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mardi, 01 janvier 2008

La forme épistolaire, l’adresse, l’apostrophe, la dédicace

On avait déjà évoqué la forme épistolaire à propos des Lettres non postées.

Léo Ferré va encore l’utiliser, cette fois en chanson, de Mon Général (« Je vous écris du paradis… ») ou Cloclo-la-Cloche (« Mais aujourd’hui je vous écris… ») à La Lettre et Lorsque tu me liras, qui sont de toute évidence deux lettres authentiques adressées à Marie.

Toutefois, il va aussi user d’une forme légèrement différente : l’adresse. Certains textes ne sont pas des lettres à proprement parler – pas dans leur forme – mais constituent des adresses à des personnes vivantes. Après tout, rien ne commandait qu’une chanson contre Franco ait l’allure d’interpellation directe qu’il lui a donnée (Franco-la-Muerte). Rien non plus n’indiquait qu’une chanson contre Pie XII ait la tournure qui est la sienne dans Monsieur Tout-Blanc. Il n’était pas obligatoire, sur le plan du style, qu’une chanson contre de Gaulle prenne la forme d’une adresse immédiate, comme dans Sans façons.

L’adresse est également utilisée dans Monsieur mon passé ou Madame la misère, envers qui l’auteur use de la forme impérative : « Laissez-moi passer », « Écoutez le silence ».

On remarque donc que, dans ces deux derniers cas, l’interpellation conduit à une mise en cause ou à un ordre. L’artiste prend les choses de haut, il a un compte à régler avec la misère comme avec le pape, avec Franco comme avec son temps jadis. Il ne s’agit pas de leur répondre mais bien de les prendre à parti. Peu lui importe la dimension sociale ou politique de ses « correspondants », l’auteur les interpelle et, d’égal à égal, leur dit leur fait. Cela tient du « Hep, vous là-bas » au ton comminatoire.

L’adresse est décidément partout : invocatoire (Cloches de Notre-Dame, Marseille), ironique (Martha la mule, Judas, La Poisse), agressive (Miss Guéguerre, T’es rock, Coco !), amicale (Mister Georgina, Salut Beatnick, Gaby, Tu chanteras, Michel), satirique et sociale (La Maffia, La Gueuse, T’as payé, Vous les filles, La Grève, Le Conditionnel de variétés, L’Oppression), mélancolique (Madame Angleterre, La Chanson triste, Paname, Le Vent, Tu sors souvent, Beau saxo, Pépée, Paris, je ne t’aime plus, Mister the Wind)…

L’adresse est plus distante dans Merci mon Dieu. Plus détournée. Si Ferré dresse en quelque sorte la liste de ce qu’il reproche à Dieu – ou plus simplement de ce qui l’étonne ou le bouleverse – ce n’est qu’au refrain que la mise en cause trouve sa place et encore, sous la forme d’une modeste (même si elle est ironique) résignation (« Nous te disons merci mon Dieu ») ou d’une interrogation finale : « Nous te disons pourquoi mon Dieu ». Elle est enfin complice dans Thank you Satan, qui constitue une « prière inversée » avant l’heure.

Il empruntera également aux poètes quelques adresses : Si tu ne mourus pas, Tu n’en reviendras pas, Âme, te souvient-il ? et beaucoup d’autres encore, comme La Chanson du scaphandrier ou Notre-Dame-de-la-Mouise. Il en trouvera un certain nombre chez Caussimon qui, on le voit ici, emploie souvent cette tournure : Monsieur William, À la Seine, Mon Sébasto, Mon camarade, Nous deux, Avant de te connaître

Il faudrait par ailleurs considérer d’un œil particulier toute une série d’adresses très spécifiques, puisqu’elles sont constituées de chansons d’amour et là, la liste n’est certainement pas close (La Vie d’artiste, Ma vieille branche, Jolie môme, Si tu t’en vas, Chanson pour elle, T’es chouette, Ça t’va, Plus jamais, La Gauloise, Le Testament, À toi, L’Amour fou, Ton style, Tu ne dis jamais rien, La Fleur de l’âge, Je t’aimais bien, tu sais, La Damnation, Je te donne, Tu penses à quoi ?, À vendre, Ta source, Je t’aime, Les Ascenseurs camarades, En faisant l’amour, Tout ce que tu veux, Notre amour, La Femme adultère, Suzon…)

On peut enfin nuancer en fonction du contenu des chansons. De Franco-la-Muerte à À toi, le registre change. La première adresse est plus une apostrophe, la seconde davantage une dédicace, un envoi.  

