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vendredi, 28 mars 2008

En écho

On l’a dit ici à plusieurs reprises : si l’on peut n’être pas d’accord pour mettre sur le même plan Léo Ferré et les noms illustres qu’habituellement on lui associe, il n’en demeure pas moins qu’il est nourri de ces auteurs. Ce qui est amusant, au-delà de leur présence effective dans son œuvre (lorsqu’il les chante, par exemple) ; au-delà de leur influence stylistique indéniable (il n’est pas le seul, la prosodie de Jean Ferrat doit beaucoup à Aragon) ; c’est le « détournement » qu’il se plaît à faire de certaines de leurs œuvres, de leurs tournures, de leur climat.

À La Mort des amants, il donne une introduction nouvelle qu’il reprend en conclusion : « L’amour sans la mort, ce n’est pas tout à fait l’amour », c’est-à-dire un des aspects du poème lui-même qu’il a mis en prose et isolé, en épigraphe comme en clausule.

Lorsqu’il écrit Le Bateau espagnol, on ne risque rien à affirmer que Le Bateau ivre vogue non loin dans son esprit : « J’étais un grand bateau descendant la Garonne » répond directement à « Comme je descendais des fleuves impassibles » et « Porteur de blés nouveaux avec des coups de trique » est un écho à « Porteur de blés flamands et de cotons anglais ». Dans cette même chanson, « Le bonheur ça vient toujours après la peine » répond à « La joie venait toujours après la peine ».

L’Âme du vin, encanaillée chez Odéon, éclot soudain en L’Âme du rouquin.

Il est d’autres rapprochements possibles comme les « citations » dans le corps des textes. « On passe à l’examen d’ minuit » de Vingt ans provient de L’Examen de minuit, expression consacrée depuis 1857. « Avec nos magnétophones qui se souviennent de ces voix qui se sont tues » est une « citation » de « L’inflexion des voix chères qui se sont tues ».

On remarque par ailleurs que les poésies dont on retrouve chez lui l’écho, il les a aussi chantées, bouclant ainsi la boucle des influences intellectuelles (le terreau nourricier, le lieu fondateur), des tournures stylistiques (la prosodie brodée au chiffre des grands poètes) et de l’interprétation dans tous les sens du terme (les choix artistiques de la mise en musique d’une part et le chant proprement dit d’autre part).

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lundi, 17 mars 2008

Pause de printemps

Le taulier part à la campagne pour un mois environ, pour raisons de santé. Ce lieu reste ouvert, les commentaires avec, s’il vous plaît d’en faire quelquefois.

Dans la mesure où il lui sera loisible de disposer d’internet, le taulier suivra tout cela avec attention.

La réouverture est prévue pour mi-avril, mais il se peut que de nouveaux textes soient publiés dans l’intervalle. Ne perdez pas l’adresse : ce lieu est le vôtre.

Amicalement.

mercredi, 12 mars 2008

La the môme

Il existe chez Léo Ferré un côté « témoin de son temps », peut-être involontaire d’ailleurs. Je ne pense pas ici aux textes « de chansonnier » qui fustigent l’époque, mais à de petites notations contenues dans les chansons, ici et là, dont voici un exemple qui, personnellement, me paraît frappant. Il s’agit de l’image d’une femme délurée en attendant d’être libérée et de ses métamorphoses successives.

En 1961, l’époque n’a plus la rigidité des années 50, la Ve République est jeune encore mais porteuse de promesses de stabilité et, si la guerre d’Algérie empêche d’être serein, une légère – oh, très légère – évolution des mœurs se fait jour. La femme jeune et un peu délurée d’alors s’appelle « jolie môme ». L’appellation en elle-même vaut d’être commentée. « Môme » est une survivance de l’argot des années 40 et 50, qui fait de la femme « la môme » (fût-elle Piaf), éventuellement « la môme vert-de-gris » (Peter Cheyney), « bébé », « la petite », « fillette ». La femme est alors tenue pour perpétuellement mineure. Quand elle ose, pourtant, avec l’insolence altière de sa jeunesse, elle ne porte pas de soutien-gorge, mais uniquement lorsqu’un solide pull-over la barricade et la protège : elle est « tout’ nue / Sous [s]on pull ».

