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mardi, 18 décembre 2007

Léo Ferré lecteur de Sartre, par Francis Delval

Je remercie une fois encore Francis Delval pour cette nouvelle et riche contribution au fonctionnement de ce lieu.

Cette note se limitera à ce que le titre annonce. On ny trouvera pas de propos sur Saint-Germain-des-Prés ou la mode existentialiste, brocardée par quelques chansons de Ferré, comme Complainte pour Popaul que Belleret a bien expliquée, ou par Stéphane Golmann (Les Prés à Germain, La Petite existentialiste), ou les romans de Vian. De même, on laissera de côté les démêlés avec L’Idiot international, ainsi que la rencontre avec Sartre en 1973, au lancement de Libération. Tout ceci est bien connu, et a été souvent conté. Ce n’est pas davantage une note visant à développer la philosophie sartrienne, qui défie le résumé.

Je prendrai les lectures de Ferré dans l’ordre chronologique de la bibliographie sartrienne (du moins celles dont il a parlé). Puis je m’attarderai sur deux thèmes : la fameuse formule « L’enfer, c’est les autres », que Ferré cite et utilise souvent. Et le problème de l’engagement de l’artiste, de l’écrivain. Nous verrons que Ferré, malgré ses propos souvent critiques envers l’engagement est, au fond, d’accord avec Sartre sur l’essentiel.

Léo Ferré n’a guère d’atomes crochus avec les écrits des philosophes, en général. Il a certes lu Stirner et Bakounine. Il a lu Marx. Nous savons qu’il admirait fort Bachelard, qui lui a écrit après avoir lu Poète... vos papiers !, et il évoquera toujours Bachelard avec ferveur et émotion. Si dans ses textes nous trouvons bon nombre de noms de philosophes (ou de mathématiciens...), il est peu probable qu’il en ait lu beaucoup... Le langage technique des philosophes le rebute. Ayant rencontré Lacan à l’époque où il fréquentait Breton, Ferré le trouve « incompréhensible ». S’étant plongé dans la lecture de L’Être et le néant, Ferré critiquera vertement le discours sartrien qui, pour lui, ne veut pas dire grand-chose, du moins certaines phrases seraient dépourvues de sens !

« Dans L’Être et le néant, je vous demanderai ce que ça veut dire, je n’ai jamais compris, et puis je ne tiens pas à comprendre, il y a, c’est d’une connerie rare, la « transcendance transcendée ». Et vas-y... » [1], et en 1980, dans Apostrophes : « L’Être et le néant, hein, c’est vrai, non, il faut être raisonnable. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est une chose qui m’inquiète ».

Cette allergie déclarée à la langue philosophique devrait mettre en garde ceux qui veulent à tout prix faire de Ferré un penseur, un philosophe. Le concept n’est pas son domaine de prédilection. À la décharge de Ferré, il faut reconnaître que L’Être et le néant est un ouvrage difficile, avec peu de références explicites, qui s’appuie sur Descartes, Hegel, Husserl ou Heidegger sans toujours les nommer ou les citer. Sartre fait confiance au lecteur. Ce n’est pas un livre de débutant, bien que ce fut souvent celui-là que les étudiants lisaient d’abord dans les années 50-60, notoriété de Sartre oblige. On peut conjecturer que Ferré ne lira pas les livres philosophiques qui suivront, Critique de la raison dialectique, par exemple, plus difficile d’accès que le précédent.

Mais en 1969, Léo Ferré dit à Michel Lancelot : « Sartre, il restera, c’est le plus intelligent. Il est d’une intelligence foudroyante, c’est le type qui a tout trouvé, qui a trouvé l’homme d’aujourd’hui », à la suite de quoi il évoque ses lectures : « Le premier livre de Sartre que j’ai lu, c’était Le Mur... J’ai lu La Nausée après, et puis tout le reste... Je le lis souvent, je le lis toujours. C’est un grand mec ».

Qu’entendre par « tout le reste », si nous laissons de côté les sommes philosophiques par principe de précaution ? Vraisemblablement les autres romans, le théâtre, les volumes de Situations, etc. Mais Ferré ne cite nommément que le Baudelaire et Saint-Genet, comédien et martyr. Des approches biographiques. Probablement aussi Les Mots. Quant à L’Idiot de la famille, ce livre-monstre de trois mille pages sur Flaubert, il est peu probable que Ferré l’ai lu, en raison de ses très nombreuses occupations dans les années 70.

Nous ne pouvons parler ici que de ce qui est certain, ce sur quoi Ferré s’est exprimé : le Baudelaire, le Genet, le théâtre (du moins Huis-clos), certains textes sur l’engagement, nombreux chez Sartre. Ferré, à l’évidence, en a lu, mais difficile de les identifier. Et la précision na jamais été son point fort, il n’a ni la mémoire des noms, ni celle des titres ou des dates... !

Avançons donc avec prudence.

Sartre, on l’a souvent fait remarquer, s’intéressait peu à la poésie. Encore qu’il fut un des premiers à montrer l’importance et la nouveauté de l’œuvre de Ponge (Situations, 1).Dans sa conférence de 1946, à l’Unesco, La Responsabilité de l’écrivain, Sartre distingue le poète et le prosateur : « Le prosateur utilise les mots pour nommer », donc pour constituer des significations, des idées, le poète, lui, « utilise les mots dune autre manière… Ils sont des objets dont l’assemblage produit certains effets, comme des couleurs sur une toile en produisent ». Pour Sartre, dès lors, on ne peut demander à un poète de s’engager « en tant que tel » dans une lutte sociale. S’il ne le fait pas, on ne peut le lui reprocher qu’en tant qu’homme.

Et pourtant, Sartre consacrera plusieurs ouvrages à des poètes, des approches « biographiques » d’un type nouveau. À Baudelaire, à Genet, à Mallarmé (inachevé), même à Leconte de Lisle (plus de cent pages dans le tome III de L’Idiot de la famille), et aussi à des peintres (Le Tintoret, également inachevé).

Avec les poètes, Sartre est dans le même projet qu’il tentera vis-à-vis de lui-même dans Les Mots : comprendre, expliquer, le devenir-poète, le devenir-écrivain. Par quelle alchimie personnelle, sociale, langagière, tel ou tel enfant devient l’homme (ou la femme) qui écrit, qui se construit en construisant une œuvre singulière ?

