Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 23 avril 2007

Sur la prose de Ferré à partir de 1980

Il m’a toujours paru que l’écriture en prose de Léo Ferré était devenue plus complexe à partir de 1980 environ, sans que je puisse nullement cerner les raisons de cette complexité ni le pourquoi de cette date. On sait bien que, lorsqu’une chose se produit, il n’y a pas à cela une raison mais toujours plusieurs.

Je ne prétends pas que la date de 1980 soit rigoureusement exacte et précise. Je me fonde, pour la retenir comme critère, sur la publication dans la presse du premier texte en prose qui présente cette nouvelle manière de l’auteur. À partir de ce moment, la prose de Ferré va devenir plus obscure, plus chantournée. Si la poésie, c’est la métaphore, alors cette prose nouvelle est très poétique. Les phrases paraissent oublier leur sens premier et dévier systématiquement vers l’imaginaire de l’auteur, ce qui, incontestablement, crée un texte très personnel mais risque de dérouter le lecteur dont l’attention pourra se perdre dans ces méandres ferréens.

Avec Guillaume, vous êtes toujours là !, paru dans Le Monde du 29 août 1980 et repris par la suite dans différentes publications, on se trouve face à un texte où l’enchaînement des idées n’est absolument pas évident et où, par conséquent, la compréhension globale peut être remise en cause. On peut, certes, comprendre le propos de l’auteur en isolant certains fragments du texte, pas dans sa totalité. Quand Ferré écrivait de Verlaine en 1961, de Verlaine et Rimbaud en 1964, de Caussimon en 1967, pour ne choisir que ces proses en particulier, on pouvait appréhender tout le sujet. Avec cet Apollinaire-là, il semble laisser derrière lui l’idée directrice d’un texte au profit de thèmes isolés qu’il relie par des exhortations : « Je t’engage, lecteur… », des intonations incantatoires : « Je salue en Guillaume… » On a l’impression que Ferré suit son idée – quelle peut-elle être exactement ? – sans se soucier de donner à son texte une structure vertébrée. Il reste quelques morceaux flamboyants, mais on ne sait pas ce que l’auteur désirait nous dire pour le centenaire de la naissance du poète.

Quelques mois plus tard, le 3 avril 1981 exactement, le même journal publie, dans la rubrique « Libres opinions » une Lettre ouverte au ministre dit de la Justice. Ferré veut appeler l’attention du ministre sur le cas de Roger Knobelspiess. Soit. Mais il en vient à évoquer Knobelspiess aux trois-quarts de sa lettre, et encore avec cette phrase ahurissante : « Le cas spécifique dont je veux vous parler avant d’en terminer, et c’est la raison de ma lettre, est celui de Knobelspiess ». Avant d’en terminer ! Il était temps, en effet. Depuis le début de son article, Léo Ferré avait disserté sur le pouvoir au fil de formules complexes et de phrases de plus en plus longues, en s’autorisant des incises qui font que le ministre ou, plus probablement, ses conseillers, son directeur de cabinet ou simplement son service de presse, n’ont pas dû être très convaincus. Non que le propos ne soit intéressant, que l’adresse, souvent, ne soit culottée. On est chez Ferré, le style ne trompe pas – mais que veut-il nous dire ? Je dis bien « nous » puisque la lettre est ouverte, publiée ? Il est peu vraisemblable que, dans les bureaux du ministère, on ait pu lire avec sérieux : « L’anguille est capable de déceler un centimètre cube d’alcool phényléthylique théoriquement dilué dans une quantité d’eau égale à cinquante fois la contenance du lac de Constance ». Nous disposons aujourd’hui d’un écrit de Léo Ferré mais nous avons le sentiment d’un acte un peu « à côté ». Peut-être, tout simplement, n’ai-je pas su comprendre cette épître mais je ne trouve pas que la route que suit son auteur soit très droite.

Encore ne s’agissait-il, dans ces deux exemples, que de textes courts consacrés à des personnes réelles – mais il n’en ira pas différemment, un peu plus tard, au fil d’un texte théorique qu’on a coutume de classer dans les écrits dits « philosophiques » de Léo Ferré (ce mot s’est imposé pour désigner un ensemble de textes de réflexion).

En février 1984, Actes Sud publie le premier cahier d’une revue-livre intitulée Créativité et folie. Dans cette première livraison (il n’y en aura pas d’autre), Léo Ferré propose un texte qui a pour titre Introduction à la folie. Huit pages de petit format (9 x 18 cm). On retrouve ici les caractéristiques relevées dans les deux proses précédentes : accumulation d’idées développées au fil de paragraphes qui ne s’enchaînent pas, phrases plus longues qu’autrefois… Les idées – celles qu’on peut distinguer l’une après l’autre, dans des « blocs » de texte – sont toujours celles de Léo Ferré : on est en pays de connaissance, assurément. On pourrait, si l’on voulait résumer à outrance, parler d’imagination opposée au pouvoir, ce qui est une constante de la création ferréenne. On ne s’étonnera pas non plus de croiser, au fil des pages, de nombreuses figures habituelles de son imaginaire : les animaux, Einstein, la marge, la musique, le refus. Ce qui est le plus déroutant, j’y insiste,  est l’absence de rapport évident entre les idées, entre le propos d’un paragraphe et celui du suivant.

Dans le n° 9 des Cahiers Léo Ferré, Robert Horville s’est demandé si cette Introduction à la folie n’était pas destinée à être intégrée dans le Traité de morale anarchiste. C’est possible. Cela ferait alors remonter à plus tôt encore (L’anarchie est la formulation politique du désespoir, paru initialement en 1970) cette évolution de l’écriture en prose.

Peut-être est-ce ma propre compréhension qui est en cause, mais ce lieu n’a jamais eu la prétention de dire la certitude, il est aussi celui où s’expriment mes propres interrogations.

00:00 Publié dans Jalons | Lien permanent | Commentaires (42)

Commentaires

Où l’on voit que la théorie du continuum se retourne contre vous Jacques. A propos de la "Lettre ouverte au ministre dit de la Justice" :

" … je ne trouve pas que la route que suit son auteur soit très droite."

Parce que vous croyez que la route que suit Ferré dans les "Lettres non postées" soit très droite ?

A propos de "Introduction à la folie" :

"Ce qui est le plus déroutant, j’y insiste, est l’absence de rapport évident entre les idées, entre le propos d’un paragraphe et celui du suivant."

Parce que vous croyez que les "Lettres non postées" c’est pas écrit à la serpe, sans souci aucun de lier entre eux les morceaux de bravoure sémantique et les structures syntaxiques alambiquées ? Oseriez-vous affirmer qu'on n'y est pas embarqué dans rien, que ça ne se termine pas quasiment toujours en queue de poisson (et quand ce n’est pas le cas, l’éditeur mutile le texte discrétos comme dans Lettre à la folie) ? Que ce n'est pas juxtaposé, éminemment décousu, qu’il y aurait un axe discursif qui ménagerait une place au lecteur en tant que lecteur ?
Fin des années 50, années 80, même combat !

