lundi, 15 octobre 2007
La blessure et la source
L’amour du sexe féminin a été chanté par Léo Ferré en de multiples occasions, de Cette blessure à Ta source avec, naturellement, Alma Matrix qui est un long texte sur le sujet. Il a dit aussi combien la menstruation le fascinait.
Ta source est une chanson qui présente immédiatement l’imaginaire ferréen – « Elle naît tout en bas d’un lieu géométrique / À la sentir couler je me crois à la mer / Parmi les poissons fous c’est comme une musique / C’est le printemps et c’est l’automne et c’est l’hiver » – par le choix des mots : géométrique, couler, mer, fous, musique, litanie des saisons… avec reprise de la litanie interrompue au quatrain suivant : « L’été ses fleurs mouillées au rythme de l’extase », qui n’est pas sans rappeler la structure interrompue de la chanson On s’aimera, où l’été, par une brisure de la construction, est traité différemment des autres saisons.
Il y a, dans le courant du texte de Ta source, un changement de direction dans le propos. La chanson commence par la désignation d’une « source », disons : non définie ; au troisième quatrain, le propos s’élargit, s’étend aux « sources » en général, avec, encore, une allusion aux règles. Les quatrième, cinquième et sixième quatrains, eux, constituent une adresse à une femme en particulier. En particulier… bien qu’elle soit inconnue : il s’agit d’une personne faisant partie du public de l’artiste, une femme qui pose un jour, sur le plateau de son électrophone, un disque – le chanteur ne le sait pas – et se retrouve séduite par sa voix. Cette séduction intellectuelle conduit cependant à l’amour charnel clairement décrit, le texte s’achevant sur un hexamètre célébrant les caresses buccales et l’amour de Ferré pour la cyprine. On voit qu’en six quatrains, le poème a dit plusieurs choses, comme souvent chez l’auteur.
Cette blessure, évocation de la même partie du corps, tenait un propos plus régulier : on y évoquait simultanément l’amour physique et la naissance de la vie, d’une manière indissociable. Inéluctablement, la chanson s’achevait sur la présence de la mort, célébrant l’extase et scellant ainsi, comme toujours chez les poètes lyriques, le couple amour-mort – avec, toutefois, un ultime octosyllabe : « Cette blessure dont je meurs » qui, ambigu, peut être compris de plusieurs manières : « dont je meurs d’envie », « dans laquelle je meurs » (extase) et « dans laquelle je meurs » (parce que j’en suis né et que la vie et la mort, c’est pareil).
La dimension métaphysique de Cette blessure n’est pas présente dans Ta source où les allusions à la musique, par contre, ont leur place entière, comme si, au fil du temps, elle avait su remplacer l’inquiétude.
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Commentaires
Ouh la la, je ne connaissais pas Ferré aussi sensuel. La profusion de métaphores charnelles dans "C'est extra" aurait dû me mettre la puce à l'oreille.
La cyprine, dis-tu. Je prenais ce terme pour un néologisme et me suis abstenu de le citer jusque là. Comment dire... Ca manque d'un peu de cachet, la cyprine. Hum. La cyprine désigne aussi un coquillage (ceci explique-t-il cela?) et une pierre précieuse de couleur... bleue.
Écrit par : Richard | vendredi, 19 octobre 2007
Ouh la la, je ne connaissais pas Ferré aussi sensuel. La profusion de métaphores charnelles dans "C'est extra" aurait dû me mettre la puce à l'oreille.
La cyprine, dis-tu. Je prenais ce terme pour un néologisme et me suis abstenu de le citer jusque là. Comment dire... Ca manque d'un peu de cachet, la cyprine. Hum. La cyprine désigne aussi un coquillage (ceci explique-t-il cela?) et une pierre précieuse de couleur... bleue.
Écrit par : Richard | vendredi, 19 octobre 2007
Ouh la la, je ne connaissais pas Ferré aussi sensuel. La profusion de métaphores charnelles dans "C'est extra" aurait dû me mettre la puce à l'oreille.
La cyprine, dis-tu. Je prenais ce terme pour un néologisme et me suis abstenu de le citer jusque là. Comment dire... Ca manque d'un peu de cachet, la cyprine. Hum. La cyprine désigne aussi un coquillage (ceci explique-t-il cela?) et une pierre précieuse de couleur... bleue.
Écrit par : Richard | vendredi, 19 octobre 2007
Oui, c'est le même mot. Je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs. En tout cas, la sécrétion féminine s'appelle bien cyprine, avec cette orthographe, je l'ai vérifié.
Tu ne savais pas Ferré sensuel ? Ben... ça alors... Remarque, c'est formidable, il te reste des choses à découvrir, comme ça.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 19 octobre 2007
jacques, votre note ,complète, analyse bien les deux textes que vous avez isolés.Je regrette néanmoins -mais le choix est vôtre et légitime- que vous n'ayez pas fait un triptyque.
