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lundi, 01 décembre 2008

À propos du Chemin d’enfer

Les auteurs de chansons ont coutume d’utiliser la forme du quatrain, qui vient assez couramment sous la plume et se prête à la mise en musique. Plus rare est l’utilisation du tercet. Chez Léo Ferré, on la trouve quelquefois. Deux exemples : À toi et Le Chemin d’enfer. À toi est constitué d’une série d’images, legs supposés, ordonnées en tercets à rimes plates : aaa, bbb, ccc… Au moment de l’écriture, la rime identique vient fréquemment avec une relative facilité et, surtout si l’on est musicien, presque naturellement. Du moins, je le suppose.

 

L’ordonnancement des tercets du Chemin d’enfer est autre. Le schéma des rimes est plus complexe : aba, la rime b se retrouvant aux premier et troisième vers du tercet suivant, qui devient donc bcb ; le troisième devient cdc ; le quatrième ded, et ainsi de suite. Cette forme n’a rien d’évident et suppose une réflexion pendant ou après l’écriture. Sauf à considérer qu’il s’agit en réalité de quatrains « éclatés » : on peut en effet lire comme abab les quatre premiers vers et constater qu’ensuite… ça ne fonctionne plus, car la nouvelle rime introduite systématiquement en milieu de tercet ne convient plus à la forme de quatrains supposés. Il s’agit donc bien de tercets, volontairement ordonnés selon un schéma de rimes difficile à observer spontanément, je veux dire : sans corrections ultérieures.

 

Le poème cesse sur un vers isolé : « Avec le jour au bout comme un suffixe », d’autant mieux venu qu’il contient « au bout » et « suffixe », tous deux porteurs d’une idée d’achèvement, de fin, de stade ultime. La clausule de cette poésie est ainsi intéressante par sa forme : un décasyllabe isolé rimant avec trois vers répartis dans les deux tercets précédents ; et par son fond : elle apporte avec elle l’idée même d’une conclusion.

 

J’ai pour ce texte un attachement particulier. Il contient en effet quelques uns des vers que je trouve les plus beaux parmi ceux de leur auteur : « Si pour le meilleur j’ai laissé le pire / Le pire m’a mis le meilleur au cœur », « Justice soit faite au bas de la carte / Où mon astrologue a vêtu ma peur », « Je sens dans le creux de vos oraisons / Le parfum lassé d’un brin de bruyère », « Et sur la treille aux grappes de velours / Je millésime un cru de couturière ». Ce dernier vers, d’ailleurs, n’est pas sans évoquer pour moi un autre, un alexandrin cette fois, tiré de Words… words… words… : « J’avais sur le futur des mains de cordonnier ». Est-ce, « couturière » et « cordonnier » se répondant, introduisant la présence de métiers dans chacun d’entre eux ? Est-ce la notion de date exprimée en début de vers soit par « millésime », soit par « le futur » ? Ou bien les deux ?

11:11 Publié dans Jalons | Lien permanent | Commentaires (41)

Commentaires

Te connaissant, je crois, en effet, que les métiers ont éveillé ton attention. Celui de couseur de vers sur un métier de bois poli allant définitivement à ton coeur.

Écrit par : Martine Layani | lundi, 01 décembre 2008

"le chemin d'enfer" est un des "grands " poèmes de Ferré,paru
dans "Mon programme", et dont le grand public n'a eu connais-
sance que par T.Phonographe et par "La mauvaise graine".
J'appelle "grands poèmes" les textes longs , outre "le chemin
d'enfer",il y a "le loup", "Death, death,death","métamec"..etc
sur lesquels on n'a pas beaucoup travaillé ni écrit,"La mémoire et la mer" ayant -c'est dommage- éclipsé ces textes,
comme si c'était le chef d'oeuvre absolu..Il conviendrait d'avoir un rapport nouveau , ne serait-ce que le relecture systématique, à ces textes laissés de côté par les études ferréennes.J'y reviendrai plus tard.

Écrit par : Francis Delval | mardi, 02 décembre 2008

Ai mis un commentaire dont le texte n'est pas passé...Dysfontionnement du blog ou du PC ?
Je le remettrai plus tard, si ça marche...

