dimanche, 16 septembre 2007
Une opinion sur la musique de Ferré pour Apollinaire
« L’exemple de Poulenc ne doit pas nous faire oublier que d’autres musiciens se sont tournés moins discrètement vers Apollinaire et n’ont pas hésité, eux, à toucher au recueil Alcools. Ils sont en tout une vingtaine. Nous citons simplement parmi eux – car M. Pouilliart reviendra bientôt sur un certain nombre de noms – Jean Absil, Robert Caby, Luigi Cortese, Georges Dandelot, Léo Ferré, Arthur Honegger, Jacques Leguerney, Jean Rivier, Daniel Ruyneman et même Louis Bessières. Ces musiciens sont de répertoire et de style très différents et les poèmes les plus utilisés sont Le Pont Mirabeau, Clotilde, L’Adieu.
Nous reconnaissons volontiers que certaines de ces mélodies, au lyrisme assez appuyé, sont agréables à entendre. Mais elles ne savent pas toujours éviter l’écueil dont Poulenc s’était si bien gardé. La poésie d’Apollinaire étant dans Alcools essentiellement lyrique, elle souffre de s’ajuster à une autre source de lyrisme qui la contraint à s’effacer derrière un air et un refrain étroitement déterminés. Nous pourrions même dire que le courant mélodique existant à l’origine et celui qui lui est artificiellement imposé, finissent par se contrarier et par annihiler la puissance d’évocation du poème. La poésie ne gagne rien à passer sur ce lit de Procuste, et un long poème se montre particulièrement réfractaire à ce traitement. La Chanson du mal-aimé supporte que sa lecture se détache sur un fond musical, mais elle est elle-même défigurée par toute tentative de transformation mélodique intégrale et l’on est frappé de voir à quel point le pompeux oratorio de Léo Ferré manque d’invention et de grandeur. La convention la plus plate y tient lieu d’inspiration. Tout y est annoncé, préparé à grand renfort de thèmes élémentaires : les Cosaques Zaporogues prennent appui sur des réminiscences de Khatchaturian, le tzigane de la fin s’est vu précéder d’un air de violon réglementaire. Quant aux sept épées, elles sont environnées d’héroïques accords de trompettes. La technique est un peu trop facile : ce procédé d’anticipation sonore a pour effet d’orienter l’imagination de l’auditeur vers les clichés les plus traditionnels et ruine la variété du poème. Les sautes d’humeur d’Apollinaire, les résonances étranges des images qu’il juxtapose se dissolvent dans la monotonie. Une réussite, cependant, nous paraît d’autant plus éclatante qu’elle est unique. La traduction de la strophe « Voie lactée ô sœur lumineuse / Des blancs ruisseaux de Chanaan » est un véritable chef-d’œuvre. Elle doit son charme à la voix d’un jeune garçon qui vibre imperceptiblement comme un clignotement d’étoiles et qui la porte de façon presque immatérielle à des hauteurs vertigineuses. Elle nous prouve à son tour que l’accord total entre un poème et sa transposition lyrique ne peut être qu’un miracle de court instant ».
Voilà le jugement consigné dans les Actes du colloque « Apollinaire et la musique » réunis par Michel Décaudin (Journées Apollinaire, Stavelot, 27-29 août 1965), ouvrage publié par l’asbl Les Amis de Guillaume Apollinaire, Stavelot, 1967. Je ne connais pas le nom de l’auteur de cette contribution. On sait que les amoureux d’un poète ne tolèrent guère qu’on touche à ses œuvres. Peut-être est-ce le cas de cet exégète d’Apollinaire.
Cette opinion retrouvée dans mes archives n’est pas étonnante. La vieille question de la mise en musique des poèmes est ici encore remise sur la table avec les mêmes sempiternels arguments. On a examiné ce point dans Avec Luc Bérimont. Je relève que ce sentiment négatif concernant La Chanson du mal-aimé est le seul du genre, tout au moins à ma connaissance. Tous les échos que j’ai lus sur la question étaient plutôt positifs.
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Commentaires
"Je ne connais pas le nom de l’auteur de cette contribution. ": en l'occurrence, il s'agit d'une femme. Je dois avoir son nom, mais il faudrait que je cherche dans mes "archives".
L'explication "On sait que les amoureux d’un poète ne tolèrent guère qu’on touche à ses œuvres. Peut-être est-ce le cas de cet exégète d’Apollinaire." est insuffisante, car cette personne rendait régulièrement compte des mises en musique d'Apollinaire dans cette revue. C'est un des rares cas de jugement franchement négatif sur une interprétation. Il ne s'agit pas en tout cas d'une forme de prévention à l'encontre d'un "artiste de variété", puisque, ailleurs, il doit y avoir l'éloge d'une adaptation de Jean Ferrat ...
Je trouve tout à fait intéressante la critique de la superposition de deux lyrismes, ainsi que celle du "forçage" mélodique et du côté illustratif, au symbolisme désuet (trompettes pour les 7 épées). Etonnamment, l'exemple du passage censé sauver l'oeuvre de la catastrophe ("véritable chef-d'oeuvre") entre pourtant dans cette catégorie: "Elle doit son charme à la voix d’un jeune garçon qui vibre imperceptiblement comme un clignotement d’étoiles et qui la porte de façon presque immatérielle à des hauteurs vertigineuses."
JL:"Tous les échos que j’ai lus sur la question étaient plutôt positifs.": oui, encore qu'il faudrait encore éliminer tout ceux qui ne présentent pas de véritable argumentation. Ca ne gêne pas la Ferrétie visiblement qu'on puisse faire des considérations sur LCDMA de la même façon qu'on s'emploierait à démontrer que la Lune est en fromage de Brie, pourvu qu'on dise que ce soit génial. Cette critique est défavorable certes, mais elle présente un certain nombre d'arguments et peut constituer le point de départ d'une discussion.
Écrit par : gluglups | lundi, 17 septembre 2007
Mais oui, j'attends la discussion, bien sûr. Moi, cette critique ne me gêne pas vraiment, sans quoi je ne l'aurais pas reproduite. Si vous en savez plus sur l'auteur, dites-le nous. Moi, je ne sais vraiment pas qui c'est : je n'ai que cet extrait.
Écrit par : Jacques Layani | lundi, 17 septembre 2007
Retrouvé le nom: Jacqueline Bellas.
Écrit par : gluglups | mardi, 18 septembre 2007
Ah, merci. Mais qui est (était)-elle ?
A relire son texte, je me dis qu'effectivement, on pourrait intervertir ses deux opinions : Les Sept épées vont très bien avec les trompettes et la strophe "Voie lactée ô soeur lumineuse" est nunuche. Par exemple.
Je crois comprendre qu'elle veut dire que les trompettes paraphrasent Les Sept épées. Soit. Mais alors, "la voix d’un jeune garçon qui vibre imperceptiblement comme un clignotement d’étoiles", cela paraphrase aussi la Voie lactée. Comme quoi la subjectivité ne peut être écartée. Et si une paraphrase supposée est recevable, pourquoi pas l'autre ?
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 18 septembre 2007
L'article complet, avec le début et la fin, ce qui permet de mettre davantage en perspective le jugement de l'auteur:
"Apollinaire et Poulenc : peut-on mettre Alcools en musique ?
L'exemple de Poulenc ne doit pas nous faire oublier que d'autres musiciens se sont tournés moins discrètement vers Apollinaire et n'ont pas hésité, eux, à toucher au recueil Alcools. Ils sont en tout une vingtaine. Nous citons simplement parmi eux — car M. Pouilliart reviendra bientôt sur un certain nombre de noms — Jean Absil, Robert Caby, Luigi Cortese, Georges Dandelot, Léo Ferré, Arthur Honegger, Jacques Leguerney, Jean Rivier, Daniel Ruyneman et même Louis Bessières.
Ces musiciens sont de répertoire et de style très différents et les poèmes plus utilisés sont Le Pont Mirabeau, Clotilde, L'Adieu. tous reconnaissons volontiers que certaines de ces mélodies, au lyrisme assez appuyé, sont agréables à entendre. Mais elles ne savent pas toujours éviter l'écueil dont Poulenc s'était si bien gardé. La poésie pollinaire étant dans Alcools essentiellement lyrique, elle souffre de uster à une autre source de lyrisme qui la contraint à s'effacer derrière un air et un refrain étroitement déterminés. Nous pourrions même affirmer que le courant mélodique existant à l'origine et celui qui lui est artificiellement imposé, finissent par se contrarier et par annihiler la puissance d'évocation du poème.
