samedi, 09 décembre 2006
Authenticité
Le poète dans son siècle, c’est celui qui épingle de Gaulle et ses ministres, on l’a vu. C’est aussi celui qui sanctionne, tout au long de sa carrière, les grands de ce monde. Qui n’a-t-il pas cité, en bien ou en mal – et souvent en mal ? Le pape Pie XII, Castro, Franco, Johnson, le Vatican. Les artistes : Danielle Darrieux, Aznavour, Jean Cardon, Castanier, Barthémémy Rosso, Dylan, Grooteclaes, Brigitte Bardot, Dalida, Gabin, Madonna, Van Gogh, Boulez, Johnny, Mozart, Gauguin, Beethoven, Rembrandt. Les écrivains et les poètes : Shakespeare, Saint-John Perse, Baudelaire, Villon, Balzac, Sartre, Breton, Verlaine, Sagan. Les gens du spectacle : Stark, Coquatrix, Barclay. Les journalistes : Max-Pol Fouchet, Filipacchi, Lucien Morisse. Les politiques : Cohn-Bendit… Il a évoqué sans les nommer Buffet, Bontemps, Pompidou, Marcellin, Geismar… Il est aussi une série de personnes de sa famille ou de ses proches. On ne fera certes pas ici une liste exhaustive, on remarquera seulement que ce qui est curieux dans ce Panthéon comme dans cet anti-Panthéon, c’est qu’ils n’étonnent pas. Pourtant, ce n’est pas tous les jours qu’on entend cela en chansons. L’auditeur finit par s’habituer et trouve tout à fait naturel que l’on considère les poètes comme ses voisins de palier, qu’on invective les puissants et qu’on s’en prenne même à l’univers. Il trouve parfaitement logique de croiser Pépée et Verlaine dans un même monde, cités à égalité dans l’imaginaire et l’affect de l’auteur. C’est ce qui est intéressant chez Léo Ferré : cette façon de ne douter de rien, de tout se permettre avec l’assurance tranquille et inconsciente d’un enfant. Don Quichotte est toujours là. De plus, cela souligne l’interpénétration réelle de la vie et de l’œuvre de l’auteur. Il n’y a jamais eu de frontière, de séparation. Il est important de comprendre, qu’on aime ou non Léo Ferré, qu’on apprécie peu ou prou telle ou telle œuvre, qu’il est en permanence sincère. Cette authenticité est une chose dont il faut avoir conscience pour aborder son œuvre. Elle a sa part dans la formation intellectuelle des jeunes gens de notre génération, celle qu’on pourrait appeler « des soixante-huitards tardifs », c’est-à-dire ceux qui étaient encore adolescents au moment de Mai.
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