00:00 Publié dans Jalons | Lien permanent | Commentaires (27)

Commentaires

Il y a effectivement un nombre considérable d'adresses,d'interpellation dans le corpus de chansons et de textes.Ce qui pose des problèmes pas toujours évidents à résoudre pour l'auteur, par exemple quand il change de destinataire.
Je pense en particulier à "la mémoire et la mer" (le poème)..
Ferré a réussi à transformer la version 70 (Guesclin),où le destinataire est une île fortifiée
"Guesclin quand je t'ai vu plonger..."
et à passer à la version dite complète de 86,où le destinataire est une femme,sa femme,
"Christie quand je t'ai vue plonger.."
cela sans trop modifier le texte, en gardant, au prix de quelques glissements de sens l'essentiel des métaphores,sans que pour autant elles paraissent arbitraires et non contextualisées.

Écrit par : francis delval | lundi, 14 janvier 2008

Je crois que c'est parce que l'auteur, dans son texte, est partout présent et que les glissements de sens se font à travers lui, à travers sa sensibilité exacerbée. Je ne fais pas là de biographisme, au contraire.

Ce que vous appelez la version de 1970 est la version de 1962, publiée intégralement en 1970 dans La Rue, du moins je le suppose. Il faut prendre garde à cela car, en 1970, il enregistre justement la chanson qui porte ce titre et constitue un premier extrait. Or, c'est l'extrait le plus connu. Il vaut mieux dire 1962, je pense.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 14 janvier 2008

Je préfère, par prudence, distinguer 4 états du texte.
1) les extraits parus en 62 dans le Seghers, et dans le n° 1000 des "lettres françaises" -que je n'ai jamais retrouvés....
2)la version parue dans "la rue " en 70.On y retrouve les vers de 62 sans modification.Mais rien ne nous assure que le reste n'ait pas été modifié, ni même déjà écrit en 62.Il y a au moins le titre qui a changé.Et pourquoi avoir attendu huit ans pour le publier? La chanson LMELM a été enregistrée début 70,avant la parution de Guesclin-LMELM dans la revue anarchiste.
3)les 6 chansons tirées du poème, entre 70 et 83, avec de nombreuses modifications.
'4) la version dite complète de 86, qui intègre les six chansons, plus la chanson "Des mots",qui est injectée dans la texte.
La prudence s'impose car nous ne savons pas comment tout cela s'est fait dans le temps....et selon quels impératifs.
Mieux vaut distinguer quatre "strates",bien qu'il soit possible qu'il n'y en ait eu que trois,le changement de titre mis à part.

La question du changement de destinataire reste entière..Bien sûr ,l'auteur est partout présent mais l'adresse nouvelle de 86 transforme forcémént le sens de certaines métaphores.C'est une des difficultés rencontrées si l'on veut étudier le texte.

A part Ferré, je ne vois guère de chanteur qui ait fait autant de chansons avec "adresses"...Sinon, vous n'auriez pas fait la note......

Il faudrait vérifier, mais je suis à peu près certain des dates
La chanson qui est le premier extrait a été enregistrée avant la sortie dans le journal.Et c'est sans doute pour cela que "les chants de la fureur", devenus "Guesclin" se sont appelés finalement LMELM:Je pense que c'est la chanson qui a donné son titre définitif au poème....