La poésie ne gagne rien à passer sur ce lit de Procuste, et un long poème se montre particulièrement réfractaire à ce traitement. La Chanson du mal-aimé supporte que sa lecture se détache sur un fond musical, mais elle est elle-même défigurée par toute tentative de transformation mélodique intégrale et l'on est frappé de voir à quel point le pompeux oratorio de Léo Ferré manque d'invention et de grandeur. La convention la plus plate y tient lieu d'inspiration. Tout y est annoncé, préparé à grand renfort de thèmes élémentaires : les cosaques Zaporogues prennent appui sur des réminiscences de Khatchaturian, le tzigane de la fin s'est vu précéder d'un air de violon réglementaire. Quant aux sept épées, elles sont environnées d'héroïques accords de trompettes. La technique est un peu trop facile : ce procédé d'anticipation sonore a pour effet d'orienter l'imagination de l'auditeur vers les clichés les plus traditionnels et ruine la variété du poème. Les sautes d'humeur d'Apollinaire, les résonances étranges des images qu'il juxtapose se dissolvent dans la monotonie. Une réussite, cependant, nous paraît d'autant plus éclatante qu'elle est unique. La traduction de la strophe Voie lactée ô sœur lumineuse / Des blancs ruisseaux de Chanaan est un véritable chef-d'œuvre. Elle doit son charme à la voix d'un jeune garçon qui vibre imperceptiblement comme un clignotement d'étoiles et qui la porte de façon presque immatérielle à des hauteurs vertigineuses. Elle nous prouve à son tour que l'accord total entre un poème et sa transposition lyrique ne peut être qu'un miracle de court instant.
Lorsque l'on revient à de plus saines proportions avec des mélodies composées sur les plus brefs poèmes à'Alcools comme celles d'Honegger ou de Leguerney, on fait quelques rencontres intéressantes mais ceux qui sont en quête de fidélité totale au poème demeurent insatisfaits. Ces œuvres, si charmantes soient-elles, s'amenuisent en se ciselant davantage sous l'effet de la musique, et elles finissent par n'être plus que le témoignage d'une sorte de plaisir que le musicien s'est donné à lui-même, ou d'une épreuve qu'il a voulu tenter en transposant des textes aimés de lui. Le Pont Mirabeau et surtout L'Adieu nous semblent être les exemples les plus éloquents de cette dangereuse attraction. S'il est peu recommandé de transformer Le Pont Mirabeau en rengaine d'orgue de Barbarie, il est tout aussi vain de faire de L'Adieu une romantique page de keepsake. Des mélodies sur L'Adieu, il y en a beaucoup : nous connaissons, entre autres, celles d'Honegger, Georges Dandelot, Daniel Ruyneman, Luigi Cortese, Jean Rivier et Jacques Leguerney. Cette abondance n'a rien qui puisse nous étonner, le poème très doux, très court et très mélancolique étant de ceux qui suggèrent le plus."
Jacqueline Bellas, Université de Toulouse, Apollinaire et la musique, Actes du Colloque de Stavelot 27-29 août 1965.
Écrit par : gluglups | mardi, 18 septembre 2007
Pour être plus complet, un autre avis défavorable sur LCDMA, celui-ci d'un musicologue. Avec des erreurs de chronologie. Selon moi, c'est plus superficiel et moins intéressant que la critique de J. Bellas. L'auteur consacre un chapitre de son livre aux musiciens de St Germain, qui se sont illustrés dans la "musique sérieuse".
"Mais, en se défiant de tout militantisme, un Léo Ferré, autre découverte de Saint-Germain-des-Prés, pouvait aussi s'en réclamer, lui qui reprenait le témoin des mains du Boris Vian de La Java des bombes atomiques en lançant son cri : Y'en a marre!
Chez Léo Ferré la tentation de la musique sérieuse passe par les poètes. Après Claude Arrieu et Georges Auric qui mirent en musique, l'un et l'autre, Richard II Quarante et La Rosé et le réséda, après Poulenc, Saguer, Martinet et Kosma, Ferré chante Aragon : L'Affiche rouge, Blues, Je chante pour passer le temps, Je t'aime tant, L'Étrangère, Les Fourreurs, Suffit-il donc..., Tu n'en reviendras pas, et surtout Est-ce ainsi que les hommes vivent?, qui connaîtra un succès enviable. «À chaque fois que j'ai été mis en musique par quelqu'un, écrit Aragon dans Les Lettres françaises, je m'en suis émerveillé, cela m'a appris beaucoup sur moi-même, sur ma poésie. [...] Même si ce n'est pas tout ce que j'ai dit ou voulu dire, c'en est une ombre dansante, un reflet fantastique et j'aime ce théâtre qui est fait de moi. »
Après Ferré, Aragon inspirera Hélène Martin (Ainsi Prague, Amour d'Eisa, Chanson du miroir, Chanson noire, Le Plaisir Dieu), Jacques Douai (Chanson du siège de La Rochelle, Nos soldats de La Rochelle), Jean Ferrât (Au bout de mon âge, J'entends, j'entends, Que serais-je sans toi, Les Yeux d'Eisa, Nous dormirons ensemble) et Georges Brassens (Hn'y a pas d'amourheureux), lequel traduira d'autres poètes comme Théodore de Banville (Le Verger du roi Louis), "Victor Hugo (Gastibeha), Jean Richepin (Philistins), Paul Verlaine (Colombine). Ferré mettra à l'honneur Pierre Seghers avec le fameux Merde à Vauban, Pierre Mac Orlan (LaFille des bois) et Luc Bérimont (Noël), avant de se lancer dans une entreprise risquée, qui s'avérera probante, celle d'un véritable cycle mélodique constitué de douze poèmes des Fleurs du mal de Baudelaire.
À ce propos, Catherine Sauvage, qui remporta son premier Prix du disque avec une chanson de Léo Ferré, L'Homme, s'autorisa une comparaison hasardeuse, mais riche d'enseignements quant aux ambitions « sérieuses » de Léo Ferré : « Les musiciens classiques ont souvent manqué d'humilité à l'égard des poètes. Si l'on écoute les mélodies de Debussy sur les poèmes de Verlaine, c'est Verlaine qui est sacrifié. Je préfère Baudelaire mis en musique par Ferré plutôt que par Duparc. Oui, le poète est mieux servi par un musicien de music-hall6. »
Fort de cette bénédiction, Léo Ferré voit plus grand, voulant prouver par là même qu'il n'est pas seulement un «musicien de music-hall » ; et il compose une cantate pour quatre solistes, chœur et orchestre, sur La Chanson du mal-aimé d'Apollinaire, qu'il enregistre sous sa direction avec l'Orchestre national et les Chœurs de la Croix de bois, et le concours de Nadine Sautereau, Camille Maurane, Michel Roux, J. Petitjean.
Ici, le compositeur n'a pas les moyens de sa politique. L'émotion qui naissait du vers baudelairien traduit intimement entre voix et piano se perd dans la boursouflure d'une écriture à gros traits, où la volonté de lyrisme n'aboutit qu'à la grandiloquence. Entre cantique* et cantate de Rome, cette laborieuse Chanson est un triste incident de parcours** . Apollinaire fut mieux - et plus discrètement -servi par un Louis Bessières, dont Les Baladins constituèrent une des pierres de touche du répertoire d'Yves Montand.
L'ambition de « musicien sérieux » chez Gilbert Bécaud est assez comparable à celle de Léo Ferré, sinon qu'elle repose sur des bases moins incertaines. Bécaud, comme avant lui Maurice Jaubert, a fait ses études au Conservatoire de Nice. Et nonobstant son immense succès de chanteur, «Monsieur 100000 volts» rêve de compositions grandioses. Son parolier Louis Amade, auteur du Rideau rouge, C'était mon copain, Pilou pilouhé, lui fournit le poème de la cantate L'Enfant à l'étoile (1960), qui sera créée par la chorale Elisabeth Brasseur, et le livret de L'Opéra d'Aran (1962). L'impression est celle d'une réédition du phénomène Chanson du mal-aimé. Moins malhabile que Ferré dans le maniement de l'orchestre, Bécaud n'évite pas pour autant les pièges du «grossissement». À vouloir être à la hauteur de la grande forme, il n'en saisit que les formules les plus conventionnelles, et tombe dans un académisme désuet, dont la solennité fait oublier la fraîcheur et la spontanéité de son œuvre «populaire».
