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jeudi, 06 septembre 2007

À propos des premières chansons enregistrées

Écoutant le disque 33-tours 30-cm Barclay Les douze premières chansons de Léo Ferré – il s’agit bien entendu des douze premières chansons enregistrées, comme on le sait –  je me fais ces quelques réflexions.

J’ai découvert ce disque lorsqu’il est sorti en 1969, l’année où j’ai appris l’existence d’un artiste qui s’appelait Ferré. Au moment où Ferré l’enregistre, soit les mardi 4 et mercredi 5 mars 1969, il n’est plus disponible au Chant du Monde, en version piano et chant. Il le ressort alors au catalogue Barclay, avec les orchestrations de Jean-Michel Defaye.

Ces orchestrations sont dans la parfaite lignée du travail que Defaye effectue depuis plusieurs années et qu’il poursuivra durant quelques années encore, pour Léo Ferré. Dans l’esprit et dans la forme, elles ne se différencient pas des précédentes ni des suivantes : Defaye sert Ferré au mieux de son talent. Ferré lui-même, en 1969, est en pleine possession de sa puissance vocale, il a acquis beaucoup de métier, sa voix est celle qui vient de triompher dans C’est extra et qui a fait les beaux soirs de soufre de Bobino, du mercredi 8 janvier au lundi 3 février. De très nombreux jeunes le découvrent cette année-là et, pour eux comme pour moi, ce 30-cm est celui qui leur permet d’entendre pour la première fois ces chansons des débuts.

D’où vient, par conséquent, que, lorsqu’on les évoque, on fasse toujours référence aux premiers enregistrements piano et chant, ceux effectués en 78-tours ou, plus généralement, toujours piano et chant, leur ré-enregistrement en microsillon 25-cm, en 1953 au Chant du Monde… alors que Ferré est sous contrat avec Odéon ? Si mon souvenir est bon – et je crois qu’il l’est – je n’ai entendu, chanté en scène sur cette bande enregistrée Barclay, que Le Bateau espagnol, à Marseille, au Théâtre aux Étoiles, le jeudi 30 juillet 1970. Or, Ferré reprendra pratiquement toute sa vie, en scène, Le Bateau espagnol, ainsi que La Vie d’artiste et À Saint-Germain-des-Prés. Et quelquefois Le Flamenco de Paris, Monsieur Tout-Blanc ou La Chanson du scaphandrier. Il le fera toujours, par la suite, au piano, mais plus jamais avec les bandes enregistrées de l’orchestre de Defaye, bandes auxquelles il fera pourtant appel pour de nombreux autres morceaux, plus du tout pour ceux-là.

Et ces « premières » chansons s’inscriront dans l’imaginaire de chacun dans leur version piano et chant de 1953, y compris pour ceux qui, comme moi, auront d’abord connu les orchestrations et n’achèteront que plus tard le disque de 1953 (intitulé Chansons de Léo Ferré interprétées par Léo Ferré puis, lors d’un changement de pochette, Léo Ferré chante… Léo Ferré), entre-temps réédité, avec un sommaire identique, en 30-cm (sous le titre Léo Ferré chante ses premières chansons puis, lors d’un changement de pochette, Premier Ferré, d’abord en pochette ouvrante puis en pochette simple). Pourquoi ?

C’est d’autant plus étonnant que le 25-cm de 1953, enregistré les mardi 27 et samedi 31 octobre ainsi que le mardi 17 novembre, ne comprend pas Le Temps des roses rouges, pourtant gravé en 78-tours le lundi 20 novembre 1950 mais ignoré lors du ré-enregistrement : il faudra attendre le vendredi 29 mai 1998 pour que cette chanson, dans sa version piano et chant, paraisse en CD (dans le livre-disque La Vie d’artiste, les années Chant du Monde, 1947-1953). Donc, ce texte-là, durant des décennies, ne sera connu – pour ceux, nombreux, qui n’avaient pas les 78-tours originaux – qu’avec les orchestrations de Defaye. Ce qui aurait peut-être pu conférer au 30-cm Barclay orchestré Les douze premières chansons de Léo Ferré (reparu plus tard en CD) une certaine autorité, à tout le moins une prééminence. Il semblerait, avec le recul, que cela n’ait pas été le cas, sans que je puisse avancer d’explication.

Ni entière nouveauté ni réédition à proprement parler, ce disque orchestré paraît avoir un curieux statut. En résumé, la question est triple. Pourquoi ces chansons se sont-elles inscrites dans l’esprit et le cœur du public sous leur forme de 1953, y compris chez ceux qui les ont découvertes, de prime abord, orchestrées ? Est-ce ou non parce que Ferré a fort peu utilisé en scène ces bandes orchestrales, préférant revenir au piano ? Pourquoi a-t-il eu si peu recours à ces bandes, alors qu’il en utilisa d’autres, du même Defaye, toute sa vie ?

00:00 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (50)

Commentaires

Voici une remarque qu'avait faite Alain Raemackers sur l'ancien forum Léo Ferré :
Les 12 premières chansons version 69
Au moment de la réalisation de l'intégrale (mouais!) Barclay (meuhh!) en CD, Ferré aurait refusé d'y inclure cet enregistrement. Il semble qu'il ne supportait plus les orchestrations.... Pourtant c'était du Defaye, comme beaucoup des orchestrations qui figurent dans ce pavé.... À l'époque de cette "intégrale" (on ne rigole pas dans le fond...), Ferré envisageait de réenregistrer ses premières chansons (et pas uniquement celles de la période Le Chant du Monde) avec SES orchestrations (ou mise en musique). Il n'aura pas le temps de réaliser tous les titres qu'il envisageait, mais on sait qu'en 88 il réenregistra à Milan une bonne vingtaine de ses "anciens titres" dont certains figurent sur l'album "Les Vieux Copains" (les autres sont à ce jour inédits). Je peux en faire chialer certains en révélant que sa liste de travail comprenait (notamment) le titre "L'or et la paille" dont il n'existe à ce jour aucun enregistrement connu... hélas ce titre semble ne pas avoir été enregistré lors de cette séance de l'automne 88..... Voilà peut-être la véritable raison du refus de Ferré pour la réédition de ce disque.
Cela expliquerait que Ferré n'ait pas utilisé les bandes Barclay pour ces premières chansons.

Écrit par : DALLAGUARDA | jeudi, 06 septembre 2007

Je veux bien qu'il n'ait plus supporté ces orchestrations, mais pourquoi supportait-il toutes les autres et notamment celles de la même année, du même Defaye ?

Par ailleurs, ce disque a finalement été réédité en CD d'abord seul, puis dans la deuxième "intégrale".

Demeure ma question : qu'est-ce qui fait qu'en nous, ces chansons se sont inscrites en version piano et chant, même lorsque nous les avions découvertes en version orchestrée ?

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 06 septembre 2007

J'ai connu ces chansons vers 1960 ,dans leur première version.J'ai acheté le disque de 69 parce qu'in me manquait "le temps des roses rouges".je dois dire que c'est le disque de Ferré que j'ai écouté le moins.Quand on est habitué aux premières versions, les orchestrations de Defaye passent mal.Musicalement,ce sont les disques qui ont le plus mal supporté les ans (à mon goût).Ferré est au bord de la rupture avec Defaye,qui se concrétisera après "amour anarchie".
C'est à mon avis un disque de commande de Barclay (au cours de la même séance, il profitera pour enregistrer les deux Pavese).Le résultat ne l'a sans doute pas convaincu....Lors de la sortie de la compilation "les chansons d'amour de Léo Ferré"-(belle pochette!),pour "la vie d'artiste",seule chanson du disque période "chant du monde",Ferré substituera une nouvelle version piano à celle de Defaye.Il y a manifestement un "rejet" de ces versions orchestrales des premiers enregistrements.
Saura-t-on un jour pourquoi?L'entretien avec Defaye, dans les cahiers Ferré n°5 ne nous dit rien qui puisse nous aider.
Bon,je vais le réécouter(il y a bien longtemps que...),et aussi la compil,pour la gauloise devenue gitane,allez savoir pourquoi.....

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 06 septembre 2007

Les arrangements de Defaye étaient-il trop jazz (dans un esprit post Saint-Germain)? A part l'adaptation de La Vie d'Artiste, effectivement hideuse, je ne vois pas trop ce que l'on reproche à ce disque, sinon qu'effectivement, comme tout le reste d'ailleurs, c'est un peu démodé.
Defaye fait chier les intégristes effectivement parce que cela va contre l'idéologie Artiste Total. Cela dit, les partitions LMELM de la plupart des titres enregistrés sous le label Barclay correspondent à une adaptation piano des arrangements Defaye, donc de ses accords, de ses rythmes, etc.

