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samedi, 05 mai 2007

Aimez-vous Prévert ?

Ferré n’a jamais mis en musique des poèmes de Prévert. On peut se demander pourquoi. Prévert est très certainement, avec Mac Orlan et Aragon, l’auteur qui fut le plus chanté de son vivant comme aujourd’hui.

Dans la chanson de Léo Ferré, Vitrines, on entend : « Les vedettes à faits-divers / Paroles de Jacques Prévert ». Ce passage deviendra plus tard : « Les vedettes à nez refait / Paroles de Léo Ferré ». La première version n’est pas plus péjorative que la seconde, ni Prévert ni Gréco ne sont visés, en tout cas pas méchamment.

Apparemment, cela fut mal reçu à l’époque et l’on dut s’émouvoir, en entendant Vitrines, de ce que Ferré parût attaquer Prévert, semblant affirmer que ses textes ne valaient pas plus que des faits-divers. En tout cas, il y eut sûrement une rumeur dont Ferré dut craindre qu’elle ne parvînt aux oreilles de Prévert, suffisamment en tout cas pour qu’il lui écrive une carte postale, dont le texte vient d’être rendu public dans un album consacré à l’auteur des Feuilles mortes. Le 17 mars 1959, Ferré note :

« Cher Jacques Prévert,

Il paraît que je ne vous aime pas… Ce mot, s’il vous plaît, pour vous dire que je vous admire et vous respecte depuis longtemps… que les mauvaises langues sont décidément bien mauvaises… et qu’enfin je serais [sic] rempli de joie le jour où vous voudrez bien me faire l’honneur de partager notre pitance, quand vous plaira, en famille, avec les chiens, et tout. Bien à vous. Léo Ferré » [1].

J’ignore si Prévert vint finalement déjeuner ou dîner boulevard Pershing. Il reste que Ferré s’était ému d’une éventuelle mauvaise interprétation de son texte. Car si, objectivement, rien ne permet d’affirmer que cette carte postale est liée à Vitrines, c’est tout de même plus que vraisemblable.

Il existe par ailleurs un poème de Prévert, Chanson dans le sang (du recueil Paroles, Gallimard, 1949), poème dont il n’est pas inutile de citer un extrait. Je ne crois pas que cela ait été relevé jusqu’à présent. Voici ce passage : « Elle tourne la terre / elle tourne avec ses arbres… ses jardins… ses maisons… / elle tourne avec ses grandes flaques de sang / et toutes les choses vivantes tournent avec elle et saignent… / Elle elle s’en fout / la terre / elle tourne et toutes les choses vivantes se mettent à hurler / elle s’en fout / elle tourne / elle n’arrête pas de tourner (…) la terre tourne la terre n’arrête pas de tourner (…) comme la terre / comme la terre qui tourne / avec son lait… avec ses vaches… / avec ses vivants… avec ses morts… / la terre qui tourne avec ses arbres… ses vivants… ses maisons… / la terre qui tourne avec les mariages… / les enterrements… / les coquillages… / les régiments… / la terre qui tourne et qui tourne / avec ses grands ruisseaux de sang ».

La similitude d’inspiration, et presque d’écriture, avec Elle tourne, la terre est frappante. Cette chanson date justement de 1949, date à laquelle Ferré en donna le copyright au Chant du Monde. Avait-il déjà lu Paroles, volume qui connut un succès considérable ? Ou bien était-ce l’air du temps, cet air du temps qui fait que les idées tournent, comme la terre, dans la rue ? On remarque en outre que Mouloudji a interprété Chanson dans le sang et Elle tourne, la terre.

Pour terminer, cette affirmation de Léo Ferré signe encore son admiration : « On ne dira jamais assez l’importance de Jacques pour des gens comme nous » [2].

_________________

[1]. Cité in Carole Aurouet, Prévert, portrait d’une vie, Ramsay, 2007.

[2]. Cité in Michel Lancelot, Campus, Albin Michel, 1971.

00:00 Publié dans Jalons | Lien permanent | Commentaires (21)

Commentaires

Les citations de Prévert par Léo Ferré n'étant pas si nombreuses, n'oublions pas de mentionner également celle-ci extraite de la 3ème version des Temps difficiles en 1966 : "Prévert disait qu'il était dur / Le vacarme que fait l'oeuf dur / Qu'on tapote sur le comptoir / Quand on a faim matin et soir / Par les temps difficiles". C'est bien évidemment une parahrase du célèbre poème La grasse matinée in Paroles : "Il est terrible / le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur le comptoir d'étain / il est terrible ce bruit / quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim". Il est bien certain que Léo Ferré avait lu attentivement Prévert et aimé sa poésie...