Et c'est un curieux paradoxe de voir de parfaits musiciens « de variétés» vouloir à tout prix s'affirmer dans la «grande» musique, comme pour légitimer leur bagage et leurs lauriers."
François Porcile, Les Conflits de la musique française (1940-1965), chap. "La Tentation de la musique sérieuse", pp. 267-277
Écrit par : gluglups | mardi, 18 septembre 2007
Notes:
* Le refrain «Voie lactée ô sœur lumineuse » est confié à un petit chanteur à la croix de bois...
** Inspiratrice d'un ballet d'Elsa Barraine en 1950, La Chanson du mal-aimé tentera également, dix ans plus tard, Jacques Castérède...
Écrit par : gluglups | mardi, 18 septembre 2007
Formidable ! Voilà le document complet. Merci. On constate qu'effectivement, ce n'est pas Ferré qui est mis en cause, ce que je n'avais pas avancé ici, d'ailleurs.
En revanche, des opinions comme "Ces œuvres, si charmantes soient-elles, s'amenuisent en se ciselant davantage sous l'effet de la musique", c'est l'exemple même de ce que je nommais "les mêmes sempiternels arguments". J'ai lu ça, ou l'équivalent, cent fois, qu'il s'agisse d'Apollinaire ou d'autres, de Léo Ferré ou d'autres.
On ne sortira jamais de ce débat sur la musique, pour les uns "un véhicule qui apporte la poésie dans l'oreille des gens", pour d'autres une chose inutile qui paraphrase ou contredit le poème qui a déjà sa musique propre (ah, ce cliché de la musique intrinsèque du poème !)
Ici, toutefois, l'opinion est plus mesurée, heureusement. Je tiens que les poètes chantés par Ferré sont une part très importante de son oeuvre et que le résultat est bon dans l'ensemble. C'est d'ailleurs ce qu'on lui reproche le moins. Je n'aime pas Brassens mais quand il chante les poètes, c'est ce qu'il fait de mieux. Avec des hauts et des bas : ses Paul Fort sont bons, son Verlaine est ridicule. Son Villon n'est pas mal, son Théodore de Banville pas terrible. Son Lamartine est bien, ses Hugo ne sont pas sensationnels.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 18 septembre 2007
Mon commentaire ci-dessus s'est croisé avec ceux de Gluglups. Le texte de François Porcile est moins bien, c'est vrai. Il ressemble davantage à un inventaire.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 18 septembre 2007
Sur Brassens: vous oubliez son Aragon, Il n'y a pas d'amour heureux, qui est quand même très bien, non?
"On ne sortira jamais de ce débat sur la musique": oui mais, ici, le problème est plus précis: il s'agit surtout du carcan mélodique (et rythmique). Problème qu'aborde très explicitement le linguiste et musicologue J. Drillon, à propos de la mise en musique de La Mort des Amants, dans son petit livre "Les Gisants", entièrement consacré à ce poème de Baudelaire. Dans l'annexe, il commente deux adaptations, celle de Debussy et celle de Léo Ferré.
C'est, pour moi, à ce jour, ce qui a été écrit de plus fin sur la musique de LF (et sur sa voix), même si cela reste limité à un exemple.
"Il ne s'agit pas de prendre cette chanson de haut, de la considérer avec le dédain du musicologue face à la chansonnette; ni même de feindre l'intérêt du lettré pour l'illettré. Les choses sont ce qu'elles sont, et cette chanson est une incontestable réussite.
Elle souffre d'un défaut grave, néanmoins: elle est écrite sur une mélodie en quatre parties, fondée sur le quatrain. Le premier tercet est donc trop court d'un vers, et c'est le premier du second tercet qui fait office de quatrième. Puis, il ne reste plus que deux vers, et la mélodie s'interrompt: il faut lui trouver une fin rapide, une sorte de coda.
Cette structure, surtout dans le cas d'un sonnet bâti avec autant de fermeté, a l'inconvénient de mettre une fin où il n'y en avait pas, un début qui n'existait pas, et de gommer le blanc entre les deux tercets.
Léo Ferré l'a enregistrée le 21 mars 1957, pour Odéon (1) (OSX 127). La pochette reproduit une gouache agréable de Terbots, représentant des fleurs (apparemment des marguerites) sur fond bleu. Ce disque a fait l'objet d'une réédition en CD, inclus dans un coffret intitulé "Les années Odéon".
La chanson est écrite pour voix, piano, guitare et contrebasse (la bémol majeur, à 4/4).
La "cellule génératrice" de l'accompagnement, comme dans Debussy, est un rythme syncopé, celui des Gnossiennes de Satie (2), dont tous les commentateurs consultés (3) s'accordent à souligner le caractère "lancinant", "envoûtant, mais sans jamais nommer la danse dont il est issu, ce qui ne nous aide guère. Cette formule rythmique a l'avantage de permettre tous les décalages: la mélodie n'est jamais en phase avec ce balancement, comme dans le mouvement lent du concerto en sol de Ravel (4), et l'on éprouve une sensation de temps suspendu, sur lequel il est aisé d'installer la jolie courbe en cloche de la mélodie que Ferré a destinée au poème.
Son système métrique, si l'on ose dire, est d'une grande rigidité. Il respecte un modèle fondé sur une succession d'ïambes et d'anapestes, toujours ou presque toujours identique. Baudelaire est plus varié. En sorte que certains frottements se produisent entre la métrique du texte et celle de la musique. Mais ce sont là des détails. A quelques exceptions près, le rythme mélodique tient compte des accentuations naturelles et de la valeur des syllabes, et même les accuse fortement (5): Nous aurons / des lits / pleins d'odeurs légères /, des divans / profonds / com-me des tombeaux, etc.
On sait la diversité de ton que pouvait prendre le chanteur Ferré: de la gouaille à la noblesse, du ricanement à la tendresse. Ici, c'est une voix contenue, restreinte, pourrait-on dire. Sans le vibrato serré et solide qui l'arme comme une tige de fer, elle se casserait. Malgré cette douceur à laquelle le chanteur se contraint, il y a dans sa voix tant de masculinité que la dignité baudelairienne passe sans déperdition. La grande spécialité de Ferré était la note tenue, la note tenue sans faiblir. Dans cette chanson, il profite des valeurs longues (et de la nuance piano) pour faire une éblouissante démonstration de ce talent-là. Talent qui n'est pas hors de propos, puisque la forme qui s'exprime, et doit s'exprimer, est en raison directe de la maîtrise vocale.
NOTES: (1) Et pour le centenaire des Fleurs du Mal
(2) Note-blanche-noire. Ou plutôt: la basse est une ronde jouée sur le premier temps; la main droite a: soupir, blanche, noire.
(3) Anne Rey, Vincent Lajoignie, Jean-Joël Barbier.
(4) Alors que nous sommes en 3/4 à la main droite, la main gauche joue un rythme de valse en croches.
(5) Je souligne les valeurs longues."
Jacques Drillon, "Les Gisants", Gallimard, collection "Le Promeneur, le Cabinet des Lettrés", 2001, pp. 134-136.
Écrit par : gluglups | mardi, 18 septembre 2007
Non, je n'oubliais pas Aragon, mais je ne voulais pas faire une liste des poètes chantés par Brassens, j'avais juste cité quelques exemples. Il faudrait ajouter Antoine Pol, Francis Jammes...
Le texte de Drillon est passionnant. Que n'ouvrez-vous davantage vos archives ! Voilà en effet de l'argumenté, du solide. Quelqu'un qui s'exprime dans une langue simple et compréhensible pour dire des choses pesées et réfléchies, c'est merveilleux. Je précise que j'aurais eu le même avis si son analyse avait été défavorable, la qualité du propos étant indéniable.
Vous en avez beaucoup encore, des comme ça ?