Écrit par : gluglups | jeudi, 06 septembre 2007

La question de Jacques m'intéresse à plus d'un titre. Tout d'abord il me semble utile d'insister sur le fait que c'est la version de 1953 de ces "premiers titres" (c-a-d la reprise sur microsillon) qui a été retenue par la plupart des auditeurs, et non la première version piano chant de 1950 gravée sur 78-tours. On peut considérer que l'explosion connue par le disque vinyl à partir de 1953/54 n'est évidemment pas étrangère au fait que beaucoup ont découvert d'abord ces premiers réenregistrements.
(Pour ma part j'achète pour 5 francs le 25 cm Le chant du monde en 1967 aux Puces de St-Ouen !)
Le LP Barclay "premières chansons" avec les arrangements de Jean-Michel Defaye commercialisé par Barclay est très vite suivi par la réédition des enregistrements piano chant de 1953 sur 33-tours-30cm au Chant du Monde, ce qui met sur le marché deux disques au contenu très proche.
Le 30 cm Barclay apparaît peut-être à certains comme une "resucée" et non une création, à un moment où pour un certain nombre, sans être un produit de luxe, le disque est quand même un produit assez cher. En 1969 Léo Ferré sort le LP "La nuit", le double LP Bobino 69, et le 45-tours EP "Les anarchistes" - 5 enregistrements originaux de Bobino- , et vont suivre en 1970 le 45-tours EP Un chien à la Mutualité et les 2 LP Amour anarchie. Le LP "premières chansons" est alors parfois victime d'un choix économique drastique ! (Ce fut le cas pour moi).
De toutes façons, quel que soit l'intérêt de ce LP Barclay, (je l'aime beaucoup) il est très rarement considéré comme un des disques mytiques de Léo Ferré, sans doute parce que les enregistrements du Chant du Monde bénéficient déjà de cette réputation. En tout cas je pense que s'il avait été une bonne opération ne serait-ce que commerciale, Barclay-Universal n'aurait pas attendu mars 2002 pour sa première édition en CD.
Autre argument qui joue peut-être en faveur des enregistrements du Chant du Monde, le fait que l'artiste ait très souvent repris sur scène certains de ces titres en s'accompagnant au piano (le Flamenco de Paris, A St Germain des prés, le bateau espagnol, La chanson du scaphandrier, La vie d'artiste, Mr Tout Blanc) avec la restitution de cette ambiance particulière liée au mariage piano chant et qui émotionnellement est vécu par certains comme un retour aux sources de l'art de Léo Ferré.

Écrit par : Jacques Miquel | jeudi, 06 septembre 2007

Tous ces commentaires sont justes, bien entendu, mais il demeure une question : y a-t-il une différence fondamentale entre les orchestrations signées Defaye pour le disque de 1969 (La Nuit) et les orchestrations signées Defaye pour le disque de 1969 (Les 12 premières chansons) ? A priori, je ne vois pas pourquoi il y en aurait une. S'il y en a une, je voudrais bien savoir laquelle.

Je précise que j'aime bien le travail de Defaye, d'une manière générale.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 06 septembre 2007

Le disque CDM plus mythique? C'est vrai pour les connaisseurs, mais il y a des gens qui l'ont acheté récemment dans des éditions discount pour découvrir Ferré et qui ont détesté la voix. En 69, comme le fait remarquer J. Layani, Ferré est en pleine possession de ses moyens vocaux, le son est de meilleure qualité et je pense que cela passe mieux auprès d'une oreille "candide".

Ces chansons font partie des plus connues de Ferré, au moins pour une génération. Grâce aux interprètes (puisque le 1er disque était introuvable et que le 2e n'aurait pas cartonné)?

Écrit par : gluglups | jeudi, 06 septembre 2007

JL: "y a-t-il une différence fondamentale entre les orchestrations signées Defaye pour le disque de 1969 (La Nuit) et les orchestrations signées Defaye pour le disque de 1969 (Les 12 premières chansons) ?"

A mon avis, oui, le registre jazz-variété (nostalgie St Germain déjà?) étant nettement plus affirmé dans le second.

Écrit par : gluglups | jeudi, 06 septembre 2007

peut'être est-ce ce côté jazz-variété-nostalgie qui a gêné Ferré,à la grande époque du free,et le la pop...Sans doute a-t-il eut besoin de la "coupure musicale" pop ,pour faire le deuil des années 60 et passer à ses propres orchestrations ?
C'est une question naïve, pas une réponse

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 06 septembre 2007

"Sans doute a-t-il eut besoin de la "coupure musicale" pop ,pour faire le deuil des années 60 et passer à ses propres orchestrations ?" oui et le besoin, le succès aidant (+ rupture sentimentale), de s'affirmer pleinement compositeur et de se passer d'intermédiaires.
A mon avis, il a dû se désintéresser complètement de cette partie, pendant ces années 60, en se disant que pour le format variété, Defaye avait plus de ressources. S'il n'y avait pas eu une forme de renoncement, il serait allé chercher un arrangeur pê plus inventif. En plus Defaye, par sa personnalité, devait être accommodant, cela devenait une forme de routine.
Les orchestrations qu'il fera par la suite sont plus intemporelles (comme les accompagnements de Brassens). Avec un orchestre symphonique et beaucoup de cordes, c'est forcément plus flatteur, moins risqué mais cela ne signifie pas forcément qu'il y ait plus de travail et d'invention. C'est devenu aussi une routine...

Je me demande dans quelle mesure, Ferré musicien n'aurait pas eu intérêt, par la suite, à travailler sa musique pour de plus petites formations. En même temps, cela l'aurait pê obligé à renoncer à ses rêves d'enfant.

Écrit par : gluglups | jeudi, 06 septembre 2007

Eh oui, toujours ce débat : c'était son rêve d'enfant enfin vécu. C'était pas mal, quand même...

Je reviens au disque dont nous parlons. Sauf s'il existe une raison bien précise que, tous, nous ignorons, il semble que l'interprétation de Gluglups soit la bonne : le registre jazz.

Mais alors, pourquoi, dans le même temps, Defaye fait-il des arrangements pour C'est extra (par exemple) qui sont exactement ce qui se fait de plus neuf alors, et d'autres, plus jazz, plus Saint-Germain ? Est-ce parce qu'il s'agissait de chansons remontant grosso modo à cette époque ? Etonnant ! Pour Baudelaire, il n'a pas fait d'arrangements dans le style du XIXe siècle (rires).

En plus, écrire deux séries d'arrangements aussi différents pour deux disques d'un même artiste paraissant à peu de chose près en même temps me paraît, artistiquement parlant, très curieux.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 06 septembre 2007

J'ai une question (une vraie) concernant les orchestrations des années-odéon.
On sait que le jeune Michel Legrand a fait des orchestrations pour C.Sauvage, (l'homme,Paris-canaille..) mais il a aussi orchestré le ballet "la nuit",dont le disque n'a pas gardé trace.A-t-il orchestré d'autres chansons pour Ferré?On a parlé de celle de "mon p'tit voyou" par exemple...(la version de Ferré est très différente-cf Ferré 54 de LMELM)..Quelqu'un peut-il le confirmer?Y en a -t-il d'autres?J'ai entendu un jour Jean-claude Casadesus,chef de l'orchestre de Lille,dire que dans sa jeunesse,il avait accompagné Ferré au piano à plusieurs reprises dans les années 50.Je n'ai jamais trouvé de confirmation dans les bios de Ferré....

Question pour gluglups:en parlant de "petites formations" et de rêve d'enfant,laissez-vous entendre à demi-mot que Ferré est un mauvais orchestrateur et un mauvais chef?Si vous le pensez,pourquoi ne pas le dire carrément....Mais nous sommes là dans un débat maintes fois ressassé et interminable.Il me semble qu'il serait plus judicieux de faire l'inventaire de ses points forts,voire de son originalité,si elle existe,entre tous les cousinages et modèles qu'on lui a prêté,Debussy ou Honneger par ex pour les plus nobles(cf Jacques Martin "Scotto pour la main droite,Debussy pour la gauche"...mais la référence est sans doute mal choisie)
Que pensez-vous au fond de Ferré musicien?
Pourquoi pas mettre une note sur ce blog?