Votre distinction sent le patatra, je le crains.


Par ailleurs, avec mon intervention sur les périodes, je voulais signifier, histoire de préciser une bonne fois pour toute mes intentions, que :

1/ c’est un combat d’arrière-garde de militer pour la suppression des périodes chez Ferré. Ce n’est pas comme ça qu’on revalorisera la période toscane. De fait, le style de Ferré évolue sensiblement entre le last Barclay et la trilogie des musiciens. Entre la trilogie et les premières années 80, etc. L'ignorer c'est zapper l'essentiel : le sens dont Ferré investit son art. Plutôt que de périodes, il convient mieux de parler de « manières » d’ailleurs.

2/ le fait qu’on ait du recul aujourd’hui sur l’élaboration de l’œuvre ne doit pas nous faire oublier que l’on ne doit jamais perdre de vue l’ancrage par lequel Ferré a acquis son statut d’artiste : la chanson. Ce qui doit primer dans la réflexion sur les manières, c’est la chronologie des enregistrements officiels voulue par lui, toujours. La discographie et la façon dont la musique vient actualiser les textes donc. Car elles seules – la part faite des circonstances – reflètent l’interrelation de l’artiste avec la sphère publique, en quoi gît une vérité fondamentale de l’art de Ferré.

Du moins, c'est ce que je crois.

To be continued.

Écrit par : The Owl | lundi, 23 avril 2007

Bon, je vous attendais là, évidemment.

Vous écrivez, dans la première partie de votre commentaire, un lot d'âneries. Dans les Lettres non postées, livre d'ailleurs inachevé, la route est parfaitement droite. Chaque texte (parmi les achevés) est lumineusement clair. Rien n'est écrit à la serpe et tout coule parfaitement. Vous pouvez toujours dire le contraire, c'est votre droit. Aucun des textes achevés ne se termine en queue de poisson. Ce recueil est remarquable et j'ai déjà dit ce que j'en pensais dans un long texte.

J'aime bien ce que vous dites en général, mais j'en ai un peu par-dessus la tête de votre ton, du genre : "Oseriez-vous affirmer". D'abord, j'ose, oui. Ensuite, évitez cette grandiloquence et on se comprendra mieux.

Les Lettres non postées, c'était justement l'exemple à ne pas prendre pour porter la controverse. Vous vous y connaissez en musique et chanson mais, excusez-moi, vous n'avez aucune culture littéraire.

Il n'y a pas de périodes chez Léo Ferré. Vous avez le droit de penser le contraire. En plus, vous assimilez "périodes" et "évolution", ce qui ne signifie rien. Je ne nie pas l'évolution mais, précisément, l'évolution est le contraire des périodes comprises comme des cloisonnements étanches. Si vous parlez de "manières", on se comprend déjà beaucoup mieux.

"La chronologie des enregistrements officiels voulus par lui" est une erreur, ça fait cent fois que je le répète. Il n'en a pas toujours été maître. De toutes façons, il écrivait toujours plus de chansons qu'il ne pouvait en entrer dans un 33-tours, donc beaucoup de choses ont été reportées ne serait-ce que pour ce seul motif. Des choses comme Pacific Blues ont été publiées en 1967 quand elles furent écrites lors de la guerre d'Indochine et enregistrées lors de la guerre d'Algérie (pressage détruit). Les Anarchistes, tout le monde le sait, a été reculé d'une à trois années selon les sources. La clause de contrat expiré chez Barclay a reculé de deux ans le disque Je te donne. La chanson Il est six heures ici et midi à New York a été enregistrée en 1979 et je l'avais entendue en scène au moins cinq ans avant. J'arrête ma liste d'exemples, je ne fais pas de prosélytisme et je vous demande de changer de ton.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 23 avril 2007

Par ailleurs, je dois préciser une chose qui, apparemment, n’a pu être lue entre les lignes : je ne suis pas plus sûr que cela de ce que j’avance dans cette note.

J’ai bien précisé que c’était peut-être ma compréhension qui était en cause. Je ne peux pas dire plus clairement que, peut-être, je n’ai tout simplement rien compris à ces textes. Je suis prêt à le reconnaître sans problème. Une fois encore, ici, je ne dis pas le droit, je donne mon sentiment sur certains points et parfois, comme aujourd’hui, j’expose mes interrogations.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 23 avril 2007

pour the owl:vous confondez deux choses:des ruptures (possibles) dans l'évolution de Ferré,et des ruptures ,"à la serpe" dans son écriture.Les 2 choses n'ont rien à voir!Qu'il y ait une évolution de la poésie/prose ferréenne,heureusement:oui,il n'a pas toujours fait la même chose ni écrit de le même façon:et alors?que faites vous de SA liberté d'écrire ce qu'il a eu envie d'écrire?il y a des ruptures,des collages,des incises,des déviations du sens....En 1904,un ceratain Joyce a publié "Ulysse"",et Ferré a lu les surréalistes,il a lu Céline,Dos Passos,Faulkner,Sartre ,etc
pourquoi aurait-il écrit encore comme au XIXème siècle:Ferré est un poète/écrivain bien implanté dans notre modernité littéraire et artistique,et si vous n'aimez pas,pourquoi diable le lire:rien ne vous y oblige

Écrit par : francis Delval | lundi, 23 avril 2007

je veux juste ajouter que j'aime les "structures syntaxiques"(formule chomskyenne)"alambiquées,les proses baroques et les poèmes difficiles,et ce qui me plaît par dessus tout chez ferré ,c'est qu'il n'a jamais pratiqué l'écriture blanche(qu'on peut lire aussi avec passion quand elle est réussie,ce qui fort rare)

Écrit par : francis Delval | lundi, 23 avril 2007

Mais ce n'est pas la structure syntaxique alambiquée qui m'ennuie, c'est de mal discerner le propos. J'aimerais que d'autres disent leur sentiment sur ces textes en particulier. Encore une fois, si on me montre que c'est moi qui n'ai rien compris, je l'admettrai volontiers. C'est tout à fait possible.

Je crois que je ne parviendrai jamais entièrement à faire comprendre dans quel esprit je tiens ce blog et dans quel esprit je publie parfois des livres sur Léo Ferré. J'ai dû pourtant le dire cent mille fois : je ne sais pas tout ; je ne fais pas de prosélytisme ; ma parole n'est pas d'Evangile ; je ne suis pas plus autorisé qu'un autre. Je dis simplement ce que je sais et pense lorsque j'en suis convaincu ; quand je ne sais pas bien, comme ici, j'avance des idées, je pose des questions. On peut me répondre.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 23 avril 2007

pour jacques:je viens de relire la "lettre ouverte",et je ne me sens pas "dérouté":on retrouve le sens du comique,que Ferré a insufflé assez régulièrement dans ses textes et récitals,et le coup de "l'anguille polytechnicienne" est une blague surréaliste assez réussie ,quand on s'adresse à un pisse-froid du type alain peyrefitte,qui a dû y perdre les restes de son latin..C'est un texte assez drôle,presque une parodie de ces lettres ouvertes d'intellectuels intervenants(...et la cause de Knobelspiess etait-elle défendable?-ce n'est pas le poète Bobby Sands!) qui envahissent toujours la presse sans grande efficacité:pour moi,on est bien ici dans la parodie,ou dans le pastiche,avec un type d'humour qu'on retrouve chez les écrivains tchèques ou slovènes:le coup de l'anguille,pas mal...pas mal...je verrai bien cela chez Kundera..!