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 18 septembre 2007
Eh non, malheureusement, je n'ai d'ailleurs pas d'archives Ferré, mais on va dire des "trouvailles" de lecture. De plus, je doute que l'on puisse trouver des choses de ce niveau, surtout pour la musique. Il n'y a ni la condescendance ordinaire des musicologues vis-à-vis de la "chansonnette" ni ces erreurs d'optique, fréquentes du côté de la Ferrétie. Une écoute juste (rien à redire, tout est vrai) et respectueuse (ne serait-ce que par la précision des renseignements - les considérations sur la pochette... il faut absolument lui envoyer votre livre! -, un enchaînement Debussy/Ferré qui ne paraît pas du tout scandaleux).
"La "cellule génératrice" de l'accompagnement, comme dans Debussy, est un rythme syncopé, celui des Gnossiennes de Satie, dont tous les commentateurs consultés s'accordent à souligner le caractère "lancinant", "envoûtant", mais sans jamais nommer la danse dont il est issu, ce qui ne nous aide guère. Cette formule rythmique a l'avantage de permettre tous les décalages: la mélodie n'est jamais en phase avec ce balancement, comme dans le mouvement lent du concerto en sol de Ravel, et l'on éprouve une sensation de temps suspendu, sur lequel il est aisé d'installer la jolie courbe en cloche de la mélodie que Ferré a destinée au poème." Vous voyez qu'une véritable critique est possible...
Quelque chose qui paraît important (outre la caractérisation de la voix): "la forme qui s'exprime, et doit s'exprimer, est en raison directe de la maîtrise vocale".
On peut recommander aussi la lecture de ce livre pour la qualité des commentaires, littéraires ceux-là, sur le poème de Baudelaire (c'est le seul sujet). C'est vraiment un très beau livre.
Il faudrait demander à Jacques Drillon de faire le même travail sur les autres mises en musique de Baudelaire...
Écrit par : gluglups | mardi, 18 septembre 2007
Je n'ai jamais douté qu'une véritable critique soit possible. En matière musicale, toutefois, peu en sont capables ou peu passent à l'acte, en tout cas.
"la forme qui s'exprime, et doit s'exprimer, est en raison directe de la maîtrise vocale", cela donne à penser, c'est vrai.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 19 septembre 2007
je viens de lire votre échange très complet,je suis assez d'accord sur l'essentiel....
mais n'est-il pas possible de prendre aussi le pb de Ferré compositeur par un autre bout?
- par exemple, dans la mesure où l'on peut considérer "musiques byzantines" comme "programmatiques, voire comme un manifeste,poser le pb de la cohérence de Ferré compositeur avec les choix esthétiques qu'il affiche?J'ai conscience que ce ne serait pas tâche facile....
-j'avais évoqué récemment pour une autre note le pb de la polyvalence de l'artiste,me demandant ,au fond ,si ce n'était pas un critère de la modenité artistique,citant Kandinsky,Kokoschka, et surtout Schönberg (je me suis procuré les repros de ses peintures....c'est fascinant..),j'aurais pu citer aussi Savinio, écrivain,peintre excellent (le frère de de chirico),mais aussi bon musicien,elève de Max Reger.....Les exemples ne manquent pas.Le plus étonnant étant quand même Schönberg.
Le philosophe Adorno,lui même élève de Schönberg, a ,comme vous savez certainement, défendu une thèse intéressante à propos de la querelle sur la "nouvelle musique":
Schönberg, le "destructeur",est Le musicien du progrès et de la modernité.Stravinsky, le restaurateur, qui veut recoller les morceaux,si j'ose dire,est le musicien de la conservation,et ne travaille ,selon Adorno, presque exclusivement que dans le "pastiche" du déjà-fait.il est le musicien de la réaction.,dans la fausse conscience musicale.
adorno cite volontiers le mot du critique Greenberg,qui divise la musique ,comme tout art, en deux parties: l'avant-garde et la "camelote".L'avant-garde relève de l'art, la camelote,c'est ce qui constitue la culture,"culture" qui se méfie de l'intellectualisme, et ici je cite Adorno "...Ces beaux esprit
s qui accueillent une oeuvre de Schönberg avec un prompt "je ne comprends pas cela"affirmation dont la modestie rationalise la fureur en compétence"
Si ferré est un artiste "moderne" de par sa polyvalence,n'est il pas ,compositeur,du côté de Stravinsky,c'est à dire-son talent n'étant pas en cause-de côté de la restauration,involontairement parfois aussi du côté du pastiche?...C'est une impression que j'ai toujours eu avec certains passages de LCDMA que je connais depuis 1960...cf les cosaques en question,qui m'ont tjs mis mal à l'aise,mais je ne savais pas pourquoi.....
Chez Ferré, le poète me semble plus dans la dynamique de la modernité que le compositeur ,que ce soit LCDMA,la symphonie interrompue ou le chant du hibou.J'ose penser que ce n'est pas seulement subjectif.
( je reprendrai un peu plus tard.......)
Écrit par : Francis Delval | mercredi, 19 septembre 2007
N'oublions pas qu'il y a 3 versions de la CDMAI....Je dois dire que je préfère et de loin (est-ce "affectif"?) celle chantée par Ferré.L'orchestration me semble meilleure,bien que l'enregistrement ne soit pas parfait,les "pastiches" musicaux se sentent moins.Et sa version supprime les quatre personnages,découpage quand même arbitraire du poème d'Apollinaire.C'est celle que j'écoute le plus souvent,mais c'est très subjectif, j'en conviens.
On parle peu par contre de "une saison en Enfer",que d'aucuns mettent dans les fonds de tiroir....Je pense que c'est très réussi, au moins pour deux raisons:Ferré est l'un des rares interprètes qui sache très bien chanter de la prose,exercice plutôt délicat,et ici souvent a capella,le texte de Rimbaud est vraiment mis en avant,prononcé "au maximum",pas d'afféteries,c'est "brut", mais ça colle très bien au texte.
Il faudra qu'on revienne un jour sur cet enregistrement dont on a si peu parlé.
Écrit par : Francis Delval | jeudi, 20 septembre 2007
D'une manière générale, je ne m'estime vraiment pas compétent pour parler de la musique de Léo Ferré. Bien sûr, j'ai des oreilles, mais je ne suis pas à même de donner le moindre avis autorisé. Je regrette que d'autres ne vous aient pas répondu sur les points que vous soulevez dans votre commentaire daté de mercredi. Je regrette aussi qu'il n'y ait pas de livre sur la question. Depuis 1987 et mon premier ouvrage, je l'appelle de mes voeux. Je crains qu'il n'y en ait jamais. Pour cela, j'étais d'autant plus content de lire le texte de Drillon.
Pour votre commentaire de jeudi : je suis parvenu à considérer -- ça n'engage que moi -- les différents enregistrements du Mal-aimé comme des oeuvres elles-mêmes différentes et je les écoute différemment aussi. Le découpage en quatre rôles n'est pas plus arbitraire, à mon avis, que de faire une valse d'Harmonie du soir, par exemple. Cela fait partie de la mise en musique, des choix du compositeur. Quand Madeleine avait fait ce découpage, elle avait fait un choix artistique : pourquoi pas ?
S'agissant d'Une saison en enfer, il faudrait en parler, oui. J'avais, en 1987, écrit deux ou trois lignes à propos de la mise en musique (et du chant) de la prose, justement. Ce disque est un peu méconnu, c'est vrai, mais, une fois encore, je me vois mal en parler du point de vue musical ou vocal. J'en appelle aux musiciens qui lisent ce blog.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
A propos de poèmes mis en musique, j'ai vu sur le net que G.Chelon avait mis en musique l'intégrale des "Fleurs du mal",et que des CD sont déjà sortis....
Je ne connais ce chanteur que de nom,comme je vous l'ai déjà laissé entendre, je m'intéresse assez peu à la chanson française,Ferré et qquns de ses interprètes mis à part.Mon dernier achat de "variété" doit remonter à 30 ans!(j'ai gardé les vinyles de mes chanteurs des années 60-70,que j'exhume de temps à autre,un coup de nostalgie...Giani Esposito,Mouloudji,C.Magny,F.Leclerc et Vigneault,Servat et Glenmor,les premiers Charlebois et Nougaro,Caussimon..C'est tout...)
J'ai toujours les Brassens et les Brel de mon adolescence,mais je ne les écoute plus jamais.Brassens, je le connais encore par coeur,Brel, quelques grandes et beaucoup de nanars (Ferré aimait beaucoup la chanson "Jackie")
Donc Chelon inconnu, comme Murat...
je connais mieux les chanteurs américains(Lou Reed,T.Waits, J.Cale..).en fait j'écoute surtout de la musique classique et comtemporaine,et du jazz d'après les années 50,free de préférence).D'où j'interviens peu dès qu'il s'agit d'autres chanteurs...Escudero, je connais 2 chansons, et je suis incapable de dire ce que chante Tachan,par exemple
Il faut bien faire des impasses....!
