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dimanche, 15 juillet 2007

Le temps joli

98fb284954ddf6dbd438d088a55acfcc.jpgJe m’en vais demain
Parcourir le monde
Et dans cette ronde
Je battrai des mains
Je ne sais la belle
Si je reviendrai
Tout ce que je sais
C’est ma ritournelle

(LES GRANDES VACANCES)
 

Le taulier et la taulière partent à la campagne pour quelque temps. Sans avoir internet à portée de la main, il leur sera difficile de faire vivre ce blog durant quelques semaines, mais les anciennes notes ne portent pas de date de péremption et les commentaires restent ouverts en permanence. En fonction des ordinateurs disponibles sur son chemin perdu dans les bois, l’affreux taulier fera son possible pour répondre et animer ce lieu, au moins de loin en loin. Les discussions reprendront, par conséquent, en septembre, si le cœur vous en dit. La date n’est pas encore fixée, mais ce sera toujours à minuit, l’heure des cabarets, que naîtront les chansons. Merci pour votre participation aux huit premiers mois d’existence de ce lieu. Amicalement à tous.

 

 

(Prospectus annonçant un récital au gymnase Joliot-Curie,

Le Plessis-Robinson, le 12 octobre 1985)

samedi, 14 juillet 2007

Dommage

Il fut un temps où les interprètes étaient des chanteurs, c’est-à-dire des gens ayant une voix, du souffle, une présence. On pouvait les écouter comme des artistes à part entière dans un répertoire qu’ils avaient construit, erreurs éventuelles comprises, avec soin. On est loin de nombreux « interprètes » d’aujourd’hui qui sont vocalement ineptes, artistiquement infâmes, scéniquement consternants, et qui ne « chantent » Ferré que pour exister eux-mêmes, de loin en loin. Le pire est qu’ils trouvent un public – qu’on veut espérer abusé ou attendri car venu pour Léo Ferré – pour les applaudir.

Ferré qui pensait, il l’a souvent dit, les chansons faites pour être chantées, avait souvent des idées originales dans ce domaine et l’on peut effectuer un rapide tour d’horizon des propositions qu’il fit lui-même aux interprètes du moment. On ne redira pas les refus que tout le monde connaît, mais on rappellera ceux qu’on peut considérer comme des pertes sèches pour la chanson.

Le plus grand regret, peut-être, les poèmes de Baudelaire avec sa musique, que Léo Ferré avait lui-même proposés à Piaf. On connaît la réponse : « Non, Léo, Baudelaire, c’est sacré ». On peut penser que Piaf a été effrayée par la perspective de chanter les Fleurs du Mal. Et pourtant, Piaf chante Baudelaire, musique de Léo Ferré, c’eût été quelque chose, il me semble. On aurait certainement pu discuter ce disque, voire le critiquer sévèrement, mais il eût incontestablement existé et compté.

On connaît le projet de faire chanter à Johnny Hallyday Les Albatros. Avorté pour une raison inconnue : selon toute vraisemblance, l’entourage du chanteur lui aurait déconseillé cet enregistrement, qui pouvait être de nature à déstabiliser son public. On n’en sait pas plus.

Comme on ignore les raisons – vraisemblablement les mêmes – de Mireille Mathieu pour ne pas chanter La Mort des loups. Léo Ferré voulait lui faire interpréter ce texte, jugeant qu’elle avait une voix lui autorisant autre chose que son habituel répertoire.

Moins connu est le refus opposé par les Compagnons de la chanson. Je m’étais souvent demandé pourquoi les Compagnons n’avaient jamais chanté Ferré. La réponse à cette interrogation est donnée dans ses souvenirs, récemment publiés par Fred Mella. Ferré aurait aimé leur donner Mon p’tit voyou. Le groupe trouva la chanson beaucoup trop intime pour figurer dans un répertoire à plusieurs voix. La règle des Compagnons, pour travailler et graver une chanson, était l’unanimité, que la proposition de Ferré ne recueillit pas. Je ne peux m’empêcher d’imaginer ce que cela aurait donné et je pense qu’au contraire, cette interprétation serait vraiment sortie des sentiers battus et aurait pu faire date. Léo Ferré, en effet, s’était certainement posé lui-même la question avant d’avancer ce titre.