Ferré a lu le Baudelaire, paru en 1947. Il raconte : « Un jour, j’ai lu un livre de Sartre sur Baudelaire, avec certaines vérités bien sûr, mais très méchant. C’était très méchant, et il m’a convaincu un moment. Un moment, je ne pouvais plus le voir, Baudelaire. Je n’aime pas que Sartre ait parlé comme ça d’un tel poète » [2] ... et aussi : « Avec Baudelaire, je suis passionné et passionnément critique ». Contrairement à son rapport à Verlaine ou Rimbaud, Ferré gardait donc toujours un regard critique sur Baudelaire.

Sartre, dans son livre, ne parle que de l’enfant et de l’homme Baudelaire, mettant le poète entre parenthèses. On a souvent donné comme raison de ce choix la similitude de situation familiale : Sartre, comme Baudelaire, est orphelin de père, et a un beau-père qu’il détestera toujours. Mais cette similitude de situation n’explique en rien les thèses du livre.

Pour Sartre, Baudelaire, c’est l’homme qui a choisi de se voir comme s’il était un autre. Pour Sartre, sa vie n’est que l’histoire de cet échec. Et il tentera de faire revivre « de l’intérieur » ce choix d’être le poète maudit, d’être l’Héautontimorouménos, le bourreau de lui-même. Du choix du dandysme à la façon de Barbey d’Aurevilly, à la mise en avant, par provocation, des idées réactionnaires de Joseph de Maistre (mais Baudelaire sera sur les barricades en 1848), de la fréquentation des prostituées les plus viles, jusqu’à la déchéance et la maladie, Baudelaire est dans un long processus d’auto-destruction. Les Fleurs du mal ? ... « Le succès bizarre de mon livre et les haines qu’il a soulevées m’ont intéressé un peu de temps, et puis après cela, je suis retombé ».

Tout ce qu’il écrit est à distance, l’intérêt qu’il y prend est mince. Comme un exercice parnassien, sans plus. Il se sent davantage porté par son identification quasi-mystique à l’œuvre de Poe qu’il traduit. Sartre relève par ailleurs, et c’était déjà la thèse de Walter Benjamin, que pour Baudelaire, la poésie est moins dans les mots que dans la ville, et d’abord Paris. « Fards, parures, vêtements, lumières, manifestent à  ses yeux la véritable grandeur de l’homme, son pouvoir de créer » [3].

Baudelaire, ce poète qui se détourne de la magie des mots, psychasthénique de surcroît, cette vie à vau-l’eau qu’il aurait choisi délibérément, ce poète, tel que Sartre comprend son « plan de vie », ne pouvait être accepté par Ferré. Il y voit d’abord quelques vérités, et délaissera Baudelaire quelques temps , s’en détournera, mais finira par y revenir par un biais inattendu, confiant à F. Travelet [4] : « C’est Sartre qui a des problèmes avec Baudelaire, pas moi ». Après le « rejet » passager, Ferré reviendra à Baudelaire en le mettant en musique et en l’enregistrant en 1957.

Le Baudelaire de Sartre est dédié à Jean Genet. Sartre, à qui Gallimard demande une préface pour les œuvres de Genet, en écrira comme on sait une très longue qui occupera tout le tome I des œuvres de Genet (578 p.).

Ferré le lit avec enthousiasme. « Pour moi, son chef-d’œuvre. C’est un livre extraordinaire. Au fond un grand livre sur la morale, qu’il appelle Saint-Genet, poète et martyr. C’est fabuleux, fabuleux. Il faut lire ce livre » [5].

Pourquoi cet emballement alors que par ailleurs il semble a priori apprécier peu l’œuvre de Genet si l’on en croit quelques vers de Ferré bien connus... Là non plus, Ferré ne s’explique pas.

La démarche de Sartre est proche de celle utilisée avec Baudelaire. Comprendre, à partir de l’enfance de Genet, enfant abandonné, placé en nourrice dans le Morvan, bien élevé, enfant de chœur, qui choisit la voie de la délinquance dès treize ans : ce sera Mettray, le bagne d’enfants, puis plus tard la prison pour vol (Genet ne volait que des livres, mais la récidive pouvait conduire à la perpétuité !), le choix de l’homosexualité, mais aussi celui de l’écriture, romans et poèmes (on a souvent relevé la parenté du vers de Genet et du vers baudelairien). Pourquoi parler de livre de morale ? Sans doute par cette oscillation perpétuelle entre la tentation du bien et le mal... Livre contemporain de Le Diable et le bon Dieu qui traite aussi de ce choix.

Ferré commet un lapsus qui ne manque pas d’intérêt : il commet une erreur sur le titre. Il dit « poète et martyr », au lieu de « comédien ». Or, dans le titre de Sartre, « comédien » est le mot essentiel. En effet, Sartre se réfère à la pièce éponyme de Jean Rotrou, tragédie (excellente d’ailleurs) écrite en 1646, mettant en scène le comédien romain Genest, jouant devant l’empereur Dioclétien Le Martyr de saint-Adrien. Et jouant Adrien, Genest entend l’appel de Dieu, se convertit au christianisme, et accède au martyr. Le comédien Genest s’est identifié au rôle qu’il interprète, mais, tourniquet sartrien, l’acteur qui joue le rôle de Genest, lui, ne se convertit pas, il joue le rôle d’un converti : il y a l’acteur, le rôle de Genest, et Genest s’identifiant à Adrien. Jean Genet, selon Sartre, joue de tous les registres à la fois. On ne sait jamais quelle place il occupe. Enfant sage ? Voleur ? Homosexuel ? Écrivain ? Plus tard militant politique... Cet enfant en constant déplacement, on ne sait où l’attendre. La maestria dont Sartre fait preuve rend ce livre difficile passionnant à lire. Et Ferré a été conquis.

Si le Baudelaire éloignera Ferré du poète quelque temps, Genet, après avoir lu Sartre, ne pourra (ou ne voudra) plus écrire de romans, et sera plongé dans une sévère dépression. La littérature est aussi un métier à risque quand un Sartre la démonte. Ferré, n’ayant pas à Genet le même rapport qu’à Baudelaire, a fait à l’évidence une lecture déprise d’affect et apprécié ce livre superbement écrit.

