samedi, 01 septembre 2007
Encore Prévert
On se souvient de Pierre Misère, le père du petit Benoît, s’occupant à chercher, à l’aide de cubes sur lesquels figurent des lettres, des anagrammes pour son triste nom et ne se montrant jamais satisfait de celles qu’il trouve. Un jour, les cubes tombent et, au sol, forment un mot encore plus désespérant : « remise ». Ne pouvant supporter cette idée, Pierre Misère renonce à ses recherches.
Ce passage du roman Benoît Misère avait beaucoup frappé le jeune homme de dix-huit ans que j’étais lors de ma première lecture, à parution, en 1970. C’est dire que j’ai été surpris, au printemps dernier, de découvrir ceci.
En avril 2007, Gallimard a publié une édition de Paroles de Prévert, dans la collection « Folio », sous coffret illustré, accompagnée d’un mince livret en quadrichromie, hors-commerce, reproduisant quelques fac-similés d’éditions originales, de collages, de lettres et d’autres documents autographes de Prévert. Ce livret est intitulé Prévert en ses livres, le copyright des dessins et autographes appartient à « Fatras », la succession de Jacques Prévert. C’est plaisant, mais cela reste une opération commerciale de la part de l’éditeur, visant à faire acheter ce qu’on possède déjà.
L’objet de cette note est naturellement ailleurs.
Sur l’une de ses faces, le coffret lui-même reproduit en couleurs, dans l’autographe de Prévert, quelques anagrammes et calembours du poète, malheureusement sans date ni référence aucune. Parmi les « avenir navire », « Turc truc », « image magie », « la gauche et l’adroite » et autres, que peut-on lire ? On l’aura deviné : « misère remise ».
Bien entendu, Ferré ne pouvait avoir eu connaissance de cette page inédite. Je ne pense pas que Prévert lui en ait parlé : il l’aurait un jour ou l’autre raconté. Il n’y a donc pas de réminiscence, cette hantise de l’écrivain qui se figure trouver une chose qu’il a lue autrefois, parfois longtemps avant, sous une autre plume et qui l’a marqué. Est-ce alors que, par coïncidence, ces deux amoureux des mots auraient eu la même idée ? Ce n’est pas impossible. L’anagramme, d’ailleurs, est assez évidente. Ce qui vaut dans le roman, ce n’est pas l’anagramme elle-même, mais la dramatisation dont Ferré l’entoure. Peut-on dire – ou est-ce excessif ? – que les deux hommes avaient une tournure d’esprit commune, à tout le moins proche ? Sont-ils en cela les principaux représentants des « retombées » du surréalisme dans la poésie populaire ?
Prévert, là encore, croise Léo Ferré, ainsi qu’on avait tenté d’en parler dans une note précédente.
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Commentaires
Et si Prévert avait lu Benoit-misère?Connait-on la date du document?IL y a quand même un certain nombre d'exemplaires qui ont été vendus!....Le hasard est plus probable néanmoins.
"misère" revient souvent dans les premiers textes de Ferré:Madame la misère,l'opéra du ciel,le temps des roses rouges,et monsieur tout-blanc..(que Ferré fit écouter à Prévert à Vence,on l'a déja dit),mais le mot ,à mon souvenir peut-être défaillant,se fait de plus en plus rare,....Ne disparaît-il pas après
"Benoit-Misère" du vocabulaire de Ferré,devenu nom propre ?
Écrit par : Francis Delval | samedi, 01 septembre 2007
mis commentaire il y a 10 Mn:ça passe pas?
Écrit par : Francis Delval | samedi, 01 septembre 2007
non,ça remarche.....J'ai oublié "il n' y a plus rien", où Misère reapparaît comme nom propre ( " c'est le nom de ma chienne")
Écrit par : Francis Delval | samedi, 01 septembre 2007
Malheureusement, comme je l'ai dit, il n'y a aucune référence, simplement l'écriture de Prévert sur le coffret.
Hypothèse : Prévert a lu le roman Benoît Misère. Il a gardé l'anagramme en tête et elle ressort le jour où il s'amuse à en créer quelques unes (car, bien entendu, toute idée de copie est écartée d'office, dans un sens ou dans l'autre ; ces deux auteurs n'ont pas besoin d'aller piquer des idées ailleurs). La réminiscence serait alors la sienne. Pourquoi pas ?
