposition" est un terme proposé par Jean Tardieu,poète orfèvre du mot et excellent germaniste.Je cite un extrait de son introduction à "Elégie de Marienbad" (gallimard):
" (cette oeuvre)...je ne voulais pas me borner à la traduire selon l'usage habituel,c'est à dire en informant le lecteur du CONTENU......Je voulais trouver,en partant d'une langue aussi différente de la langue française,un équivalent SONORE du texte original,par une sorte de transposition ou d'équivalence,c'est à dire en me rapprochant le plus possible de la tonalité,du rythme ,de la scansion,bref de toute la musique verbale du poème allemand."
Toute l'introduction mériterait d'être citée.les problèmes évoqués par tardieu concernent toute traduction de poèmes,et peut s'appliquer à Ferré.
Certes le pb se complique avec la mise en musique:on imagine mal traduire un opéra ou des Lieder:si on peut lire Wagner ou les livrets de Hoffmanstal écrits pour R.Strauss,il est impensable de les chanter en français,catalan ou serbo-croate.....alors pourquoi le faire pour la poésie mise en musique?c'est une question qui n'est jamais posée que celle du sens de la traduction de l'oeuvre chantée...Bon,on a bien traduit les operas de Brecht et Kurt Weill....Mais mahagonny on l'opéra de quat'sous ont-ils atteints le statut d'"opéras":c'est un autre problème qu'on retrouve, celui de la légitimité de l'oeuvre.
Je pose le pb brutalement:Si Ferré est tant traduit et chanté,n'est-ce pas parce qu'il n'est pas encore reconnu comme poète et musicien à part entière?C'est un paradoxe,certes,car notre plaisir d'écouter Ferré en différentes langues est quelque part sans doute dû au manque de reconnaissance "officielle" comme musicien...tout ceci paraît tordu, je réfléchis en écrivant...pas toujours évident;
Daniel,je vous complique la tâche....

Écrit par : Francis Delval | mardi, 07 août 2007

Je ne prends connaissance de vos remarques à tous deux qu'aujourd'hui. Impossible de répondre ici, j'ai peu de temps, sur mon ordinateur de location à l'office du tourisme. Cela mérite réflexion, en effet.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 10 août 2007

je voudrais revenir sur ce pb de traduction, qui sont de plus en plus nombreuses, et multiplient les interprètes de Ferré..en posant quelques questions à la cantonade:

Il y a au moins deux façons de traduire la chanson: comme je disais, en suivant Tardieu,traduction qui informe du contenu,ou adaptation (ou transposition),qui permet de la chanter en une langue étrangère.
-je dirai d'abord que les traductions multiples de Ferré sont sans doute dûes à la perte d'influence du français au niveau international, qui le rend difficilement lisible ou compréhensible si on n'est pas un excellent francophone.Ou alors, ça relève de l'exercice se style de haute volée quand Verdier le traduit pour le plaisir en occitan.
-Nous avons ,en librairie, de bonnes éditions bilingues de Léonard Cohen, lou Reed, ou Morrisson...(pour la poésie, il est toujours préférable d'avoir une édition bilingue, même si on ne connaît pas la langue d'origine)...Mais j'imagine mal (ça existe peut-être, mais je n'ai jamais entendu cela) écouter Cohen ou Lou reed en français,que donnerait "queen Victoria" ou 'I am your man" en français?Est-ce dû à la prééminence de l'anglais,ou le fait que la musique est trop intimement liée au texte?
-ce qui rejoint le pb de l'opéra:on n'imagine guère Mozart, Rossini, wagner ou Debussy, autrement qu'en italien , allemand , ou français:la musique est faite , moulée sur la langue.Il y a des exceptions, si nous allons vers l'opéra-comique (on chante "Carmen" en anglais, par exemple)
-il peut y avoir de l'intraduisible pour d'autres raisons:un texte dont on peut donner une version française, mais qui deviendrait alors inchantable: je pense par ex, à un traditionnel breton de Servat
Koroll ar c'hleze ( danse du glaive)
dont voici le refrain:

Tan tan dir o dir tan tan dir ha tan tann tann
Tir ha tonn tonn tann tir ha tan

ce qui se traduit ainsi:
Feu feu acier ô acier feu acier et feu chêne chêne
Terre et flot flot chêne terre et terre et feu

Cette traduction serait inchantable, sauf à imaginer une autre musique...Le rythme serait perdu, ainsi que la vitesse du refrain

C'est un exemple de texte qu'on ne peut traduire qu'en modifiant la musique si on veut le chanter

-Pour Ferré, je constate que si les traductions puisent largement dans le répertoire, ce sont quand même les plus connues qui sont les plus traduites,avec des exceptions (" demain" , texte en prose adapté par Verdier,mais pourquoi diable remplacer Orly par Blagnac , sous prétexte qu'on chante en occitan?ça me semble tout à fait gratuit!)

-Chez Ferré, tout est-il traduisible en gardant la musique, la mélodie?
faut-il modifier la musique si nous voulons garder une traduction fidèle?
faut-il changer le texte, en allant vers ce que Tardieu appelle "transposition", pour garder intacte la mélodie?