 

« L’enfer, c’est les autres »

Ferré cite souvent cette formule, par exemple dans les entretiens de 1969 avec M. Lancelot : « L’enfer, c’est les autres, admirable, c’est toute la clef de Sartre » et, dans la préface au roman de M. Frot, Le Roi des rats, il écrit : « L’enfer, c’est les autres, dit Sartre. L’enfer de Frot, c’est lui-même parce qu’il est un Autre. La conclusion de Sartre, mise à jour après la « confrontation », se réduit à un soliloque désespéré, une façon de poursuivre sa tâche malgré les Autres et dans les Autres, alors que le sentiment d’altérité ne trouve son objet qu’en soi, dans sa propre géhenne ». Il ne s’agit pas, concernant Frot, du « Je est un autre » rimbaldien, du « Je nié », où, nous dit Ferré, il y a tout Rimbaud. Ce « Je » distancié, dissocié, dont l’inconscient occupera la faille. Mais plutôt du « Soi-même comme un autre » [6]... Cette objectivation de soi, vu en extériorité, ce regard porté sur soi comme s’il était étranger (soit une transcendance transcendée ! - sic).

Ferré est donc ici au plus proche de Sartre. Si nous nous référons aux critiques, Huis-clos a donné lieu à pas mal de malentendus, que Sartre a dû balayer à de nombreuses reprises.

« L’enfer, c’est les autres a toujours été mal compris, dit Sartre. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres sont toujours empoisonnés... Or, c’est tout autre chose que je veux dire : si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, ALORS, l’autre ne peut être que l’enfer » [7].

Et Sartre nous rappelle que les trois enfermés sont des morts, des consciences mortes, et donc ne peuvent modifier leur destin. « Mort » fonctionne aussi ici de façon symbolique : être mort, c’est « être encroûtés dans une série d’habitudes, de coutumes, qu’on ne cherche même pas à changer… Nous sommes vivants… J’ai voulu montrer par l’absurde l’importance de la liberté... Quelque soit le cercle d’enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas, c’est encore librement qu’ils y restent, de sorte qu’ils se mettent librement en enfer ». On voit bien ici la proximité de pensée de Sartre et de Ferré. On pourrait évoquer de nombreux passages de Ferré qui sont un rappel de la liberté, un appel à se libérer, à briser le cercle d’enfer des habitudes et des coutumes... Ne serait-ce qu’Il n’y a plus rien.

 

L’engagement

« Vous savez, moi, je l’ai dit un jour à Sartre : « L’engagement, ça n’existe pas », et il a dit : « Un type qui écrit ne peut plus écrire s’il voit des gens qui meurent de faim »... C’est des mots, tout ça, pourtant Dieu sait si je parle de Sartre et Dieu sait si j’ai une admiration pour ce type. Mais vous savez, l’engagement... l’artiste doit être vraiment très, très, très indépendant » [8] et Ferré dira aussi : « Moi, je ne suis pas engagé, je suis comme je suis ».

Françoise Travelet, à juste titre, reconnaît que Ferré ne nie pas que l’écrivain, l’artiste, comme tout homme, se trouve engagé malgré lui, est en situation d’engagement, qu’il le veuille ou non. Mais Ferré ne parle au nom de personne, ni à la place de personne : « Il n’exprime que sa propre pensée et ses propres choix » [9].

Alors, l’artiste ou l’écrivain ne seraient investis d’aucune responsabilité particulière. Est-ce éloigné de ce que dit Sartre ? Toute liberté étant en situation, jetée au monde, l’engagement n’est que la conséquence logique de cet être-en-situation.

Écoutons Simone de Beauvoir : « Nous sommes donc jetés libres et en situation dans le monde un peu comme Pascal disait : « Nous sommes embarqués »... L’existentialisme dit : « Nous sommes engagés ». C’est avant tout un état de fait ». Ainsi, condamnés à la liberté, nous le sommes aussi à l’engagement : je suis toujours-déjà engagé. Sartre n’a jamais confondu engagement et politisation, ou adhésion à un parti. L’artiste retiré dans sa tour d’ivoire, qui ignore ou méprise le monde comme il va est tout aussi engagé que le militant de base ! Encore faut-il que les conditions matérielles existent afin que chacun puisse choisir sa vie. C’est le cœur du problème : on ne fait pas ce qu’on veut, mais on est en même temps toujours responsable de ce qu’on est ou de ce qu’on a fait de nous.

Pour Sartre, l’écrivain, l’artiste ont donc une mission particulière, car en tant que tels, ils parlent aux autres, écrivent pour les autres. Parler aux autres, oui, mais jamais à leur place ; faire en sorte que chacun, chacune soit porteur dune parole singulière. Penser avec sa propre tête, disait le vieux Kant. Et sur ces points, Sartre et Ferré me semblent d’accord sur l’essentiel : ils laissent les gens libres...

 

La Cérémonie des adieux

Sartre meurt le 15 avril 1980. Son enterrement sera suivi par une foule immense : soixante mille à cent mille personnes… ? On parle du « peuple de Sartre », de « manif contre la mort de Sartre », de « dernière manif de 1968 ».

Sartre ayant refusé d’être inhumé auprès de son beau-père, il sera enterré dans un coin tranquille, non loin de la tombe d’un certain Charles Baudelaire...

1981 : Simone de Beauvoir publie le dernier volume de ses mémoires, livre dédié « À ceux qui ont aimé Sartre, qui l’aiment et l’aimeront »... La Cérémonie des adieux est le récit des dix dernières années de son compagnonnage avec Sartre. Quoique respectant comme toujours dans ses « mémoires » l’intimité de certaines personnes (allant souvent jusqu’à changer les noms), elle ne cache rien de la maladie de Sartre, de sa déchéance physique progressive, de sa souffrance et de sa mort. Ce livre est un grand livre, d’une intense émotion et d’une grande beauté, un acte d’amour qui est un des chefs-d’œuvre de la fin du XXe siècle. Il est complété par de longs entretiens inédits avec Sartre.

Léo Ferré le lira. Et il réagira très violemment : « Simone de Beauvoir, qui a écrit ce livre abominable : La Cérémonie des adieux... Dégueulasse... » (propos rapporté par R. Kudelka).

Certes, Ferré semble n’avoir jamais eu de grande sympathie pour S. de Beauvoir : il parle de « Sartre et sa copinoscope » (sic), de « Sartre et sa bonne femme » ou de « sa femme de jour »... Encore que ces expressions soient courantes chez lui. Ainsi, il écrivit à Sartre pour qu’il demande à Beauvoir de faire cesser les agressions dont il est l’objet de la part de « troupes » rangées derrière L’Idiot international, dont elle a pris symboliquement la direction, comme Sartre celle de La Cause du peuple. Pourquoi écrire à Sartre ? « Je préfère écrire aux bonhommes qu’aux bonnes femmes ». Ce sont donc des tournures de son langage familier, mais qui sont néanmoins péjoratives, et manquent d’élégance.