Dans "Testament phonographe", recueil qui n'est pas composé au hasard, ou trouve à la suite 4 chansons "érotiques": faites l'amour, Porno Song,Cette blessure, la damnation....
Or, "La damnation" complète de par son thème et son vocabulaire la chanson qui la précède..comme une suite.....
la damnation pour un triangle,la damnation pour une source,géométriquement, par deux fois , qui rappelle "géomètres de hasard...etc (ta source,cette chanson n'est pas écrite lorsque le recueil est composé si j'ai bonne mémoire)
Ce qui m'accroche , c'est la persistance de l'image du triangle (pubien) qui traverse toute l'oeuvre,et en conséquence,les nombreuses occurences de "géomètre, géométrie, géométrique,Euclide, etc...Ferré avait un lexique très étendu,cette insistance est un choix, non une facilité
la damnation est à part dans l'oeuvre car elle a chantée sur deux musiques différentes (version récital 72,et disque "l'espoir" dont j'ai oublié la date.Je préfère la première,version popaul au piano.)
Ce n'est pas le seul cas : il y a eu "L'amour" , je préfère la version Odéon.... et "la sorgue", je préfère la version "opéra du Pauvre.j'en oublie sans doute.A quel impératif répondent ces changements de mélodie, de rythme,on peut se poser la question...Avons-nous le moyen de répondre?
Toutes ces métaphores et images "géométriques" liées au sexe féminin mériteraient d'être étudiées de plus près,car ce n'est pas en poésie un registre très fréquent en dehors de Ferré.
Écrit par : francis delval | vendredi, 19 octobre 2007
J'ai choisi ces deux textes car ils sont deux versions d'une "célébration" du sexe féminin. Il y avait bien sûr des tas d'autres textes mais, là encore, je ne voulais pas faire de liste ni d'inventaire. Bien sûr, La Damnation, Faites l'amour, Porno Song... Mais bien sûr aussi, Les Bonnes manières, Ton style, Les Amants tristes... Et bien sûr, La Fleur de l'âge... Et d'autres...
Sur le simple plan du triangle, ces deux chansons m'ont paru les plus représentatives.
Pour ce qui est des changements de mélodie, il n'est pas exclus que celles au piano aient été préparées au hasard des tournées, en attendant une version définitive -- pour pouvoir être interprétées en scène rapidement. Je ne dis pas que c'est la réponse, mais c'est une possibilité. A ce moment-là, Léo Ferré tourne beaucoup, il compose pas mal dans des chambres d'hôtel, il a Popaul avec lui.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 19 octobre 2007
A propos de la cyprine:oui, c'est bien le terme exact, formé à partir du grec latinisé,sur "cyprin", -la carpe, et per extension le poisson rouge (cyprin doré).
La cyprine a cette particularité d'être dans le corps humain une des substances contenay le plus de triméthylamine,un dérivé de l'ammoniac (qu'on trouve aussi dans l'urine), et dont la fonction est de nettoyer l'organisme.
On peut penser à "L'esprit de famille"
"Et malgré l'odeur d'ammoniac
Le père aimait à se repaître
Pour qu'on lui foute le prix Cognac
Y'avait plus tellement d'kilomètres"
qui peuvent renvoyer aussi bien à l'odeur de la cyprine qu'à l'odeur d'urine des nombreux bébés .....
Ferré, pour parler des femmes, de leur sexe, use largement d'images et de métaphores liées à la mer,la marée, le jusant, les odeurs marines, etc...
Sandor Ferenczi, psy hongrois et freudien dissident a tenté d'élucider le lien entre les marées et les femmes,leurs règles que l'on lie populairement à la lune (mal lunée,etc).
Son argument, fort résumé ,est le suivant:
Si la lune agit sur les océans, qui contiennent des poissons, qui contiennent de la triméthylamine en grande quantité(surtout quand ils se décomposent....), alors n'est-il pas logique que les marées agissent aussi sur les femmes dont la cyprine est riche de la même substance?Donc, les femmes dépendent des marées:leur destin est lié à la mer:la femme est océanique."femmocéane", comme disait Finkielkraut quand il savait encore écrire et avait les cheveux longs.
du point de vue de la logique, ça ne tient pas, on voit bien ici le danger du raisonnement analogique.J'ai parfois donné cet exemple à mes étudiants pour illustrer le raisonnement faux.En général, ils le retenaient bien, allez savoir pourquoi..
J'ignore si ferré a lu le livre "Thalassa", de Ferenczi, mais son imaginaire est assez vaste pour avoir inventé seul ses métaphores marines pour chanter les femmes et leur sexe.
..
Écrit par : francis delval | samedi, 20 octobre 2007
Eh bien, Richard, tu as la réponse à ta question sur la cyprine.