Écrit par : francis Delval | lundi, 23 avril 2007

je pense qu'avec la lettre ouverte nous sommes dans la blague,le pastiche:ferré,vous le savez, a un sens du comique bien particulier:le coup de l'anguille polytechnicienne montre bien que cette lettre relève-en partie- du canular....Knobelspiess était-il défendable?Ce n'est pas le poète Bobby Sands...C'est un texte que je trouve fort drôle,qu'on pourrait trouver chez Kundera ou chez Philip Roth.....j'imagine la tête de peyrefitte,ce pisse-froid,lisant ce texte...En même temps,Ferré est,je pense,sérieux en pensant que ce texte de "dérision" puisse avoir un impact
PS:peyrefitte était ,je crois bien polytechnicien,comme l'anguille
je peux aussi me tromper totalement sur le sens du texte,mais il me fait toujours rire

Écrit par : francis Delval | lundi, 23 avril 2007

désolé pour le doublon,dû à une réécriture après procédure d'identification

Écrit par : francis Delval | lundi, 23 avril 2007

Si l'on est dans le registre comique, je comprends mieux. Mais est-ce certain ? Savoir si Knobelspiess était ou non défendable est un autre sujet. A partir du moment où Ferré décide de le faire, je m'étonne qu'il le fasse en utilisant la dérision. Mais je veux bien vous croire.

Et les autres textes ?

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 23 avril 2007

Pour les autres textes,vous le savez,mon point de vue est que Ferré n'est en aucune façon un philosophe,il ignore le travail et la patience du concept,ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas d'idées, de conception du monde,de point de vue moral ou politique:Il n'y a pas de texte philosophique chez Ferré,même s'il y a des pensée ,ou de la pensée.Il n'est pas philosophe parce qu'il ne cherche pas la cohérence:"l'introduction à la folie en est un bon exemple:il procède par métaphores,par juxtaposition d'images,c'est très écrit,mais,guidé par le titre,il n'y a pas de souci de suite des idées:le guide,c'est l'image,le mot (je n'ai pas relu le texte récemment,tel il est dans mon souvenir).Il y a des ruptures qu'on ne trouverait pas dans un texte de philo(je ne dis pa de philosophe:ils peuvent écrire autrement à l'occasion)
On a beaucoup glosé sur la reprise par Ferré après tant d'autres de la formule fameuse de Stirner:"je n'ai basé ma cause sur rien"C'est bien joli,mais la traduction est mauvaise:
on peut traduire comme Althusser:"je n'ai placé ma cause dans rien"(c'est dejà mieux),ou littéralement"j'ai fondé ma cause sur le Rien" (der Nichts:le Rien, le Chaos,le Vide,le Néant...toutes traductions possibles)
se fonder sur le chaos,c'est se placer dans la tradition matérialiste de Démocrite ou Epicure.Se fonder sur sur le vide,l'absence de concept,c'est un Stirner qui serait proche de Machiavel tel que le lit Althusser ,voire de Heidegger!En philo,chaque mot doit etre pesé.Même chez Nietzsche,tout est pesé....au delà des métaphores
je ne dis pas cela pour faire savant(ce sont des choses qu'on trouve partout),mais il manque à Ferré la rigueur des concepts,et le tirer vers la philo,c'est manquer l'essentiel:l'errance poétique dans la métaphore et le vocabulaire,y compris des mots de la philosophie qu'il traite comme comme les autres mots
lisez "l'introduction à la folie"comme on peut lire "je parle à n'importe qui" ou "la méthode" et non pas commele critique de la raison pure (ou "mandragore" chez ferré..Le titre de Ferré est quand même plus attirant)
Ceci donné comme simple proposition et non comme Vérité
incontournable
(ps:ma pause a été bien courte)

Écrit par : francis Delval | lundi, 23 avril 2007

Je partage depuis longtemps le sentiment de Jacques sur le peu d'intelligibilité des derniers textes. Alors comment faut-il interpréter cela? Est-ce l'aveu d'un échec? Doit-on faire intervenir des facteurs personnels? Est-ce l'aboutissement finalement logique d'une pratique d'écriture (dont on a beaucoup parlé ici)? Ou une sorte d'"effet Rimbaud" (ne plus écrire enfin...)?

Y a-t-il d'ailleurs beaucoup de ces "derniers textes"?
Comme Francis, je trouve gênant que certains aient voulu faire de Ferré un philosophe (ça entre dans le "en plus d'être..., il était..."). Bientôt, on apprendra que c'était AUSSI un grand pâtissier, quand on trouvera un bout de papier sur lequel il aura écrit un début de recette de cuisine. Il est grotesque et malhonnête de vouloir faire passer un plan de "traité" pour un grand oeuvre philosophique. Il faudra un jour définitivement renoncer à ne marcher que sur l'"épate", avec des "arguments" comparables aux jolies formules que l'on trouve sur les étiquettes des paquets de biscuits ou des aérosols de produits d'entretien, pour accepter de regarder cette oeuvre, en prenant des risques. Et "on" se revendique d'une "critique moderne", pour disqualifier les autres, incultes et analphabètes, voyons... De toute façon, il ne sert à rien de le signaler, vu le niveau général et le degré de silence accepté/imposé qui rajoutent au dégoût...

Aussi, Jacques, je vous trouve un peu dur et injuste (euphémisme) de tancer ainsi The Owl. Il faudra une relève et il est bon de continuer de dialoguer avec les djeuns et s'ouvrir un peu. A moins que la Ferrétie soit comparable à ces sectes qui, logiquement, aboutissent à une autodestruction, ce dont je suis de plus en plus persuadé d'ailleurs.

Je "croirai tout à fait en" vous, lorsque vous mettrez la même pugnacité intellectuelle à procéder à un examen critique des textes parus dans les deux publications auxquelles vous collaborez. Votre silence à ce sujet fragilise les comptes rendus, très instructifs, que vous nous avez faits d'articles peu connus. Ne voyez pas là une attaque contre votre personne, mais c'est là que l'on se dit: "dommage!". Il est certes bien plus facile d'envoyer paître un bloggeur ou forumeur somme toute "bénévole". Déjà que peu de personnes participent dans les espaces de discussion sur Ferré... Cela dit, c'est sans doute ce qu'on attend - pas vous bien sûr.

Francis, les philosophes sont parfois de bons métaphoriciens. Un concept philosophique, cela doit bien avoir quelque chose à voir avec une métaphore... Cela n'invalide pas ce que vous dites par ailleurs.