Donc, Ferré a détesté le livre. Connaissant son caractère, on peut comprendre sa réaction. Ferré, comme la plupart des poètes, a souvent chanté la mort. La mort, c’est abstrait dans le poème. De la maladie, de la souffrance, il ne parlait jamais. De sa maladie, personne n’en a rien su, ou presque. Cela relevait de son privé, ne concernait pas l’homme public. Ferré était au fond très pudique, et d’une sensibilité exacerbée, lui qui, nous dit F. Travelet, « pleurait en lisant le journal et vomissait à la moindre contrariété… » Il ne pouvait trouver ce livre qu’abominable...

Léo Ferré est passé complètement à côté de La Cérémonie des adieux. Ce livre superbe qu’il faut lire absolument si ce n’est déjà fait.

 

On voit donc, au travers de ces quelques lignes, que la lecture de Sartre a longtemps accompagné Ferré, même s’il a fait des impasses et des rejets du côté de la philosophie. Sur la longue durée, Sartre influença sans doute davantage Ferré que l’amitié intense mais éphémère avec Breton.

Au Panthéon de Ferré, deux philosophes occupent les places d’honneur : Sartre, toujours sur la brèche de l’écriture, de l’aventure, du voyage. Et Bachelard, le sage faisant son marché place Maubert et tisonnant son poêle... Un Bachelard d’Épinal... Mais Ferré et Bachelard, c’est une autre histoire.

_____________________________ 

[1]. Voir C. Frigara, p. 70.

[2]. Voir Q. Dupont, p. 352.

[3]. Baudelaire, collection « Idées », p. 52.

[4]. Voir Dis donc, Ferré…de F. Travelet.

[5]. Voir Q. Dupont, p. 353.

[6]. Soi-même comme un autre, livre de Paul Ricœur, Seuil, 1990.

[7]. Enregistrement de Sartre en préface à la captation de Huis-clos (Deutsche G.G).

[8]. Entretien à Europe 1. 

[9]. Voir Dis donc, Ferré…de F. Travelet.

Commentaires

"Cette allergie déclarée à la langue philosophique devrait mettre en garde ceux qui veulent à tout prix faire de Ferré un penseur, un philosophe." Oui, en fait la langue de Ferré est celle de la poésie, prise à tous les niveaux, c'est entendu - et sur tous les tons - mais non celle, justement trop précise des philisophes. Si ceux-ci sont un peu comme les anarchistes, chacun se voulant différent de l'autre, Léo Ferré étant différent lui-même a pu vouloir s'approcher de leurs idées, de là, effectivement, à accepter de théoriser : ce n'est pas pour lui.

Sartre, en mal de père fiable, a cherché je crois, toute son oeuvre théâtrale et romanesque le laisse filtrer, à asseoir sa pensée philosophique sur du concret. Il le trouve peut être chez de grands auteurs... eux aussi, etc. Je lis en ce moment L'Idiot de la famille et je sens comme une mise en abîme.

Écrit par : Martine Layani | mardi, 18 décembre 2007

Une petite remarque en passant. Ferré n’est peut-être pas resté insensible à la démarche initiale entreprise par Sartre puis à son refus de recevoir un prix (aussi Nobel soit-il…). Les propos dithyrambiques tenus l’auraient-ils été autant sans cette décision ???

Écrit par : thierry | mardi, 18 décembre 2007

Ce n'est pas une mauvaise idée, ça, tiens. Effectivement, le pré-refus de Sartre, puis son refus définitif après l'attribution du prix, cela a pu lui plaire. Indépendance d'esprit, liberté, mépris des honneurs... Ce n'est pas faux.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 18 décembre 2007

effectivement, il n'est pas impossible que le refus du Nobel ait conforté son image positive de Sartre.Saint-John Perse l'a eu et accepté, c'est une des raisons (pas la seule) de sa vindicte envers Perse.
Mais il n'a pas attendu ce refus pour dire son admiration pour Sartre, c'est bien plus ancien, plus ancré en lui.

Je ne dirai pas que chaque philosophe veut être différent de l'autre.Si l'on excepte les commentateurs, ou les indispensables érudits,les philosophes vraiment créateurs (il y en a peu), se démarquent forcément des autres.A quoi bon écrire si c'est pour dire ce qui a déjà été dit?

Bon courage, Martine, pour "l'idiot de la famille".Veillez à bien avoir les 3 volumes publiés en collection "bibliothèque
de philosophie" chez Gallimard.
L'édition de poche ( collection Tel) a publié les deux premiers tomes en 3 volumes.Et bon nombre de lecteurs ont cru avoir la totalité du livre.Le volume 3 n'est (je crois) jamais sorti en poche.Donc près de 3000 pages au total.

Écrit par : francis delval | mercredi, 19 décembre 2007

Ce n'est pas un commentaire, mais l'ajout d'un passage que j'ai hésité à mettre:
C.Letellier,dans son livre "L'unique et sa solitude" ,fait un rapprochement entre trois lignes de "La violence et l'ennui" et un passage du roman de Genet "Pompes funèbres":
"Des armes,comme une esthétique de la solitude
Quand on est armé on n'est plus seul"
Quand on est seul et désarmé, on fait une demande pour être CRS",écrit Ferré.
Elle suggère que le clef pourrait être chez Genet.

"Il eut une pensée rapide pour le milicien seul sur son toit,mais seul avec une arme.Seul ,on n'est que soi.Avec une
arme,c'est la solitude à deux,on est soi et son devoir"

Il y a effectivement des éléments communs.De là à parler de clef, ou d'influence, il y a une marge.Je ne suis pas vraiment convaincu.Sartre a d'ailleurs montré que beaucoup d'expressions de Genet, autodidacte, sont des emprunts,en prose comme en poésie.
Il y a , par exemple, des liens étroits entre le "roman de la Rose" et le "Miracle de la rose",nous dit Sartre.

On pourrait alors aussi bien voir une filiation entre "Miracle de la Rose", et "le spectre de la Rose",leitmotiv du final de "l'opéra des rats".A la première écoute,j'ai aussitôt pensé à Genet.Comme à la lecture de certains passages d'"Alma matrix".
Mais on s'éloigne du sujet.Ce n'est qu'une parenthèse.

Écrit par : francis delval | mercredi, 19 décembre 2007

Je reviens à cette phrase : « C’est Sartre qui a des problèmes avec Baudelaire, pas moi ».

Elle est typique de sa manière d'être et de réagir. Françoise Travelet raconte aussi (en substance) que quand un spectateur lui crie : "C'est mauvais !", il est un instant désarçonné et se dit que le spectateur a raison ; puis, immédiatement après, il répond : "Ta gueule" et continue de faire ce qu'il désire faire.