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 06 septembre 2007

je viens de réécouter quelques plages:
"la vie d'artiste",je comprends que Ferré ait préféré une version piano pour "les chansons d'amour",avec le choeur féminin qui rappelle le trio Christiane Legrand de 60-61..."Le flamenco de Paris",c'est du sous Miles davis de "sketches of Spain",le scaphandier sort de "pierre et le loup",dirait-on.
Et la voix de Ferré reste pleine et admirable et fait passer tout ça...
J'ai toujours pensé que Ferré avait eu raison de se séparer de Defaye,excellent musicien ,certes,mais qui a fait à peu près toujours la même chose de 60 à 70,on aurait du mal à dater les chansons de cette période en fonction de l'évolution musicale...PB:pourquoi avoir tant tardé,même s'il il eut d'admirables réussites ,de belles osmoses entre la voix et l'orchestre.

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 06 septembre 2007

Francis, c'est Léo Ferré en personne qui va vous répondre :

"Avec Michel Legrand et Paul Mauriat, Jean-Michel Defaye est le meilleur "arrangeur" français. Qui dit "arrangeur" dit "arrangé"... Avec eux, je n'ai jamais été "arrangé" mais compris.

Jean-Michel Defaye met son nom dans une harmonie, dans une modulation. Merci, Jean-Michel, arrange-toi pour que tout s'arrange au mieux pour toi, dans ta vie d'artiste... car j'oubliais de dire que tu es, avant tout, un artiste".

(Texte figurant dans le programme de l'Alhambra, en mars 1961).

Et encore ceci :

"Cher Jean-Michel,

A la veille de mon récital je te remercie de ce que tu as su faire pour moi. Toi qui parles avec des notes, nous qui conversons au-dessus d'un clavier, en do dièze ou en la bémol, savons que nous n'avons pas besoin de mots...

Pourtant, et en Majeur, MERCI à toi et à nos musiciens".

(Texte figurant dans le programme de l'Alhambra, en novembre 1961).

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 06 septembre 2007

Là, je ne réponds à personne précisément, mais il me semble opportun de mentionner cela.
J'ai écouté aujourd'hui, deux enregistrements de "L'inconnue de Londres", celui orchestré par Léo Ferré in "De sac et de corde" en 1950 et celui orchestré par Jean-Michel Defaye in "Les 12 premières chansons" en 1969.
Seule la mélodie chantée semble identique. En revanche les arrangements sont très différents et de mon point de vue, mieux réussis par Defaye que par Ferré. Quant à la voix de Léo Ferré elle est, toujours d'après moi, bien mieux placée en 1969 qu'en 1950. Cela dit juste pour trouver un élément de comparaison acceptable bien qu'une vingtaine d'années sépare les 2 enregistrements.
Autre précision, la collaboration Ferré / Defaye semble remonter à 1957 avec le LP Léo Ferré chante "Les fleurs du mal".

Écrit par : Jacques Miquel | jeudi, 06 septembre 2007

Francis, je ne me situe pas forcément sur un terrain de valeur. Je pense qu'il y a vraiment un travail de composition pour La Chanson du Mal aimé par exemple - qu'on l'apprécie ou non. Et il y a des choses plus travaillées dans la période toscane, il ne faut pas généraliser. Ce n'est pas d'ailleurs parce qu'il a simplifié que c'est mauvais: les accompagnements piano des lieder de Schubert sont souvent très basiques et on ne va pas lui reprocher cela.

En même temps, je ne crois pas que ce soit dans la plupart des orchestrations qu'il faut chercher le musicien. Il y a de belles harmonies, d'accord. Mais je ne suis pas certain qu'en dehors des cordes (et c'est bien souvent une simple distribution des accords au piano), il ait vraiment utilisé les instruments de l'orchestre symphonique en dehors de leur fonction ornementale et créé un réel langage orchestral, comme on pourrait le dire de grands compositeurs modernes comme Wagner (puisque vous faites un tel parallèle dans votre article), Debussy, Ravel. Il fait du joli, mais disons que je ne crois pas que, comme pour la plupart des maîtres de l'opéra italien, ce soit là qu'il faille chercher son "génie" musical, au sens moderne (mais de grands musiciens ne sont pas non plus de grands "symphonistes", Chopin, Schubert...) . Disons que cela oscille entre les arrangements-variété et l'académisme. Mais l'académisme ne me dérange pas en soi et je trouve que ce qu'il a fait n'est pas du tout honteux. Disons qu'entre la dépense des moyens (mais dans ce déploiement de moyens, qui consiste aussi dans la direction, il y a sans doute une part de son Utopie d'artiste) et le résultat, il y a pê parfois déperdition.

Écrit par : gluglups | jeudi, 06 septembre 2007

Jacques Miquel : oui, la première collaboration avec Defaye est de 1957, Les Fleurs du mal (Odéon). Il faut en effet le rappeler.

Francis : je connaissais un peu l'opinion de Gluglups sur la question. Elle est d'ailleurs argumentée et cohérente. Il est, je crois, le seul participant de ce blog (tout au moins de ceux qui y écrivent, mais il y a peut-être des lecteurs silencieux compétents en la matière) à connaître la musique. Il reste cette histoire de rêve d'enfant, d'"utopie d'artiste" comme Gluglups vient de le dire et -- sans même parler d'attendrissement devant une obstination de plusieurs décennies -- on se rend compte d'une chose : il est impossible de séparer Ferré de ce rêve. Ce rêve est constitutif de lui. Il est par conséquent difficile d'évoquer sa musique symphonique sans tenir compte de cela.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 06 septembre 2007

De toute façon, en chanson, l'arrangeur ne compte pratiquement pas: celui qui est considéré comme le musicien, selon la Sacem, c'est le mélodiste, point barre. Les droits auxquels peut prétendre l'arrangeur sont dérisoires (en gros, il a droit à son cachet et un à tout petit pourcentage je crois). C'est contestable, d'ailleurs, parce qu'on peut estimer qu'une chanson comme Avec le temps repose davantage sur son climat harmonique (qui est de Ferré) que sur sa mélodie pure.

Ce qui serait intéressant, ce serait d'établir ce qui revient à Defaye et de ce qui revient à Ferré, concernant les harmonisations (le disque Maudits soient-ils, notamment, permet de se faire une idée). Pour les orchestrations, il semble que parfois Ferré ait donné des directives très précises. Pour d'autres titres, Defaye a pratiquement tout fait de A à Z, harmonies, rythmes, orchestre, excepté la mélodie. Car le terme d'"arrangeur" confond des interventions de toute sortes.

Jacques Layani: n'y aurait-t-il pas un "habillage" Defaye distinct par disque (et par artiste aussi, car j'ai entendu des arrangements de lui pour d'autres chanteurs et cela n'a rien à voir avec ce qu'il faisait pour Ferré). Dans ce travail-là, un certain protéisme, une certaine impersonnalité sont probablement nécessaires. Faut-il chercher un même JM Defaye partout? Je crois que dans ce genre de métier, on n'est pas vraiment dans la création (il a apparemment une oeuvre de compositeur à part), on est plutôt dans la recherche de l'effet, dans la musique de genre, la parodie, la citation, ce qui est une des caractéristiques de l'art industriel. Mis à part les percussions clinquantes qui, à mon avis, parasitent complètement l'album, je ne trouve pas le climat du disque Baudelaire totalement étranger au romantisme XIXe. Exemple, Le Flacon qui me fait penser à un des Wesendonck Lieder et cela ne m'étonnerait pas d'ailleurs que cela vienne de Ferré (réponse pê ds le Baudelaire qui doit sortir?).

Francis: l'arrangement de La Poisse enregistré par Catherine Sauvage, signé M. Legrand je crois, présente beaucoup de similitudes avec celui signé Ferré dans Les Vieux Copains. Qui en est l'auteur? Cette question des arrangements chanson est un vrai no man's land, tout le monde s'en foutait apparemment à l'époque et chacun doit puiser un peu chez l'autre: après tout "c' n'est qu'une chanson". Ferré était pê plus sensible à cela (hommages amicaux relevés par JL). Encore qu'il ne trouve rien à redire, ds ses textes pour la radio, sur les adaptations aseptisées des musiques de Weil pour les besoins de ses interprètes-chanson, pour que ça passe. Alors même qu'il lui reproche de s'être compromis dans les comédies musicales américaines et de n'avoir plus écrit que de la soupe. D'ailleurs, il n'est pas certain que Ferré ait entendu, à l'époque, dans les années 5O, les vraies musiques de K. Weil.

Bref, il y aurait des choses à demander à Defaye, mais il est possible qu'il ait tout oublié (les arrangements chanson...quelle importance?) et si le but c'est de lui faire dire qu'après lui, Ferré c'est mieux, c'est peine perdue.