Écrit par : Francis Delval | mardi, 02 décembre 2008

Le Chemin d'enfer a aussi été donné dans la revue La Rue (je n'ai pas la référence près de moi). Effectivement, il fait partie des choses moins connues, c'est regrettable.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 02 décembre 2008

Léo Ferré étant un "chanteur de variétés", il est logique que ses
textes soient plus connus par le disque que par le livre..Il est
patent que les textes les moins connus, du moins ceux rarement
cités ici ou ailleurs, soient ceux qu'il n'a pas enregistrés ou chantés en public.
Pensons par exemple au poème "Testament phonographe",au
poème "Le loup"( même si Verdier en a enregistré une partie),à
" je parle à n'importe qui", dont l'enregistrement est toujours inédit....J'ai tenu , dans "les copains..n°12" à prélever des exemples dans ces deux derniers textes.
Et il y a "Le chemin d'enfer",dont Jacques a bien montré
la complexité de la versification,texte que je n'ai évoqué
en ce lieu que pour y trouver la première allusion explicite
à l'effondrement de Nietzsche à Turin, sans dire quoi que ce
soit du texte.

Il y a bien d'autres textes dont on ne parle jamais, ou si peu,des poèmes du Seghers bis,ou des "Lettres non postées".
Il y a du travail à faire autour de Ferré poète et écrivain,sans
parler du musicien....

C'est une attitude très franco-française de ne pas considérer
les auteurs- compositeurs - interprètes comme de "vrais"
auteurs ou musicien.

Par exemple, combien sommes-nous à avoir lu les romans
et la théâtre de Félix Leclerc ? Au Canada, c'est un écrivain
reconnu, qui a aussi chanté.Idem pour Vigneault.

Combien d'entre nous ont lu les romans de Trenet, Brassens,ou Mouloudji ?...Ces chanteurs qui se mêlent
d'écrire..( Mouloudji a été romancier bien avant de se mettre
à chanter )

Les romans de Rezvani sont-ils moins bons parce qu'il a
enregistré quelques disques ? Que penser à le fin de Boris
Vian ?

Lisez et relisez les textes de Ferré qui n'ont pas été portés
par sa voix..mais ici je ne prêche que des convaincus.

" Le chemin d'enfer", avec sa versification difficile, et des
métaphores qui valent bien celles de " La mémoire et la mer"
méritait d'être mis en exergue.

Écrit par : Francis Delval | mardi, 02 décembre 2008

En ce qui concerne les Lettres non postées, j'avais fait un petit quelque chose qui a été donné dans les Copains d'la neuille et figure aussi ici-même (voir l'index).

Bien entendu, ce texte ne prétend pas être définitif et d'autres pourront dire des choses nouvelles sur le sujet.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 02 décembre 2008

Oui, je me souviens de votre texte, une étude solide et quasi-
exhaustive....Mais à part le blog et les copains, qui en a parlé?
Qui a écrit quelque chose..?
Je ne me souviens guère, par exemple, d'une étude dans
"les cahiers Ferré"....Mais je puis me tromper.

Écrit par : Francis Delval | mardi, 02 décembre 2008

Hum !
Je ne suis certes pas "les cahiers Ferré", mais il me semble avoir posé des questions précises en ces lieux mêmes, qui auraient pu déboucher sur une discussion de fond concernante ces textes :

http://leoferre.hautetfort.com/archive/2007/04/16/de-la-prose.html

Je n'ai reçu que froid dédain.

Écrit par : The Owl | mardi, 02 décembre 2008

Meuh non, pas du tout. Froid dédain, pff ! Vous exagérez.

Cela dit, si on parle de nouveau des Lettres non postées, il faut aller dans la note correspondante. On est évidemment libre de parler de ce que l'on veut sur ce blog (faut-il le redire ?) et de le faire quand on veut, mais essayons de garder un peu d'ordre : si une note sur un sujet existe déjà, tâchons de lui accoler les commentaires correspondants, dans la mesure du possible. Ce n'est pas un diktat, naturellement, c'est juste pour que des lecteurs arrivant éventuellement aujourd'hui s'y retrouvent. Les commentaires sont ouverts en permanence -- le répèterai-je jamais assez ? -- et cela permet le retour aux discussions plus anciennes.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 03 décembre 2008

En relisant " le chemin d'enfer".....Est-ce le fait d'avoir trop lu
qui me fait repérer de l'intertextualité un peu partout,mais on
trouve quelques vers que l'on pourrait trouver chez d'autres
poètes.En étant bien conscient que c'est moi qui les lit comme ça...Il y a "le brin de bruyère", clin d'oeil à Apollinaire?
"sur le pavé des cours"..je ne peux plus lire ces mots sans
penser à l'incipit du "Condamné à mort" de Genet.."Le vent
qui roule un coeur sur le pavé des cours".....