Écrit par : Jacques Miquel | samedi, 05 mai 2007

Ici comme dans d'autres notes, je ne voulais pas faire l'inventaire (c'est le cas de le dire) des occurrences de Prévert dans l'oeuvre de Ferré. Je n'ai donc pas tout cité.

Sinon, oui, bien sûr, il aimait Prévert : surréalisme anarchisant, contestation de l'autorité, célébration de ceux qui s'aiment, anticléricalisme, poésie chantée... Les points de rencontre ne manquent pas.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 05 mai 2007

n'oublions pas,en ce jour,"je parle à n'importe qui":

A ceux qui votent
A Jacques Prévert comme une misère adorée
et qui ne vote pas

ça s'impose,non?

Écrit par : Francis Delval | samedi, 05 mai 2007

Merci Jacques pour tout ce que tu fais sur et pour Léo Ferré, et plus particulièrement pour cette note ‘Aimez-vous Prévert’ qui m’a poussé à écrire ce commentaire.
Tu écris ‘Ici comme dans d'autres notes, je ne voulais pas faire l'inventaire (c'est le cas de le dire) des occurrences de Prévert dans l'oeuvre de Ferré. Je n'ai donc pas tout cité’.
Tu as tout à fait raison pour une note, mais je pense que les citations ont leur place en commentaires. D’autant plus que si Léo a plusieurs fois cité Prévert, dans ses textes, et sur une longue période, elles ne sont pas si fréquentes.

C’est dans ‘Poète... vos papiers !’ (publié en 1956) que le nom de Prévert apparaît pour la première fois chez Ferré.
D’abord, dans ‘Ô rose des cités’ :

Ô rose des cités
Ô rose des cités sous la lampe incrédule
Quand la vierge menstrue au bord du crépuscule

L’automne à Saint-Germain-des-Prés se débarrasse
Les feuilles mortes de Prévert font la terrasse
………………………………………….

« Poète... vos papiers ! », « L’amour ».

Puis dans ‘La bête’

C’est une bête dégueulasse et solitaire
Une idée noire comme on dit chez la misère
Un insecte impoli qui fait dans vos affaires
…………………………………..

La diseuse du coin en pince pour Prévert
Quatre mois sans boulot ça fait presque l’hiver
Les œufs durs sur le zinc c’est peu mais c’est pas cher
(« Poète... vos papiers ! », « Vers pour rire ».)

Il faut noter que Léo associera plusieurs fois le nom Prévert à la misère. On peut y voir une complicité assumée.

Prévert est de nouveau cité dans l’ébauche de texte publiée en note dans le volume ‘Lettres non postées’ :
À un imprésario

Mon cher Stirling…
…………………..
Vous avez la voix du pourcentage : mielleuses, assurée, la voix qui pénètre, comme un vilebrequin. Au téléphone, quand vous me parlez, je pense au pissenlit que vous fumerez plus tard, demain peut-être car je ne vous fais aucune grâce. S’il ne tenait qu’à moi…
Vous avez longtemps haï Prévert…
………………………..
(Texte non daté)

En 1966 Léo dans 3ème version des ‘Temps difficiles’ enregistrée au Casino de Trouville le 16 juillet 1966 reprend l’association Prévert/ Misère

Prévert disait qu’il était dur
Le vacarme que fait l’œuf dur
Qu’on tapote sur le comptoir
Quand on a faim matin et soir
Par les temps difficiles

L’année suivante paraît chez Seghers dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » le N° 161 consacré à Jean-Roger Caussimon. Le texte en est de Léo Ferré qui cite Prévert dans un parallèle entre poésie et chanson :

Caussimon, lui, parle et écrit comme quelqu’un de la rue. C’est un poète « mineur » que l’on comprend ou que l’on méprise, c’est selon le grade universitaire. La littérature française ignore la chanson et Caussimo . Elle plane, très haut, dans la parole rare, hors commerce. Une plaquette de poèmes ne se vend pas… ou alors, elle est enfermée et oubliée pendant des temps et des temps dans un grenier et elle s’appelle Une saison en enfer… Quand elle se vend, c’est Toi et Moi, et les critiques font la gueule. Lorsque Prévert se vend, on chuchote qu’il est le Paul Géraldy du surréalisme. Mais, la chanson peut se vendre, elle, c’est une denrée, une putain, presque rien… Oui, presque…