Cette histoire d'ammoniac me turlupine car, si je ne m'abuse, certains avortements clandestins se faisaient par injection d'ammoniac (!) Mais c'est en contradiction avec le prix Cognac, qui récompensait au contraire les familles nombreuses. Donc, ici, c'est bien plus vraisemblablement l'odeur d'urine des nombreux bébés, effectivement.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 20 octobre 2007
pour le changement de musique de la "damnation", vous avez probablement raison....ça laisse entier le pb de "l'amour",dont le texte primitif a été complété près de trente ans après et est devenu "je t'aime"...cette seconde version rallongée, je trouve qu'elle a moins de force, d'impact, que la première, sur fond d'orgue....est-ce une simple question de goût personnel?
idem pour "la sorgue",est-ce que la seconde mouture des musiques dérange l'habitude de notre oreille?
Changer le texte me gêne moins ( ex Muss es sein , version Pia colombo et version Ferré ) que changer la musique
Quant à Murat, difficile de s'y faire...Je commence à me dire que le "Léotard" ,que je n'aimais pas trop, finalement ,à côté ce n'était pas si mal, malgré quelques mots estropiés, au moins ça ne manquait pas d'affects,on sentait sa passion pour Ferré....
Écrit par : francis delval | dimanche, 21 octobre 2007
Pour Je t'aime, je ne sais pas. Il s'agit de L'Amour 1956, croisé avec Je t'aime jamais enregistré mais entendu en scène en 1971-1972 avec Paul Castanier au piano, le tout sur une musique différente des deux premières. Cela s'inscrit certainement dans l'optique symphonique des dernières années et dans un retour (ou un point d'arrivée, peut-être) à un tempo plus lent, plus calme, plus majestueux. La sérénité après l'orage. Enfin, c'est mon interprétation.
Eh oui, changer la musique est, pour le public, bien plus troublant que changer le texte. C'est la mystérieuse alchimie de la chanson : texte-musique-voix. Une chanson entendue une fois nou sreste gravée : une autre musique nous heurte, souvent.
Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 21 octobre 2007
par contre, l'utilisation de la même musique pour deux chansons ou deux textes différents ne me gêne pas du tout, par exemple ma musique de "c'est la fille du pirate" devenue celle de "Vison l'éditeur" ou l'inverse ( à quelle date exactement a été composée l'opéra "la vie d'artiste ?.....)
Ou le final "alors vint de printemps" de "l'opéra du pauvre" dont on retrouve la musique au final de "l'opéra des rats"....Manque de temps ?
En fait, s'il est souvent question se règles ou de menstrues dans les années 50 (fréquence élevée dans "poète..vos papiers",les métaphores érotiques dont vous avez parlé (laissons de côté 'la dernière version de la mémoire et la mer, pb de date....) aparaissent surtout à partir de 68-69 (année érotique, dixit Gainsbourg),avec c'est extra, l'amour fou(la plus belle?), la fleur de l'âge,les amants tristes ,ron style, etc...le lexique s'érotise, se sensualise,parfois de façon obsessionnelle,comme une libération.....
Écrit par : francis delval | dimanche, 21 octobre 2007
Il y avait effectivement libération : de la pensée (ou plutôt de son expression), des moeurs et la nouvelle vie de l'auteur, par lui vécue comme une libération.
Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 21 octobre 2007
Si si, Jacques, je savais Léo sensuel, mais pas à ce point, pas aussi explicite. Pour moi, ça s'arrêtait à "Et sous le voile à peine clos cette touffe de noir Jésus qui ruisselle dans son berceau comme un nageur qu'on n'attend plus".
Je remarque au passage une évocation quelque peu datée du triangle. Aujourd'hui, les femmes s'en prennent drastiquement à leur pilosité pubienne, à tel point que les triangles sont devenus une figure rare (à laquelle, personnellement, je suis resté sensible).
Écrit par : Richard | dimanche, 21 octobre 2007
Oui, oh, c'est une mode -- qui passera, comme toutes les modes. Sans jeu de mots scabreux, ça va ça vient...
Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 21 octobre 2007
je signale à Richard le beau nu au triangle blond, reproduit dans l'ouvrage (épuisé,) "avec le temps"..une photo de Grooteclaes, pour laquelle Ferré a écrit en regard un poème-calligramme lui-même en forme de triangle.
Écrit par : francis delval | jeudi, 25 octobre 2007
Merci beaucoup Francis pour cette référence. Nous irons fouiner chez les bouquinistes...
Écrit par : Richard | jeudi, 25 octobre 2007
'nu blond au triangle noir, en fait, je viens de vérifier...la mémoire, ça va ,ça vient...
Écrit par : francis delval | jeudi, 25 octobre 2007
Richard, tu verras l'image en question sur mon blog consacré à Grooteclaes, dans un des albums :
http://hubertg.hautetfort.com/album/images_de_grooteclaes/Arles,%201979.html
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 25 octobre 2007
... une occasion pour rencontrer ce merveilleux photographe trop tôt disparu.
Écrit par : Martine Layani | jeudi, 25 octobre 2007
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