Et il y a un très hugolien:
"Or, j'allais par les champs,L'épouvantail
Me fit des signes et j'allais droit à l'ombre"

Il est probable que Ferré y ait pensé aussi, et que c'est
volontaire.
Serait-ce un texte à double fond, à la fois très ferréen
et volontairement "citationnel", si j'ose ce vilain mot.

Si ce texte est superbe, et avec une versification difficile,
il est parfois au bord de la parodie, voire de l'autoparodie.
C'est moi qui le ressent comme cela.

Mais je puis être à côté de la plaque...

Écrit par : Francis Delval | mercredi, 03 décembre 2008

"Sur le pavé des cours" se trouve aussi dans Personne, si je ne me trompe. Si l'on faisait du biographisme -- ce qu'à Dieu ne plaise -- on pourrait avancer qu'il a écrit cela parce qu'il a vécu plusieurs années à Pershing, dans un appartement qui donnait, d'un côté, sur une cour pavée. Mais je plaisante, évidemment.

Le "brin de bruyère" est naturellement un salut à Apollinaire.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 03 décembre 2008

Mais Ferré a lu Genet...et ce texte, au fond très baudelairien
a dû le marquer...Moi, le le connais presque par coeur, ayant souvent écouté la version intégrale chantée par Marc Ogeret, sur la musique d'Hélène Martin.

On retrouve cette formule dans "Personne", oui, ce texte où
persiste une faute absurde:
" la terreur de Danton écrite en points tillés"
Faute qui est dans le texte inséré dans la pochette du vinyle, mais que l'on retrouve telle quelle dans "la mauvaise graine"
N'a-t-on pas osé corrigé le maître?

"Le brin de bruyère " est un clin d'oeil à Apollinaire, repris
au vers suivant par "automne"

Quant aux vers "hugoliens",je ne pense qu'à la manière;
Mais il faut bien user des mots que nos aînés nous ont laissés.

Selon les notes mises par R.Horville, le texte a été daté
d'avril 66, et donc publié dans "La rue" en octobre 68, et
dans " Mon programme" en 69.

Ce poème sans concession ni facilité, il faudrait pouvoir le citer en son entier...Mais les lecteurs du blog ont les livres
à la maison, je suppose.
Qu'il ait mis ensemble dans "mon programme" , "le chemin
d'enfer " et " le loup" ( la première version de ce dernier texte
s'appelait " Perdrigal") n'est certes pas un hasard.Une sorte
de diptyque poétique, qu'il ne chantera jamais.

Personnellement, je préfère "Le loup"....que je pense
être son meilleur poème,de par la densité et la complexité
des images et des métaphores..( La mémoire et la mer
étant une oeuvre à part...de par la complexité de ses nombreuse réécritures,mais ceci est -sera- une autre histoire.

Écrit par : Francis Delval | mercredi, 03 décembre 2008

ps; lire "osé corriger", bien sûr...quand on parle de fautes..

Écrit par : Francis Delval | mercredi, 03 décembre 2008

vien voir joestar.hautetfort.com
merci com rendus

Écrit par : ^^__^^ | mercredi, 03 décembre 2008

"J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours"
(Chant d'automne I - Les fleurs du mal - C. Baudelaire)
Sans doute ai-je l'air très béotien (pour rester poli) en rappelant ce que personne n'ose citer tellement c'est un lieu commun ! Oui mais si personne ne le dit on peut penser que justement personne n'y a pensé. "Le pavé des cours" pour moi depuis toujours (enfin environ 45 ans !) c'est à Baudelaire que ça me fait penser. Le même poème inspira d'ailleurs à Léo Ferré certains passages du "Printemps des poètes".
Pour en revenir à "Chemin d'enfer" que je connais depuis Mon programme 69, c'est à dire fin 1968, c'est réellement un chant profond, dont les vers "O Nietszche..." m'ont bouleversé lorsque je les ai découverts.

Écrit par : J Miquel | mercredi, 03 décembre 2008

Mais Genet a largement puisé dans Baudelaire..Si je pense
plutôt à Genet,c'est à cause de la version chantée...Et de Baudelaire, on ne peut tout retenir par coeur.