Enfin en 1974 dans le très long texte ‘Je parle à n’importe qui’ (texte qui sera publié en 1979 aux Éditions ‘Gufo del Tramonto’ puis réédité aux éditions « La mémoire et la Mer » en septembre 2000) Léo affiche clairement une fraternité entre lui et Prévert :

Aux insoumis,
Aux arcs-en-ciel
Aux putains galaxiques qui n’en finiront pas de nous arriver éteintes depuis la nuit des temps
Aux assassins
Aux artistes
Aux prêtres
À la voix d’outre-Manche, là-haut, vers la marée défaite et du côté de Guernesey
Aux parfums
Aux chiens savants
Aux chiens perdus
À ces oiseaux rapaces qui attendent le malheur sur l’autoroute vers Zurich
Aux routiers
À Rutebeuf
À ceux qui votent
À Jacques Prévert comme une misère adorée et qui ne vote pas

Ces citations peuvent paraître fastidieuses, elles n’ont pour objet que d’éclairer tes propos.
En toute amitié

Daniel DALLA GUARDA

Écrit par : Daniel Dalla Guarda | samedi, 05 mai 2007

Si Ferré cite souvent dans ses textes Prévert,ils se sont apparemment peu fréquentés et peu connus...Il y avait un "clan" Prévert,à Saint-Germain, où on entrait aussi difficilement que dans le clan de Sartre,aux deux-magots.Mouloudji,qui fréquentait les deux,(il avait connu les frères Prévert dès l'aventure du groupe Octobre,vers treize ou quatorze ans),raconte dans ses mémoires que Prévert avait beaucoup fréquenté les voyous des "fortifs",et qu'il adorait la bagarre:il était renommé pour son "coup de boule " dévastateur.....Ce n'était pas quelqu'un de facile,mais il était fidèle en amitié...Le personnage est moins connu que ses textes.Je n'ai jamais vu de bio de Prévert...ça
doit exister,non?

En ces temps difficiles pour les immigrés,rappelons l'existence du très beau poème de Prévert "Etranges étrangers",dans le recueil "la pluie et le beau temps",que l'on devrait faire apprendre par coeur dans nos écoles...
Je m'écarte une fois de plus de Ferré,mais il est probable que le personnage Prévert devait l'intimider...
Est-ce Belleret qui raconte une rencontre qui tourna un peu court,à Marseille,enfin dans le coin?
Je n'ai pas le livre sous la main

Écrit par : Francis Delval | samedi, 05 mai 2007

Daniel : merci pour le relevé, certainement exhaustif cette fois. Je n'aurais sûrement pas pensé à tout. Tu as donc tout relu ?

Francis : cette histoire de rencontre ne me dit rien, en tout cas de mémoire. Ce ne doit pas être chez Belleret, mais je peux me tromper.

Ce qui m'étonne, c'est qu'aucun commentaire ne se soit attaché à ces similitudes d'inspiration entre les deux textes que j'ai cités dans la note. Moi, ça m'a frappé, en écoutant Mouloudji, hier, chanter Prévert. C'est ce qui m'a donné l'idée de cette note.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 05 mai 2007

Francis : une biographie de Prévert a paru il y a peu d'années, par Yves Courrière, chez Gallimard.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 05 mai 2007

Daniel et Jacques : "T'as d'beaux yeux, tu sais ?"!!!!

Écrit par : Jacques Miquel | samedi, 05 mai 2007

j'ai retrouvé la mention de la rencontre avec Prévert (est-ce la seule,mystère....),dans le livre de Quentin Dupont,page 55:je cite"Je chantais Monsieur tout-blanc...Je me rappelle,je l'avais chanté à Prévert ,à Saint-paul de Vence en 1949".Sur la même page,un autre extrait où il souligne fortement l'importance de Prévert,et celle de la parution de "paroles",à la libération,Prévert,qui avec Trenet a,selon lui,à faire de la chanson autre chose que des romances idiotes,en travailant avec Kosma.(je me rappelais que cette rencontre était liée à"monsieur tout-blanc",j'ai pu localiser l'extrait)
Cela montre que Ferré avait lu "paroles",alors "elle tourne ,la terre",copiage?réminiscence inconsciente? Ferré victime de ce que les psy nomment le "sleep effect":on retient une info,mais pas la source (comme moi,avec Prévert)....difficile à dire:sommes dèjà dans le lexique de Ferré?ou encore dans l'influence de Prévert?je ne sais pas,je vais relire la note

Écrit par : Francis Delval | samedi, 05 mai 2007

mis à part le titre de la chanson et peut-être l'idée,Ferré n'a pas pris grand'chose chez Prévert:ce n'est pas la même inspiration,ni le même lexique,ni le même type d'écriture,et la musique gaie,allègre, de Ferré s'accorderaient mal avec le texte plus grave de Prévert,où l'on est dans le tragique,annoncé par le titre.....J'ai un bon paquet de vinyles de mouloudji,mais je ne connais pas cette chanson,et je n'ai pas ouvert "paroles" depuis (trop) longtemps,je n'ai jamais fait le rapprochement.