Écrit par : Francis Delval | jeudi, 20 septembre 2007
J'ai acheté le disque de Baudelaire-Chelon dans la collection "Poètes et chansons" chez EPM. C'est une collection que je suis car, dans l'ensemble, elle est très intéressante. Bien sûr, il y a des choses moins bonnes que d'autres mais, en gros, c'est bien.
Cependant, le Chelon chante Baudelaire est une catastrophe horrible : musique nulle, voix nulle, sensibilité nulle, intérêt nul, écoute insupportable, ennui gigantesque. Je l'ai écouté une fois et ne l'écouterai jamais plus.
Tachan a enregistré autrefois sa version du poème de Verlaine, Ecoutez la chanson bien douce. Totalement différent de Léo Ferré et pas mal non plus.
Cela m'amuse beaucoup, d'ailleurs, d'écouter des versions différentes des mêmes poésies chantées. Il y a donc ces deux Verlaine par Ferré et Tachan, mais aussi (très connu) Chanson d'automne par Ferré et Trénet (sous le titre Verlaine), Le Serpent qui danse de Baudelaire par Ferré et Gainsbourg (très différent).
La collection d'EPM, justement, permet des parallèles, comme ça. Il y a les Baudelaire de Chelon. Il y a aussi d'autres mises en musique de Rimbaud par je ne sais plus qui, qu'on peut comparer ou non à celles de Ferré.
Je suis, je l'ai dit souvent, grand amateur de poésie chantée. Je signale les réussites (à mon avis) de Catherine Leforestier (je n'aime pas son frère mais elle, oui) avec Rimbaud, toujours chez EPM -- notamment "J'ai tendu des cordes de clocher à clocher..."
Cette collection propose des albums consacrés à des poètes en particulier, ou bien à des "mouvements", des "écoles". Il peut par ailleurs s'agir d'un interprète unique ou de plusieurs. Il s'agit encore d'anciens enregistrements repris ou de nouveautés, spécialement enregistrées pour la collection. Tout ça est très intéressant dans l'ensemble.
Je précise que je ne suis pas payé par EPM.. :-)
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
il y a aussi une version de "la ballade des pendus" par Morelli, musique de Léonardi, dans son disque intégralement consacré à Villon (je l'ai encore,d'ailleurs)
Je crois qu'il existe une autre version de "Quand au temple nous serons..." (improprement appelé "stances"),de Ronsard, mais je ne sais plus de qui....
J'ai un vieil EP avec l'enregistrement de philippe Clay,.
Tiens, je vais réécouter tout ça
Écrit par : Francis Delval | jeudi, 20 septembre 2007
"Quand au temple nous serons" a également été mis en musique et chanté par Guy Béart sur le LP Les très vieilles chansons de France en 1966. Pour ma part je possède l'édition Livre de poche classique (Texte intégral !?) du recueil "Les amours" de Ronsard qui donne ce poème sous le titre de "Stances" in Le premier livre des amours de Cassandre.
Écrit par : Jacques Miquel | jeudi, 20 septembre 2007
Bien sûr, il y a cete pièce de Ronsard, que j'aime tant. Béart a conservé la fin, coupée par Ferré : "Ah je meurs ah baise-moi / Ah maîtresse approche-toi / Tu fuis comme faon qui tremble / Au moins souffre que ma main / S'ébatte un peu dans ton sein / Ou plus bas si bon te semble". En supprimant cette strophe, Léo Ferré coupe volontairement le côté "égrillard", disons galant au sens le plus fort du terme, pour faire du poème quelque chose d'encore plus sombre, plus grave, plus dur.
On remarque que le thème est le même que Remords posthume de Baudelaire.
Le disque consacré à Ronsard chez EPM est très bon (je ne suis toujours pas payé par EPM).
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
Francis: j'avais également en tête les réflexions d'Adorno sur la modernité.
Pour ce qui renvoie à la notion d'auteur, bien entendu on ne saurait la limiter dans le cas de Ferré, à cette idée XIXe ou Montmartre du poète. Il suffit de lire, notamment, le texte liminaire de Benoît Misère pour s'en convaincre: la modernité poétique de Ferré résidant alors dans cette contradiction, ce paradoxe, cette complexité. Il n'est pas sûr d'ailleurs que Ferré ait eu une idée précise ni établie de ce qu'il faisait en poésie et qu'il ait privilégié une sorte de projection spectaculaire de la parole. D'où ces changements de registres, de genres, etc. Je ne dis pas cela en mauvaise part forcément - au contraire cela m'intéresse - même si cela va à l'encontre de certains préjugés ou en tout cas de jugements de valeur.
Je pense effectivement que la critique descriptive de la poésie de Ferré s'annonce plus ardue que l'analyse musicale, mais c'est toujours le cas. Sauf qu'effectivement, on ne manquera jamais d'"experts" littéraires.
Cette fois-ci c'est moi qui vous reprocherais votre sévérité. Moi, ce qui me frappe, tout de même, c'est la qualité de l'"inspiration": il y a peu de fautes de goût de ce point de vue. Alors bien sûr, certaines orchestrations sont démodées et on peut trouver désuette celle de LCDMA. Mais ne dirait-on pas la même chose de la musique ("sérieuse" et française) de l'époque?
Autre point: le "pastiche". Comme cela semble constituer pour vous un amoindrissement de la qualité de l'oeuvre, j'imagine que vous l'apparentez à une forme de plagiat inconscient ou non. C'est en tout cas ce que reproche, prudemment ("réminiscences"), J. Bellas aux Cosaques Zaporogues. Ne connaissant guère l'oeuvre de Khatchaturian (juste entendu un morceau, une fois), je ne vois pas très bien ce à quoi elle pense. Et il n'est pas sûr que Ferré lui-même soit "passé par" Khatchaturian: il faudrait retrouver la ou les musiques en question, pour se faire une idée plus précise. On a bien entendu dire qu'il y avait du Beethoven et du ... Schoenberg! dans la CDMA. Encore que J. Bellas semble avoir, elle, une culture musicale.
"Pastiche": un défaut pour vous, alors même qu'une certaine critique d'avant-garde (Tel Quel, Kristeva, etc.) a défendu l'idée de la nature profondément intertextuelle ou "palimpestueuse" de la littérature et des arts (dépassant en cela une définition de la modernité à la Adorno). Il me semble qu'il y a un "maniérisme" affirmé de Ferré, y compris dans sa poésie: pas seulement dans les clairs de lune post romantiques et ses dérivés montmartrois (je repense à votre note ici mais aussi au texte de Ch. Estienne, qu'il faut relire à ce sujet), ainsi que dans ses différents "styles": quand on lit Ferré, il y a de l'Apollinaire, du Prévert, du Genet, du Breton (par ex. les textes en prose, "Technique de l'exil"), etc. Rien d'étranger d'ailleurs à une poésie d'une certaine époque. Je ne parle pas simplement des allusions/citations/réactivations de leurs vers ou phrases ni des inscriptions, on va dire, dans certains univers thématiques. Mais cette influence est sensible aussi dans le style aussi: il y a largement de quoi faire une étude comparative.
Ce que j'appelle ce "maniérisme" de Ferré n'est ni étranger à l'"art industriel" (cf expo Blanche Neige, cf musiques et rhétoriques (mélo)dramatiques hollywoodiennes, de Max Steiner p. ex., ersatz exacerbés de la musique de Wagner), ni, selon moi, à sa mélancolie (et il y aurait bcp de choses à redire dans ce que j'ai lu sur la (non) noirceur de Ferré - mais pas eu le temps, ni le courage...).
Écrit par : gluglups | jeudi, 20 septembre 2007
"Il n'est pas sûr d'ailleurs que Ferré ait eu une idée précise ni établie de ce qu'il faisait en poésie" :
Oui, ça, j'en suis persuadé. Il ne savait pas quelle place il occupait (je veux dire : à quel endroit ; je ne parle pas ici d'importance, mais de situation). Je pense qu'il s'en fichait royalement. Mais une oeuvre s'installe, qu'on le veuille ou pas, et prend sa place dans le temps et dans les courants artistiques. La postérité aussi, il s'en moquait. Mais la postérité, c'est aujourd'hui et nous, nous faisons avec. Or, je ne sais toujours pas quelle place il occupe exactement -- une place originale, certes, importante, sûrement, mais encore ? -- et je repose la question une fois encore : Ferré, qu'est-ce que c'est ?