Peut-être peut-on dire ceci : il y eut un temps où la misère "métaphysique" de Ferré (disons : la solitude de l'artiste) se confondait avec sa misère matérielle (disons : ses difficultés à gagner sa vie et celle des siens). Le temps passant, le succès arrivant, il ne conserve plus en lui que la misère morale. Il s'en accomode, voire la recherche ("Il faut que le poète soit mal-aimé", dit-il à peu près) et le mot devient moins fréquent (il est remplacé par solitude). Mais je crois que le mot est cependant présent jusqu'au bout ou presque. Dans L'Opéra du pauvre, on trouve Miseria, par exemple.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 01 septembre 2007
"et quatre-vingt-neuf fois / ils ont mis sur ton nom une chanson-misère" (Marseille), figure à mon avis parmi les métaphores les plus signifiantes de Léo Ferré qui justement n'a pas abusé de l'usage de ce terme.
Écrit par : Jacques Miquel | dimanche, 02 septembre 2007
Il n'en a pas abusé, non, mais le terme est présent constamment : de loin en loin, mais jusqu'au bout, ce qui le rend d'ailleurs plus signifiant que si Ferré l'avait écrit partout ; on n'y aurait alors plus prêté attention.
Écrit par : Jacques Layani | lundi, 03 septembre 2007
Mélange ce rouge si rouge
Au sang bien plus rouge encore
De Vincent à demi mort
Et sage comme l'image même
De la misère et de l'amour
L'enfant nue toute seule sans âge
Regarde le pauvre Vincent
Foudroyé par son propre orage
Qui s'écroule sur le carreau
Couché dans son plus beau tableau
Prévert, Complainte de Vincent.
On retrouve donc chez Prévert les thèmes de la misère, de l'amour et de la peinture de Van Gogh, thèmes qui sont chers à Ferré.
Il y aurait sans doute des investigations à mener de ce côté-là.
Écrit par : Feuilly | mardi, 04 septembre 2007
Les thèmes, tu sais, on les retrouve partout, il n'y en a pas cent. Il y en a quelques uns que tout artiste traite forcément. Quant à Van Gogh, je ne connais personne qui ne l'aime pas. Il était seulement question ici d'une trouvaille identique, c'est autre chose.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 septembre 2007
Oui, oui, c'est autre chose. Mais au-delà de la trouvaille, il semblerait que si les deux poètes traitent des thèmes identiques, c'est la preuve, non pas qu'ils s'imitent mutuellement ou que l'un imite l'autre mais tout simplement qu'ils ont une communauté de pensée, "une tournure d’esprit commune, à tout le moins proche ". Ce qui a déjà été dit ici.
Écrit par : Feuilly | mardi, 04 septembre 2007
pourquoi tournons nous ainsi autour de "misère"?...nous avons tous occulté un lien explicite qui a dû nous travailler:
"je parle à n'importe qui.................
A ceux qui votent
A Jacques Prévert comme une misère adorée et qui ne vote pas....."
L'emploi du présent laisse à penser que ces lignes ont été écrites du vivant de Prévert,avant 77.Ou bien c'est une licence
poétique.Ou Ferré dans ce texte écrit n'importe quoi,comme dit explicitement Belleret,ce qui est à mon sens la marque d'une mécompréhension du travail fait dans ce texte....
Écrit par : Francis Delval | mardi, 04 septembre 2007
Le texte Je parle à n'importe qui est sorti au Gufo del Tramonto en 1975. Ces lignes ont donc été écrites au plus tard cette année-là, c'est-à-dire du vivant de Prévert, effectivement.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 septembre 2007
Belleret date l'édition de 79.C'est pour cela que je me suis posé la question du "présent".......
Écrit par : Francis Delval | mardi, 04 septembre 2007
Belleret date l'édition de 79.C'est pour cela que je me suis posé la question du "présent".......
Écrit par : Francis Delval | mardi, 04 septembre 2007
Paf, je me suis trompé. C'est bien 1979.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 septembre 2007
Et je corrige dans le Passage Léo Ferré ma grossière erreur... que personne ne m'avait signalée depuis l'ouverture du site en février 2005 !
A tous : merci de me signaler mes bourdes. Je ne suis pas infaillible.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 septembre 2007
Je ne savais plus quand c'était sorti, j'ai vérifié dans le "Belleret",jusqu'ici irremplaçable pour la bio.Il expédie un peu las années Toscane,dont il apprécie moins les productions (il a le droit d'aimer moins).Sur les faits et les dates,on peut se fier à son travail.
Mais je sais que vous ne voulez pas commenter en ligne les livres écrits sur Ferré.La réserve sur le dernière partie du livre n'engage que moi.
Écrit par : Francis Delval | mardi, 04 septembre 2007
Oui,l'ouvrage de Belleret reste un ouvrage de référence mais,à le lire,il semblerait que la création de Léo Ferré s'arrête au moment des "années toscanes"!
Or,quand les textes sont mis en musique,peu importe quand ils ont été écris,quand la musique a été composée;ce qui importe c'est la qualité!En définitive,le problème c'est d'écrire une biographie chronologique!