Écrit par : francis delval | lundi, 14 janvier 2008

A propos des différentes versions de "La mémoire et la Mer" je pense qu'il faudrait prendre en compte celle interprétée en 1968 ou 1969 à la télévision française sous le titre de "Ma Bretagne à moi" dans une émission consacrée à Paul Guimard et à laquelle participait également Glenmor. Selon LJ Calvet cette mouture était différente de celle gravée sur l'album Amour Anarchie. Evidemment je n'ai ni le texte ni la vidéo de cette séquence qu'on peut peut-être trouver à l'INA ?

Écrit par : Jacques Miquel | mardi, 15 janvier 2008

Eh non, elle n'est pas à l'INA. Mais effectivement, Ma Bretagne à moi fut le premier titre de la chanson. Je ne pense pas qu'il ait été employé très longtemps.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 15 janvier 2008

Je ne sais pas d'ailleurs si cela a vraiment été un titre confirmé du poème. Moi j'ai vu cette émission à l'époque et le souvenir que j'en ai conservé c'est que Glenmor ayant chanté qqch sur la Bretagne, Léo Ferré avait présenté sa propre chanson en annonçant "Ma Bretagne à moi" comme un enchaînement et un clin d'oeil.

Écrit par : Jacques Miquel | mardi, 15 janvier 2008

Je n'ai pas vu cette émission, mais, d'après mes papiers, je suppose qu'il s'agissait de Pique-nique à Kerdruc-en-Nevez, diffusée sur la 2e chaîne, le dimanche 14 septembre 1969.

Quant à Ma Bretagne à moi, j'ai lu ce titre je ne sais plus où. impossible de retrouver, pour le moment.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 15 janvier 2008

Jaques, la première fois que j'ai entendu le titre 'Ma retagne à moi' c'était sur le forum Léo Ferré, un commentaire de "Zéro" :

« La mémoire et la mer » (la chanson) s’appelait lors de sa première exécution publique « Ma Bretagne à moi » (avec quelques variantes dans le texte)

sans précison de la première fois en public.

Écrit par : Daniel Dalla Guarda | mardi, 15 janvier 2008

C'est possible, mais je suis certain de l'avoir lu ailleurs aussi. Imprimé quelque part. Maintenant, savoir où est une autre affaire.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 15 janvier 2008

Un long extrait des "chants de la fureur" a été publié dans le numéro spécial " n° 1000" des Lettres françaises,le 24-10-63.
J'ai pu retrouver la date en consultant les collections de journaux en vente sur le net,mais ce numéro est manquant (un des rares non disponibles).
Un des lecteurs de ce blog en posséderait-il une copie?C'est un texte dont aucun des biographes que j'ai lus ne parle...
L'extrait était long, sur un tiers de pages (pas des tabloïds à l'époque), sur 5 ou 6 colonnes...Je l'avais découpé, mais je l'ai égaré , depuis 45 ans et plusieurs déménagements.
Je me souviens de certains vers qui m'avaient marqué:
"En croix granit christ bikini", par exemple...
Je ne puis assurer que ce texte était déjà une longue partie de la version publiée dans "La rue" en 70.le texte devait, dans
l'ensemble être identique, mais le montage différent...Ce vers cité se trouvait, si ma mémoire est bonne,vers le milieu du texte...
L'hypothèse la plus probable est qu'il s'agit du même texte, mais qui a dû être remonté, des fragments déplacés entre 62 et 70.
Nous ne savons pas si ce morceau publié était déjà écrit en 62.....C'est pour cette raison que je parle de 4 versions....et non de 3.Cela n'est pas anodin si l'on veut comprendre le genèse du texte et ses transformations.

Écrit par : francis delval | mercredi, 16 janvier 2008

Francis, les archives des Lettres françaises sont conservées par L'Humanité. Ecrivez ou téléphonez. Avec la référence précise -- vous l'avez -- ils acceptent de fournir des photocopies. Attention, les archives sont sur microfilm et le tirage sera donc sur papier thermique. Il s'effacera un jour. Ne le collez pas sur une feuille, la colle ressort au bout d'un temps avec de larges taches marron.