A un autre niveau, c'est la même chose. Sartre le fait douter de Baudelaire, il est déstabilisé durant un certain temps ; puis il règle la question : « C’est Sartre qui a des problèmes avec Baudelaire, pas moi ». Et il continue son compagnonnage avec le poète.

Je crois que cette attitude -- je résume : "au bout du compte, c'est moi qui ai raison, je ferai ce que je dois faire" -- est ce qui lui a permis de mener à bien ses projets, de réaliser ses désirs et ses rêves, autant que faire se pouvait. Une espèce d'obstination à se réaliser, y compris dans ses plus anciens rêves d'enfant (la direction d'orchestre), envers et contre tout.

Nous sommes toutefois à l'opposé d'une attitude têtue, butée, stupide. La porte reste ouverte au doute, celui-ci peut s'insinuer et s'installer un certain temps (Baudelaire-Sartre) mais en fin de compte, Ferré continue toujours.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 19 décembre 2007

"Sartre influença sans doute davantage Ferré que l’amitié intense mais éphémère avec Breton."
A la (re)lecture de votre article, très bien écrit par ailleurs, je ne vois toujours pas en quoi. Je veux bien l'admettre mais je crains que vous ne le montriez pas assez et que pour le coup, avec toutes ces déclarations (dans le genre comptoir?) citées, il n'en demeure qu'un "Sartre d'Epinal".
De plus, j'ai le sentiment que vous minorez l'expression d'une pensée dans la poésie de Ferré, de même que vous réduisez son "écriture" à la mise en oeuvre de procédés.

PS: si je comprends bien votre définition restritive du philosophe, il faudrait en exclure quelqu'un comme Montaigne?

Écrit par : gluglups | mercredi, 19 décembre 2007

Le "sans doute" indique que ce n'est qu'un hypothèse, invérifiable.Une possibilité.
C'est Ferré, et non moi qui insiste sur l'importance de Sartre pour lui,et il a bien fallu que je fasse avec les matériaux qu'il nous a laissés,surtout des déclarations orales.Brèves de comptoir, mais il faut s'en contenter.
Ce sont des "lieux communs " de la pensée de Sartre que "l'enfer, c'est les autres" ou le pb de l'engagement.Mais ce sont des passages obligés, que Sartre a fortement théorisés,et sans lesquels Sartre serait incompréhensible.
Le Sartre de Ferré n'est-il qu'un Sartre de classe terminale?Je ne le pense pas;Je suis convaincu qu'il l'a lu souvent,même si Ferré a peu d'atomes crochus avec le langue technique de la philosophie;(par contre, il admirait beaucoup les mathématiciens..parce qu'il ne les comprenait pas!)

Si je pensais qu'il n'y a pas de "pensée" dans la poésie de Ferré, et que son écriture se réduit à des procédés rhétoriques ,je ne serais pas ici à vous répondre.
Si Ferré n'était qu'un "faiseur",il y a belle lurette que je ne m'y intéresserais plus.

Quant à Montaigne, c'est bien sûr un philosophe ;Essentiel.

Aucun philosophe ne part de zéro.La manière dont Montaigne utilise le tradition philosophique pour construire
une pensée neuve est un "essai"tout à fait remarquable.
Mais je sais que vous avez très bien compris ce que j'ai dit concernant les philosophes!

Écrit par : francis delval | mercredi, 19 décembre 2007

Oui mais Francis vous ne répondez pas : à quoi voit-on dans l'oeuvre que Sartre a plus influencé Ferré que Breton ?

Tout comme Glups, je suis sceptique face à cette affirmation pas vraiment étayée.

Écrit par : The Owl | mercredi, 19 décembre 2007

Je n'ai pas étudié la question mais pê certains passages de Benoît Misère, par ex, pourraient être interprétés sous cet angle. La question de "l'autre" notamment, de l'objet, du vertige existentiel...
En bon élève de terminale autorisé à redoubler, nous serions tentés d'associer Sartre à Camus: LF a-t-il lu L'homme révolté, Sisyphe? sans doute.

Écrit par : gluglups | mercredi, 19 décembre 2007

Cité par Quentin Dupont, extrait de l’émission de Michel Lancelot, La Mémoire courte, Europe 1 :

« Albert Camus, c’était un latin et il y a quelque chose qui me manque, dans la vie, c’est de ne pas l’avoir connu... Il a écrit Le Mythe de Sisyphe, c’est le premier livre que j’ai lu de lui. C’était comme un grand coup de poing. C’est, d’abord, un livre accessible sur une idée difficile. Et puis L’Étranger, et puis enfin quelques livres, après. Camus, ça a été la révolte permanente. C’était un solitaire. Il était au pas avec d’autres, des millions qui marchaient en même temps que lui, c’est sûr ! C’est peut-être un mot, mais je pense qu’il est mort trop tôt ! Il est mort bêtement. J’ai un camarade à Paris, qui était un ami à lui très cher, les dernières années de sa vie. Et ce camarade allait prendre l’auto, dans laquelle a pris place Camus. L’auto qui était conduite par Michel Gallimard. Et Camus, au dernier moment, lui a dit : « Je prends l’auto. Tiens, prends mon billet ». Camus avait déjà le billet de chemin de fer pour rentrer depuis Lourmarin jusqu’à Paris. C’est ce camarade qui m’a raconté ça. Et Camus était un type, m’a t-il dit, vachement jeune, très vivant et j’ai une anecdote, je pense qu’on peut le dire, ça ne lui fera que trop d’honneur : il aimait les filles très jeunes. il aimait la jeunesse. Il était resté jeune et il avait ce besoin d’être avec les jeunes. Et il disait à ce camarade, un jour : « Tu sais, moi, je vais en arriver aux filles de quinze ans. Tu te rends compte ? Le Prix Nobel, en taule ! » ».

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 19 décembre 2007

J'ignore si Ferré a lu Camus.Je ne connais aucun passage où il en parle, mais je n'ai pas lu tout ce qu'on a publié sur Ferré.La seule certitude est que Camus , dans les années 50,a beaucoup fréquenté les milieux anarchistes.Comme Breton.Ferré a-t-il rencontré Camus, c'est de l'ordre du possible.Jacques en sait peut-être davantage.

Sur "Benoît Misère", je ne puis répondre au débotté:la question de l'autre dans "B.M", un beau sujet de note à faire..mais les deux jacques et moi, nous ne pouvons tout faire..
On attend vos plumes.....car , apparemment, les idées ne manquent pas!