Écrit par : gluglups | jeudi, 06 septembre 2007

gluglups:je n'ai jamais comparé Ferré et wagner sur le plan musical.Ce serait dépourvu de sens.J'ai seulement dit que Wagner était un des rares musiciens qui ait laissé une oeuvre littéraire importante.
Jacques:je me doute que si ferré a travaillé si longtemps avec Defaye,c'est qu'il lui faisait confiance,il lui donnait la mélodie avec de vagues indications: "tu me fais du bartok" ou "tu te démerdes " pour "c'est extra"(cf cahiers ferré n°5).
Mais il y a eu un moment où Ferré changeant de vie a "largué" quelques fidèles:Defaye, Popaul, Frot...A-t-il gagné ou perdu sur le plan musical,le débat serait interminable....Defaye souligne bien que pour ses oeuvres plus personnelles (la chanson du mal aimé...)Ferré ne l'a jamais consulté.
Defaye a l'air de mal connaitre la dernière partie de l'oeuvre,il s'est manifestement désintéressé de ce que faisait Ferré.
Cela met en avant l'idée que Ferré ne donnait pas une grande importance aux arrangements,jusqu'aux années 72-73,où il ne veut plus chanter que sa propre musique,et "sortir" de la variété(?????)
Quand au disque qui est le sujet de la note,je persiste à ne pas le trouver très bon musicalement.Est-ce que les disques CDM font écran?C'est possible....

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 07 septembre 2007

Eh bien, cette brève note aura fait se poser pas mal de questions. Tant mieux.

Résumons.

1) Il y a "un "habillage" Defaye distinct par disque". C'est possible et, effectivement, cela explique les deux disques de 1969, aussi différents que possible dans les arrangements. Gluglups a raison, je pense, de rappeler comment sont considérées les chansons et ce que sont les arrangements à l'époque.

2) Si je n'ai pas mal compris les remarques formulées depuis le début de cette discussion, il ressort que, dans l'ensemble, chacun préfère les versions piano et chant aux versions orchestrées, pourtant mieux enregistrées et mieux chantées, avec une voix mieux maîtrisée. Ce que j'avançais dans la note n'est donc pas uniquement une interprétation personnelle, mais paraît être partagé et paraît surtout sentimental plus que raisonné (ce n'est pas un reproche).

3) Defaye avait, un temps, une activité de chef d'orchestre. Il enregistrait des disques de danse. Il a aussi fait des arrangements pour des musiques de films. Par exemple, Max et les ferrailleurs, film de Sautet, musique de Philippe Sarde (1970, sorti en 1971). Les trompettes, par exemple, sont reconnaissables, mais peut-être est-ce parce que j'ai lu le nom de Defaye au générique. L'aurais-je reconnu autrement ?

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 07 septembre 2007

Je pensais que Defaye avait écrit des musiques plus "sérieuses", des oeuvres plus ambitieuses... Quand je dis qu'il avait pê plus de ressources que Ferré, cela ne signifie pas pour autant qu'il était plus grand musicien...
De toute façon, il y a quand même pas mal de chansons rendues inécoutables par ses arrangements. Je crois que Ferré disait que le succès de C'est extra reposait sur l'arrangement (si l'on en croit Belleret, Defaye serait considéré comme le cosignataire de la musique: hommage que lui aurait rendu Ferré?), alors que je trouve cela assez démodé honnêtement. Les tentatives plus "modernes" dans les derniers disques qu'il a faits sont quand même déjà HS (Ecoute-moi). Il y a un côté nouveau riche dans ses orchestrations et parfois on peut préférer l'austérité des premiers arrangements Odéon (Judas, Vitrines, etc.). Il y a des réussites (O triste triste était mon âme, mais dans ce cas est-ce complètement de lui? Au fait, pour la Sacem, il est impossible que soient déclarés 2 arrangeurs pour le même titre).
Au fait, dans le genre symphonique, les arrangements du disque Pia Colombo 75, signés par je ne sais plus qui, sont affreux.

Le disque CDM: oui, il y a une grâce supplémentaire, ancienne, vieille France, une grâce de l'obsolescence, qui est dans le premier style de Ferré.

Écrit par : gluglups | vendredi, 07 septembre 2007

Francis: "J'ai seulement dit que Wagner était un des rares musiciens qui ait laissé une oeuvre littéraire importante.": importante, oui pour l'histoire, le nationalisme romantique, etc. Maintenant, c'est assez lourd et indigeste. Je crois que cela plaît surtout aux germanistes français, parce qu'ils ne perçoivent pas le côté ampoulé, archaïsant, troubadourisant de la langue. Si on enlève la musique, les opéras...
Ce qu'il y a de commun pê, c'est, chez chacun, la façon de se concevoir artiste: on serait dans le romantisme chez l'un, dans le post romantisme music hall chez l'autre.

Écrit par : gluglups | vendredi, 07 septembre 2007

Attention, il faut tenir compte du contexte. C'est extra ou Ecoute-moi étaient vraiment des choses neuves, au moment de leur parution.

Les arrangements sont en général l'exact reflet de l'époque de leur naissance. A ce sujet, Dicale fait d'intéressants développements sur les arrangements écrits pour Gréco par tel ou tel de ses accompagnateurs.

L'austérité des années 50 était le reflet d'une société ; le côté nouveau riche, comme vous dites (et c'est pas mal), des années 60 est celui d'une autre société.

Bon, cela étant, il n'y aucune raison objective pour qu'un même arrangeur soit systématiquement aussi inspiré, quels que soient les morceaux, la période, les partitions. J'aime énormément Ô triste, triste était mon âme (c'est peut-être mon Verlaine-Ferré préféré) mais comment Defaye aurait-il pu être aussi bon durant des années et des années ?

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 07 septembre 2007

"Attention, il faut tenir compte du contexte. C'est extra ou Ecoute-moi étaient vraiment des choses neuves, au moment de leur parution.": je ne sais pas, parce que c'est quand même de la musique à la papa, par rapport à ce qui se fait à l'époque (les Américains par ex). L'album Zoo qui sort peu aprés donne déjà un sacré coup de vieux à tout ça. C'est sûr que la variété est tjs en retard mais ce que fait Gainsbourg avec ses arrangeurs à l'époque (Je t'aime moi non plus, etc.) semble meilleur.

Écrit par : gluglups | vendredi, 07 septembre 2007

Je comprends ce que vous exprimez, mais il faut se rappeler combien, après 1968, les mouvements d'idées et, par conséquent, les modes artistiques vont s'accélérer : entre C'est extra et le disque avec les Zoo, il y a deux ans. Deux ans, c'est beaucoup en un temps où un mec de trente ans est considéré comme un vieux.

Cela étant, c'est sûr, Defaye a dû un peu continuer sur la lancée qui était la sienne depuis des années. 1968 et la suite ont pris de court à peu près tout le monde. L'adaptation fut dure. Si leur collaboration s'était poursuivie durant des années encore, il eût été curieux de voir ce que cela aurait donné.

Gainsbourg, c'est autre chose. Moi, je l'aime bien, vraiment. Gainsbourg, c'était une recherche perpétuelle de sonorités nouvelles. Mais, de son propre aveu, il a fait pas mal d'emprunts.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 07 septembre 2007

réponse à gluglups:Nous n'allons pas sur ce blog réécrire "le cas Wagner".....J'ai cherché des musiciens qui aient été aussi des écrivains ou des poètes:ça ne court pas les rues...Berlioz,si l'on veut ,Wagner et puis?Il y en a certainement d'autres que j'oublie.
Je trouve que Wagner se lit bien (indépendamment de l'intérêt historique),aussi bien en français qu'en allemand,qu'il y ait des archaïsmes, c'est évident,cela ne me gêne en rien.Ils collent bien aux sujets.On pourrait dire aussi que "La légende des siècles" ou "la fin de Satan"sont archaïques et démodés,mais il y a des passages admirables,et vous savez bien que l'on peut aussi jouer avec les archaïsmes, des "contes drôlatiques" de Balzac,au récent et oulipien "Graal théâtre " de Jacques Roubaud et Florence Delay,livre des plus étonnants dont on a -évidemment -
peu parlé.
Je vous concède que la langue est un peu lourde,mais la musique fait passer tout cela.Faut-il comme Nietszche préférer Bizet?Question de goût,non?
Vous me faites penser à mon fils,qui apprécie modérément Ferré,car pour lui ce n'est jamais qu'un romantique attardé...Bon,on peut le dire par certains côtés,oui:Mais n'est-il que cela?
soyons clairs:serions-ici à discuter autour de Ferré depuis des mois s'il avait les défauts que vous lui prêtez volontiers.Oh, on peut en trouver,j'en trouve aussi,et je l'ai souvent dit ici même....
Que la "variété" ait toujours été en retard, que ce soit sur la recherche musicale,sur le free-jazz ou la pop,c'est évident.Mais on peut (comme moi) aimer autant Ferré,Bério,Sheep ou Ornette coleman...ou Derek Bailey!
Le danger des Férrémaniaques(il n'y en a pas sur ce blog),c'est l'intégrisme.