Écrit par : gluglups | mardi, 24 avril 2007

Oui,bien sûr,il y a des liens entre concepts et métaphores,certains concepts ne sont que des métaphores "fossilisées"...Que Ferré ne soit pas "philosophe"n'entraîne pas que les textes dont nous parlons ici soient dépourvus de toute valeur littéraire,il y a une "charge" poétique indéniable
pour revenir à la lettre ouverte et à l'anguille ,ce genre de décalage me faisait ,disais-je,penser à Kundera ,voire au philosophe slovène slavoj zizek,qui balance de grosses blagues au milieu de très sérieux travaux sur Hegel ou Lacan.
....à la réflexion,ce genre d'article est assez proche de ceux de Jarry,(ceux réunis sous le titre:la chandelle verte),avec des remarques pseudo-scientifiques ou loufoques:Ferré pataphysicien plus que métaphysicien?une voie à explorer

Écrit par : francis Delval | mardi, 24 avril 2007

Je réponds ainsi à The Owl par agacement envers son ton, et pourtant je patiente depuis longtemps. La relève ? Mais je ne parle que de ça et je lui en ai justement parlé à lui. J'attends toujours... J'ai dit je ne sais combien de fois que j'étais prêt à passer la main -- mais personne ne la prend, cette main.

Je voudrais bien, aussi, qu'on participe davantage. Ici, notamment.

Revenons donc aux textes dont je parlais. Francis a avancé quelques idées auxquelles je réfléchis. J'avais toujours pris cette lettre à Peyrefitte comme quelque chose de très sérieux. S'il s'agit plutôt de dérision, je comprends mieux et cela ouvre une autre perspective. Au premier degré, comme je l'entendais jusque là, je ne comprenais pas.

Pour les Cahiers, j'ai fait remettre le numéro 10 sur le métier parce que des choses n'allaient pas, à mon avis. Quant aux Copains, Francis va y publier un article de derrière les fagots, comme on dit.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 24 avril 2007

pour la lettre à Peyrefitte,je ne fais que donner mon sentiment,je n'ai pas forcément la "bonne lecture"....mais la seule lettre ouverte qu'il publie dans la presse à un ministre ne comporte que quelques lignes sur le sujet....Comment comprendre s'il ne s'agit pas de dérision et de comique?je ne sais
d'autres avis seraient utiles

Écrit par : francis Delval | mardi, 24 avril 2007

Eh oui, mais il n'y a pas d'autres avis.

Plus j'y pense, plus je me dis que vous devez avoir raison. Comment comprendre différemment puisque le sort de Knobelspiess est abordé tout à fait à la fin ?

D'une manière générale, Gluglups a posé plus haut les bonnes questions : " Je partage depuis longtemps le sentiment de Jacques sur le peu d'intelligibilité des derniers textes. Alors comment faut-il interpréter cela? Est-ce l'aveu d'un échec? Doit-on faire intervenir des facteurs personnels? Est-ce l'aboutissement finalement logique d'une pratique d'écriture (dont on a beaucoup parlé ici)? Ou une sorte d'"effet Rimbaud" (ne plus écrire enfin...)?"

Je tiens en effet qu'un texte, aussi alambiqué soit-il, aussi difficile puisse-t-il être, aussi ardu, doit demeurer intelligible. Et Léo Ferré disait toujours qu'il voulait être compris, justement. Alors ?

Gluglups se demande aussi si ces "derniers textes" sont nombreux. Je ne crois pas. J'ai choisi trois exemples parce que ce sont ceux qui me trottent dans la tête depuis longtemps et parce que je pense que multiplier les exemples dans une note ne sert à rien qu'à se perdre en route. Dans un livre, ce serait autre chose. Donc, trois, ça m'a paru "parlant".

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 24 avril 2007

Belleret a résolu le pb,en ne prenant en compte que les passages "sérieux" de la lettre ouverte,et il fait -pudiquement-l'impasse sur le reste

Écrit par : francis Delval | mardi, 24 avril 2007

Ici, je tente comme je le peux de ne faire l'impasse sur rien. Même pas sur ma gêne vis-à-vis de ces textes, même pas sur l'impression ennuyée qui pourrait être la mienne, à dire que je ne les ai pas réellement compris.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 24 avril 2007

"ne plus écrire enfin",c'est le début d"Allende"...les proses se font rares à partir de 78-80...il y a les proses-calligrammes de "l'éternité de l'instant" et puis ?...Egmont?Mais c'est aussi le temps des grands poèmes:Death..métamec....ceci rattrape cela.....Jacques,on ne comprend jamais tout....il y une part d'obscurité chez tous les créateurs.Jean-Jacques Brochier,dans son pamphlet contre Camus philosophe, écrivait méchamment:"il est clair comme les rivières sont claires:on voit tout de suite le fond"
Sans la part d'ombre,nous aurions une littérature non métaphorique,et ce serait d'une grande tristesse.Cela vaut pour toute oeuvre d'art:elles nous dérangent,nous déboussolent,on met parfois des années à comprendre un philosophe,à saisir le sens d'une oeuvre picturale,à trouver l'entrée d'un grand roman,qu'on a abandonné dix fois...
C'est plutôt positif,non?
(je trouve le coup de l'anguille de plus en plus pataphysique...mais pourquoi diable a-t-il associé cette blague à la Jarry à la défense de Knobelspiess?that is the question!)

Écrit par : francis Delval | mardi, 24 avril 2007

Je veux bien admettre que je n'ai pas compris, aucun problème. Faut-il encore être sûr qu'on n'est pas, tout simplement, passé à côté de ce que tout le monde a compris. C'est plus délicat.

Surtout, je tiens beaucoup à étudier le Ferré prosateur : il y a plus de proses qu'on ne croit, tout au long de ce demi-siècle de création. Il y a longtemps que ça me trotte dans la tête, ça. On étudie toujours sa poésie, mais il y a pas mal de proses. Dans les autres, je crois entrer sans difficulté, en tout cas pour l'essentiel. Celles-là me turlupinent depuis 1980 pour la plus ancienne.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 24 avril 2007

mais les proses de Ferré sont parfois obscures,et vous n'êtes pas le seul à vous casser la tête devant certains textes de Ferré,moi c'est pareil,mais pas plus que devant certaines proses surréalistes ou de poètes-ou philosophes-de notre temps...j'ai mis des années avant de comprendre certaines expressions ou métaphores ...Il faut attendre le bon moment
Ferré est un poète et prosateur difficile,complexe et parfois retors,c'est ce qui fait qu'il nous passionne et occupe un part de notre vie

Écrit par : francis Delval | mardi, 24 avril 2007

Je pense qu'il y a au moins deux sortes d'incompréhension.

Il y a les oeuvres qu'on ne comprend pas, pas du tout. En général, on dit alors qu'on n'aime pas. Vrai, faux, c'est selon. En tout cas, on ne comprend pas.