Écrit par : Francis Delval | samedi, 05 mai 2007

Et la complainte pour popaul in poète vos papiers c'est pas Castanier, mais bien Prévert.

Enfin pour dire...

Écrit par : Mathieu | samedi, 05 mai 2007

Mathieu : non, ce n'est pas Popaul puisqu'il ne le connaissait pas encore. Mais... c'est Sartre (Jean-Paul, qu'il appelle familièrement Popaul).

Francis : "Elle tourne la terre, elle tourne avec, avec, avec...", ce n'est pas une similitude d'inspiration ? Bien sûr, ça devient ensuite allègre, surtout avec la valse au refrain, mais le point de départ est à mon avis une réminiscence.

Francis : effectivement, ils se rencontrent en 1949 à Saint-Paul-de-Vence, je l'avais oublié.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 05 mai 2007

Concernant "Elle tourne... la terre" dans Une vie d'artiste, Robert Belleret signale que cette chanson a été enregistrée le 7 octobre 1948 par Renée Lebas sur disque Pathé. Le recueil Paroles étant paru en 1949 chez Gallimard, cela remet en cause l'influence supposée de Chanson dans de sang de Prévert sur Elle tourne la terre de Léo Ferré.

Écrit par : Jacques Miquel | dimanche, 06 mai 2007

C'est exact. Pour la chanson, je donnais dans la note la date du copyright, mais elle datait d'avant. Donc, c'était bien quelque chose comme l'air du temps.

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 06 mai 2007

A J. Miquel : tu commentes :
'Daniel et Jacques : "T'as d'beaux yeux, tu sais ?"!!!!'

ça veut dire quoi ? t'es jaloux. ? Le blog devient c'est qu'était le Forum ?
Merci de préciser et/ou de t'abstenir
Daniel Dalla Guarda

Écrit par : Daniel Dalla Guarda | dimanche, 06 mai 2007

Daniel, mais non, voyons. Jacques Miquel nous rappelait seulement que le titre de la chanson T'as d'beaux yeux, tu sais ? était une allusion à Prévert, qui a écrit le dialogue du film Quai des brumes, d'où provient cette célébrissime réplique.

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 06 mai 2007

Chanson dans le sang
Merci Jacques d'avoir fait ce rapprochement que je m'en veux de ne pas avoir entrevenu. Je ne connais pas la veriosn de mouloudji mais ce texte existe aussi en CD dit et par Jacques Prévert lui-même mais aussi par Pierr Brasseur (Poèmes grinçants).
Daniel DALLA GUARDA

Écrit par : Daniel Dalla Guarda | dimanche, 06 mai 2007

désolé,mais "paroles" est paru en 46,aux éditions du point du jour,avec un grand succès;Gallimard a repris les droits après faillite de l'éditeur,et a republié effectivement en 49.ON revient au point de départ
Ferré signale d'ailleurs l'importance qu'a eu cette parution"à la libération
ça ne change rien quant à l'air du temps

Écrit par : Francis Delval | dimanche, 06 mai 2007

Paroles:sortie le 10 mai 46,recueil composé à la demande de René Bertelé,pour sa petite maison d'édition....25000 ex vendus en un an
Internet,c'est comme les galeries lafarfouillette,on trouve tout (presque tout)

Écrit par : Francis Delval | dimanche, 06 mai 2007

J'avais considéré le copyright de Gallimard uniquement, c'est-à-dire 1949. Je ne savais pas (ou j'avais oublié, l'âge venant) que le livre avait paru auparavant. Donc, avec ces nouvelles dates, 1946 pour l'un et 1948 pour l'autre, il y a bien une réminiscence de Prévert chez Ferré.

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 06 mai 2007

Une bonne idée qui m'est suggérée par Alain : André Villers a très bien connu et Jacques Prévert et Léo Ferré.
A-t-il témoigné de leur rencontre ?
Daniel DALLA GUARDA

PS : mes excuses aux lecteurs pour mon commentaire bourré de fautes de saisie

Écrit par : Daniel Dalla Guarda | lundi, 07 mai 2007

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