(PS: "Albert Camus, philosophe pour classe terminale" est le titre d'un pamphlet féroce contre Camus,écrit par J.J.Brochier dans les années 60)

Ce que je dis du rapport de Ferré à Breton et à Sartre n'est pas étayé,oui,puisque c'est une question que je pose.Ferré a lu Sartre de 38 jusqu'aux années 80, sur le long terme.Il dit "qu'il le lit toujours".A-t-il jamais dit cela pour un autre écrivain contemporain?A-t-il continué à lire Breton après la rupture, et la mort de Breton?Nous ne le savons pas.pour Sartre, là, nous savons.On ne peut rien conclure, mais on peut émettre une hypothèse...et ne rien dire de plus.

Écrit par : francis delval | mercredi, 19 décembre 2007

mon commentaire s'est croisé avec celui de Jacques.J'avais oublié ce passage...dommage.Quand on cherche Sartre, on ne pense pas toujours à chercher Camus ou un autre.Je serai collé
dimanche!

Écrit par : francis delval | mercredi, 19 décembre 2007

C'est Brassens qui a rencontré Camus, et Ferré a rencontré Breton. Rétrospectivement, cela ne paraît pas étonnant et semble correspondre aux tempéraments des uns et des autres. Mais cette impression est certainement fausse : Camus est mort accidentellement et, s'il avait vécu, peut-être Ferré et lui se seraient-ils connus, ne serait-ce que par l'intermédiaire de Maurice Joyeux et de la Fédération anarchiste.

Joyeux, d'ailleurs, groupe -- en les appelant "les monstres sacrés" -- Brassens, Camus, Breton et Ferré dans un chapitre de son livre, L'Anarchie dans la société contemporaine, une hérésie nécessaire ?, Casterman, 1977. Mais il se contente de brosser de rapides portraits et note ceci :

"C'est à la fête du printemps des anarchistes, au Moulin de la Galette, devant une salle comble, à la porte de laquelle s'entassaient les sacs des jeunes qui, sitôt après, s'envoleront vers la nature, que Breton et Ferré feront connaissance. C'est dans le petit salon de la grande salle de la Mutualité, un soir de gala, que Camus et Brassens se rencontreront."

Or, après mille recherches sur Ferré et Breton, cet épisode du Moulin de la Galette n'est pas confirmé. Soit Joyeux se trompe dans ses souvenirs (la plupart du temps sans date), soit cette soirée se place entre l'Olympia 1955 où Tertrais vient dire à Ferré que Breton veut le rencontrer et le début de l'année 1956 où Breton vient dîner boulevard Pershing.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 19 décembre 2007

Cher Francis, ne le prenez pas mal... Je sais bien le travail que cela vous a coûté et, de fait, je me trouve dans une situation bien confortable.
Disons que, parfois, on reste un peu sur sa faim: "On ne peut rien conclure, mais on peut émettre une hypothèse...et ne rien dire de plus." Alors pourquoi choisir ce sujet? J'ai le sentiment parfois que l'on tourne un peu autour du pot ces derniers temps sur le blog.
Ou peut-être que vous nous en avez trop dit sur vous-même et que, de ce fait, on aimerait entendre davantage le philosophe. Là, on a un peu le sentiment d'une mise en forme, certes brillante et abondamment complétée par vos connaissances -je ne nie pas leur intérêt -, de choses lues chez Travelet et Dupont. Vous auriez été musicologue, on aurait été déçu de la même façon, si, au sujet de Ravel, vous n'aviez restitué que les propos de Ferré sur le musicien sans envisager jamais les partitions.

C'est bizarre car d'un côté vous déclarez vous éloigner de la démarche biographique mais en même temps vous vous raccrochez essentiellement à ce que Ferré a pu faire ou prétendre.

Écrit par : gluglups | mercredi, 19 décembre 2007

J'ai voulu, étant donné l'énormité des corpus sartriens et ferréens me limiter strictement à ce qu'annonce le titre de la note.
Vous connaissez l'étendue de l'oeuvre de Sartre, la difficulté de certains textes,et je ne suis pas ici en tant que professeur de philosophie.Il y a d'autres sites pour cela.

L'intérêt que Ferré portait à Sartre est assez peu connu en fait et méritait d'être rappelé.
quant à la biographie, on ne peut évidemment pas l'évacuer.Ce que je pense, c'est que dans la bibliographie ferréenne, il y a trop de bios et pas assez d'ouvrages portant sur le poète, et encore moins sur le musicien.
Peut-on comprendre Sartre sans connaître sa vie?

autre question: les entretiens donnés par Ferré font-ils ou non partie de son oeuvre?Je laisse la question ouverte, car je me la pose depuis longtemps.

Écrit par : francis delval | jeudi, 20 décembre 2007

En ce qui me concerne, je pense que tout fait partie de l'oeuvre, qu'il s'agisse de Ferré ou de quelqu'un d'autre : textes, musiques, interprétations, manuscrits, correspondance, écrits intimes, entretiens... Ce qui ne veut pas dire qu'il faut tout mettre sur le même plan. Les entretiens, surtout quand, aux mêmes questions, sont fournies les mêmes sempiternelles réponses, n'ont pas la même valeur que tel roman ou telle oeuvre philosophique (je parle d'un auteur en général, encore une fois). Ils doivent cependant être au moins pris en considération.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 décembre 2007

"je ne suis pas ici en tant que professeur de philosophie": non, bien sûr, mais ce qui serait intéressant, ce serait de caractériser un peu précisément la pensée ou la vision du monde qui s'exprime à travers une métaphore par exemple, pas seulement mesurer ou justifier l'écart entre le "comparé" et le "comparant".

"les entretiens donnés par Ferré font-ils ou non partie de son oeuvre?": non absolument pas. Evidemment on peut les prendre en compte, mais on ne doit pas se limiter à cela.

Le problème, c'est qu'actuellement le livre de Q. Dupont (et non de Ferré, j'insiste là-dessus) devient la Bible de la Ferrétie. Il est vrai que l'index facilite les choses. Mais pour plusieurs raisons, ce livre est bien contestable. Sans parler de cette forme de sacralisation de la Parole ferréenne qui est révélatrice d'un certain fanatisme.

Honnêtement, l'"érudition", quand il s'agit de sortir que le 20/5/1963 LF enregistre tel truc à 14h55 est au bout d'un moment appauvrissante, ne peut intéresser que les mordus ou l'esprit collectionneur, et pour tout dire est assez vaine.