Pour moi, "Chemin d'enfer" est inséparable de poème "Le loup"...A cause de "mon programme"..Ce sont effectivement
des " Chants profonds"..

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 04 décembre 2008

Bravo Jacques, cela m'avait totalement échappé. Je n'avais pas vu -- jamais -- la réminiscence baudelairienne dans "le pavé des cours".

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 04 décembre 2008

A propos de Genet, je rappelle une référence déjà mise il y a très longtemps:
Il existe un enregistrement du " Condamné à mort" , passé à la radio en 1952, dans une émission intitulée " L'enfance du crime", où Mouloudji lit le poème intégral, accompagné d'une
musique électro-acoustique d' André Almuro.
On peut le retrouver sur le site américain "Ubuweb Sound", qui
est une réserve de trésors audios et visuels, et qui est gratuit..
A consommer sans modération.Des cours de Barthes au Collège de France à Lacan, et à Céline lu par Arletty et Michel
Simon.Il y a bien sûr beaucoup de choses en anglais....

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 04 décembre 2008

On trouve également le Condamné à mort sur le LP "Mouloudji dit GenEt" ( Disque 33tours 30cm Mouloudji EMZ 13518 - ca 1967)

Écrit par : J. Miquel | jeudi, 04 décembre 2008

Mais est-ce la version avec la musique d'Almuro?

Toujours à propos de Genet:On sait que Ferré a lu de près
le livre de Sartre, livre qu'il trouvait excellent.Or, à propos des
poèmes de Genet, Sartre écrit ceci: "Toute l'oeuvre poétique
de Genet se nourrit de poèmes célèbres qu'il vampirise "
Et de citer Hugo,Verlaine, Mallarmé,Valéry, Cocteau,Coppée et
même Sully-Prudhomme.Ainsi que Baudelaire, en faisant remarquer que le second hémistiche du premier vers du "condamné à mort" vient des "Fleurs du mal".

Ainsi, dans le "Chemin d'enfer",outre le clin d'oeil à Apollinaire,il y aurait aussi un clin d'oeil à Baudelaire,et peut-être au second degré à Genet pillant Baudelaire.
Tout est possible ici.
Cela n'étonnerait fort, à la réflexion, que ce fût par hasard...

Et dans "la mort des loups" , nous avons ce vers qui fait
très "Genet"
"Les cathédrales de la nuit ont des cafés au fond des cours"

Si nous connaissons l'intérêt de Ferré pour le livre de Sartre, son rapport à Genet semble assez complexe...

qu'il y ait ces citations clin d'oeil n'enlève rien à la beauté du
poème de Ferré,et de son "pendant" , "Le loup"

Hélène Martin chanta pour la première fois un extrait du "condamné à mort", en 1964, en première partie du récital
de Léo Ferré au gala du "Monde libertaire"....

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 04 décembre 2008

"Le condanmé à mort" dit par Mouloudji sur disque est bien accompagné par Almuro (Existe en CD).
Le poème mis en musique par Hélène Martin a également été interprêté par Jacques Douai.

Écrit par : J. Miquel | jeudi, 04 décembre 2008

Il existe un tas de choses qui, d'une oeuvre à l'autre, peuvent être perçues comme des réminiscences, même lorsqu'il ne s'agit au vrai que d'une impossibilité de dire autrement certaines vérités, certaines choses qui sont de tous les temps.

Il faut prendre garde à ne pas exagérer les influences, autrement on peut tout dire. Par exemple, que "Quand je fumerai autre chose que des celtiques" est une réminiscence de "Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes" (Le Condamné à mort).

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 04 décembre 2008

J'estime que l'on peut quand même faire confiance à Sartre dans la connaissance intime qu'il a de l'oeuvre de Genet..Il s'agit bien d'emprunts à d'autres poètes....et non de vagues
influences.Chez Genet, il y en a trop pour que ce soit involontaire....
Chez Ferré, dans le poème qui nous occupe,c'est plus un clin d'oeil au lecteur que l'allusion au "brin de bruyère" et au "pavé des cours"

Le pillage d'oeuvres a longtemps été une pratique admise...
On aurait du mal à compter les vers que Corneille, Molière, ou Racine sont allés chercher chez les grecs et les latins, ou
dans le théâtre espagnol.On prenait son bien un peu partout,
pas de droits d'auteurs....cette pratique a duré au moins
jusqu'au XIXème...