Je m'étais adressé à eux en 1985, pour obtenir des articles des Lettres françaises, justement. Je pense qu'on peut le faire aujourd'hui encore. C'était payant, mais pas cher du tout.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 16 janvier 2008

Il y a aussi une autre édition (sinon version) importante de La mémoire et la mer : c'est celle du livre éponyme illustré des photos de Patrick Ulmann et édité aux éditions Henti Berger en 1977 (jamais commercialisé). Ce texte présente sans doute des variantes. A vérifier...

Écrit par : Jacques Miquel | mercredi, 16 janvier 2008

Je l'ai vu une fois, mais je ne l'ai pas. Je ne suis pas certain qu'il comporte des variantes. La réponse appartient à ceux qui possèdent le livre.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 16 janvier 2008

"C'est possible, mais je suis certain de l'avoir lu ailleurs aussi. Imprimé quelque part. Maintenant, savoir où est une autre affaire."

Entre autre Jacques dans le livre de Frot "je n'suis pas..." page 70.

Merci à Jacques M. sur cette explication de titre.

Écrit par : thierry | mercredi, 16 janvier 2008

Chez Frot, oui, c'est exact. Pourtant, quelque chose me dit que c'est plus ancien : je crois que je le savais avant. Comment retrouver ? Merci Thierry.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 16 janvier 2008

Oui merci Thierry d'avoir situé la citation de Frot à propos de La Mémoire et la mer qui d'une part confirme la date de diffusion avancée par notre Taulier (14/9/1969), et d'autre part qui laisse penser que c'était peut-être la première fois que le titre "Ma Bretagne à moi" était employé par Léo Ferré. En effet Frot précise :"Ce jour-là il l'annonce "Ma Bretagne à moi". Frot ajoute que plusieurs modifications ont été apportées par la suite.
Quatre mois après cette émission - le 26 janvier 1970 - a lieu le premier enregistrement en studio de la chanson sous le titre de La mémoire et la mer pour l'album Amour Anarchie.

Écrit par : Jacques Miquel | mercredi, 16 janvier 2008

la chanson "Cloclo la cloche" n'a-t-elle pas été écrite pour le téléthon ou en quelque occasion analogue?
En tout cas, elle a servi comme générique de fin à l'émission télé dont j'ai oublié le nom,où Pierre Bourdieu et l' Abbé Pierre ont dialogué pendant près de 3 heures vers les années 95 ou 96.....Ce devait être après la parution du livre "la misère du monde",de toutes façons.Pour des raisons d'horaire, elle a d'aileurs été coupé brutalement....Le Père Noël revient assez souvent chez Ferré, de "vitrines" à "l'enfance", en passant par "comme dans la haute"......etc....

Écrit par : francis delval | mercredi, 16 janvier 2008

Cloclo-la-Cloche a été chanté, effectivement, lors de la première soirée du Téléthon, le vendredi 4 décembre 1987, en direct de Rennes. C'était au piano. Léo Ferré l'annonçait comme la Lettre de Cloclo-la-Cloche à Monsieur Noël.

Bien sûr, le père Noël est fréquent dans l'oeuvre d'un homme qui n'a jamais cessé d'y croire.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 16 janvier 2008

Effectivement la chanson "Cloclo -la-Cloche" (version studio)a également été utilisée comme générique de fin d'une émission de JM Cavada "La marche du siècle" consacrée à la pauvreté.

Écrit par : Jacques Miquel | mercredi, 16 janvier 2008

Et puis il y a "la chemise rouge",sans compter le "noël" de Bérimont...C'est vraiment une image récurrente...Et "les drapeaux merveilleux" de Caussimon...je dois en oublier.
Cette insistance vient-elle du fait qu'il n'ait jamais cesser d'y croire?Nostalgie de l'enfance ? ou plus simplement la simple beauté du nom...Noël,dont l'étymologie est encore discutée,du latin "natalis", la naissance,vers le XIème siècle,ou du grec néo et hélios, le solstice ,jour du nouveau soleil...qui renvoie au solstice d'été,la Saint-jean , que l'on retrouve aussi chez Ferré:le premier chapitre de "Benoît Misère",l'été s'en fout...Je pense que tout cela se mêle:Souvenirs, nostalgie,magie du verbe...Quant à la croyance....c'est , Jacques , une façon de parler,non?

