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dimanche, 03 décembre 2006

Chercher le style

En 1962, le critique d’art Charles Estienne publie un volume consacré à Léo Ferré, constitué d’une introduction, de photographies et d’un choix de textes. [1] Parmi ceux-ci, un chapitre intitulé « Proses » propose plusieurs œuvres courtes inédites. Hormis la préface qu’il avait donnée, six ans plus tôt, à son recueil Poète… vos papiers !, [2] on ne connaissait encore rien de la dimension du prosateur, de l’écrivain. Il s’agissait alors d’un nouveau visage. Le Style est présenté comme un fragment, mais nous ne connaissons pas le texte, plus ample, dont il est extrait. Il sera repris, trente et un ans plus tard, dans le recueil La Mauvaise graine. [3] Texte où les idées, riches, émues, sont emmenées à grande vitesse au fil d’une pensée vive, Le Style mêle le propos polémique et l’expression poétique. Il s’agit bien du second « manifeste » de Ferré, qui en donnera beaucoup d’autres, au fil du temps (La Liberté d’intérim, Les idoles n’existent pas, Bonsoir, La Violence et l’ennui, Le Chien, Il n’y a plus rien, L’Imaginaire…) Pour Ferré, la révolte est liée au style, c’est-à-dire aussi bien à la beauté, l’élégance naturelle (« un arrêt dans la culture ») qu’à l’explosion d’une pensée libre (« la poésie est une fureur qui se contient juste le temps qu’il faut »). Apparaissent ici les mots lancés dans la foule, tels des projectiles concrets, qu’on retrouvera dans Le Chien (« Et nous lancerons à la tête des gens des mots… »), mots qui demeurent verbaux, proches des cris. On trouvait déjà « la poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique (…) elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale ») dans la préface de Poète… vos papiers ! Là, « on lancera la poésie avec les mains, avec des caractères gutturaux ». D’ailleurs, un raccourci métaphorique suffit qui unit deux aspects de Léo Ferré, la voix et l’imprimerie : « du romain de glotte ».

Le principe est posé, « les idées sont dans l’homme » et, immédiatement après, on trouve un jeu avec les mots (« La difficulté c’est tout simplement de les contenir ») comme Ferré en est coutumier, sur le double sens de « contenir ». S’agit-il d’être assez vaste pour rassembler en soi toutes les idées ? Ou bien de les empêcher de sortir, d’éclater ? La provocation n’est jamais loin : avec « un commissariat de police des idées », Ferré n’hésite pas à user de l’image qu’on penserait a priori être la plus éloignée de son imaginaire.

Autre caractéristique importante de l’écriture de Ferré, la présence de l’autobiographie ou, tout au moins, de la notation personnelle (ainsi, cette allusion à l’île Du Guesclin, entre Saint-Malo et Cancale, qui lui appartenait, où fut enterré son saint-bernard Arkel). Ainsi qu’il le fait souvent, l’auteur se mêle lui-même à son propos : « J’ai en moi », « mes idées », « mon chien », « je leur demanderai », « souvent miennes », « elles me ressemblent », « qui ramassent mes idées et qui me les rendent » – et enchaîne avec les chevaux qui ne sont jamais bien loin, ces chevaux qu’il adore depuis son enfance et dont il a toujours opposé la chaleureuse simplicité à la duplicité des hommes. Ce qu’il note encore cette fois : « Avec des idées d’homme ils ne trouvent subitement plus aucun goût à l’avoine et ne comprennent plus ».

La présence des idées est une constante absolue dans les textes de Ferré. Cette omniprésence, obsessionnelle, montre bien celui qu’est Léo Ferré, le bouillonnement permanent de sa tête (« Dans l’ bric-à-brac / Où s’ fabriqu’ nt les idées » dira-t-il dans une chanson [4]), sa tête qu’il appelle volontiers « mon usine » et qui est toujours demeurée son dernier bastion de solitude, son ultime tour de guet.

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[1]. Charles Estienne, Léo Ferré, collection « Poètes d’aujourd’hui », n° 93, Seghers, 1962.

[2]. Léo Ferré, Poète... vos papiers !, poèmes, La Table Ronde, 1956.

[3]. Léo Ferré, La Mauvaise graine, textes, poèmes et chansons 1946-1993, édition établie par Robert Horville et Léo Ferré, Édition n° 1, 1993 et Livre de Poche, n° 9626, 1995 (édition abrégée, sous deux couvertures).

[4]. Monsieur mon passé.

00:00 Publié dans Jalons | Lien permanent | Commentaires (0)

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