Ferré emprunte parfois pour faire un texte, à un ou plusieurs de ses propres textes...Je n'y ai jamais trouvé
de plagiat.

Le vers de "la mort des loups" ME fait penser à Genet, mais
Ferré n'est pas dans l'imitation...C'est moi qui fait le rapprochement.Un air de famille, comme il y en a tant
en littérature.

Un de nos commentateurs récents voyaient bien du Joyce
dans "Benoit-Misère"...On pourrait aller loin dans cette voie;
Ferré a un peu travaillé avec Soupault à la radio, et Soupault
a bien connu Joyce ( et Apollinaire)..etc...

Rendons à Ferré ce qui est à Ferré...une oeuvre originale,
tissés certes de mots déjà utilisés.Mais il faut bien utiliser
les mots qu'on nous a laissés....Quitte à créer des néologismes comme il l'a parfois fait.

Ferré est un inventeur de langage, non un copiste.
Sinon nous ne serions pas ici à couper le genet en quatre.

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 04 décembre 2008

Je veux juste corriger un lapsus: C'est bien sûr dans " Testament Phonogaphe" que " le chemin d'enfer " et "le loup" se
suivent, et non pas dans "Mon programme"....Vous aurez rectifié ....

Écrit par : Francis Delval | jeudi, 04 décembre 2008

Je partage l'avis de Francis Delval, à ceci près que "pillage d'oeuvres" me paraît un peu excessif et il me semble que ce qui caractérise l'oeuvre d'art à l'âge industriel, en dépit de l'apparition du droit d'auteur, c'est bien aussi cette inscription dans le "citationnel" (cf le cinéma).
Je ne vois pas pourquoi Ferré qui pratiquait l'autocitation, le palimpseste, la chanson de genre, etc. (et c'est vrai aussi pour sa musique) n'absorberait pas le discours des poètes qui l'ont précédé: "Je ne suis qu'un Voyant embarrassé de signes".

Je ne connais pas bien "Le Chemin d'Enfer", donc cela m'est difficile d'en parler. Mais j'aurais tendance à me fier aux impressions de Francis. Ch. Letellier, dans son livre, rapprochait d'ailleurs 2 autres textes de Ferré et Genet et cela m'avait paru assez convaincant. Il me semble qu'un tel rapprochement serait possible pour certains poèmes de PVP (je ne parle pas seulement des mentions explicites de Genet dans le recueil).

Francis: "Est-ce le fait d'avoir trop lu
qui me fait repérer de l'intertextualité un peu partout": je n'ai pas trop lu (beaucoup de lacunes) mais cela me fait le même effet avec Ferré. Il n'y a peut-être pas cette "vampirisation" dont parle Sartre à propos de Genet, qui viendrait voler les mots pour en quelque sorte les avilir, mais un processus d'assimilation qu'il faudrait définir plus précisément. On serait moins dans le détournement (Genet) que dans le vestige littéraire (conscient ou assimilé comme un savoir faire) que l'on réactive de façon un peu spectaculaire et solitaire (ou un truc comme ça).

Un détour par le Genet de Sartre serait effectivement intéressant pour appréhender Ferré, même si la marginalité radicale de Genet, notamment en politique, et sa haine de la société sont très éloignées de la façon d'être et de penser de Ferré. Un examen "existentiel" de Ferré - qui nous sortirait (au prix de quelles résistances?) du manichéisme ordinaire (le côté Abbé Pierre de la chanson cf les commentaires sous les vidéos Dailymotion) - me paraîtrait faciliter ou en tout cas orienter les études sur son style, par exemple.

J'en reviens à la note de Jacques, sur un des vers qui le touchent: " Et sur la treille aux grappes de velours / Je millésime un cru de couturière ». Martine nous explique un peu pourquoi: "Celui de couseur de vers sur un métier de bois poli". La "métaphore couturière" est permanente chez Ferré et d'ailleurs je me demande si ce n'est pas cela qui fait que Jacques trouve si "ferréenne" la lettre à l'habit (où l'on est également dans la dégradation du tissu). Le fil ("treille" en latin = trois fils) , la toile, le tissu, la couture, etc. c'est un des thèmes qui apparaît le plus souvent, par exemple, effectivement dans Words.... Il y a sans doute là une motivation "biographique" (la mère couturière) mais aussi une dimension "métadiscursive" (quand l'oeuvre parle de l'oeuvre).