Rapidement, viendra 1968 qui changera tout. Deux ans plus tard, en 1970, la jolie môme a grandi, elle s’appelle « la the nana » et porte une jupe extrêmement courte, « à ras l’bonbon », qui a remplacé « [s]a barrièr’ de frous-frous ». Si l’on écoute attentivement, on retrouve cette même fille juste après, qui croise dans Les Pops. Cette fois, elle a « la jupe en trop ».

On mesure le chemin parcouru : le pull-over a disparu, la jupe a raccourci puis elle a été enlevée. C’est l’époque de la révolution sexuelle et de l’amour libre ; profitant de l’évolution des mœurs, de la maîtrise de son corps due à la contraception et de l’air du temps qui permet aux « enfants » de s’inventer « la vraie galaxie de l’amour instantané », l’éternelle jolie femme, pleine de vie et de joie, à présent est « pop et [est] tout’ nue » et le poète « [l’]attend ». Autrefois, il lui disait : « Viens chez moi », cette fois il l’attend et l’on devine que c’est « dans la rue » puisque – il l’a dit ailleurs – « ces enfants dans la rue sont tout seuls » et que l’amour et le sexe sont devenus « des soucis de chien ». Ne nous exhorte-t-il pas, d’ailleurs, à faire l’amour « dans le quartier des chiens où l’on n’fait que passer » ?

La liberté sexuelle n’aura qu’un temps, hélas. Le sida survenu se chargera de l’interdire pour longtemps. Un temps, Léo Ferré se moquera de la peur qui s’empare de la société, en raillant le sida dans quelques plaisanteries de fin de récital. Rapidement, il prendra conscience de la réalité de l’épidémie et ne dira plus rien à ce sujet. La jolie femme passe la main et disparaît (sous cette forme) de ses écrits.

Bien entendu, faire ici un relevé de l’image des femmes chez Ferré n’est certes pas le sujet. Je voulais simplement souligner la permanence d’une notation des mœurs dans ses chansons. J’espère ne pas avoir trop sollicité les textes dans ce bref rapprochement que je viens d’opérer et que je crois justifié.

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vendredi, 07 mars 2008

Mme Ferré mère parle

J’avais indiqué, dans un commentaire apporté à la note Lucienne Ferré, épouse Bergeron : « Le 28 juin 1975, Mme Ferré mère a répondu à des questions que lui posait le journal Nice-Matin. Je serais curieux de savoir de quel type d’interview il s’agissait et ce qu’elle a pu répondre. Si quelqu’un possède cette coupure de presse et veut bien me l’envoyer... » L’ami Patrick Dalmasso s’est mis en quête de cet entretien et l’a trouvé. Il est plus bref que ce que je pensais mais permet, il me semble, de tirer quelques conclusions qui dépassent le stade anecdotique. Je livre tout d’abord l’article en question, qui était illustré d’une photographie de Mme Ferré, signée Briano.

 

« Après l’émission TV Le Grand échiquier

Qui est Léo Ferré ? « C’était un enfant facile, mais farceur » répond sa mère (85 ans) à Monaco.

Qui est donc Léo Ferré ? Pour tenter de le savoir et de le faire savoir à des millions de téléspectateurs, Jacques Chancel lui a consacré, jeudi soir, un Grand échiquier. Mais Chancel qui est pourtant loin d’être un novice, s’y est cassé les dents. Il doit cependant y avoir une clé. Léo Ferré se découvrant pour la première fois, à moins que ce ne soit une boutade, l’a donnée à Chancel : « Allez donc le demander à ma mère ».

Ce que j’ai fait. Ce n’est un secret pour personne à Monaco : Léo Ferré est Monégasque. Mme Charlotte Ferré coule des jours paisibles dans une résidence proche de la principauté que la princesse visite régulièrement.

 

« Un bon fils »

« À la mort de mon mari, il y a deux ans, Léo m’a proposé de vivre avec lui et les siens. Je n’ai pas voulu. Il vient me voir souvent. C’est un bon fils ».

Le voile est déjà levé. Alors Léo le terrible, une légende ?