Et puis, il y a les oeuvres dans lesquelles on se sent bien (ce qui ne signifie pas qu'elles soient confortables). Et, dans ces oeuvres, quelques fragments restent hermétiques sans qu'on sache pourquoi. Cela ne remet pas en cause l'appréhension globale de l'oeuvre, mais ça intrigue. Quand l'écueil disparaît au bout de quelques lectures, ça va. Quand la difficulté ou l'incompréhension demeure vingt-sept ans plus tard, on se pose des questions.

Ce sont ces questions que j'ai voulu partager.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 25 avril 2007

Jacques, ce blog ne doit pas s'arrêter. Il est, à mes yeux essentiel dès l'instant que l'on porte intérêt à l'oeuvre ferréenne.
Cependant, les commentaires sont parfois suffisants et pédants, ce qui donne envie de " retourner vers les oiseaux".

Écrit par : lmv | mercredi, 25 avril 2007

Merci, vraiment, pour vos encouragements, mais... je ne comprends pas bien, en ce qui concerne les commentaires. Je ne pense pas qu'il faille les ressentir comme pédants. Ce lieu est d'abord un endroit libre et je suis content lorsque chacun s'y sent chez soi. Ensuite, il devient un lieu de réflexion où tout est resté amical depuis près de six mois, ce qui est rare sur internet -- à mon petit agacement près, l'autre jour, mais c'est fini, bien sûr. Cela dit, je ne peux ni ne désire orienter les commentaires dans quelque direction que ce soit. C'est bien, que chacun agisse comme il l'entend.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 25 avril 2007

Continuez ainsi Jacques.
Fraternellement à vous.

Écrit par : lmv | mercredi, 25 avril 2007

On s'aperçoit au tournant des années 80 que la prose de Léo Ferré est plus complexe ? L'argumentation de Jacques est convaincante et les trois textes cités à l'appui illustrent bien ce propos. Pour ce qui me concerne, quand l'étude et les commentaires s'intellectualisent un peu trop à mon goût ou pour mon niveau j'en retiens ce que je peux et aussi ce que je veux bien... et puis je pars à la pêche avec ça.
S'agissant de prose Jacques a fait un choix et nous a proposé de le suivre sur ce chemin. Mais d'autres textes écrits (ou en tout cas publiés dans cette période) auraient pu être également envisagés et les conclusions que nous en aurions tiré auraient pu être différentes selon les sélections opérées, notamment quant à l'obscurité du sens. Les proses auxquelles je pense sont les nombreux textes de circonstances non compilés à ce jour : intro en 1981 à la préface déjà ancienne de Mes chansons des 4 saisons de JR Caussimon ; préface en 1983 à « Libertaires, mes compagnons de Brest et d’ailleurs » de R Lochu ; sur le talent du peintre Bernex en 1987 ; présentation d'un livre sur Hubert-Félix Thiefaine en 1988 ; idem en 1989 sur André Villers ; préface au roman Scrupules de JM Lambert en 1992 etc. Il me semble que l'on peut parler de limpidité quant au sens, et souvent qualifier de "poétiques" ces portraits tracés au plus juste. D'autres textes plus littéraires ou circonstanciés me paraissent tout aussi clairs : Une page n’est jamais blanche(1984) ; Le noir et l’érotisme (1987) ; Paname... O fille inquiète (1989) ; Je suis un révolté permanent (1991-1993) etc... Peut-être que pour ces derniers textes on perçoit une sorte de tentation à l'hermétisme, mais le souci premier me paraît être celui d'une contribution à la littérature, simplement et joliment ! Devant la difficulté de catégoriser l'oeuvre de Léo Ferré Michel Tournier parlait à raison je trouve "d'oeuvre ardente et désordonnée"...
Ah j'oubliais, mais je pense que cela n'a échappé à personne, dans cette période Léo Ferré a également exploré la rubrique "recette de cuisine" avec beaucoup d'humour et de savoir-faire (cf. La daube chérie)...

Écrit par : Beuzac | mercredi, 25 avril 2007

"Vous écrivez, dans la première partie de votre commentaire, un lot d'âneries. Dans les Lettres non postées, livre d'ailleurs inachevé, la route est parfaitement droite. Chaque texte (parmi les achevés) est lumineusement clair. Rien n'est écrit à la serpe et tout coule parfaitement. Vous pouvez toujours dire le contraire, c'est votre droit. Aucun des textes achevés ne se termine en queue de poisson."

Ah bon ? Quelle est la signification de la dernière phrase de Lettre à l’Angleterre ?
Le sens des points de suspension, de cette intrusion du maquillage par rapport à tout ce qui précède concernant le chien Sammy, du passage du nous au je ? Moi ça m’échappe.

Par ailleurs, et en l’état, quel sens donner à la fin – si tant est qu’il y en ait une - de A la folie ?
Je veux dire : les différents mouvements du texte (signifiés par les trois passés composés) aboutissent à quoi ?

Et dans Au tout-Paris, une phrase comme "Les premières sont les derniers endroits à ne pas mettre un chien dedans." ça coule parfaitement niveau syntaxe et sens ?

Et les descriptions "objectives" qui se transforment tout à trac en prise à partie (au miroir : "Rêve donc tout seul !"), ce ne sont pas des sautes dans la continuité du discours ?

Et pensez-vous que les excuses qui accompagnent l’obsession métalinguistique pour les clichés littéraires soient vraiment adressées au lecteur ?

Et dans A un jeune talent, vous pensez que la liste d’aphorismes est structurée par un mouvement "lumineusement clair" au point que le milieu et la fin ne pourraient s’intervertir sans grand dommage pour le sens global ?


Les aphorismes en rafales donnent-ils le sentiment d’un discours ordonné - qu’on est en droit d’attendre du genre épistolaire dans lequel vous-même nous dites que ferré s’inscrit ?


Je suis votre bon lecteur Jacques.

Écrit par : The Owl | jeudi, 26 avril 2007

Beuzac : Daube chérie, effectivement une recette de cuisine, est un texte en soi, mais là, il n'y a pas d'incertitude, on s'amuse franchement. C'est la seule fois de ma vie où j'ai lu une recette (il faut dire que je n'en lis guère) comme un texte à la fois fin et marrant.

Les autres proses que vous citez -- il y en a tant et tant, qu'on pourrait énumérer aussi -- ne m'arrêtent pas pour ce qui est de la compréhension. Les trois que j'ai citées, oui. Parce que celles que j'ai citées (au moins Apollinaire et Knobelspiess) sont de circonstance, davantage que des préfaces qui auraient aussi bien pu être faites à un autre moment, selon les opportunités éditoriales (d'ailleurs, le Caussimon date de 1967 ; la "mise à jour" de 1981 consiste en quelques lignes et une note de bas de page, uniquement). Là, il s'agissait de l'anniversaire d'Apollinaire et, par ailleurs, d'un homme dans l'actualité du moment. Je pensais par conséquent, peut-être naïvement, qu'ils auraient dû (pu) être clairs et je ne les trouvais pas tels. Ce que je voudrais, c'est parvenir à cerner cette tentation de l'hermétisme : son pourquoi et sa naissance. Cela pose les problèmes habituels : le pourquoi, ce n'est certainement pas une seule raison mais plusieurs ; la naissance, ce n'est certainement pas un moment précis, mais une évolution, peut-être un glissement.

