mercredi, 07 mars 2007
En solitaire
Après sa séparation d’avec Paul Castanier, fin mai 1973, Léo Ferré, on le sait, continue seul. Il n’aura plus jamais d’autre pianiste. Il emploiera des bandes enregistrées et s’accompagnera lui-même, comme il l’avait fait autrefois, au temps des cabarets. C’est ainsi que le public qui n’était bien sûr pas au courant découvrira un jour, en s’installant dans la salle, un piano disposé non pas sur le côté, mais au milieu de la scène, à quelques pas du micro central. Curieux… Que se passe-t-il ?
Ferré est entré en scène, a chanté a capella le tout-début de Pauvre Rutebeuf. Après le vers « Les emporta », il a mis un doigt sur ses lèvres pour demander le silence et s’est assis au piano, enchaînant avec la première chanson. Les quelques vers de Rutebeuf constituaient une réponse par anticipation aux questions que se posaient les spectateurs. C’est tout ce que le public saura de cette séparation. C’est le souvenir essentiel que conservent les trois amis de cette soirée de janvier 1974 au théâtre Axel-Toursky, à Marseille. Ferré seul en scène, vraiment seul en scène.
Le théâtre ne disposait pas, semble-t-il, d’un tabouret de piano : l’artiste est assis sur une chaise, comme en témoigne cette mauvaise photographie.
Et il alterne : assis à son clavier, debout derrière son micro, comme le découvriront les plus jeunes durant un peu moins de vingt ans encore. C’est la seule image de ses récitals qu’ils connaîtront.
« C’est un rendez-vous à ne pas manquer avec cet authentique poète qui ne cesse de crier sa colère ou son espoir ; son amour ou sa haine. Seul en scène, il nous revient pour cinq soirées en ce début d'année 1974. Lui, qui dès le départ a cru en la démarche de Richard Martin, marque son attachement au théâtre Toursky », annonce la presse [1]. « Un Ferré qui a signé avec Richard Martin un pacte de qualité, de lutte et de confiance » ajoute, quelques jours plus tard, le même journal [2]. On loue à la librairie La Touriale, boulevard de la Libération, à la maroquinerie Dallest, cours Belsunce, et au théâtre. Les places coûtent quinze francs. Jean-René Laplayne relèvera ensuite qu’« il arrive seul en scène. Une image de prophète. Aucun musicien : les accompagnements sont pré-enregistrés. Entre piano et micro, le temps de vingt-cinq chansons et textes, Léo Ferré a fait, une fois de plus, hier soir, surgir de sa tête et de son cœur l’univers d’une « poésie qui se bat » (…) Hier soir, le théâtre Toursky avait son plein de jeunesse. Face à elle, enchaînant sans un mot de chanson en chanson et de texte en chanson, Léo Ferré était bien ce prophète qui lui annonçait à la fois l’amour et le malheur, qui dessinait pour elle un monde à sa mesure et lui donnait même rendez-vous dans dix siècles [3] ».
Pour des gens comme moi, c’est une des quatre variantes : avec Popaul, avec le groupe Zoo, seul, avec orchestre symphonique. D’autres, plus âgés certainement, auront connu la petite formation qui l’accompagnait autrefois au Vieux-Colombier, à l’Alhambra ou à l’ABC, par exemple. Auparavant, il y avait eu le tandem Castanier-Cardon, piano et accordéon, ou le trio Castanier-Cardon-Rosso, piano, accordéon et guitare. Plus anciennement, on retrouve Ferré seul au piano : la boucle se ferme.
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[1]. Le Soir (de Marseille) du 12 janvier 1974.
[2]. Le Soir (de Marseille) du 22 janvier 1974.
[3]. Le Soir (de Marseille) du 23 janvier 1974.
(Théâtre Axel-Toursky, Marseille,
entre le 22 et le 26 janvier 1974. Photos X)
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Commentaires
Le beau spectable de Léo Ferré à l'Opéra comique en février-mars 1974 auquel j'ai assisté proposait encore d'autres cas de figures. En 1ère partie pour la chanson du Mal aimé Dag Achatz au piano avec la soprano Jeanine de Waleyne ; en seconde partie Marc Chantereau aux percussions, José Souc et Jean-Pierre Martin aux guitares et là encore Jeanine de Waleyne.