« Il est simplement vif comme l’était son père. C’était au contraire un enfant facile qui avait toujours de bonnes notes ».

Et là, Mme Ferré, 85 ans, l’œil vif, malicieux, éclate de rire :

« Il effaçait ses mauvaises notes et il les remplaçait par de bonnes évidemment. Un jour, son père l’a su… après il s’est mis à travailler ».

Car le jeune Léo était aussi un farceur :

« À l’époque à Monaco, il y avait encore des tramways. Léo s’amusait souvent à enfermer le wattman dans sa cabine. Pendant un certain temps il fut interdit de tramways ».

Et la musique ?

« À la maison, il chantait, comme tout le monde. Je savais seulement qu’il s’y intéressait. Il lui est arrivé de travailler pour le journal. Il a fait une interview de Paul Paray qui était déjà très connu, et Paul Paray l’avait félicité ».

Jeudi soir, Mme Charlotte Ferré et ses amies ont suivi le Grand échiquier jusqu’au bout.

Comment avez-vous trouvé votre fils ?

« Comme toujours, comme il y a quinze jours quand il est venu me voir ».

Mme Charlotte Ferré marque un temps, et dit sur le ton de la confidence : « Ses deux premiers mariages ne furent pas une réussite, mais je sais que depuis le troisième, il a un garçon et une fille, il est vraiment heureux ».


Jean Bomy ».

 

Que peut-on déduire de ces quelques questions et de la tendresse d’une mère ? Tout d’abord, deux petites histoires qui raviront certainement les futurs biographes de Léo Ferré : les notes trafiquées et les wattmen emprisonnés. Cela a sa place dans une biographie bien menée et d’ailleurs, dans une interview accordée à la télévision dans ses dernières années, l’artiste avait évoqué cet épisode du tramway, qui est donc deux fois attesté. Surtout, cette blague d’enfant nous révèle un garçon espiègle, qui n’est pas forcément – ou pas en permanence – le mélancolique poète qu’il est réputé avoir toujours été. Au-delà de l’historiette, se trouve un élément nouveau qui devrait éviter aux biographes à venir de se cantonner au roman Benoît Misère comme source unique à propos des jeunes années.

Ce qui est plus important, c’est que Léo Ferré était « vif comme l’était son père ». Ce qui nous donne tout de même un éclairage nouveau. On a trop eu tendance à faire de Joseph Ferré le Pierre Misère du roman. C’est certainement trop simple. Son fils nous a toujours brossé de lui un portrait plutôt négatif : un homme autoritaire qui ne le comprenait pas, lui interdisait le piano réservé à sa sœur, l’inscrivait comme pensionnaire au collège des Frères des écoles chrétiennes, le faisait rentrer à la maison alors qu’il dansait avec une jeune fille, voulait faire de lui un juriste, lui avait imposé le droit et les sciences politiques, ainsi qu’un stage chez un avocat… Dans la note Lucienne Ferré, épouse Bergeron, j’écrivais : « Il est utile de se poser la question dans un autre sens : était-il facile d’être le père de Léo Ferré ? » Cette question n’a pas soulevé de réactions, mais je la pense importante. À l’opposé, Léo Ferré n’a jamais eu pour sa mère que des mots tendres et des sourires. Eh bien, ce fils qui en voulait tant à son père lui ressemblait au moins sur un point : le tempérament vif. C’est l’épouse et la mère qui le certifie.

Mme Ferré mère atteste encore la fameuse interview de Paul Paray par son fils, document qui n’a toujours pas été retrouvé, la date exacte de sa parution dans la presse demeurant inconnue pour le moment.

Voici donc cet entretien avec la mère de l’artiste, qui est, à ma connaissance, le seul exemple du genre. J’ai signalé dans la note déjà citée que sa sœur Lucienne n’avait, je crois, jamais rien déclaré au sujet de son frère. Il y a vraiment trop peu de sources sur son enfance et son adolescence. Il faudrait pourtant, à l’avenir, pouvoir dépasser la source unique de Benoît Misère. C’est important pour l’exactitude historique.

 

Remerciements : Patrick Dalmasso