Je répète que je ne suis sûr de rien dans ce domaine et que je cherchais à comprendre et à ce qu'on m'aide à comprendre. Cela a commencé, d'ailleurs.

The Owl : vous êtes un casse-pieds que j'aime bien quand même. Je ne peux pas répondre sans avoir les textes sous les yeux, naturellement. Je vous répondrai donc ce soir, avec le livre en face de moi.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 26 avril 2007

en relisant les commentaires de cette note et d'autres notes aussi,j'en suis venu à penser que certaines incompréhensions reposaient d'une part sur le malentendu,mais aussi d'autre part sur le maintien non justifié de catégorisation obsolète des textes,qu'il s'agisse de Ferré ou de quelqu'un d'autre..Nous (je m'y englobe) pensons toujours en terme d'opposition prose/poésie,comme M.Jourdain,pour Ferré nous distinguons les chansons/poèmes en vers,en vers libre,les poèmes en proses,les proses romanesques,polémiques,les textes dits abusivement "philosophiques...etc.Or,ce sont quand même des catégories que la littérature,comme la critique (sérieuse) ont largement remis en question.
On éviterait des polémiques inutiles en distinguant "simplement" le poème,qu'il fût en vers ou en prose,peu importe,(caractérisé par la métaphore et le rythme) du "non-poème",texte informatif ou métalinquistique ou récit etc...d'où s'absenteraient rythme et métaphore.Jacques ,vous,vous savez que je n'ai jamais "trié" les types de textes de Ferré,car dans presque tous ,c'est le rhytme et la métaphore qui dominent

Écrit par : francis Delval | jeudi, 26 avril 2007

Mais je ne veux surtout pas trier ! Seulement, je suis bien obligé de sérier les problèmes. Le cadre de notes sur un blog, fussent-elles longues, ne permet pas toujours une vision globalisante, simultanée. Il faudrait pour cela l'espace d'un livre, par exemple. Ici, je suis contraint de procéder par touches fragmentées (pas fragmentaires, fragmentées).

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 26 avril 2007

Bon, je reviens aux questions de The Owl, à présent.

« Ah bon ? Quelle est la signification de la dernière phrase de Lettre à l’Angleterre ?
Le sens des points de suspension, de cette intrusion du maquillage par rapport à tout ce qui précède concernant le chien Sammy, du passage du nous au je ? Moi ça m’échappe ».

Mais c’est inachevé, tout simplement. En tout cas, cette idée-là est inachevée. C’est l’esquisse d’un développement laissé en plan. En tout état de cause, cela ne gêne nullement la compréhension du texte. Onze pages ne sont pas remises en cause par une phrase.

« Par ailleurs, et en l’état, quel sens donner à la fin – si tant est qu’il y en ait une - de À la folie ?
Je veux dire : les différents mouvements du texte (signifiés par les trois passés composés) aboutissent à quoi ? »

Je ne comprends pas la question et je ne vois pas de passés composés. De quoi parlez-vous ?

« Et dans Au tout-Paris, une phrase comme "Les premières sont les derniers endroits à ne pas mettre un chien dedans" ça coule parfaitement niveau syntaxe et sens ? »

La compréhension est entière. Le sens n’est nullement altéré par une syntaxe familière. L’expression « à [ne pas] mettre un chien dehors » et, a contrario, « à [ne pas] mettre un chien dedans » fait partie du langage courant. Dans l’imaginaire ferréen, le chien a par ailleurs, comme vous le savez, une grande importance et faire figurer un chien dans l’assistance d’un soir de première est horrible pour lui. Vous m’obligez à paraphraser. Dit comme je le dis, c’est nul. Dans une phrase de Ferré, c’est mieux.

« Et les descriptions "objectives" qui se transforment tout à trac en prise à partie (au miroir : "Rêve donc tout seul !"), ce ne sont pas des sautes dans la continuité du discours ? »

Non, absolument pas. Ce sont des ruptures de rythme, des changements de tempo, exactement comme il en fait en musique. En aucun cas, le sens, ici, n’échappe au lecteur.

« Et pensez-vous que les excuses qui accompagnent l’obsession métalinguistique pour les clichés littéraires soient vraiment adressées au lecteur ? »

Je ne comprends pas. De quoi parlez-vous exactement ?

« Et dans À un jeune talent, vous pensez que la liste d’aphorismes est structurée par un mouvement "lumineusement clair" au point que le milieu et la fin ne pourraient s’intervertir sans grand dommage pour le sens global ? »

Liste d’aphorismes ? J’en vois deux ou trois, pas davantage. Je ne pense pas qu’on pourrait intervertir début et fin, je trouve au contraire qu’il y a une progression. Je ne vous dis pas que cette progression est logique, cartésienne. Elle existe cependant et le lecteur n’est pas en butte à l’inintelligibilité.

« Les aphorismes en rafales donnent-ils le sentiment d’un discours ordonné - qu’on est en droit d’attendre du genre épistolaire dans lequel vous-même nous dites que Ferré s’inscrit ? »

Mais de quels aphorismes parlez-vous ? Dans quel texte ? Il faut savoir ce dont on parle. Les aphorismes, il y en a dans toute l’œuvre de Ferré. Son sens de la formule qui frappe, qui « jette du jus » comme on dit, est bien connu. De quelle Lettre non postée parlez-vous ici, précisément ? Si c’est toujours d’À un jeune talent, je n’en vois pas tant que ça. Je suppose ensuite que la fin de votre question est une allusion à ma phrase : « C’est en cela que Ferré, s’inscrivant dans un genre littéraire existant, le secoue et le marque », qui figure dans le texte sur les Lettres non postées. Eh bien, justement, il le secoue. Comme il le fait de tous les genres existants qu’il a explorés en les pervertissant-travestissant-modelant-modifiant-éclatant (le mot que vous voudrez). Enfin, les aphorismes (lesquels ?), en quoi est-ce incompatible avec un discours ordonné ? Le discours serait désordonné si l’on ne comprenait pas de quoi il s’agit. Dans les Lettres non postées, je ne vois, en toute sincérité, aucun obstacle à la compréhension du sens.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 26 avril 2007

pour "la folie",the owl pense sûrement aux phrases au passé composé qui scandent le texte:
Alors vous m'avez donné la main
alors vous m'avez souri
Alors vous m'avez dit "viens !"
alors vous m'avez dit "entre!"
donc quatre,mais pas trois,et s'il ne connaît que la version de lmelm,il peut être dérouté,car la dernière phrase a été "caviardé"(on peut comprendre pourquoi,mais c'est dommage)
Alors vous m'avez dit:"Je m'appelle Madeleine....."
sans cette phrase,le texte fait "inachevé"

Écrit par : francis Delval | vendredi, 27 avril 2007

Si c'est cela, je n'avais pas compris. Les mouvements du texte ne sont alors pas signifiés par des passés composés mais scandés par eux. Ce n'est pas la même chose.