Écrit par : Jacques Miquel | mercredi, 07 mars 2007
Eh oui. Je ne l'ai pas vu, ce spectacle-là. J'habitais Marseille. Il a eu lieu juste après celui que j'évoque ici. Existe-t-il des traces de ce spectacle (je ne crois pas qu'il y ait eu de programme) ? Je n'ai que quelques coupures de presse.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 07 mars 2007
A ma connaissance il n'y a pas eu de programme. Hormis la première partie consacrée à la Chanson du Mal Aimé, Léo Ferré débutait la 2ème partie par Rutebeuf ainsi que vous le décrivez puis le tour de chant incluait plusieurs inédits qui ne sortiront en disque que bien plus tard: Il est 6 heures ici..., T'as d'beaux yeux, Ma vie est un slalom etc. , et puis bien sûr il lit Et Basta. La mémoire et la mer était également au programme accompagné par un des musiciens au xylophone me semble-t-il.
Écrit par : Jacques Miquel | mercredi, 07 mars 2007
C'est assez dingue qu'il ne demeure rien de ce spectacle, quand même. Y a-t-il eu seulement un dossier de presse ?
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 07 mars 2007
Ceci, qui n'a rien à voir.
Je ne sais pas si c'est très sérieux, mais il paraît que la Chine filtre les sites internet. Il existe un test pour savoir si le site qu'on anime est concerné :
http://fr.news.yahoo.com/06032007/308/sites-web-filtre-ou-pas-filtre-en-chine.html
A titre indicatif, et avec toutes les réserves d'usage, je signale que ce blog-ci est bloqué et ne peut pas être lu en Chine.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 07 mars 2007
Ouais... J'ai refait le test un peu plus tard, et cette fois, l'adresse de ce blog n'est plus bloquée. Tout ça ne veut rien dire.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 07 mars 2007
Allons, Jacques, vous êtes en plein fantasme :)
La vraie subversion, ce sera, non pas quand vous serez censuré en Chine, mais quand vous serez fustigé par toute la Ferrétie, y compris par la revue du "vrai vide", dixit d'elle-même à travers la citation d'un poète centenaire.
Encore un effort! :)
Écrit par : gluglups | mercredi, 07 mars 2007
Non, pas un fantasme. J'avais bien mis des réserves. J'ai utilisé l'adresse de ce blog parce qu'il fallait bien en utiliser une, c'est tout. Le seul fait que les réponses soient différentes d'une fois à l'autre montre que ce n'est pas fiable.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 08 mars 2007
Il paraît que face au refus de Barclay, Ferré, tétu aurait enregistré lui-même ce concert. Il a dû louer du matos, et bricoler ça avec son ingé-son ?
La bande reste introuvable (peut-être le résultat était-il de toute façon inexploitable).
Écrit par : The Owl | jeudi, 08 mars 2007
Ah ? Vous me l'apprenez. Je ne le savais pas.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 08 mars 2007
Par ailleurs, une question que je me pose c'est : à partir de quand sa recherche de la discontinuité s'applique-t-elle à ses tours de chant ?
A partir de quand précisément les récitals suivent-ils un cours plus accidenté, plus happening (comme le live 84) ?
Pourquoi selon vous Ferré déroule-t-il le programme en traçant à ce moment là de la deuxième moitié des années 70 ?
Par ailleurs, sur la note concernant le concert avec les Zoo, j'aurais aussi aimé qu'on s'attardât plus sur la musique elle-même, sur la recréation des morceaux, l'intéraction de Ferré avec le groupe sur scène, etc.
Enfin, espérons que Mister Miquel fasse la lumière sur tout cela...
Écrit par : The Owl | jeudi, 08 mars 2007
Je vous serais très reconnaissant de ne pas poser quatre questions en même temps et, si possible, de les poser dans les commentaires de la note correspondante. C'est le seul moyen d'avancer avec un peu d'ordre. Les commentaires sont ouverts en permanence, justement pour cela.
L'interaction entre Ferré et les Zoo était, dans mon souvenir, quelque chose de formidable. Elle était totale. Il existe certainement des images d'archives. Si elles pouvaient ressortir !