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
Jacques Layani: "J'avais, en 1987, écrit deux ou trois lignes à propos de la mise en musique (et du chant) de la prose, justement." Pourriez-vous nous les retrouver, svp (pas toujours facile de tomber sur LE passage dans un livre).
J'aime beaucoup Une Saison en Enfer. Pê en raison, justement de sa simplicité. Ce serait d'ailleurs très bien que la "démo" au magnéto, si elle existe, ressorte un jour (on en connaît qq extraits).
En même temps, je ne suis pas sûr que Ferré ait trouvé des "solutions" musicales propres à la prose. Deux arguments:
1. La plupart des proses interprétées sont dites sur un fond musical. Bien sûr, il y a des intonations de la voix (qu'on pourrait presque retranscrire sur une partition) en rapport avec cette musique.
2. Il me semble que les parties "chantées" d'USEE ne sortent jamais vraiment d'une structuration mélodique (refrains ou "rengaines" à l'état d'ébauche, en voie d'élaboration, de résolution).
Écrit par : gluglups | jeudi, 20 septembre 2007
Je ne sais plus où c'est dans La Mémoire et le temps, je ne suis pas chez moi, mais c'était trois fois rien. Je pensais à l'époque à L'Etranger : prose ET dialogue. A propos de dialogue, ses changements d'intonation me paraissent toujours remarquables. C'est comme dans L'Opéra du pauvre, on finit par croire que c'est vraiment à plusieurs voix alors qu'il n'y en a qu'une.
Je ne sais pas s'il s'agit de solutions propres à la prose et, c'est vrai, les intonations sont chantées, c'est une structuration mélodique. Mais je sais que le résultat me plaît beaucoup. De toute façon, il psalmodiait volontiers et il a écrit bien des récitatifs. Il n'y a pas là de différence fondamentale. Il faudrait, mais je n'en suis vraiment pas capable, traiter de l'influence liturgique dans sa musique, de l'influence de la musique sacrée.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
"Je pensais à l'époque à L'Etranger": ah oui, c'est vrai. Dommage qu'il y ait cet accompagnement dégoulinant, avec un rythme aussi carré qui gâche tout.
"l'influence liturgique dans sa musique": tout aussi bien celle de Debussy: Pelléas, c'est un texte en prose, avec une "mélodie" en continu. Si Debussy a tué l'opéra, selon Ferré, c'est pê qu'il estimait qu'on ne pouvait guère aller plus loin?
Écrit par : gluglups | jeudi, 20 septembre 2007
Je me garderai bien de toute opinion tranchée là-dessus, par incompétence. Autrement, oui, quand on dit que X a tué ceci ou cela, c'est effectivement qu'on ne peut -- ou qu'on pense ne pouvoir -- aller au-delà.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
les thèses d'adorno, je trouve que ce sont de bons outils pour questionner.Ce qui ne signifie pas qu'il ait raison sur tous les points.....ça peut être une entrée dans une problématique,non une réponse incontournable.
A propos du" pastiche": je n'ai rien contre,au moins en littérature....Je ne pense pas Kristeva,que j'ai beaucoup lu autrefois,et qui me semble avec le recul sur des positions intenables,je dirai presque:dans le pastiche de la théorie de l'écriture.tel quel est un outil périmé et inutilisable.Vous le découvrez peut-être rétrospectivement,mais quand on l'a "vécu" presque de l'intérieur,on est plus sévère!
Cela dit, nos derniers grands écivains manient de belle façon pastiche et parodie,sans tomber dans la restauration:Pensons à Jacques Roubaud,Réda,Chaillou, voire Novarina.Ce n'est pas noir ou blanc.....
Pour LCDMA,j'ai, comme je disais, toujours senti une certaine gêne à propos de certains passages...Les cosaques me faisaient penser quand j'étais jeune, à certaines musiques russes que j'écoutais sur de vieux 78 tours....Impression de déjà -entendu et non jugement de valeur :il y a une belle allégresse dans ce passage, pour parler en béotien.
Le privilège de l'âge fait que , vers 9 ou 10 ans, j'écoutais assez régulièrement les émissions de Ferré...Je n'y comprenais pas grand'chose, à ces musiques byzantynes..mais ça me fascinait...C'est bien plus tard, après le découverte de Ferré par le "Baudelaire",vers 58,que j'ai fait le lien en retrouvant un article sur ces émissions , dans un vieux progamme radio traînant dans le grenier....
Je passe un peu du coq à l'âne....;
A propos de Debussy, Ferré a ,il me semble, souvent mis en avant que son audace a été d'être le premier à avoir oser mettre en musique de la prose:Chanter de la prose, un opéra en prose....C'est très subjectif,mais je pense que c'est sans doute un des musiciens qui l'a le plus marqué.
Écrit par : Francis Delval | jeudi, 20 septembre 2007
Je comprends bien qu'ayant "vécu, presque de l'intérieur" l'époque Tel Quel, vous ayez aujourd'hui des réticences (cf Todorov). Mais la réflexion autour de l'inter/trans/textualité - qu'on ne saurait réduire à la question du pastiche ou de la parodie - constitue un apport tout de même indéniable, y compris pour des critiques plus "classiques" on va dire (Fumaroli, Th. Pavel). De ce point de vue-là, j'aurais tendance à prendre au sérieux l'ouverture de Benoît Misère.
PS: une tache dans vos références intellectuelles (que j'apprécie bcp)? Jamais vu de spectacle aussi mortellement ennuyeux et profondément creux et pour tout dire: visuellement aussi laid ds la Cour d'Honneur, que celui de Novarina. Bon, c'est sûr, on ne peut que lui reconnaître une certaine virtuosité verbale.
PS2: on attend absolument de vous le récit de vos "soirées byzantines", même romancé.
Écrit par : gluglups | jeudi, 20 septembre 2007
A propos de Ronsard: dans la compilation en poche intitulée "les amours", le poème a été rebaptisé "Stances", par A.M.Schmidt,qui fut un merveilleux professeur de littérature comparée à la fac de Lille (il fut tué à Paris par un bus en 66 je crois),et aussi membre très facétieux du collège de pataphysique..........Le texte se trouve en réalité dans le recueil intitulé "Les Meslanges" et s'appelle "Ode à sa maîtresse".Cela dit, ça n'a nulle importance.
Écrit par : Francis Delval | jeudi, 20 septembre 2007
je ne connais de Novarina que ses écrits.Je n'ai jamais vu ses spectacles.
Fumaroli ( qui fut aussi à Lille) et Pavel,c'est quand même très réactionnaire ..Ne me donnez pas l'envie de défendre tel quel!!!
Écrit par : Francis Delval | jeudi, 20 septembre 2007
Si, si, ça en a.
Gluglups a dit avant moi que vous devriez nous raconter ces soirées radiophoniques que vous avez vécues. Comme je le dis souvent, grâce à Jacques Miquel et à vous, j'apprends des choses. Comprenons-nous : grâce aux autres aussi mais là, c'est une question d'âge. Dites-nous ce que vous avez connu, merci d'avance.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
Si, si, ça en a.