question: Ferré n'est-il,musicalement ,pour vous, qu'un musicien de Variétés?Un ami excellent musicien à qui je faisais écouter des baudelaire, a eu cette remarque étonnante:"tiens, il sait manier la quinte augmentée",comme si cela était impossible à un chanteur de variétés..Pb de technique et/ou pb de créativité?
Je vous suis quant au Pia Colombo:c'est devenu inécoutable et effectivement assez "laid"musicalement

Question à tous :est-ce Ferré ou defaye qui a introduit les ondes Martenot dans le "Baudelaire"57,je penche pour Ferré qui en a bien usé à mon sens,notamment avec le "Noël" de Bérimont.Je regrette qu'il n'en ait pas usé davantage:je trouve que cet instrument convient bien à ses mélodies

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 07 septembre 2007

Cher Francis,

On en revient à la difficulté exprimée ici un jour par Jacques Layani... Pour répondre brièvement, on pourrait dire que oui, c'est de la variété, puisque que c'est de l'art industriel. De toute façon, la difficulté, ce n'est pas tant de savoir dans quel rayon de la Fnac placer Ferré et le terme incertain de variétés convient bien finalement. Ce sera toutefois psychologiquement dur si un jour Ferré passe au rayon "rétro".

Quelques idées, mais il faudrait évidemment réfléchir plus précisément et complètement là-dessus.

Je lisais une interview de Pavarotti republiée dans Libé où il expliquait que s'il a pu être à l'aise dans la variété, alors qu'il adorait la musique "contemporaine", c'est que la variété correspondait davantage à son registre de voix, c'est-à-dire à une musique XIXe. Bref la chanson, comme l'a très bien dit qui vous savez, c'est l'opéra du pauvre, et l'opéra, la chanson du riche.

Je crois que l'antimodernité de Ferré (cf textes pour la radio, il y a un militantisme esthétique affirmé chez Ferré, au début surtout, y compris ds les chansons) a quelque chose à voir avec la chanson, qu'il "choisit" malgré tout. L'inspiration de Ferré s'inscrit dans la nostalgie d'une beauté définitivement révolue, aussi bien en musique qu'en poésie (thème central de Poète vos papiers).


Mais ce n'est pas seulement cela. C'est la façon dont Ferré se perçoit poète, musicien, artiste. De même que vous releviez dans ses images des réminiscences de poésie post romantique, clairs de lune et acrobaties verbales, de la fin du XIXe (mais partagées par tous, cf Trenet. Sur les "influences" d'ailleurs: un des talents de Ferré, c'est d'assimiler et de capter très vite une manière, un style, en survolant qq pages, de comprendre tout de suite comment c'est fait), on pourrait dire aussi qu'il hérite d'une conception montmartroise ou chansonnière de l'artiste. On peut trouver cela grotesque, naïf, romantique, "music hall" (il y a de cela chez Cocteau aussi), mais Ferré est sans doute sincère, comme le souligne souvent J. Layani, et le vit ainsi dans son inspiration même.
"Je suis dicté", c'est incroyable, mais c'est sans doute devenu vrai. Cette façon dont il s'imagine lui-même, il faut la voir à la fois de l'extérieur (comme votre fils) mais aussi de l'intérieur puisque c'est déterminant pour l'énonciation poétique.

De l'extérieur: pê connaissez-vous "Pour un nouveau Malherbe" et ce que Ponge reproche aux Surréalistes. Il leur reproche King Kong et ... Léo Ferré. Je n'ai pas la préface sous les yeux, mais en gros, car il ne développe pas vraiment, il dit ne pas comprendre leur enthousiasme pour le chapeau de LF, qu'il doit considérer un peu comme le prototype de l'anarchiste et du poète en toc. Un folklore. Les surréalistes, pour F.Ponge, se sont dévoyés lorsqu'il se sont mis à adorer le kistch.
C'est un jugement dur, mais ce qui est dit là permet pê de mieux comprendre les ambiguités de l'histoire Ferré/Breton. Cela rejoint d'ailleurs ce que disait Jacques, il y a peu, sur les retombées du surréalisme dans la poésie populaire.

De l'intérieur: en même temps, cet imaginaire, on va dire déjà affirmé et complexe en soi, de l'artiste est renforcé par des expériences assez marquantes, la représentation sur scène, la mécanisation par le disque... Avec des contradictions "traumatisantes", dont le passage de la musique industrielle (Barclay on va dire pour simplifier) à un mode plus artisanal de production, permettant de fonctionner plus pleinement comme "artiste" n'est qu'un aspect. De là, une énonciation particulière, mortifère parfois, un langage de l'éclat pourtant replié sur lui-même, ce ton d'écorché vif, etc.

Écrit par : gluglups | samedi, 08 septembre 2007

La poésie de Wagner: "mais il y a des passages admirables", ça ne m'a jamais frappé. Pourtant j'ai été assez fan (beaucoup plus que de Ferré, à un moment). C'est pê plus un homme de théâtre, non? Et, encore...Franchement, sans la musique...
.

Écrit par : gluglups | samedi, 08 septembre 2007

Mais chez Wagner, je pense surtout aux livrets d'opéra.......

Écrit par : Francis Delval | samedi, 08 septembre 2007

J'ai feuilleté "Pour un Malherbe"(qui n'a pas de préface),je n'ai pas retrouvé le passage indiqué,je chercherai mieux,et dans les autres livres....
Je vous invite à lire,si ce n'est dèjà fait, un livre récent du philosophe slovène Slavoj Zizek:"la seconde mort de l'opéra"(ed Circé),où il est largement question de Wagner....Zizek défend la thèse que l'opéra est un genre particulier, un art toujours en retard sur son temps, sur l'art et la pensée de son temps,un art toujours déjà obsolète,et que c'est justement là que réside son intérêt.
N'est-ce pas un peu ce que vous pensez au fond de la variété?
voire même de Ferré?
Vous dites être passé de Wagner à Ferré(sans doute un raccourci).C'est un itinéraire peu commun que vous devriez expliquer:je n'ai pas encore très bien saisi les raisons de votre passion pour Ferré,car vous parlez surtout des reproches et des critiques qu'on peut lui adresser.
Mais ne nous enfermons pas dans un débat à deux....faisons en sorte que ce que disons puisse intéresser tout le monde...tout ceci reste ouvert...comme toujours

Écrit par : Francis Delval | samedi, 08 septembre 2007

petit rectificatif:quand j'ai écrit "passages admirables",je pensais à Victor Hugo..aux oeuvres précitées.
Je n'ai lu de Wagner que la tétralogie et quelques autres livrets.J'ignore ses poèmes,s'ils existent.

Écrit par : Francis Delval | samedi, 08 septembre 2007

Pour Ponge, désolé des imprécisions. Cela s'explique parce que c'est une très ancienne lecture et que je n'ai pas le livre à la maison. Je me souvenais d'une histoire de chapeau, mais ce n'était pas celui de Ferré. Comme quoi... Je ne crois pas néanmoins en avoir trahi l'esprit. On peut retrouver le passage concerné en cliquant ma signature à la fin du post. Ainsi, vous pourrez nous retrouver le numéro de page, puisque vous avez le livre.

"je n'ai pas encore très bien saisi les raisons de votre passion pour Ferré,car vous parlez surtout des reproches et des critiques qu'on peut lui adresser.": parce que ce qui m'intéresse dans Ferré, ce n'est pas forcément ce qui y plaît en général. Ce qui fait sans doute que c'est lu comme des reproches ou des critiques.

Pour mon itinéraire Ferré-Wagner, c'est plutôt: Ferré->Wagner puis de nouveau Ferré. Mais c'est sans importance.

Écrit par : gluglups | samedi, 08 septembre 2007

PS: J'ai relu mon post et je me demande bien où vous trouvez des reproches et des critiques.
J'ai simplement dit que la façon de Ferré de se concevoir artiste détonnait. Aucun artiste "moderne" ne se pense comme cela.
A mon avis, c'est plus ce qui a joué contre lui, que le fait qu'il se soit illustré dans un genre "mineur".