Écrit par : francis delval | mercredi, 16 janvier 2008

Je voulais seulement dire que Ferré avait toujours conservé ses facultés d'émerveillement, son côté enfant, petit garçon, qui côtoyait en permanence le manieur d'invectives. Et puis, parler d'âge d'or, de lendemains qui chantent -- fût-ce "dans dix mille ans" -- en appeler sans cesse à l'amour, c'est l'utopie, c'est le père Noël.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 16 janvier 2008

oui, j'avais bien compris, mais je ne trouvais pas les mots pour "traduire"

Écrit par : francis delval | mercredi, 16 janvier 2008

Je reviens un peu sur la note, très riche. Il faudrait pouvoir comparer avec l'oeuvre d'autres auteurs de chansons (ce que vous faites avec Caussimon, notamment), pour voir si c'est une particularité du style de Ferré. Il me semble effectivement que Ferré, par exemple, ne se soit pas vraiment illustré dans la narration, ou en tout cas que la dimension narrative apparaisse davantage chez d'autres. Il y a d'ailleurs toujours un surplus discursif chez Ferré, ne serait-ce que dans la façon de chanter, qui effraie peut-être certains.

La chanson paraît "naturellement" interpellative: chaque sorte d'interpellation (satirique, amicale, élégiaque, bref celles que vous avez énumérées plus haut, avec des exemples) impose déjà un ton, une intonation et donc presque une mélodie en suspens, un climat musical. Un peu comme un premier vers qui déterminerait toute la suite du poème. L'interpellation a un lien avec la musique, le chant, le lyrisme.

L'interlocuteur change et peut déterminer le contenu de la chanson. Mais il me semble que c'est le statut du locuteur qui est parfois problématique: un mort qui parle par exemple, dans Mon Général, Pacific Blues. Disons que je pense que le "travail" de Ferré réside aussi dans la façon dont l'interpellation (ou plus généralement l'énonciation) va dessiner le "je".

Écrit par : gluglups | dimanche, 20 janvier 2008

A propos de la narration :

J'ai remarqué, justement, que, le temps passant, je supportais de plus en plus mal les chansons narratives : Brassens en a fait beaucoup. Je n'écoute pas de chansons pour qu'on me raconte une histoire, même si elle est amusante. Brel, lui, faisait énormément de portraits (ce qui est aussi une forme narrative, finalement) et ça m'exaspère. Chez Barbara, que j'aime, je ne peux plus entendre les chansons qui racontent une histoire (Drouot, par exemple) : la qualité des chansons n'est pas en cause, c'est le genre narratif que je n'aime pas en chanson.

Pourquoi ? Parce qu'il me semble -- il me semble -- que l'art de l'auteur, dans ce cas précis, s'estompe au profit de l'anecdote. Or, ce qui m'intéresse chez un auteur (de chansons, de livres, de films), ce n'est pas vraiment l'historiette qu'il me raconte mais la façon dont il la narre, son style, ce qui fait qu'il est lui et personne d'autre. La narration couvre toujours (pour moi) cet aspect unique du créateur.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 21 janvier 2008

Remarquons qu'il y a de plus en plus d'interpellations quand on va vers les années 70-80, mais qu'elles ne sont pas toujours évidentes, souvent placées dans le corps du texte ou à la fin...On peut évidemment en discuter, car tout dépend de ce qu'on nomme adresse.
exemples: "les artistes"
A partir du paragraphe 3 (peut-on encore parler de couplet?)
il introduit un "vous":"ils sont d'un autre clan et se mêlent à vous",vite remplacé par un "tu" :il y a vingt mille ans qu'ils te rentrent dans l'oeil"
ou bien même "A vendre", qui se termine par ;
"alors tu es passée et je me suis donné
A toi
Pour rien"
et même "la vendetta", dont le dernier vers est une interpellation:
" C'est le rouge qui prend de l'âge Camarades"