Gluglups a dit avant moi que vous devriez nous raconter ces soirées radiophoniques que vous avez vécues. Comme je le dis souvent, grâce à Jacques Miquel et à vous, j'apprends des choses. Comprenons-nous : grâce aux autres aussi mais là, c'est une question d'âge. Dites-nous ce que vous avez connu, merci d'avance.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
Commentaires croisés, doublons... Pff ! Pardon pour ce désordre.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
Ne me demandez pas l'impossible....les livres, la radio seuls moyens de culture avec l'école...J'écoutais un peu tout.Mais là ,j'avais neuf ans, je n'ai qu'un vague souvenir , je ne comprenais pas bien ce que disait Ferré,ça me semblait très fort,et il y avait la musique...Je n'ai probablement pas écouté à chaque fois...Ce n'est que rétrospectivement que j'ai associé le type qui parlait "dans le poste", comme disaient les braves gens à l'époque à Léo Ferré, que j'ai re-decouvert en entendant, un après-midi de 58 l'intégrale du " Baudelaire" à la radio, puis j'ai beaucoup aimé deux chansons qui passaient vers 59 : "la fille des bois", dont l'enregistrement de Ferré n'est pas encore réapparu, et surtout "Noël" qui est, sur le plan affectif ma chanson préférée...Puis il y eu le premier Barclay et je me suis procuré peu à peu tous les Odeons et chants du monde,dont la chanson du mal-aimé vers 61 ou 62,et "Poètes,vos papiers", le "sigaux",et le Seghers...Rien que de très banal ...Ce qui me semble curieux avec le recul, c'est que je n'ai pas amalgamé tout de suite le speaker des musiques byzantines,le chanteur des "fleurs du mal",et les succès de ces années-là que furent "le piano du pauvre" et "Paris-canaille"....J'ai par contre retrouvé avec émotion l'indicatif de l'émission dans le cd donné avec le livre:j'ai su que ce n'était pas un faux souvenir,j'ai bien reconnu la musique, dès les premiers accords.
Avais-je déjà des démêlés avec les talents multiples de Ferré,pour ne pas avoir fait le rapprochement tout de suite.C'est en fait un article sur Ferré, paru dans la semaine-radio, avec un dessin d'hervé morvan, en 54,et que j'ai retrouvé en rangeant le grenier ,qui m'a appris qui était Ferré,ce qu'il faisait ,etc...et on y annonçait d'ailleurs une suite aux musiques B.!Ce devait être après le "baudelaire" que j'ai retrouvé ce papier.
Écrit par : Francis Delval | jeudi, 20 septembre 2007
Eh bien, voilà des souvenirs, pourquoi parlez-vous d'impossibilité ? Allez, cherchez bien, vous allez y parvenir. Nous sommes tous à vous attendre et à vous écouter.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 20 septembre 2007
glugups:précision à propos de Tel quel, ça peut vous intéresser.Je ne peux ici vous dire que ce qui est déjà public
J'ai beaucoup lu Tel quel et ses revues satellites (promesse,etc) à partir de leur époque Mao, donc en gros 71,leur intérêt pour Bataille et Ponge m'interpellait, eton trouvait cela très neuf et très intelligent.Mais j'avais choisi de rallier l'UCFML, le groupe dirigé par Alain Badiou et son "annexe", le groupe"Foudre", groupe d'intervention dan l'art et la culture.Il y eu une rencontre des "chefs"(Sollers,Pleynet, Kristeva d'un coté, Badiou,lazarus et Natacha michel de l'autre) pour négocier une fusion éventuelle:ça ne colla pas;heureusement, car dès fin 74 tel quel passa avec armes et bagages dans le camp des nouveaux philosophes, rejoignant Clavel, Lévy et Glucksmann.....liquidant leur politique antérieure (Sollers fait tjs la girouette...;)
J'ai donc continué avec Alain, Natacha et les autres,dans des revues sur l'art et la culture,aux titres improbables "feuille foudre","l'imparnassien", "le perroquet"....pendant dix ans, revues toutes introuvables, et le pseudo était de rigueur.J'ai beaucoup appris ,la fidélité,et plus de trente ans après, nous sommes toujours ensemble même si la vie nous a séparés,il y a tjs le lien des revues et une"organisation", pour une politique sans parti.
Mais de prop' sur le blog!
Le travail philosophiqued'alain badiou est assez stupéfiant, et il est certainement le philosophe français vivant le plus connu et traduit dans le monde
Avec le recul, Tel quel ne tenait pas la route intelectuellement.J'ai encore une grande estime pour denis roche, et aussi pour jean louis baudry, un dentiste fou de philo et de littérature qui publie encore d'excellents romans loin de toute préoccupation politique.Je n'ai plus aucune estime pour les travaux passés de Kristeva ( le meilleur vien t des formalistes russes et de Bakhtine),pas plus pour ce qu'elle a fait depuis...
Écrit par : Francis Delval | jeudi, 20 septembre 2007
je vous accorde volontiers que Ferré n'a pas de conception bien arrêtée de la poésie. "il y a de l'Apollinaire, du Genet,du Breton"
Mais chez Apollinaire, il y a du Laforgue et du Rimbaud, ches Genet beaucoup de Baudelaire,Chez Breton, du Valéry comme du Lautréamont.....je ne parle pas de pastiche ou de plagiat,mais il y a une intertextualité qui fonctionne, et ce n'est pas propre à la poésie.
ça a été qd même un des points forts de Tel quel et notamment de Kristeva de mettre en avant cette idée, du moins d'essayer de la théoriser.Il ne faut rien jeter!Les gens qui produisent beaucoup disent forcément des choses justes, même s'il s'agit d'emprunts....(Philippe Forest, l'auteur de "l'enfant éternel",ce livre déchirant, a publié il y a qq années une excellente et volumineuse "histoire de Tel quel" au Seuil, très bien faite,qui est un excellent document sur la vie intellectuelle française des années 60-80.A lire)
Écrit par : Francis Delval | vendredi, 21 septembre 2007
revenons au sujet:
à propos de Khatchaturian:je ne connais que la célèbre "danse du sabre", qui date de 42...ça me semble assez différent des cosaques de LCDMA.
la musique arménienne ,je la trouve éloignée de la musique russe.
A propos des émissions de Ferré: rappelons qu'avant "musiques byzantines", il donna plusieurs séries d'émissions sur les musiques de l'est,la musique russe,la musique soviétique....Cette spécialisation vient-elle de l'influence de Sabaniev?(question pour jacques Miquel)....Dommage que les textes n'aient pas été exhumés à ce jour.
Sabaniev, elève de Scriabine...musicien non évoqué dans les M.By.....Scriabine fut un des premiers à essayer de rompre avec le système tonal,et plongé dans la théosophie chercha obstinément des systèmes de correspondance entre les sons et les couleurs.Je ne dis cela que pour rappeler l'importance de la couleur chez Ferré (cf note de Jacques..):n'y a-t-il pas chez Ferré, de façon non mystique,toute une théorie (implicite) des correspondances,des passages d'un art à l'autre,qui serait une des marques de la modernité...la polyvalence: dilettantisme de l'artiste ou recherche de liens entre les modes d'expression?
Écrit par : Francis Delval | vendredi, 21 septembre 2007
Pour ma part j'ai préféré observer un silence prudent sur ce thème de la musique dans lequel je n'ai aucune compétence sinon de l'émotion à l'écoute. Mais pour répondre à Francis, j'ai effectivement pensé à l'influence éventuelle de Sabaniev (comme musicien et comme musicologue) sur la CDMA dans le passage des Zaporogues. De semblables idées me sont venues à l'écoute de certains passages de De sac et de corde, ou d'autres pièces aux accents musicaux d'Europe central. De toutes façons je crois que si Léo Ferré a animé une série d'émission sur la musique russe et soviétique c'est qu'il devait bien connaître le sujet pour lequel Sabaniev était vraisemblablement l'initiateur. Il aurait été intéressant de pouvoir écouter les mélodies de Sabaniev pour mesurer la proximité entre les deux hommes... De même j'ai également pensé aux recherches musicales de correspondances chromatiques (?) mises en oeuvre par Scriabine notamment je crois dans Prométhée et parallèlement le thème récurrent des couleurs chez Léo Ferré, mais ce ne sont que des impressions faute de pouvoir théoriser tout cela toujours par manque de culture musicale.
Écrit par : Jacques Miquel | vendredi, 21 septembre 2007
En écrivant Correspondances, Baudelaire a formalisé ce que toute personne sensible savait certainement déjà et a, quoi qu'il en soit, "interdit" de faire autrement désormais.
Il y a donc évidemment des recherches de correspondances chez Léo Ferré dans sa pratique de disciplines différentes. Peut-être aussi dans les divers registres de sa langue, comme on l'a dit souvent ici. Les différents registres de langue se répondent aussi, quand ils ne cohabitent pas carrément dans le même texte. Et encore, les différents styles d'écriture : vers classiques, vers libres, prose, prose poétique mêlés...
Ces va-et-vient permanents sont constitutifs de lui et de son travail. D'où cette place originale dans la création artistique. D'où la question sans fin : Ferré, qu'est-ce que c'est ?