....Jacques, il y aurait un nouvel inventaire de traductions à faire,en distinguant traductions et adaptations,Daniel, quand vous aurez un peu de temps, vous qui suivez le sujet de près,et tous les autres,que pensez-vous de ces questions, peut-être mal posées,mais l'inflation des versions étrangères ou en langues régionales demande examen....Est-ce une mode passagère? Ou une lame de fond?

Écrit par : francis delval | lundi, 03 décembre 2007

A l’intention de Francis à propos des adaptations françaises des chansons de Leonard Cohen.
Graeme Allwright (chansons adaptées et enregistrées entre 1967 et 1975 ) : Suzanne - L’étranger (The stranger song) - Jeanne d’Arc (Joan of Arc) - Les soeurs de la miséricorde (Sisters of mercy) - Demain sera bien (Tonight will be fine) - L’homme de l’an passé (Last year’s man) - Diamants dans la mine (Diamonds in the mine) - Vagabonde (Winter lady) – Avalanche - De passage (Passing thru) - Lover lover lover - Je voulais te quitter (I wanted to leave you) - Danse-moi vers la fin d’l’amour (Dance me to the end of love) - Si c’est ta volonté (If it be your will)
Pauline Julien : Suzanne (1969)
Georges Chelon : Goodbye (Hey, that’s no way to say goodbye) - Adieu Marianne (So long, Marianne) 1970
Serge Lama : Vivre tout seul (Bird on the wire) 1971
Duo Maxime Le Forestier et Graeme Alwright : Suzanne (1980)
Nana Mouskouri : La ballade du chien (Ballad of the absent mare) 1982
Jean-Louis Murat : Avalanche IV (Avalanche)
Eric Lareine : Chance aux chansons (Tower of song) 1996
Sapho : La chanson de l’étranger (Stranger song) 1999
(G. Allwright est le plus près aussi bien dans la lettre que dans l’esprit du poète canadien)

Écrit par : Jacques Miquel | lundi, 03 décembre 2007

Merci, Jacques pour cette liste.Mais je dois avouer que je n'écoute plus tellement de chanteurs français.Et ça ne me tente pas ....Cohen, c'est comme Ferré,la voix est essentielle.
Je n'écoute plus Brassens depuis longtemps,je le connais par coeur, mais plus aucune envie de l'entendre. Idem pour Brel, sauf 4 ou 5 titres ( et les versions anglaises de Scot Walker).
Parfois encore Leclerc, vigneault, Charlebois, et puis de temps en temps Servat, glenmor,C.Magny, et Esposito...c'est tout....Seul Ferré résiste...et restera....Je préfère le Jazz ou les chanteurs américains ,Cohen, Buckley,Tom waits...Van morrisson...et le pop des années 65-75

Charlebois est un bon exemple de chanteur dont les textes sont , lorsqu'ils sont écrits en Joual,rétifs à toute traduction

Écrit par : francis delval | lundi, 03 décembre 2007

Tiens, Francis, vous parlez breton ? Je conserve dans l'oreille les tonalités qu'empruntait mon père, quelques mots par-ci par-là, pas plus, c'est dommage. Son père en connaissait la grammaire... tout se perd.

Écrit par : Martine Layani | lundi, 03 décembre 2007

désolé, Martine, mais je ne connais pas le breton,ma connaissance du breton se limite aux chansons de Servat,Glenmor, et Kerguiduff....Une bonne partie des textes de Servat , dans les années 70-76 a été écrite en breton, et il y a les traductions dans les pochettes des 33 tours.Glenmor a aussi chanté des textes en breton, mais beaucoup moins.En les écoutant, vous pourrez retrouver ces tonalités qui sonnent bien à l'oreille....Mais on a parfois des surprises avec les langues régionales....En écoutant le dernier Verdier, j'ai retrouvé dans l'occitan plusieurs mots que l'on emploie dans le "patois" du nord
...Mystère des migrations,langue d'oc et langue d'oïl étaient sans doute moins séparées qu'on ne le pense.On retrouve bien des mots gaéliques en espagne, en Galice!

Écrit par : francis delval | lundi, 03 décembre 2007

Et Allan Stivell, que j'ai oublié....Excellent musicien....

Écrit par : francis delval | mardi, 04 décembre 2007

Oui, c'est sûr. Moi, j'écoutais Tri Yann... Quand je n'allais plus en Bretagne (durant plus de quinze ans) leur groupe me rapportait la marée et les chevaux. Depuis, j'ai retrouvé tout ça et comme je peux y retourner, mon besoin est devenu moins pressant.

Quant aux gaéliques, j'ai rencontré un Espagnol qui m'a parlé du granit comme en aurait parlé un elfe. Il y a des peintres en bâtiment formidables.

Le fait de traîner avec soi un pays -- même s'il est d'adoption -- peut faire naître une langue, une vision plutôt de celle-ci. C'est ce qu'on tente de traduire ; l'anima de l'auteur avec et c'est cela qui pose problème. Parfois le métalangage est le plus important. Je crois que si Léo Ferré a si bien compris Pépée c'est parce qu'il prêtait une attention énorme à ce métalangage, qui peut se transmettre d'animal à humain.
On peut sans doute tout traduire dans le respect, il s'agit seulement d'accepter de changer de sillon.

Écrit par : Martine Layani | mardi, 04 décembre 2007

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