mardi, 05 décembre 2006
Miserere
Pendant huit ans, Léo Ferré fut interne en Italie, au collège de Bordighera, chez les Frères des écoles chrétiennes. Son père l’y avait inscrit, il y fut très malheureux. C’est là qu’il découvrit cette révolte dont il ne devait jamais se départir, qu’il lut en cachette Baudelaire, Voltaire et Mallarmé, qu’il prit conscience de sa différence et apprit la solitude. C’est aussi là, durant une sortie du jeudi avec sa mère venue lui rendre visite, qu’il découvrit la musique, avec Beethoven, entendu à la radio. De son enfance, il tirera le roman Benoît Misère.
Issu d’une famille catholique et contraint, huit années durant, d’observer, à son corps défendant, le rituel de la religion, Ferré est resté très influencé par le christianisme, sa vision du monde s’en ressentant inconsciemment. Au mysticisme, la plupart du temps involontaire, des poètes, s’ajoutent, fortement ancrées, les notions de bien et de mal qui font que, de tous temps, Ferré considèrera le plaisir comme marqué du sceau du péché. Avec cette différence que la transgression lui était délicieuse. L’amour charnel décrit dans ses poésies est la plupart du temps frappé au coin de l’interdit. Sa fascination pour les prostituées (en même temps qu’une grande compassion pour leur sort et un dégoût marqué du proxénétisme) se retrouve dans bien des textes.
Tiraillé entre les deux pulsions baudelairiennes (aspiration simultanée de l’homme vers Dieu et vers Satan), chez lui exacerbées, il pourra dire : « Tout ce qui est bon, c’est mal. Alors ? Tout ce qui est mal, c’est bon. Alors ? Damne-toi ! Damne-toi ! » en prélude à une chanson, justement intitulée La Damnation.
Merci mon Dieu, naturellement ironique par la distance prise dans l’adresse à Dieu, est une chanson qui choqua. Plus tard, Thank you Satan étonnera encore davantage par la revendication qui s’y trouve, de tout ce qui est anti, non conforme. Les allusions au Christ ne manquent pas, même s’il l’appelle familièrement « le crucifié » (Y en a marre). La prière est souvent tournée en dérision (La Grève), ou réputée inutile (Si tu t’en vas). Le curé, lui, « fait la manche / Avec son pot’ Dies illa / Y a pas qu’au guignol qu’y a des planches / Y en a aussi dans ces coins-là » (Les Retraités).
Par ailleurs, ses visions d’un monde meilleur, fraternel, humain, aseptisées de toute bondieuserie, sont chantées à travers des poésies lyriques qui, loin d’être des manifestes politiques prévoyant des cadres tout faits et proposant des solutions matérialistes, constituent le seul programme de Ferré – l’amour – évoqué à travers des titres comme L’Âge d’or.
Léo Ferré est évidemment à l’opposé de toute croyance mystique. Son intelligence, sa lucidité, ne pouvaient que la lui interdire. Toutefois, l’influence profonde de l’enfance et de l’éducation ne l’a pas épargné. Si, rapidement, il sut se défaire de ce catholicisme dont on l’avait empli, il conserva, inconsciemment, une empreinte qui – et ce n’est pas la moindre manifestation de son talent – ne l’empêcha nullement d’écrire une œuvre de liberté et d’affranchissement des dogmes.
On pourrait encore gloser sur l’influence, très nette à l’oreille, de la musique sacrée, du récitatif, du psaume, sur ses propres compositions, mais je laisse cela à de plus compétents que moi en matière musicale.
00:00 Publié dans Jalons | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Voir la version du "Chien" sur une musique religieuse.
Écrit par : Feuilly | mardi, 05 décembre 2006
Oui, entre autres. Encore peut-on considérer la musique sacrée comme un "genre" (je ne trouve pas d'autre mot) en soi, que Léo Ferré aurait utilisé au même titre qu'un autre. Je voulais aussi parler de la présence (consciente ? inconsciente ?) de la musique sacrée dans ses propres compositions.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 05 décembre 2006
J'espère toujours, d'ailleurs, un ouvrage, si possible pas abscons, consacré à la musique de Léo Ferré : écriture, composition, infuences, orchestrations -- ça fait vingt ans que je l'attends.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 05 décembre 2006
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