Écrit par : gluglups | samedi, 08 septembre 2007

Là, je vous suis mieux:il y a effectivement un hiatus (je laisse la question musicale de côté) entre l'écriture de Ferré (mais tout dépend des textes bien sûr) qui participe d'une certaine modernité, et le mythe de l'artiste,hérité de la descendance baudelairienne(?),dont il n'a jamais su se débarrasser,bien que concrètement,il a toujours accordé plus de valeur au travail qu'à l'inspiration.Il citait souvent le mot célèbre attribué tantôt à Edison, tantôt à Jacques Ibert "un pour cent d'inspiration,quatre-vingt dix-neuf pour cent de transpiration"...ce qui semble contradictoire avec son "j'ai été dicté" (cf:la fabrique)
Ce mythe de l'artiste romantique (ou post-comme vous voulez),de nombreux "artistes",et non des moindres le partagent encore.
D'où l'intérêt de se référer à Ponge, qui a fait un énorme travail de décapage des mythes de la création,Blanchot ou Deleuze aussi et bien d'autres encore.On a tordu le bâton dans l'autre sens, mais soyons vigilants quant au retour du refoulé.
Je me tais pour aujourd'hui.Bon week-end à tous....

Écrit par : Francis Delval | samedi, 08 septembre 2007

J'avais effectivement lu cette phrase de Ponge, mais je l'avais totalement oubliée (occultée ?). Je ne parviens même pas à me rappeler où et quand je l'ai lue, mais en voyant la recherche Google proposée par Gluglups, cela m'est revenu instantanément.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 08 septembre 2007

gluglups:je reviens sur votre dernier post..je vous suivrai volontiers sur vos remarques sur la conception ferrénne de l'artiste,qui n'est guère en accord avec la modernité...ce qui l'a sans doute empêché de construire une oeuvre d'une ampleur plus grande....Il n'a pas su -ou pas pu se dégager du mythe,et c'est surtout le musicien qui n'a guère été en accord avec son temps (mais il y tjs des décalages,avance,retard,).La "variété" est tjs un genre retardataire,comme l'opéra "traditionnel" (Puccini est contemporain du dodéca.....)

N'y a-t-il pas au moins un caractère de l'art moderne,que l'on retrouve chez Ferré, qui est la polyvalence du créateur,et est sans doute la caractéristique du siècle vingt....
Je pense aux années du début du siècle...Schöenberg révolutionne l'idée de la musique,mais il s'adonne aussi à la peinture;excellent coloriste,il fera des décors très réussis, et s'essaye aussi à l'écritur poétique.Kokoschka sera peintre et écrivain,et fera aussi de la musique.Kandinsky mènera de front les 3 arts,avant de se consacrer à la seule peinture...ETC ....On pourrait multiplier les exemples (futurisme,surréalisme..).je ne dis pas cela pour faire érudit,mais pour induire l'idée suivante:
Ferré poète,prosateur,musicien ,chanteur, attentif à la peinture et à la photo,semble relever de la même lignée...
Mais Schôenberg et Kandinky,(on pourrait donner d'autres noms plus proches...) avaient, ce me semble rompu avec le mythe de "l'inspiration" et de l'artiste "maudit",encore si vivace de nos jours dans certains milieux artistiques....
N'est ce pas, si je vous ai compris, ce que vous reprochez à Ferré? de n'être pas artistiquement de son temps? Sans aller jusqu'à dire ,comme Adorno de Stravinsky qu'il est resté dans le "pastiche".....Mais n'est-ce pas une caractéristique plus générale de la chanson....Il a fallu un sacré temps pour que le jazz pénètre la variété (je ne parle pas du new orléans ou du bop,mais du free..on est passé à côté...Quelles retombeés du sérialisme,des recherches de Fluxus,...?
j'arrête ici...ce sera peut-être un pb à reprendre en un autre lieu

Écrit par : Francis Delval | mercredi, 12 septembre 2007

"ce sera peut-être un pb à reprendre en un autre lieu":pour le moment, je ne vois pas trop lequel et je ne crois pas que le maître de céans soit hostile à nos digressions, au contraire.

Je vous le dis très honnêtement, je ne reproche rien à Ferré. Ce n'est pas parce que je pense que l'intéressant, le génie, voire le "moderne" de Ferré ne se trouve pas là où vous le cherchez, que je trouve Ferré nul, mauvais, raté.

D'ailleurs une question: est-ce que votre passion pour Ferré s'explique, tout du moins en partie, parce que vous le considérez comme un génie, accompli dans pas mal de domaines? Dans votre addition des talents, je lis avec un certain amusement, comme si le reste ne suffisait pas: "attentif à la peinture et à la photo". Je me demande aussi dans quelles conditions il n'est pas indispensable pour les fans (pas de connotation péjorative ici, c'est un mot trouvé faute de mieux pour désigner les amateurs dont nous sommes) d'intégrer à leur plaisir la conscience que Ferré est un génie en tout, le besoin de le situer sur une échelle des valeurs, en musique, en poésie. On attend même l'expert salvateur, qui, calé en musique, viendra confirmer le tout. Cela me paraît être une des caractéristiques très affirmées de la passion-Ferré. D'où un certain militantisme, parfois maladroit, qui à mon sens fait perdre du temps, car de toute façon, c'est en pure perte, et cela nous éloigne de l'essentiel.

L'essentiel, ce n'est pas la maîtrise d'un certain nombre de procédés, aussi brillante soit-elle, de l'épate petit-bourgeoise, mais ce qu'apporte une énonciation, d'où elle vient, l'imaginaire, dans lequel elle s'inscrit ou dont elle est porteuse. C'est pour cela d'ailleurs qu'on ne peut pas complètement évacuer les considérations biographiques ou les études thématiques, à condition qu'elles soient faites avec une certaine subtilité.

Je ne tranche pas entre les anciens et les modernes. On peut préférer Venise à Le Corbusier. Je dirais que les Musiques byzantines constituent un manifeste anti moderne: la modernité y est conçue comme concentationnaire, totalitaire. Vous le souligniez vous-même, si on fait le bilan du dogme de la Modernité au XXe siècle, on doit y compter plus de pertes que de profits.
En même temps, il y a des mots très durs contre la musique hollywoodienne, la "musique de conserve", le kitsch industriel on va dire. Bref, c'est la disparition de la Beauté, avec aucun espoir de salut.


Oui, il est possible que l'idée de modernité s'accompagne de l'idée de totalité. Et, dans ce projet, il ne s'agit pas seulement de changer l'art, mais de changer l'homme. Les "Beaux-Arts" deviennent chez eux les "Arts plastiques", ce qui est une façon de s'affranchir des limites.

Cela dit, je suis convaincu qu'il y a une "modernité" de Ferré, que son énonciation ou son "écriture" n'est pas si étrangère que cela à la poésie moderne. Sans parler de son regard sur la société de consommation...

Écrit par : gluglups | mercredi, 12 septembre 2007

Le maître de céans confirme que toute liberté est offerte aux participants de s'exprimer sur ce qu'ils veulent et d'explorer toutes les directions qu'il leur paraîtra bon d'emprunter. Allez-y tant que vous voudrez. Ce lieu ne doit pas être le simple blog d'Untel sur Léo Ferré. Il est ouvert et n'impose aucune norme au débat. La note initiale est une chose, la discussion et ses méandres en sont une autre. Il n'y a aucun problème.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 12 septembre 2007

Mais nous ne sommes pas si éloignés que cela quant à Ferré!Si je ne pensais pas qu'il a une modernité de Ferré ,poéte et prosateur,je ne serais pas ici..Ferré homme-protée,je n'y crois pas (vous avez lu mon article...)..Cette modernité de l'écriture, nous ne la voyons pas forcément de la même façon,c'est évidemment très complexe.Le travail à continuer est de montrer que sa modernité poétique ne se réduit pas à un carrefour d'influences:il y a une écriture-ferré tout à fait caractéristique et il est pour moi essentiel à la poésie moderne.
Cette modernité,je ne la perçois pas en musique,il a effectivement balisé son domaine dès ses "musiques byzantines"
et je n'attends point qu'un critique salvateur nous révèle le génie musical de Ferré!!!!!!
pb:si sa poésie participe de la modernité,Ferré me semble encore empêtré dans le mythe de "l'artiste"...Mais il n'est pas le seul....
J'évoquais son intérêt pour la peinture et la photo,parce que c'est une réalité!Il a laissé ,vous savez bien plusieurs textes autour de photos....ça été un stimulus ou un prétexte à textes,pourquoi ne pas le dire.De même pour queques peintres...Mais je ne partage guère ses gôuts picturaux: je n'aime pas "ses" peintres contemporains.......

