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jeudi, 08 janvier 2009

Un spectateur indiscret

Marseille, décembre 1972. Dans la Simca 1100 de son père, le jeune homme désormais familier aux lecteurs emmène quelques camarades au théâtre Toursky. Le rendez-vous est fixé devant le Jimmy – quartier général, centre névralgique – ce café près du lycée Victor-Hugo de Marseille, fermé à cette heure. Le jeune homme a eu vingt ans quelques jours auparavant. La voiture blanche aux sièges rouges file vers la Belle-de-Mai, Saint-Mauron…

 

Dans la salle, les jeunes gens vont occuper une rangée entière, à gauche de l’allée centrale, au premier rang. Évidemment, tous ne sont pas entrés dans la même voiture. On est venu comme on a pu. Parmi eux, une jeune fille de seize ans a disposé sur la scène, ouvertement, un magnétophone à cassettes, le célèbre Philips Mini K7. Le micro est dirigé vers le centre de la scène. Évidemment, le piano de Popaul est tout près, il risque de tout couvrir et l’enregistrement de n’être pas très bon, mais on est alors peu regardant vis-à-vis de la qualité du son : seul, le contenu compte.

 

Le spectacle commence. Il y a encore un entracte. Au début de la deuxième partie, Léo Ferré chante Les Poètes. Et se trompe, comme cela lui arrive quelquefois. Il commence à chanter : « Ils ont des chiens… » avec un quatrain d’avance, se rend compte de l’erreur, hésite. Irrésistiblement poussé – par quoi ? Son « oisive jeunesse » ? – notre lascar, les mains en porte-voix, crie : « Ils mettent des couleurs sur le gris des pavés », se rend soudain compte de son audace un peu bête, tandis que Ferré dit : « Voilà ! », enchaîne sans se démonter, que Popaul se tourne, ironique, dans la direction de la voix : « T’en sais des choses, toi ! », qu’une grande partie du public applaudit en criant : « Bravo Kiki » – c’est ainsi qu’on appelle alors le jeune homme – parce qu’incroyablement, dans le noir, on a su que c’était lui qui s’était involontairement mis en avant. Il faut dire qu’il a la réputation d’être fou de Ferré, voire fou tout court, et qu’il connaît alors beaucoup de monde. Tout cela s’est déroulé en quelques secondes, les différentes interventions ayant été ramassées dans un bref moment commun, sans se chevaucher pourtant, et demeurant parfaitement audibles.

 

Si audibles que le micro du petit appareil les a fidèlement captées… Un peu plus tard, le jeune imbécile demandera à sa propriétaire de dupliquer la cassette. Comme on le faisait alors : deux magnétophones reliés par un cordon. C’était une cassette C 120, car le spectacle durait deux heures. Incroyablement, la copie elle-même était techniquement encore acceptable.

 

Quatre ans après, le jeune homme part vivre à Paris, nommé là par l’Éducation nationale. Il n’emporte pas la cassette avec lui. Des années plus tard, il cherche à la récupérer : elle a été effacée. Heureusement.

12:06 Publié dans Souvenirs | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Mais pourquoi "heureusement""....Vous devriez vous couvrir
de cendres pour avoir perdu un tel document...!

Les cassettes avaient l'inconvénient d'être effaçables...C'est
ainsi que j'ai perdu le récital enregistré sur mon transistor , avec "à une chanteuse morte"...Bon, j'ai récupéré cette chanson
dans sa version initiale en MP3 sur le net...mais pas l reste du récital....et perdu aussi , sur un magnétophone à ruban les
enregistrements de jules Laforgue et de Corbière ,en 64 ou 65..
Malheureusement, car ils ne sont jamais repassés.

Écrit par : Francis Delval | vendredi, 09 janvier 2009

Bah, le document n'était pas indispensable. D'autant moins qu'à présent, on dispose, chez La Mémoire et la mer, du récital correspondant. Quant au garçon de vingt ans qui se croit malin de souffler à l'artiste (encore que ce fut spontané), on n'a rien perdu...

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 09 janvier 2009

Les commentaires sont fermés.