Juliette Gréco a chanté plusieurs œuvres de Ferré. Elle qui pourtant peut tout oser, lui avait refusé Les Bonnes manières. Là aussi, on peut rêver à ce qu’elle en aurait fait, qui n’eût certainement pas été à jeter au ruisseau.

 

Je m’aperçois que cette note va paraître le 14 juillet, date à laquelle de nombreux interprètes, ici et là, chantent Ferré. Ce n’était pas préconçu et, finalement, c’est peut-être aussi bien.

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mardi, 10 juillet 2007

Les articles d’Edmée Santy

La boussole des veuve(s) aveugles sous leur voile

 

(À TOI) 

 

Sur internet, les voix de femmes s’expriment fort peu au sujet de Léo Ferré. C’est étonnant : depuis soixante ans, les interprètes féminines sont très nombreuses, les journalistes femmes aussi. J’ai souvent dit combien Claude Sarraute avait su tenir à un beau niveau la chronique de variétés du Monde, combien, parmi tant d’artistes dont elle a parlé, elle a célébré Léo Ferré qu’elle admirait, ne se privant pas cependant de lui dire son fait lorsqu’elle l’estimait utile. La collection de ses articles possède aujourd’hui encore une réelle valeur. Loin de là, tout au sud, aux rives de la mer antique, une autre journaliste devenait lyrique lorsqu’elle évoquait l’artiste.

À Marseille, on peut alors lire trois quotidiens du matin : Le Méridional-La France qui est de droite et dont le rédacteur en chef, Gabriel Domenech, s’illustrera plus tard en se présentant à des élections locales sur les listes du Front national ; Le Provençal, sous-titré « Journal des patriotes socialistes et républicains » ; enfin, La Marseillaise, journal communiste. Le soir, une seule feuille locale est vendue dans les kiosques, Le Soir, justement. Je précise toujours Le Soir « de Marseille » pour éviter d’éventuelles confusions avec le célèbre journal belge. Le Soir appartient au Provençal, c’est un peu son édition vespérale ; il comprend relativement peu de pages. Edmée Santy signe les chroniques de variétés.

Le 7 mars 1972, un article non signé paraît (je respecte dans les articles cités ci-après les alinéas, capitales et guillemets abondamment utilisés par la journaliste) :

 

PALAIS DES CONGRÈS (jeudi et vendredi)

LÉO FERRÉ

accompagné par ZOO

(Photo Jo Nahon, Le Soir)

Léo Ferré sera jeudi et vendredi prochain à Marseille avec les « Zoo » au Palais des Congrès.

Ce grand poète de la chanson française, l'homme du « dialogue avec la solitude » présentera son tour de chant accompagné par l'excellent orchestre pop « Zoo ».

À une journaliste qui lui demandait : « Avec votre dernier disque apparaît une forme nouvelle dans votre univers musical : la pop musique, pourquoi ? »

Léo Ferré répondait : « La pop musique... ça à l'air d'une blague, mais c'est vrai, du moins au début – c'est un bruit énorme – cela dit, c'est une façon neuve de concevoir la musique, c'est une esthétique particulière ».

Avant son prochain passage à l'Olympia, dans quelques jours les Marseillais pourront donc apprécier le nouveau tour de chant du grand « Ferré ».

Les places sont en vente chez Gébelin-pianos, 77, rue Saint-Ferréol, Marseille.

 

Le 8, soit le lendemain, Le Soir annonce :

 

Demain (et vendredi)

PALAIS DES CONGRÈS

FERRÉ ET ZOO

Léo FERRÉ sera demain et vendredi à Marseille, avec les ZOO au Palais des Congrès.

Le grand poète de la chanson française, l'homme du « dialogue avec la solitude », l'éternel chantre de la révolte et de la tendresse, présentera son tour de chant accompagné par l'excellent orchestre pop « ZOO ».