Par ailleurs, on ne peut réduire Ferré à une "vision" documentaire ou biographique. Il me semble que l'échec de la the intégrale est en partie dû à cela. L'"objectivité" qui consiste à dire "y' a pas de période/label" donc prenons les années ne fait pas forcément un bon disque.

Écrit par : gluglups | jeudi, 20 décembre 2007

Une vision du monde à travers une métaphore?Comme vous y allez...Vous, vous en seriez capable?C'est déjà difficile sur un corpus important.Et le concept même de "vision du monde"pose déjà problème quand il s'agit de philosophie, donc d'explicite.Il serait périlleux de le réactiver en poésie,cela demanderait une méthodologie bien armée.

Le livre de Quentin Dupont , je ne l'aime pas trop non plus..Car le classement des bouts d'entretien par thèmes ne permet guère d'avoir une idée claire de l'évolution de Ferré sur la durée.
Cela dit, c'est un outil commode pour chercher une citation, une référence.J'ai pas mal d'entretiens de Ferré repiqués en vidéocassettes;des enregistrements pris sur le net (la nuit Ferré de 88,les entretiens avec Emile Noël à la sortie de Benoit Misère,etc).Mais c'est peu pratique quand on cherche une citation ou un passage précis.Le "Dupont' est un pense-bête bien utile,sans plus.

Je ne pense pas que ce lieu soit fréquenté par des fanatiques.Sinon, je serai parti depuis longtemps, et vous aussi, je l'espère.Il est apparemment surtout fréquenté par des enseignants, des littéraires, et on peut leur supposer un minimum d'esprit critique et de distance.

Il y a certes une lacune sur ce blog: l'absence de musiciens pour rédiger des notes....Il y aurait tant à dire, par exemple, au delà des sempiternelles interrogations sur la valeur de Ferré compositeur,sur les textes des "musiques byzantines".....Tout un pan important de Ferré reste à la porte
,c'est dommage.

Écrit par : francis delval | jeudi, 20 décembre 2007

"Par ailleurs, on ne peut réduire Ferré à une "vision" documentaire ou biographique. Il me semble que l'échec de la the intégrale est en partie dû à cela. L'"objectivité" qui consiste à dire "y' a pas de période/label" donc prenons les années ne fait pas forcément un bon disque."

L'échec, comme tu y vas !
Pourquoi l'échec ?
Je suis d'accord avec toi sur le réductionnisme documentaire, mais le fait est que sur les 3 disques à ce jour sortis, seul le volume 53 est discutable.

Maintenant, un bon disque est-il forcément un disque homogène ?

Écrit par : The Owl | jeudi, 20 décembre 2007

Pas forcément homogène, mais je trouve que la dimension "archives" est trop mise en avant. Cela réduit un peu le disque à son intérêt documentaire. Il faudrait un peu de sel artistique, esthétique (cf par ex Métamec, qui me paraissait réussi de ce point de vue-là, alors que c'était un disque assez improbable à la base). Bien évidemment, je ne parle pas que du look de la pochette.

"Une vision du monde à travers une métaphore?Comme vous y allez..." pê que l'expression ne convient pas, mais oui, cette dimension "existentielle", pour rester sartrien, est bien ce qui fait qu'un poète est grand. Décrire les procédés et s'en tenir à cela... On pourrait écrire des pages aussi sur le plus minable des slogans publicitaires et y trouver tout autant d'invention et d'originalité.

"Vous, vous en seriez capable?": sans doute pas, c'est bien pourquoi je m'adresse à vous.

PS: je n'aime pas trop la notion d'"influence", surtout à propos d'une oeuvre.

Écrit par : gluglups | jeudi, 20 décembre 2007

PS2: la musicologie: s'il s'agit de décrire des éléments formels, on n'ira pas très loin. L'essentiel, l'intéressant dans la musicologie, c'est tout le reste, donc de la littérature, comme dit la chanson.

Écrit par : gluglups | jeudi, 20 décembre 2007

Je ne fais qu'ajouter une petite remarque à la note:Ferré n'est certes pas le seul à avoir détesté "la cérémonie des adieux".Ce livre a été fort critiqué, et surtout dans l'entourage de Sartre, certaines de ses amies,certains rédacteurs des Temps modernes......Ce qui n'enlève rien à la valeur du livre,et ne justifie pas le jugement couperet de Ferré.

Écrit par : francis delval | jeudi, 20 décembre 2007

"Le livre de Quentin Dupont , je ne l'aime pas trop non plus... [...] Cela dit, c'est un outil commode pour chercher une citation, une référence."

Mais pas sûr qu'au bout du compte, il n'apporte pas plus de problèmes que de commodité. C'est utile pour faire du remplissage sur n'importe quel sujet, à la limite.

Je reprends toutes vos objections + à partir du moment où les questions et le contexte de ces questions sont effacés, quelle est la valeur de ce "discours"? Un discours n'existe, justement, qu'"en situation". Exemple même des limites de l'objectivisme et de l'intégrisme (dans le sens où l'on ne doit pas mêler des paroles impures à Celle de Ferré).

Écrit par : gluglups | jeudi, 20 décembre 2007

Je comprends votre demande,Gluglups, mais je ne puis y répondre en improvisant un commentaire.
Vous aurez peut-être un réponse dans quelques mois , dans un autre lieu,si je viens à bout d'un travail à peine commencé,et qui sera plus dans une dynamique de l'écriture que "la fabrique".
Je ne puis en dire plus pour le moment:Ferré, c'est difficile!

Écrit par : francis delval | jeudi, 20 décembre 2007

Nos commentaires se sont croisés,y retrouve-t-on nos petits?

Pour en finir avec Dupont, ayant les enregistrements de pas mal d'entretiens, ou en ayant entendu un grand nombre,je pense pouvoir replacer les propos "en situation".Le privilège de l'âge?
(une bonne partie des propos...)

Écrit par : francis delval | jeudi, 20 décembre 2007

Francis, faites-nous un livre! La somme de vos réflexions sur je ne sais combien d'années de "pratique" de Ferré intéresserait tout le monde ici. Vous en êtes largement capable et cela vous conviendrait mieux, j'en suis convaincu, que le petit format des notes et articles (dans le Bulletin paroissial de la Ferrétie).

Écrit par : gluglups | jeudi, 20 décembre 2007

"je pense pouvoir replacer les propos "en situation"": je veux bien vous croire, mais cela ne nous avance guère.