Les différents mouvements du texte aboutissent à la phrase : "Alors vous m'avez dit : je m'appelle Madeleine". C'est l'auteur lui-même qui avait décidé la suppression de cette phrase. Elle se fait dans je ne sais plus quelle réédition du volume de Charles Estienne. On peut estimer que c'est regrettable, mais c'est une décision de l'auteur, lorsque le texte ne figure que chez Seghers. Quand La Mémoire et la mer publie les Lettres non postées, le principe est le suivant : pour ce qui avait déjà été rendu public, retenir la dernière version voulue par l'auteur ; pour les choses nouvelles, aucune modification (dans Lettre à l'Angleterre, Madeleine a toute sa place). Je donne ces indications comme un renseignement, uniquement.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 27 avril 2007

ok,Jacques...Je n'ai jamais consulté les autres éditions du Seghers.Cette suppression est regrettable au plan poétique,mais Ferré est maître de ce qu'il écrit.J'étais intrigué par le fait que Madeleine figurât dans la lettre à l'angleterre et non dans celle à la folie.Merci du renseignement

Écrit par : francis Delval | vendredi, 27 avril 2007

"et non dans celle à la folie", dites-vous. Attention, on dit toujours Lettre à la folie. C'est très ambigu, ce titre. Il ne s'agit pas du tout d'une lettre écrite "à la folie", comme il y en a une "à mon habit" ou "à un jeune talent" ou "à un portemanteau". Ici, le scripteur ne s'adresse pas à la folie. Il s'agit d'un texte sur un amour fou. "A la folie" doit être compris comme signifiant "aimer à la folie".

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 27 avril 2007

oui,le titre est "à la folie",mais le texte est bien une missive adressée à "Madame".Sinon, il n'aurait pas sa place dans le recueil.
qui est "Madame",la folie? ou plus vraisemblablement Madeleine? C'est très ambigu,dès que la dernière phrase disparaît....Je comprends que des lecteurs peu rompus aux textes ayant de multiples niveaux de lecture possibles et simultanés soient déroutés

Écrit par : francis Delval | vendredi, 27 avril 2007

Ce texte est le seul dont le titre ne suive pas la même logique, la même syntaxe, que les autres, dans ce recueil. Je ne sais pas pourquoi. Tous les textes s'intitulent "Lettre à..." ou bien "A..." Dans ce cas précis, on a "A la folie" qui danse sur le fil de l'ambivalence. Cela peut signifier : "Je vous aime à la folie" ou bien "A la folie" dans le sens où la femme à qui s'adresse le scripteur est assimilée à la folie, par l'intensité de l'amour qu'il éprouve pour elle (autrement dit : "à MA folie"... et là, ne pense-t-on pas à une réminiscence de Rimbaud : "A moi. L'histoire d'une de mes folies" ? Mêmes réminiscences que celles qui, du Bateau ivre, emplissent Le Bateau espagnol).

Dans tous les cas, honnêtement, la compréhension du texte n'est pas entravée. Il s'agit d'une lettre d'amour, parfois à la limite de la préciosité comme je l'avais dit dans le texte correspondant.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 27 avril 2007

"La compréhension est entière. Le sens n’est nullement altéré par une syntaxe familière. L’expression « à [ne pas] mettre un chien dehors » et, a contrario, « à [ne pas] mettre un chien dedans » fait partie du langage courant. Dans l’imaginaire ferréen, le chien a par ailleurs, comme vous le savez, une grande importance et faire figurer un chien dans l’assistance d’un soir de première est horrible pour lui."

« à ne pas mettre un chien dedans » est une proposition négative. « Les premières sont les derniers endroits » a un sens négatif. Très simplement, grammaticalement, moi je comprend que les premières ne sont pas des endroits où il ne faut pas mettre un chien. Ainsi donc, les premières sont les premiers endroits où mettre un chien dedans.

Ah bon ? Pourquoi ? Comment ? Le sens général du texte (ici doublé de notre connaissance de l’imaginaire ferréen) nous incline effectivement à penser que les chiens sont trop nobles pour se commettre dans la tourbe des premières.
Et pourtant, grammaticalement, la phrase nous dit l’exact inverse.

Ici, la queue de poisson syntaxique brouille le sens et jette un voile de confusion sur un sentiment général pourtant clair…

Pareil pour Lettre à l’Angleterre. La phrase finale est problématique, d’autant plus que ce qui précède est développé un peu dans la durée. Elle ne gêne certes pas la compréhension de ce qui précède mais plonge le lecteur dans un sentiment de perplexité du type : « tout ça pour ça ? »
C’est ce que j’appelle la fin queue de poisson. Rien dans le texte ne nous signifie que nous basculons dans un autre statut du texte qui serait le brouillon. Dès lors, l’éditeur est fautif de ne pas avoir indiqué en note ce basculement. Tel quel, et avec l’œil naïf du lecteur lambda (que vous oubliez quand ça vous arrange Jacques), la phrase finale reste obscurissime.



"« Et les descriptions "objectives" qui se transforment tout à trac en prise à partie (au miroir : "Rêve donc tout seul !"), ce ne sont pas des sautes dans la continuité du discours ? »
- Non, absolument pas. Ce sont des ruptures de rythme, des changements de tempo, exactement comme il en fait en musique. En aucun cas, le sens, ici, n’échappe au lecteur."

Le sens échappe au lecteur dans la mesure où la description qui précède n’explique en rien ce qui dans l’objet susciterait une ire si soudaine. C’est un peu comme si Ferré s’excitait brutalement tout seul. Du coup, il véhicule de lui-même une image revancharde.
Moi je veux bien qu’on me dise que je n’ai aucune culture littéraire, mais une chose est sûre, s’il faut un décodeur même pour un type qui n’est pas particulièrement ignorant de Ferré, c’est donc que c’est en partie hermétique. Si c’est hermétique, années 80, années 50, même combat !
Et nous revenons à ma critique de départ.

L’écueil de l’amphigourisme guette Ferré de tous temps.



"« Et pensez-vous que les excuses qui accompagnent l’obsession métalinguistique pour les clichés littéraires soient vraiment adressées au lecteur ? »
- Je ne comprends pas. De quoi parlez-vous exactement ?"

Je veux dire que, tel que je l’ai ressenti à la lecture et sans approfondir quelque analyse que ce soit, Ferré fait de la rhétorique en disant grosso modo « excusez-moi d’utiliser des clichés ». Faire de la rhétorique, au sens où on peut parler de question rhétorique. Par le simple fait de s’adresser à des objets, à des sociotypes, Ferré n’établit pas de dialogue avec ce à quoi il s’adresse, pas plus qu’il ne cherche à nous faire une démonstration ; il s’agit juste de divaguer, il soliloque donc, d’où le verbalisme rampant.
Or qui dit verbalisme, dit exclusion du lecteur. Qui dit exclusion du lecteur, dit livre qui tombe des mains.