Bref, on oscillerait à la fois entre l'abeille (qui butine, l'"innutrition" chez les Classiques) et l'araignée (l'artiste moderne qui, orgueilleusement, tire son fil, sa toile de lui-même).

Écrit par : gluglups | jeudi, 04 décembre 2008

Le détour par le Genet de Sartre... Oui, je suis convaincue que, même si ces montagnes que sont Ferré et Sartre ne pouvaient vraiment se parler -- trop de choses en eux -- on ne peut connaître et comprendre la vie intellectuelle du XXème siècle si on ne les a lus, séparément... :-) bien sûr.

Écrit par : Martine Layani | vendredi, 05 décembre 2008

Effectivement, la haine de Genet n'a rien à voir avec Léo Ferré dont même les colères s'expriment avec amour -- ce qui fait parfois sa complexité, d'ailleurs.

Gluglups met en évidence la métaphore couturière et il a raison. Je ne m'étais jamais fait cette remarque ainsi, mais elle est parfaitement exacte. Je ne crois pas qu'on ait développé cette notion dans quelque étude que ce soit et c'est dommage car, exposée ainsi, elle est irréfutable. Et puis, "le trémail de juillet" : un trémail, c'est un filet tissé à trois mailles.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 05 décembre 2008

Je ne suis pas contre le "pillage", le "citationnel", à condition
de donner les sources...

Je pense à mon cher Alfred Jarry, que je lis et relis depuis le
lycée, sans me lasser.
Par exemple,dans "Gestes et opinions de Dr Faustroll", nous
avons un texte où il n'y a que des citations;

Je donne quelques extraits:

"....................................;;;
De Rimbaud,les glaçons jetés par le vent de Dieu aux mares
De Verhaeren,la croix faite par la bêche aux quatre
fronts de l'horizon
De Maeterlinck, les lumières qu'entendit la première soeur
aveugle
De Mallarmé, le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
De Verlaine,des voix asymptotes à la mort...
.....................................
etc..

Voilà du "pillage", mais assumé comme tel,une réappropriation par citation...Et quand Ferré fait une
"citation", il donne aussi l'auteur.....Mais elles sont rares.

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 05 décembre 2008

Gluglups a l'art de mettre le doigt sur des choses qu'on n'a jamais exprimées (peut-être parce qu'il porte un regard différent sur les textes). Depuis tout à l'heure, sa remarque sur la métaphore couturière me trotte dans la tête.

Et je pense, en vrac, à La Vieille pélerine ; à "T'étais pas TISSEE par Boussac" ; à "Cette maison GANTEE de vent / Avec son FICHU de tempête" ; à "Un CHALE s'en allant / De la FRANGE et dedans..." ; à "Et je suis l'araignée géomètre et superbe" (et à la présence constante de l'araignée, d'ailleurs) ; à l'évocation des collections, du vêtement et des chaussures dans Ca t'va ; à la présence fréquente du futal ; à la CHEMISE rouge ; à "Ma VESTE verte de vert d'eau / Ouverte à peine vers Jersey" (sans même parler du jeu entre l'île de Jersey et le tissu portant ce nom) ; à "J'ai mis mon COSTUME sorti du pressing / Ce VESTIAIRE anglais..." ; à "des CISEAUX pour trancher dans le vif du sujet"... Et l'on pourrait continuer.

Je ne parle pas des jupes, des culottes et des bas qui sont en général présents dans un autre registre.

Tout ça n'est pas indifférent. Et je me dis que je suis sacrément sourd, tout de même. Enfin, l'essentiel est que cela ait pu être signalé.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 05 décembre 2008

Oui , Jacques, le trémail...mais vous savez bien que le bonheur
"ça na vaut pas trois mailles"

Et cette vieille branche que vous aimez tant :
"Et l'vent du nord et ses coutur's"...

Les images et métaphores couturières sont très nombreuses.
Il faudrait quasiment fabriquer un programme informatique
pour en faire le relevé exhaustif.Ce dont je ne suis pas
capable...et je crains de n'être point ici le seul béotien
en ce domaine.

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 05 décembre 2008

Nos commentaires se sont croisés...