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Écrit par : Frédéric morino | mercredi, 05 septembre 2007
On me pardonnera, j'espère, de ne pas répondre à ces derniers commentaires, pour d'évidentes raisons déontologiques. Dans la page "A propos" (lien en colonne de gauche), j'avais bien précisé dès l'ouverture que je ne m'autoriserais pas de jugements sur les autres auteurs et leurs livres.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 05 septembre 2007
La citation retrouvée par Feuilly est vraiment très belle. Alors qu'on a tendance aujourd'hui à dauber sur Prévert (poésie pour chansons, instituteurs, enfants, etc.). Je trouve cela tellement mieux que certaines nunusheries d'Eluard.
Van Gogh est le type même de l'artiste maudit dans un certain romantisme populaire, un imaginaire chansonnier ou correspondant encore effectivement aux "« retombées » du surréalisme dans la poésie populaire". Imaginaire qui pouvait être commun à Ferré et à Prévert, ce que dit Feuilly et ce que vous disiez aussi dans votre note. Il y a eu aussi à Paris une grande exposition Van Gogh, juste après la guerre, je crois, un des premiers événements culturel du genre.
Je ne sais plus si nous en avons déjà parlé ici, mais la façon dont Ferré dit "Paroles de Jacques Prévert" dans Vitrines pouvait sembler assez ironique. L'autodérision dans une version suivante de la chanson signifiait-elle un regret? Pendant longtemps, j'ai cru que Ferré n'aimait pas la poésie de Prévert.
Je suppose que c'est pour dénoncer la marchandisation de la poésie dans les "vitrines", ou le snobisme de ceux qui appréciaient Prévert alors à la mode avant que le poète à la mode ne devienne Ferré lui-même dans les années 70?
Écrit par : gluglups | vendredi, 07 septembre 2007
pour "vitrines",j'ai eu longtemps la même impression que vous.Ferré a dû s'en rendre compte très vite, d'où la version alternative :
Les vedettes à nez refaits
Paroles de Léo Ferré
qui indique que la pique est contre Gréco
Pourquoi? mystère
Écrit par : Francis Delval | vendredi, 07 septembre 2007
Je suis persuadé que "Paroles de Léo Ferré" a été mis dans la version suivante pour contrebalancer l'effet négatif de la première version. Je suis tout aussi persuadé que cet effet négatif n'avait pas été voulu par Ferré au moment où il l'avait écrit. Je pense qu'à l'époque, le vers avait été mal reçu et que, s'en apercevant et regrettant cette interprétation, Ferré avait rectifié le tir. Mais cela reste du domaine de l'intuition. Je n'ai jamais rien relevé dans la presse du moment, à ce sujet. Et j'étais trop petit pour l'avoir vécu "en direct".
De toute façon, comment doit-on comprendre ?
Faut-il comprendre : "Des vedettes à faits-divers / Paroles de Jacques Prévert" comme "Prévert écrit des chansons simplettes pour des vedettes sans envergure", ce qui serait négatif ? Ou bien doit-on entendre cela comme la suite de l'énumération qui constitue la chanson : il y aurait alors dans les vitrines telle chose, telle chose, telle chose, des vedettes-bidon ET PUIS, dans les vitrines des librairies, le recueil intitulé Paroles, dû à Prévert ? Tout ça est ambigu.
La deuxième version l'est moins. Il s'agit de Gréco, vedette "à nez refait" chantant ses chansons à lui : "Paroles de Léo Ferré" dont le disque (Jolie môme, vraisemblablement, à ce moment-là) est dans toutes les vitrines.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 07 septembre 2007
Mon commentaire s'est croisé avec celui de Francis.
Je ne pense pas qu'il y ait une pique contre Gréco. A l'époque, cette histoire de nez refait, tout le monde en parlait. Ce n'était pas quelque chose de courant. Léo Ferré a dû s'en étonner ou s'en amuser comme les autres. Je ne crois pas qu'il y ait de pique, je pense que c'est plus une simple énumération, comme je le dis plus haut.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 07 septembre 2007
S'agit-il du recueil "paroles"?On a l'impression que Ferré imite Gréco annonçant une chanson de Prévert,"les feuilles mortes" par exemple.Je n'ai jamais pensé au recueil.
la troisième version va dans ce sens aussi
"les vedettes à nouveau nez
paroles de léo ferré"
avec tjs un rappel des intonations de Gréco
Écrit par : Francis Delval | vendredi, 07 septembre 2007
Tout le monde comprend : "Paroles de Jacques Prévert" comme l'annonce de l'auteur d'une chanson, certes. Mais je voulais dire simplement qu'on ppouvait l'entendre comme une partie de l'énumération : il y a dans les vitrines ce recueil-là. On le voit : bien des interprétations sont possibles.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 07 septembre 2007
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