Ce n’est pas un hasard si les lettres adressées à des personnes physiques comme Madeleine ou Breton sont les plus émouvantes.

Certaines autres sont très réussies aussi, mais sur le mode du seule exercice de style (Au miroir, A une lettre anonyme, A mon habit).


"Liste d’aphorismes ? J’en vois deux ou trois, pas davantage. Je ne pense pas qu’on pourrait intervertir début et fin, je trouve au contraire qu’il y a une progression. Je ne vous dis pas que cette progression est logique, cartésienne. Elle existe cependant et le lecteur n’est pas en butte à l’inintelligibilité."

Pouvez-vous nous l’indiquer s’il vous plaît cette progression ?
Je ne dis pas en l’occurrence qu’elle est inintelligible mais qu’elle pourrait être différente sans que le sens général soit modifié, et donc que la structure du texte est faible.
Donc, aphorismes, maximes, formules, tout ce que vous voulez, on est face à une juxtaposition amovible, autrement dit une liste.


Il y a donc des obstacles de différentes natures à la compréhension de la signification d’ensemble, du propos poursuivi par Ferré (qui nécessite un début, un milieu, une fin).
Par ailleurs, l’éditeur ne facilite pas la tâche !

Je vous pose la question suivante : est-il plus important de rétablir le texte dans son intégrité poétique, dans sa signification première (dans A la folie, contrairement à Guesclin, il n’y a pas de recréation, juste il enlève une brique qui fait tout s’effondrer) ou de respecter servilement la volonté auto-mutilatrice d’un artiste guidé par des affects violents (dont je ne remets pas en cause la légitimité ou quoi) ?
Le surmoi Ferré doit-il planer sur le travail de l’éditeur ?
Le parti-pris de LMELM ici dessert l’œuvre de Léo Ferré.

Ce n’était pourtant pas bien compliqué de rétablir le texte dans son unité originelle et indiquer en note que lorsque Ferré a rendu public ce texte il a biffé Madeleine.

Enfin, j'dis ça, j'dis rien...

Écrit par : The Owl | vendredi, 27 avril 2007

Mon cher Owl, nous allons en rester là parce que chacune de mes réponses entraîne d'autres questions de votre part et que, de toute façon, nous n'avons pas la même optique. Personne ne convaincra personne, ce n'est pas grave.

Par ailleurs, il y a une confusion. J'ai beau le dire et le répéter, ça continue : ce n'est pas à moi qu'il faut adresser des observations concernant l'éditeur. Si vous avez quelque chose à dire à La Mémoire et la mer, dites-le à Mathieu, pas à moi. Je le répète sans arrêt. Les décisions d'ordre éditorial ne m'appartiennent pas. L'ayant-droits et l'éditeur, c'est Mathieu.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 28 avril 2007

"Mon cher Owl, nous allons en rester là parce que chacune de mes réponses entraîne d'autres questions de votre part et que, de toute façon, nous n'avons pas la même optique. Personne ne convaincra personne, ce n'est pas grave."

Mon cher Jacques, je prends le temps d’argumenter très précisément mon point de vue, croyant qu’une vraie discussion est possible, et puis non, vous rompez ("comme un palefrenier" ?) !
C’est décevant.
Je pensais qu’on pouvait un peu aller au fond des choses ici, mais apparemment non. Surtout quand il s’agit de désacraliser la teneur qualitative de ce dont on parle j’ai l’impression…

Par ailleurs et une bonne fois pour toutes, je ne vous mets pas en cause dans le travail éditorial tel qu’il a été fait puisque je sais pertinemment que vous n’y avez pas participé, mais je puis ici mettre en cause d’un côté votre absence de jugement critique sur des parti-pris éminemment critiquables, et de l’autre le fait justement que vous n’ayez pas participé au processus d’édition.

Car enfin on peut légitimement vous poser la question : pourquoi votre article n’a pas été intégré au livre comme préface ?
C’est une question naïve et grave à la fois, vraiment, parce que s’il faut aller à chaque fois chercher un décodeur sur le site de Jacques Layani, on exclut d’emblée la majeure partie du grand-public qui serait éventuellement attirée par la publication des inédits de Ferré.
On reste entre-soi, dans l’autosatisfaction ferrémaniaque, à se plaindre que Léo n’est pas reconnu à sa juste valeur.
Le rêve !

Les lecteurs ne sont pas tous des petits Jacques Layani en herbe avec 30 ans de pratique ferréenne derrière eux ; il me paraît sain de rappeler cette évidence que l’absence de paratexte éditorial dessert l’œuvre de Ferré (pour certaines des raisons que je viens de développer plus haut donc), et si certains s'en trouvent agressés, vous m’en voyez bien désolé, mais nous ne sommes pas des Bisounours, n’est-ce pas ?

Soit dit en passant, il se trouve que Mathieu ne daigne pas répondre à mes mails.

Écrit par : The Owl | samedi, 28 avril 2007

Mon article n'a pas été intégré au livre parce qu'il n'était pas achevé et parce qu'on ne m'a rien demandé. Je l'ai déjà dit dix fois. A l'exception de mes livres et de ce blog, tout ce que j'ai fait à propos de Léo Ferré m'a été demandé. Autrement, je ne me mets pas en avant.

Tout ce que vous dites par ailleurs relève du procès d'intention et vous rend ennuyeux. Cette réponse est donc vraiment la dernière à ce sujet.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 28 avril 2007

Je pense que vous aurez du mal à soutenir que tout ce que je dis sur les Lettres non postées soit un procès d'intention ennuyeux à votre encontre, et pourtant vous refusez de débattre.

Vous voulez que les gens interviennent, mais quand une discussion spontanée se met en place, vous refusez de la mener à son terme.

Avant de vouloir passer quelque main que ce soit à qui que ce soit, peut-être s'agirait-il déjà de ne pas nier l'autre quand on s'y trouve confronté.

Car la relève ce n'est pas autre chose que le déplacement de la pensée par la controverse - ad nauseam repetita.

Dire : "de toute façon, nous n'avons pas la même optique. Personne ne convaincra personne, ce n'est pas grave", c’est refuser d’écouter ce que l’autre dit VRAIMENT, c’est reculer devant l’effort, ne pas voir l'intérêt même de ce qui peut sortir de la confrontation des points de vue, c’est le statu quo poli d’une pensée cloisonnée dans des "optiques" dont on voudrait faire croire qu’elles sont vouées à ne jamais se rencontrer.
C’est avancer sanglé dans ses certitudes.

Pas glop (comme on dit chez les djeuns, dont vous avez le bonjour).


Enfin, je vous aime bien quand même Jacques. Moi aussi.

Écrit par : The Owl | samedi, 28 avril 2007

Les commentaires sont fermés.