Je revendique une approche "divisée" de Ferré:j'aime le poète (et sa modernité!),le chanteur.Je suis partagé sur le musicien.Je n'aime pas forcément les mêmes musiques que Ferré....Je n'aime pas qu'on fasse de ferré un penseur politique ou un philosophe.Il a des idées,mais les textes de ce type relèvent pour moi de son écriture poétique avant tout.

La question de la modernité cependant ne va pas de soi:je pense aux thèses d'harold Rosenberg,dans "la tradition du nouveau" où, vers 1960,il montrait comment le "modernité" de l'action painting était devenu un art "traditionnel", en parallèle à l'art académique,ou celles plis récentes de Didi-Huberman qui voit dans l'anachronisme la marque de la modernité,et ceci pour toutes les périodes de l'art(je cite les auteurs car je ne veux pas m'approprier les idées ses autres)Les arguments de Rosenberg sont assz convaincants

Ferré n'est pas un génie total,c'est un grand poète moderne,avec des talents annexes....Cela suffit à nous donner un travail considérable,et je me limite ,vous le savez,au Ferré qui écrit.......à suivre?

Écrit par : Francis Delval | mercredi, 12 septembre 2007

Quelques mots encore: la polyvalence de Ferré,je la constate.Point,c'est tout.ce n'est pas pour moi le critère essentiel.Ponge a tjs creusé le même sillon,il est pour moi un poète absolument essentiel.
Enumérant les "talents" de Ferré,je pensais à Gainsbourg,que l'on vient d'évoquer ici,et qui n'a pas inspiré de commentaire:Lui,il a tout fait:de la peinture,puis acteur,chanteur,musicien,parolier,poète,romancier,scénariste,cinéaste,j'enoublie peut-être.Bon,et alors?mis à part quelques chansons,il ne me passionne guère....;

sur la bio: c'est bien sûr important,de même que les bonnes études thématiques:reste à combler le hiatus entre le vie et les productions,trouver les médiations...Travail ô combien difficile....Cf Sartre à propos de Flaubert,malgré l'inventivité de ses concepts ,n'a pas convaincu tous se lecteurs....

sur la musique:je n'attends pas le divin messager qui découvrira chez ferre le nouveau Debussy....je souhaite qu'un travail sérieux soit fait un jour,car cet aspect,mis à part le n°5 des "cahiers" n'a jamais été étudié de près:il y une lacune à combler.

j'ai cité le travail de F.Nicolas sur Schoenberg,non pour égaler Ferré à Schoenberg(ce serait ridicule ,au moins dépourvu de sens ),mais pour la démarche:une première partie avec un montage de textes de Schg,expliquant ses choix esthétiques,deux autres parties où,à partir d'extraits de partitions des "Farben",puis de "Moïse et Aaron",F.Nicolas travaille la mise en oeuvre,montrant dans quelle mesure il a respecté ses options de départ, et dans quelle mesure la composition a modifié en retour sa "théorie".C'est un travail très solide.

On pourrait poser ainsi le pb pour Ferré musicien:a-t-il respecté ses choix esthétiques des "musiques byzantines"?

Ses compositions ont-elles en retour modifié ses choix?Sont-elles en accord avec ses refus et ses adhésions?
Je vois quand même lucidement les limites du compositeur,rassurez-vous.Mais il y a un travail là qui reste à faire....Ferré est-il autre chose qu'un mélodiste?Vous savez bien que Ferré achetait les livres de Boulez, ses partitions:il voulait comprendre.....

tout ceci est un peu confus,ça part dans tous les sens,c'est une façon de réfléchir...;;

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 13 septembre 2007

Oui, on ne peut que constater (et admirer) cette polyvalence de Ferré. Breton le fait d'ailleurs et trouve presque magique cette conjonction des dons en une seule personne. En plus, Ferré aurait pu ne pas être un anarchiste et avoir une personnalité de vieux con.

En même temps, je ne sais pas si cela constitue vraiment un argument purement artistique en soi (il en existe des tonnes, des ACI) ni s'il faut dissocier musique et poésie, ne serait-ce que parce qu'il y aurait une perte. Bien sûr, il est toujours possible de considérer les paroles indépendemment de leur musique, puisque celle-ci a en général été composée après et à partir des paroles.

"Enumérant les "talents" de Ferré,je pensais à Gainsbourg,que l'on vient d'évoquer ici,et qui n'a pas inspiré de commentaire": ce n'est pas tout à fait exact. Car il souffrait beaucoup, apparemment, de n'avoir pas été reconnu comme cinéaste et il estimait d'ailleurs que ses films étaient plus importants que ses chansons. Comme quoi, il peut exister un décalage entre la façon dont on se conçoit artiste et celle dont on est reçu.

"Ferré est-il autre chose qu'un mélodiste?": mais bien sûr. Puisqu'on fait un parallèle avec Gainsbourg, on peut estimer que Gainsbourg était plus virtuose dans ses mélodies, les chiadait davantage. D'ailleurs, on obtient de bien meilleurs résultats, y compris lorsqu'il s'agit de chanteurs limités, avec les interprétations de Gainsbourg. C'est que peut-être Ferré pensait sa musique pour sa voix, pour son chant. En cela, il est sans doute davantage poète. C'est un lyrique. L'"audace" de ses métaphores, les jeux de sonorités, etc, passent bien après selon moi.

Écrit par : gluglups | jeudi, 13 septembre 2007

C’est bien de réfléchir sur la modernité ou l’absence de modernité de Ferré. Ceci dit, on l’a dit, il se place lui-même dans la lignée des poètes maudits. Il y a là un élément, je ne dis pas atemporel, mais qui correspond à quelque chose dans notre imaginaire culturel. L’émotion que l’on peut éprouver en lisant ses poèmes ou en l’écoutant chanter ( ou en l’observant sur scène) est peut-être encore plus vive quand on insiste (en fait c’est lui qui insiste là-dessus) sur cet aspect « poète maudit ».
Pour Ferré seul compte l’art. C’est la réponse qu’il donne à l’absurde de la vie. C’est d’ailleurs en cela qu’il est moins « noir » qu’un Escudero, on l’a vu. Dès lors, il est logique qu’il insiste sur cet univers à part dans lequel les poètes sont plongés. En se coupant des gens ordinaires, il se crée un monde bien à lui. Alors c’est peut-être une vision anachronique de l’artiste, je le concède, mais est-ce que cette vision ne contribue pas indirectement à l’admiration que nous lui portons ? Quelque part, grâce à lui, nous avons l’impression d’avoir rencontré Verlaine et croiser Rimbaud. Ses allusions à Van Gogh ne font que renforcer cet aspect des choses.

Et puis faut-il être moderne ? N’y a-t-il pas quelque part une sorte d’éternité de l ‘art ? Seul compte le plaisir que j’éprouve à le lire ou à l’écouter. Si certaines chansons commencent à dater et à faire vieillottes, ce sont peut-être justement celles qui se voulaient modernes au moment où il les a composées. S’il avait voulu « coller » à 100% son époque, il me semble qu’il aurait proposé une œuvre éphémère. On ne peut pas uniquement aimer Ferré en fonction de trouvailles techniques ou musicales. On peut certes en parler ici, c’est le lieu, mais cela fait partie alors de l’analyse, du décorticage, non de l’émotion.

Écrit par : Feuilly | jeudi, 13 septembre 2007

-Ferré poète lyrique,certainement,oui.Mais il n'est pas simple de cerner le "lyrisme"...et pour entrer dans la langue poétique de Ferré,il est plus "facile" de passer par la recherche lexicale,le jeu des mots,la puissance métaphorique,etc...Le lyrisme ne vient-il pas comme la résultante d'un travail très serré sur la langue,et aussi très inventif...Il faut bien prendre la question par un bout.
Ferré met tantôt de la musique sur ses mots (et je pense qu'il les choisis en fonction déjà d'une idée musicale....pas tjs puisu'il y a parfois des années entre l'écriture et la mise en chanson....),tantôt des mots sur la musique...pas tjs la sienne, je pense à "Egmont"....Il y a chez Ferré une grande diversité de liens entre les mots et la musique...ça ne fonctionne pas tjs de la même façon.....
C'est pourquoi je pense qu'il faut aller sans remords dans le dé-montage des textes de Ferré.....Pourquoi dispenser Ferré d'être travaillé comme on travaille Rimbaud,Apollinaire,ou Ponge?