Par contre dans les poèmes qu'il a mis en musique,on en trouve moins (il y en a).De Baudelaire à Aragon,on trouve dans le corpus pas mal de portraits,d'histoires,mais aussi des "adresses"...Je ne fais pas la liste,c'est bien connu de nos lecteurs.
Retenons que avons là une particularité du style de Ferré
qu'il était bon de signaler.Jacques a bien fait de souligner cet aspect, qui pour moi allait sans dire, mais c'est mieux en le disant.
Certes cela pose le problème du statut du locuteur, qui n'est pas forcément l'auteur....Le "Je" n'est pas toujours identifiable,quand c'est un mort qui parle, comme dans les exemples donnés par Gluglups,on sait que ce "je" n'est pas l'auteur.En fait, on ne peut traiter ce pb de l'énonciation qu'au cas par cas.
Ce que Gluglups appelle "surplus discursif" est une idée intéressante..Ce serait bien qu'il explique un peu cette notion
......

Écrit par : francis delval | lundi, 21 janvier 2008

"Ce que Gluglups appelle "surplus discursif" est une idée intéressante..Ce serait bien qu'il explique un peu cette notion": cette impression est liée à tout ce que nous disons: peu de narration, interpellations et adresses (parfois répétées, parlées, voire chuchotées (avec un oeil à demi fermé fixant intensément le (télé)spectateur, formant un décrochage discursif), grande variété d'intonations (et d'"intentions") parfois dans la même chanson, assertions définitionnelles (thème/prédicat), axiologie (on évalue ce dont on parle selon le bien/le mal, le beau/le laid)...

On accepte ou non cette emprise, cette saturation du discours: certains chanteurs s'écoutent plus "neutrement" si j'ose dire.

"cela pose le problème du statut du locuteur, qui n'est pas forcément l'auteur....Le "Je" n'est pas toujours identifiable,quand c'est un mort qui parle, comme dans les exemples donnés par Gluglups,on sait que ce "je" n'est pas l'auteur.": la théorie littéraire recourt de plus en plus à la notion complexe d'"éthos", empruntée à la rhétorique ancienne, qui permet d'éviter l'écueil du "je" biographique et fictionnel.

Dans le cas des deux chansons citées, il y a l'identification d'un "je" à un personnage fictif (un soldat mort). Mais parfois le "lieu" de l'énonciation est un Ferré post mortem, une voix mécanisée sans qu'il n'y ait plus d'énonciateur (Ecoute-moi). Ce qui est étonnant chez Ferré, c'est à la fois cette insistance discursive et en même temps l'expression de sa disparition, de son absorption dans un objet de consommation dérisoire, "mécanique", automate presque, aboli bibelot d’inanité sonore...

Écrit par : gluglups | lundi, 21 janvier 2008

Gluglups,merci pour votre réponse ", avec la pointe d'humour habituelle qui nous mène à un beau final mallarméen..Ne nous dites plus que vous avez l'esprit trop confus (je vous cite) pour faire une note pour le blog.Si vous ne voulez pas , ça ne regarde que vous.
Je vous suis sur "la saturation du discours", qui se sent mieux évidemment en public, avec la gestuelle, les apartés,l'interpellation du public,etc...et sa "disparition", chanson,toujours éphémère, jamais exactement la même chaque jour.
quant au "je", dont on abuse depuis depuis que Doubrovski a mis l'autofiction à la mode,et que Philippe Lejeune en a fait carrière, reste à savoir si on peut le remplacer par le concept
d'éthos,remis en selle par Max Weber, et développé surtout, comme vous savez par Bourdieu.Question complexe,et il faudrait expliquer tout cela à nos lecteurs.
Un commentaire dense, savant, et ne manquant pas d'humour dans l'annexion de Mallarmé,demandait une réponse idoine.Nous aura-t-on compris?

Écrit par : francis delval | lundi, 21 janvier 2008

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