Le problème aussi, c'est la qualité de ces propos, qui me paraît être inégale. A question conne, on répond parfois par une réponse conne ou alors, bien des fois, on n'est pas toujours inspiré, on n'a pas le temps de réfléchir, de préciser, on est dans la confidence familière etc. On ne peut pas tout mettre sur le même plan. J'aurais par exemple, sur le sujet Sartre, évité de reprendre certaines citations de Ferré qui ne me paraissent pas très sérieuses ni très intéressantes.

Vous voyez, autant je pense que l'édition d'un disque peut laisser une part au "montage", autant celle d'un livre doit proposer les partis pris qui soient les moins contestables.

Écrit par : gluglups | jeudi, 20 décembre 2007

Gluglups, je vous remercie pour la confiance que vous me faites,un livre, un jour pourquoi pas?
Je vous rappelle néanmoins que notre hôte, jacques Layani, qui nous laisse la plus grande des libertés,fait partie de la rédaction de ce que vous appellez "le bulletin paroissial" de la Ferrétie,ce pays imaginaire que je n'ai jamais visité,et que cela manque de courtoisie.

Écrit par : francis delval | jeudi, 20 décembre 2007

Allons, cela n'a pas d'importance. Je connais Gluglups, il me connaît. Je pense qu'il n'y a pas de problème.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 décembre 2007

"jacques Layani, qui nous laisse la plus grande des libertés": oui, la preuve et il est capable de concevoir d'autres points de vue. Ce n'est pas un manque de courtoisie d'ailleurs, c'est vous qui le dites, d'autant plus que dans ma tête Jacques Layani n'égale pas LCDLN ni d'autres revues auxquelles il a collaboré.
Bulletin paroissial, on pourrait le dire d'autre feuilles de chou du style les Amis de Georges. Il y a un côté comme cela, qu'on le veuille ou non.
Je crois que votre article inaugurait une nouvelle formule, qui corrigera pê cette impression générale.

Écrit par : gluglups | jeudi, 20 décembre 2007

PS: Si mes parodies de cette publication ont pu contribuer à enlever le côté Jean-Pierre Pernaud + images pieuses (pas toujours de bon goût), j'en suis très heureux, lol.
Après l'"influence de Sartre", l'influence de gluglups!

Écrit par : gluglups | jeudi, 20 décembre 2007

je ne connais pas vos parodies dont j'ignore tout.
je prends acte, si votre action fut bénéfique.....

Écrit par : francis delval | vendredi, 21 décembre 2007

"Pas forcément homogène, mais je trouve que la dimension "archives" est trop mise en avant. Cela réduit un peu le disque à son intérêt documentaire. Il faudrait un peu de sel artistique, esthétique (cf par ex Métamec, qui me paraissait réussi de ce point de vue-là, alors que c'était un disque assez improbable à la base)."

Effectivement, on croirait presque à la fiction du dernier disque en dépit du bric-à-brac.

Pour le reste, il faut nuancer. La dimension "archives" de la the intégrale apporte une cohérence interne à l'hétérogénéité compilatoire des livrets là où ceux des albums toscans sombrent dans le bric-à-brac visuel (trop d'images anecdotiques de Ferré – à quand une intégration des textes aux artworks originaux ?).

Maintenant le sceau "archives" de la charte visuelle pose un sérieux problème en faisant de toute une partie de l’œuvre de Ferré un simple vestibule à ce qui serait désigné implicitement comme l’œuvre véritable et non plus de l’archive, c'est vrai.

Mais à partir du moment où on recrée des pochettes au coup par coup pour des albums 50's, cela implique aussi de modifier assez librement les pochettes 80's foireuses.
Et ça LMELM ne semble pas vouloir le faire.
Tout est lié.

Écrit par : The Owl | vendredi, 21 décembre 2007

Gluglups écrit:"On pourrait écrire des pages aussi sur le plus minable des slogans publicitaires et y trouver autant d'invention et d'originalité"
Je réagis à retardement...Oui, bien évidemment.Et ça m'a fait penser aux nombreuses parodies ou pastiches, aux détournements de slogans publicitaires que Ferré a pratiqué avec bonheur...L'inventaire donnerait matière à une note!
De "Vise la réclame":
Mon thé t'ôtera ta toux
Cest pour cent sous mon toutou"
ou
"Monsavon ça fait des ronds
ça blanchit même le charbon"

à "Vitrines", et bien d'autres textes...

On pourrait appliquer à ces vers parodiques les mêmes
outils rhétoriques , les mêmes figures de style, qu'aux plus
sophistiquées de ses comparaisons ou métaphores...

Roland Barthes et le courant qu'il a incarné en sémiologie ne s'est pas privé d'analyser le pub avec les mêmes outils qu'à la poésie....
C'est que les outils sont neutres,et que leur validité s'applique à toutes sortes d'écrits....Le jugement de valeur ne dépend certes pas des outils d'analyse.

Je lance comme ça une idée de note à faire, mais je laisse mon tour à quelqu'un d'autre....

Écrit par : francis delval | samedi, 22 décembre 2007

lire:"la pub avec les mêmes outils que la poésie"....

Écrit par : francis delval | samedi, 22 décembre 2007

Je suis presque comme Ulysse : je rentre à la maison, après une petite semaine d'absence.

Merci Francis de vos bons conseils : après la lecture des TEL empruntés à la bibliothèque, j'achèterai le VRAI tome 3. Sans oser dire que c'est d'une lecture "facile", je n'y trouve aucun problème, en revanche beaucoup de plaisir.

Après avoir lu le Sartre romancier (que j'apprécie le moins), celui du théâtre, qui m'a toujours étonnée, je continue de l'admirer à travers son oeuvre philosophique.

Écrit par : Martine Layani | jeudi, 27 décembre 2007

Si vous la trouvez, préférez l'édition de 88 à celle de 72...Vous aurez en "bonus" 150 pages de notes pour un projet de livre sur "Madame Bovary".Le tome 3 traite largement des poètes, Baudelaire, et surtout Leconte de lisle.

Parmi les inédits édités après sa mort, je vous recommande "Le scénario Freud",écrit pour le film de J.Huston, et qu'il n'a pas utilisé....500 pages qui se lisent avec beaucoup de plaisir, les dialogues de Sartre sont un régal! (toujours gallimard)
Bonne fin d'année, Martine et Jacques,et à tous les lecteurs du "blog"
Francis

Écrit par : francis delval | samedi, 29 décembre 2007

Merci Francis de ces dernières précisions qui donnent l'eau à la bouche.

Nous vous souhaitons également une bonne fin d'année.

Écrit par : Martine Layani | samedi, 29 décembre 2007

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