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 21 septembre 2007
Jacques,Glugups: impossible de répondre à votre demande pressante,souvenirs trop anciens, trop peu précis.Je ne peux ici qu'essayer de montrer l'importance des années-radio à cette époque...
habitant la proche banlieue de Lille,un village de banlieue encore "rurale" ( 20 fermes, 35 bistrots grosso modo, mais avec qd même 3 cinémas de quartiers où ,le samedi et le dimanche on voyait pêle-mêle chefs d'oeuvres américains et invraisemblables nanars....la radio était une des rares ouvertures sur le monde
Il y avait l'école communale,très important!!!!Ecole où l'apprentissage de poèmes par coeur était de rigueur:Hugo,Héredia,Samain...mais aussi Rimbaud: à 8 ans, je connaissais par coeur "le buffet", que je n'ai jamais oublié...
Il y avait la bibliothèque laissée par mon grand'père,300 livres environ (j'en ai encore),où j'ai découvert surtout Dumas que j'ai dévoré....Depuis l'âge de 9 ans, je suis "fan" de Dumas père,et il y a encore beaucoup de livres non réédités dont j'espère voir la sortie.Dumas, c'est comme Ferré une longue fidélité.Et il y avait deux livres dont mon grand'père avait interdit la lecture à ma mère : "Candide" et "Les fleurs du mal".ça m'a évidemment intéressé,et j'ai lu Baudelaire vers 11 ou 12 ans, sans tout comprendre,mais ça a été un choc décisif.D'où l'intérêt que j'ai porté à Ferré quand j'ai découvert à la radio qu'on les avaient mis en musique....
Guère de télé dans ces années-là,à part les journaux locaux, la radio était la seule fenêtre ouverte à toute heure sur le monde.Qu' écoutai-je? Il y avait de bons feuilletons 5herlock Holmes, Arsène Lupin),beaucoup de thêatre,il y avait les chansonniers, Léo Campion, Grello,(je ne comprenais pas toutes les allusions, évidemment),Pierre Dac et F.Blanche, Darras et Noiret,Poiret et Serrault, la chanson , cela va de soi,Piaf, Reda Caire, Dassary, Guetary...Trenet....Brassens passait peu,Ferré rarement aussi,je pense.Bref , le pire et le meilleur.
Entendre l'intégrale du "baudelaire" -un après-midi,ça a donc été décisif,et comme je l'ai déjà dit,ce n'est qu'après coup que j'ai pu faire le lien avec les "Musiques byzantines"(je n'ai probablement pas tout entendu, mais assez pour que le (très vague) souvenir me soit resté:ce qui domine dans ma mémoire, mais je l'ai déjà dit, c'est l'impression d'une grande intelligence....même si ses propos ont dû, pour l'essentiel m'échapper...
9 ans : Ferré et Dumas,découverts ensemble.63 ans:ils sont toujours là, aussi essentiels, pour des raisons bien sûr très différentes.Et la philosophie , cela va de soi.Je crois à la fidélité dans la vie et aussi en ce qui concerne l'art.Je me méfie des engouements passagers, on prend et puis on jette trois mois après.
Badiou défend la thèse que la philosophie ne peut exister que selon quatre conditions: Qu'il y ait la science (surtout les mathématiques),la politique, l'amour ,et l'art.Quand on est dans une époque ou un moment où l'une ou l'autre vient à manquer,la philosophie devient très difficile....Mais il faut la faire exister quand même.....;
De la communale à la philo, le raccourci est rude.Mais vous avez réussi à me faire parler de moi, ce que je déteste faire en général...Mais avec vous, je me sens un peu chez moi.
Que cela n'amondrisse pas l'âpreté des discussions: c'est aussi parfois -souvent-
par le conflit que l'on progresse..
Écrit par : Francis Delval | vendredi, 21 septembre 2007
Que tout le monde ici se sente chez lui, c'est bien mon désir. Amicalement à tous.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 21 septembre 2007
Une chose, quand même, dont vous avez peut-être le souvenir. Cette VOIX qui parlait à la radio vous avait-elle frappé ? Nous ne savons pas (nous pouvons l'imaginer, certes) quelles étaient alors sa voix et sa diction, surtout pour des textes en prose, mi-littéraires mi-didactiques. N'auriez-vous pas dans l'oreille un brin de cela ?
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 21 septembre 2007
Jacques, ça fait 53 ans...il faudrait demander à ceux qui ont réalisé le recueil pour LMELM...qui ont dû réécouter les bandes..ce serait plus fiable...Avez-vous un souvenir précis de ce que vous avez pu écouter vers 9 ans?........Mais j'ai bien identifié la musique du générique....pas d'erreur possible....Dans l'article de 54 que j'avais retrouvé, on annonçait que Ferré allait faire une nouvelle émission "du tuyau d'orgue à l'ultrason", et il y avait de larges extraits des paroles de ND de la Mouise, qui allait sortir...et un portrait par hervé morvan, mais qui dans mon souvenir n'est pas celui qui se trouve dans le seghers...plutôt une esquisse de ce dernier..
Ne pas rater: Demain soir sur Arte: "Pelleas et Mélisande", de Debussy.....intégrale.Rare à la télé!
Écrit par : Francis Delval | vendredi, 21 septembre 2007
Je sais bien que ça fait longtemps mais justement, une voix peut frapper, même si l'on n'a aucun souvenir de ce qu'elle disait. Le timbre, le grain, l'ampleur, le souffle, la tessiture, bref, ce qui fait une voix, on peut garder ça dans la tête, je crois. Mais bon, je n'insiste pas.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 21 septembre 2007
En tapant "katchaturian"sur google,entrer sur le premier site acam-musique....on peut écouter en ligne la fameuse "danse su sabre", à quoi fait sûrement référence la dame de l'article (c'est très court)....Le rapport avec LCDMA n'est pas évident...pas grand'chose à voir avec les cosaques.
Katch a remanié sa "danse" en 57..après avoir écouté Ferré? (private joke)
Écrit par : Francis Delval | vendredi, 21 septembre 2007
Je pense, ayant réécouté la Danse du sabre, que l'auteur de l'article voulait évoquer un climat plus qu'autre chose. Il n'y a pas de relation à proprement parler, juste ce qu'on peut ressentir comme une ambiance, quelque chose de fugace, de fugitif, peut-être aussi le dernier accord...
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 21 septembre 2007
"Il n'y a pas de relation à proprement parler": c'est parce que vous entendez les choeurs et non l'instrumentation. Les ressemblances sont flagrantes et pas qu'au niveau du rythme.
PS:J.Bellas lui reproche moins les "réminiscences" qu'une certaine forme de cliché.
PS2: Chostakovitch a mis en musique le même passage dans sa symphonie XIV (bcp plus tard d'ailleurs, style 1970). Résultat très différent.
Écrit par : gluglups | samedi, 22 septembre 2007
Vous voyez, il vaut mieux que je me taise en matière de musique.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 22 septembre 2007
Mais non, il ne faut pas vous taire....Essayer de parler de ce qu'on ne connaît pas ou mal, c'est une des façons d'apprendre.sans devenir pour autant un "spécialiste",quand on maîtrise bien un langage, une discipline,il y a des transferts de compétence qui s'opèrent...vers d'autres rivages...La polyvalence de l'artiste, de l'intellectuel,c'est aussi (pas seulement bien sûr), un pb de transfert....Bon, le prof refait surface:je ne dis plus rien ce soir....
Écrit par : Francis Delval | samedi, 22 septembre 2007
Allons, il y a des tas de profs ici ! C'est une vraie salle des professeurs. Moi aussi, je suis de l'Education nationale. Mais le blog n'est pas réservé aux collègues, n'est-ce pas ?
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 22 septembre 2007
Je n'ai pas vraiment d'opinion sur le sujet, mais, du strict point de vue du goût personnel, je place la version de "La Chanson du Mal Aimé" par Léo Ferré très en-dessous des disques Baudelaire et Rimbaud/Verlaine.
Je profite de mon passage pour signaler une très belle captation des Anarchistes, qui a peut-être été signalée déjà :
http://youtube.com/watch?v=Np9o1ChUT3g
Écrit par : Guillaume Cingal | dimanche, 30 septembre 2007
Oui, c'est Bobino 1969, un grand moment dans la vie et l'oeuvre de Ferré. Plusieurs extraits voyagent sur la Toile.
Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 30 septembre 2007
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