"A partir de quand précisément les récitals suivent-ils un cours plus accidenté, plus happening (comme le live 84) ?" :
Justement, c'était une question que je me posais. La réponse, à mon avis, est justement 1984. Je le rappelle que cela m'avait étonné, d'ailleurs. J'avais découvert Léo Ferré, en scène, dans des récitals structurés et sans "fantaisies" comme il en fit à partir de 1984. Je l'avais découvert ne disant pas un mot au public, ou très très rarement. A partir de 1984, cela change. Mais c'est toujours pareil : on dit 1984 parce qu'il demeure un enregistrement qui devient une étape, une référence. Mais si cela se trouve, c'était plus tôt et aucun disque en public ne permet de le repérer.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 08 mars 2007
D'où l'intérêt des bootlegs pirates.
Écrit par : The Owl | jeudi, 08 mars 2007
Extrait d'une interview de Léo Ferré donnée à La dépêche du Midi Fin 1973 ou début 1974. (Titre : Après l'abandon de son pianiste Popaul)
(...)
- Léo Ferré, la série des ruptures se poursuit ?
- Et oui, les Zoo se sont dissous depuis longtemps. Pour une histoire de fille. Vous savez, je fais un métier abominable. Tout le monde possède "des tas de choses rentrées" dans ce boulout. Et puis, Madeleine, Pépée, tout est mort.
- Popaul ne vous accompagne plus ?
- Non, un homme m'a fait cocu, et c'est dur, plus que par une femme. Tout le monde savait qu'il allait me quitter, sauf moi. J'ai reçu un télégramme qui disait : "Léo, c'est moi le lâcheur. Les vieux couples doivent se séparer. Je t'embrasse." Voilà comment se terminent 15 ans d'amitié.
- Et votre ami, Maurice Frot, que devient-il ?
- Il a écrit de très belles choses à mon sujet, mais je ne le vois plus lui aussi. C'est comme ça.
(...)
- Il vous reste tout de même des amis ?
- Chancel, il faut le pousser. Tu sais, à la TV et à la radio, mon cas est toujours litigieux. Caussimon est un type bien. Mais il a son entourage. Catherine Sauvage est bien aussi. Je la rencontre rarement. Avec Lebreton (Note de JM : lire bien sûr "le Breton" cad André Breton) c'est fichu. C'est lui qui m'a fait connaître. Nous nous sommes fâchés à cause de... Minou Drouet. J'ai toujours déclaré que sa mère avait beaucoup de talent, un peu tardivement tout de même ! Lui pensait le contraire, alors...
(Propos recueillis par Michel Ride - copyright A.i.g.l.e.s. et La dépêche du Midi.)
Voilà sans doute qui ne va pas manquer d'intéresser le taulier même s'il est à Tahiti !!!
Écrit par : Jacques Miquel | mardi, 17 juillet 2007
En direct de mon Tahiti à moi :
Fâché avec Breton à cause de Minou Drouet ? Les souvenirs de Léo Ferré s'emmêlent un peu. J'ai fait le tour de cette question, je pense, dans un livre. Ce qui est phénoménal, c'est qu'en 1973 ou en 1974, Ferré continue à croire que c'était la mère adoptive de la fillette qui écrivait. Remarquez, ce sont des choses qu'on dit encore aujourd'hui. Incroyable. On peut penser ce qu'on veut de cette poésie, mais il ne faut pas persister dans cette erreur d'attribution des textes. Enfin, je ne vais pas recommencer ma petite étude.
En revanche, il est étonnant de voir combien Ferré, qui a raconté mille fois la rupture avec Breton à cause de cette histoire de préface et de Poète... vos papiers !, peut parfois mêler dans sa tête cet événement qui fut grave à un désaccord antérieur, désaccord d'ordre littéraire qui, lui, n'avait absolument pas eu de conséquences. Le souvenir, chez Ferré, n'est pas objectif, ni même factuel. Il est toujours affectif, sensible. C'est un peu le cas de tout le monde, mais c'est chez lui très fort. Son souvenir peut même fluctuer avec l'humeur. On peut supposer que, lors de cette interview, il n'a brusquement pas eu envie de parler de PVP. Alors, il a ressorti Minou Drouet. Léo Ferré réinvente sa vie en permanence. Il traite sa vie comme un matériau artistique.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 20 juillet 2007
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