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 05 décembre 2008

la liste serait longue:
"Je vendrais les patrons aux ciseaux de ma mère"
et
"je vendrais les baleines aux corsets de naguère"

ou bien :"....
avec leur crêpe de coutil
et leur fourreau fleuri de trous
........

On a à la fois le vocabulaire de la couture ( quelquefois
transformé - "ouverture éclair), et le champ lexical des
différents tissus , qui est aussi très présent.

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 05 décembre 2008

Oui, c'est formidable d'avoir trouvé ça. Près de quarante ans de fréquentation d'une oeuvre et je n'avais rien vu. Je n'ai pas honte de l'avouer.

Chers amis, vous avez devant vous le taulier le plus crétin de la terre. Il mérite qu'on le renvoie chez lui à coups de pied.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 05 décembre 2008

Qu'on me comprenne bien. ma réaction ci-dessus n'est certainement pas l'expression d'un orgueil blessé ou d'un nombrilisme vexé. Peu me chaut d'être le commentateur piégé. Pff ! Elle est seulement due au fait que, vraiment, je ne comprends pas comment j'ai pu passer à côté d'une chose aussi fréquente, aussi clairement évidente, dans une oeuvre que j'aime.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 05 décembre 2008

C'est seulement la preuve qu'on ne saurait être multiple. Rien que de très humain.

Écrit par : Martine Layani | vendredi, 05 décembre 2008

Je n'y avais pas pensé non plus.Sauf bien sûr quand j'ai lu
"Benoît Misère"..pour les autres textes, je n'ai jamais fait attention à ce registre de langue.Mais il y a une telle richesse du vocabulaire
dans les textes de Ferré.....On pourrait , en cherchant bien,
trouver d'autres champs lexicaux ou sémantiques aussi
riches.

C'est " la lettre volée" de Poë, trop en évidence pour
qu'on puisse la trouver

Bah, vous nous ferez une nouvelle note ou un article..

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 05 décembre 2008

Il faut aussi citer 'Ma maman m’a cousu une gueule de chimpanzé', bien évidemment.
Cela dit, la mère de Léo était couturière, il n'est pas étonnant que de Léo en ait pris le vocabulaire.
Francis a raison, on trouvera d'autres champs lexicaux (les oiseaux, par exemple).

Pour Francis : des logiciels de recherche documentaire existent mais il faut la base de données (qui est prêt à saisir tous les textes de Ferré ?). Et surtout définir les relations : 'Coudre' et 'piqué' par exemple, mais pas 'piqué des vers',plus les synonymes, des relations hiérachiques (manche de veston, pas manche à air, etc... ). entre autres.
On ira plus vite à tout relire avec un surligneur !

Daniel DALLA GUARDA

Écrit par : DALLAGUARDA | vendredi, 05 décembre 2008

On trouve dans "le chemin d'enfer" la première allusion claire
de Léo Ferré à l'effondrement de Nietzsche à Turin,c'est ce que
j'avais écrit dans la note sur "Ferré et les philosophes".

Ce qui expliquait la formule des "Poètes"..."et savent
s'arrêter pour bénir les chevaux"...Je viens de me rendre
compte que l'explication était déjà donnée dans le livre de
Gilbert Sigaux,que j'ai lu à la parution fin 1962...Il n'était
point nécéssaire d'attendre la parution du "Chemin d'enfer"

Le passage sur Nietzsche compte quelques vers superbes,
et je comprends tout à fait la réaction de jacques Miquel...

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 05 décembre 2008

Daniel, j'ai vraiment bien ri avec cette histoire de surligneur.

J'ai trouvé encore des tas d'occurrences "couture et tissus" et je n'arrête pas d'en trouver. Comment ai-je pu ne rien voir, ne rien entendre ?

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 06 décembre 2008

Pour Jacques :
'Oculi habent e non vident'

C’est pas moi qui l’ dis
Mais c’est Jésus-Christ
Un foutu bavard
À gueul’ d’ananar

(Non je ne deviens pas mystique)
A bientôt
Daniel

Écrit par : DALLAGUARDA | samedi, 06 décembre 2008

Pour Jacques :
'Oculi habent e non vident'

C’est pas moi qui l’ dis
Mais c’est Jésus-Christ
Un foutu bavard
À gueul’ d’ananar

(Non je ne deviens pas mystique)
A bientôt
Daniel

Écrit par : DALLAGUARDA | samedi, 06 décembre 2008

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