lundi, 16 avril 2007
Aspects de la recherche musicale
Dans la note intitulée Trois aspects de la recherche universitaire, j’avais évoqué des travaux publiés dans les domaines juridique, littéraire et sociologique. Voici à présent une étude consacrée au domaine musical, ce qui, très curieusement, est plutôt rare.
Céline Chabot-Canet, « Le populaire à l’origine du savant chez Léo Ferré. Entre métissages et paradoxes », in L’Éducation musicale, n° 541-542, mars-avril 2007. Sept pages.
L’auteur de l’article est pianiste, chanteuse et musicologue. Elle est aussi membre de l’International association for the study of popular music (IASPM). Sa notice biographique indique qu’elle va publier Le Phrasé vocal chez Léo Ferré, mais ne donne aucune précision : s’agit-il d’un nouvel article ou d’un ouvrage à paraître (où et quand) ? À suivre, car le titre est prometteur.
Dès l’abord, une heureuse surprise : les dates données sont exactes, les références fournies le sont aussi et les citations sont justes. Ce n’est pas si fréquent. Cela dit, on attendait un article un peu moins général, en lisant : « Nous étudierons les divers procédés employés par Ferré pour métamorphoser la chanson française en un genre savant, puis ceux utilisés en vue d’une popularisation du savant. Enfin, nous nous questionnerons sur la nature des relations entre savant et populaire chez Ferré : s’agit-il plus d’une fusion ou d’une juxtaposition ? » Le problème est parfaitement posé, mais le texte proposé n’y répond pas. Il ne parle d’ailleurs pas suffisamment de musique proprement dite.
L’exposé est juste, qui évoque « l’originalité par rapport à la chanson française contemporaine et la spécificité de l’artiste, aussi bien sur le plan compositionnel et structurel qu’interprétatif », qui relève que « l’influence et la connaissance approfondie du répertoire savant tiennent un rôle prépondérant dans l’élaboration de ce style très particulier, présage du caractère largement hétéroclite qui marqueront (sic) ses derniers concerts ».
« Un rapide préliminaire biographique », qui n’apporte rien que l’on ne sache déjà, ouvre l’article. Une remarque est intéressante : « Il est inévitable que Ferré ait été confronté enfant à la chanson populaire, laquelle constituait la majeure partie du paysage radiophonique ambiant de l’époque, cela même si cette formation, par imprégnation, s’inscrit curieusement en creux dans sa biographie ». Cette phrase rappelle l’idée que m’avait proposée Patrick Dalmasso, qui a conduit à l’écriture du texte Cet air qu’on cherche. Céline Chabot-Canet poursuit, citant « les références intertextuelles empruntées à la culture savante, mais également en s’éloignant du cadre traditionnel lié au genre ». Elle montre que « ce glissement de la chanson vers la musique savante passe également par la destructuration progressive de toutes les caractéristiques traditionnelles du genre jusqu’à lui échapper totalement, ce qui conduit Ferré à l’élaboration d’une esthétique inédite ». Tout cela est parfaitement exact, mais n’est pas nouveau, a été dit partout : toutes les sources sérieuses le relèvent. Pour l’auteur, la « destruction de la chanson traditionnelle » s’exprime par la fin de l’alternance couplet-refrain, du moins systématiquement ; l’allongement de la durée des textes enregistrés ; l’abandon de la mélodie pour un texte parlé ; une complexification du texte (« le langage poétique emprunte parfois à l’hermétisme ou à l’écriture automatique surréaliste »). Tout est vrai, rien n’est neuf. Ferré parvient donc à produire « un genre musical inouï ».
Avec intelligence, l’auteur relève que, pour Léo Ferré, « le public doit recevoir la musique comme il reçoit la chanson, c’est-à-dire par communication purement émotionnelle et instinctive, ce qui n’est pas sans introduire une certaine contradiction chez celui qui fait justement de la chanson un genre qui n’est pas immédiatement déchiffrable ». Cette notation est d’autant plus intéressante qu’elle est suivie d’une considération qui m’est chère, à savoir qu’il n’existe pas de contradictions, uniquement des complémentarités. Céline Chabot-Canet le dit : « L’auteur-compositeur est au centre de réseaux complexes, s’efforçant de concilier des notions en apparence paradoxales et pourtant complémentaires : le glissement d’un genre populaire vers le savant et l’ouverture du savant au populaire ».
Céline Chabot-Canet ne manque pas de relever de façon parfaitement justifiée ce qui est indéniable et dont beaucoup ne veulent pas entendre parler, la sensibilité de Léo Ferré « à la musique liturgique et à sa solennité », dont elle nous dit qu’« elle apparaît tout d’abord dans la diction très spécifique de Ferré, dont le ton parfois monocorde et proche du recto tono, entre voix parlée et voix chantée, rappelle la cantillation religieuse. (…) La diction se rapproche ainsi d’une sorte de récitatif liturgique qui installe une atmosphère solennelle ». Elle parle d’« un chœur qui évoque la foule et le peuple et qui n’est pas sans rappeler les voix des fidèles lors des cérémonies religieuses ». Elle ajoute un peu plus loin que Ferré se sert de cette méthode « pour renforcer la portée de son discours, lui conférant le caractère d’autorité incontestable et de vérité indéniable propre aux discours religieux ». On n’a pas assez dit, je pense, l’influence de son éducation catholique sur l’écriture littéraire et musicale de Léo Ferré. Qu’il l’ait rejetée est une chose, que son empreinte soit niée en est une autre. D’où lui viendrait alors cette notion permanente de la transgression et du plaisir dans le péché ? Céline Chabot-Canet a raison d’évoquer ce point qui méritait un plus ample développement. On espère qu’elle y reviendra.
Cette étude est rédigée dans une langue simple, jamais absconse, ce que j’apprécie toujours. Elle est parfaitement accessible à des lecteurs non musicologues, mais l’on n’y apprend rien de fondamentalement nouveau. Il reste que la présente note n’est qu’une indication de lecture : il me paraît délicat, en effet, de faire la critique d’un article critique.
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