-il ne s'agit certes pas d'aimer Ferré pour ses "trouvailles"....Je ne pense pas,Feuilly,qu'entrer dans l'atelier poétique de Ferré ( au moins d'essayer....ça n'est pas tjs simple,on se trompe, on cherche...) puisse enlever quoi que ce soit à l'émotion.....Un excellent musicien qui écoute une oeuvre peut très bien y prendre plaisir et émotion tout en saisissant tout de suite "comment ça marche"...

Quant aux poètes maudits dont Ferré se réclamerait,faisons la part du mythe......le très beau texte "maudits soient -ils" sur Rimbe et Lélian renvoie à un moment historique que Ferré
rend très bien, de façon lyrique et métaphorique....
Mais il écrit:"Ils ne le savaient pas;aujourd'hui Genet le sait"....Ferré se réclame de cette lignée, de ce compagnonnage,mais pas seulement....Il ne s'est pas lui même pensé comme "maudit"....il serait tombé dans le travers dont il crédite Genet
Il faut faire la part du travail et de l'émotion.Quand il m'arrive de travailler sur Ferré,je sors les textes, mais je ne l'écoute plus,parfois pour un long temps,il faut mettre les affects entre parenthèses parfois.Avec Ferré, ce n'est pas facile.....

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 13 septembre 2007

Ah, Feuilly, tu fais ressurgir la vieille question : analyse ou émotion. En quoi est-ce incompatible ? Il n'y a nulle raison d'opposer des registres qui peuvent parfaitement coexister dans nos têtes et dans nos coeurs. Il faut cesser de séparer tout ça. Rien n'est incompatible, la vie ne se saucissonne pas plus que l'oeuvre de Ferré. La tête et le coeur ne sont pas plus dissociables que le fond et la forme.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 13 septembre 2007

FD: "Mais il n'est pas simple de cerner le "lyrisme"...et pour entrer dans la langue poétique de Ferré,il est plus "facile" de passer par la recherche lexicale,le jeu des mots,la puissance métaphorique,etc...Le lyrisme ne vient-il pas comme la résultante d'un travail très serré sur la langue,et aussi très inventif...": cela ne suffit pas, parce qu'il faut aussi intégrer au lyrisme, qu'on ne peut réduire au rythme et à une certaine "musicalité", des thèmes (l'exil, la perte, par exemple), une tradition, un imaginaire de la voix, un éthos probablement...

J'ai trouvé très brillantes vos observations sur le style de Ferré, avec des exemples originaux, bien choisis et très bien expliqués, sans la lourdeur bien souvent propre à ce type d'études. Mais j'ai parfois regretté que vous vous arrêtiez à un certain seuil, qui, pour moi, est celui du style et non de l'"écriture". Les réactivations étymologiques, les antanaclases, télescopages, etc., aussi fréquents et caractérisques soient-ils du style de LF, pourraient s'observer ailleurs dans la poésie du XXe siècle, pour commencer chez Guillaume Apollinaire. Des remarques sur cette langue qui pourrit comme une carne (c'est mieux dit, mais je n'ai pas le texte sous les yeux) me paraissent, en revanche, plus suggestives, parce qu'elles rendent compte d'un imaginaire de la langue. Je ne connais rien de vos travaux ni de votre démarche (à part que vous êtes un Homme du Nord, sans frime - un prototype sans doute, comme l'Homme africain chez Sarkozy), mais j'ai été étonné de trouver un stylisticien, comme si vous laissiez de côté le philosophe.

Écrit par : gluglups | jeudi, 13 septembre 2007

Courte intervention du taulier, pour ceux qui ne comprendraient pas de quel article il est question dans les commentaires précédents. Il s'agit d'une étude de Francis Delval, "La fabrique du texte, remarques sur l'écriture de Ferré", parue dans Les Copains d'la neuille, n° 12, printemps-été 2007. Ceci n'est qu'une précision d'ordre bibliographique.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 13 septembre 2007

c'est la première fois que j'écrivais quelque chose sur Ferré,que le fréquente assidûment depuis les années 60..Il a fallu l'amicale insistance de François andré avec qui j'échangeais quelques courriers amicaux pour "passer à l'acte"...J'ai commencé parce que pense connaître un peu....Quoique philosophe de "métier",j'ai la littérature comme passion,et j'ai traversé ,étudiant puis jeune enseignant les grandes années du structuralisme,de la linguistique,les années de Change,Tel quel, et de la sémiologie dont j'ai retenu quelques outils.Rien de bien original à vrai dire.Et je m'intéresse de très près à la poésie ( je laisse le mienne dans mes tiroirs,et elle est très loin de Ferré)

Mon article ,je l'ai conçu comme une première approche,en rassemblant quelques remarques stylistiques que j'avais repéré depuis longtemps.L'écriture ne se réduit bien sûr pas à ces "procédés".Peut-ëtre y aura-t-il uns suite....ce ne sont que quelques "entrées" possibles et provisoires.
Rassurez-vous:je ne suis pas un "spécialiste"....Ferré a accompagné ma vie depuis la découverte du "Baudelaire" de 57, j-avais 13 ans....Mais je me suis ,en la compagnie de ses disques et de ses livres,toujours senti merveilleusement libre,une liberté que je n'ai retrouvé qu'avec Ponge,et quelques professeurs à qui je dois énormément,comme Eric Weil ou Bourdieu.Je veux nommer aussi ici mon ami Alain Badiou

Je déteste parler de moi,mais j'aime votre approche de Ferré (je ne l'appelle jamais Léo) ,et la liberté que Jacques nous laisse.....

Ne nous ménageons pas pour autant....La controverse est nécéssaire.Parfois excessive entre philosophes.....

Certaines études "thématiques" sur Ferré m'ont, je dois dire, laissé sur ma faim,relevant plus de l'obligation universitaire de production que d'un intérêt réel pour le sujet.Mais je suis pas contre a priori.....

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 13 septembre 2007

Je crois qu'il ne faut rien s'interdire. Ni la recherche biographique, ni la recherche thématique, ni la recherche stylistique, ni tout ce qu'on voudra. Il faut utiliser tous les outils en étant conscient de ce qu'on peut en faire et de leurs limites, dues à leur stricte utilisation : ne pas se servir d'un outil pour un autre usage que celui pour lequel il a été conçu. C'est banal, pardon, mais c'est utile. Il n'y a aucune raison de s'interdire un propos, s'il est mené intelligemment et avec raison. Méfions-nous du thème s'il ne s'impose pas de lui-même et s'il faut le chercher entre les lignes. Méfions-nous de la biographie si elle tourne au biographisme (on l'a dit plusieurs fois déjà, ici). le reste à l'avenant. Mais prenons -- essayons, tout au moins -- à ces registres ce qu'ils ont de meilleur afin d'aller plus loin.

Quant au livre sur la musique, je désespère de le voir jamais paraître. En 1987, je l'appelais déjà.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 13 septembre 2007

je ne veux rajouter que quelques mots:Gluglups a raison lorsqu'il dit que je ne vais pas jusquà entrer dans l'écriture.Mon travail est plus "d'inventaire",statique.Pour aller dans l'écriture, il faut travailler autrement, dans une dynamique,dans l'élan du texte ,en retouver ce que Deleuze a appelé "le diagramme",à propos de la peinture.Il y a de bons outils aussi chez Lacan...

Pour revenir au sujet de le note,réécoutant les ep années 60,je trouve certains accompagements très désuets:les choeurs de "merde à Vauban" sont difficiles à supporter...Cette chanson était d'ailleurs une des préférées de Bécaud,il aurait aimé la chanter,il l'a dit à plusieursreprises...Bécaud,totalement au purgatoire,dommage....avec le recul, je me dis que c'était pas mal,bonne voix,bon musicien....mais chacun avait son répertoire ,on ne prenait les chansons des confrères...

L'accompagnement de "Soleil", de Bérimont, me semble infiniment plus "moderne" que les premiers Barclay...

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 14 septembre 2007

Il faut toujours tout remettre dans le contexte (c'est un de mes dadas). En 1961, les choeurs de Vauban ne sont pas inécoutables, ils sonnent "moderne" et même "insolent" puisqu'ils reprennent le refrain contenant le mot qui choque. Et en 1961, ça choque ! Rappelez-vous.

J'aime bien Bécaud, par ailleurs. Voix, musique, énergie. Il occupe une place originale : compositeur-interprète, ce n'est guère courant. On a des auteurs-compositeurs, des auteurs-compositeurs-interprètes, des auteurs-interprètes, des interprètes tout court, mais des compositeurs-interprètes, c'est plus rare.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 14 septembre 2007

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