À une journaliste, Françoise Travelet, qui lui demandait : « Avec votre dernier disque apparaît une forme nouvelle, dans votre univers musical la pop musique, pourquoi ? »

Léo FERRÉ répondait  : « La pop musique... ça à l'air d'une blague, mais c'est vrai du moins au début. C'est un bruit énorme – Cela dit, c'est une façon neuve de concevoir la musique, c'est une esthétique particulière. Ce n'est pas tellement la musique en soi que tout ce qu'il y a autour, politiquement, sociologiquement. Elle est liée à une pensée jeune, libérée ».

Avant son prochain passage à l'Olympia, dans quelques jours les Marseillais pourront donc apprécier le nouveau tour de chant du grand « FERRÉ ».

Les places sont en vente chez GÉBELIN-PIANOS, 77, rue Saint-Ferréol.

 

Le lendemain toujours, le 9, on peut lire :

 

Ce soir et demain

au Palais des Congrès

Léo Ferré

Léo Ferré sera ce soir jeudi, et demain vendredi, à Marseille avec les « Zoo » au Palais des Congrès.

À une journaliste, Françoise Travelet, qui lui demandait : « Avec votre dernier disque apparaît une forme nouvelle, dans votre univers musical : la pop musique, pourquoi? ».

Léo Ferré répondait : « La pop musique... Ça a l'air d’une blague, mais c'est vrai, du moins au début – c'est un bruit énorme – cela dit, c'est une façon neuve de concevoir la musique, c’est une esthétique particulière ». Avant son prochain passage à l’Olympia dans quelques jours, les Marseillais pourront donc apprécier le nouveau tour de chant du grand « Ferré ». Les places sont en vente chez Gébelin-pianos – 77, rue Saint-Ferréol.

 

Ce spectacle annoncé de nombreuses fois, se déroulera mal, comme on l’a déjà raconté. Le 10 mars, Edmée Santy signe cette fois :

 

Music-hall

Face aux fauves du palais des Congrès

Un ALBATROS rugissant : LÉO FERRÉ

soutenu par de jeunes lions : LES ZOO

Ses yeux de myope l'empêchant de ciller, ses mains d'enchanteur l'empêchant de cogner, son cœur d'Archange noir l'empêchant de se battre, FERRÉ, superbe et solitaire « ALBATROS » a hier, maté la hargne, la bêtise de quelques cinquante fauves perturbant par leurs farandoles « internationales » et leurs poings de blanc bec, une salle archicomble, venue, une fois encore, entendre le MAGE.

Au nom de quel « isme », de quelles frontières, de quelle révolution, ces puérils desperados croient-ils que cracher à la face du POÈTE c'est faire acte d'adulte.

« La Poésie, ça ne se lave pas », FERRÉ ne les a pas attendus pour se moucher dans l'anti-conformisme, pour fouler l'ordre, pour clamer qu'il vit « à la dimension 4 ». FERRÉ a payé assez cher de suivre son « enterrement », de se barder contre les c.., qui le « lapideront ». FERRÉ, avec ou sans « PÉPÉE » ne l'a-t-il pas vécu, lui, son « Âge d'or » ?

Alors pour ces « limonaires » auréolés d'azur,  pour cette « bouche ouverte comme du feu », alors pour ces « JE T'AIME » dressés en holocaustes, alors que [sic] pour ces « papiers » extorqués au Poète pour « Ton style » charriant le sang, la vie, l'ordure peut-être, mais toujours des gemmes constellés, c'est à vous, Monsieur FERRÉ, que nous disons « Thank you ».

Anarchiste de la planète Minerve, combattant de Satan et du Bonhomme Dieu, les chaînes de Renault et des vitamines factices ne les a-t-il pas brisées pour qu'on le laisse poursuivre son monologue. Ce long et sublime cri qu'à force de pousser les étoiles elles-mêmes en ont tremblé dans la galaxie.

On ne jette pas des pièces dans la sébile de Monsieur FERRÉ, on ne bivouaque pas en campus rageurs à ses pieds. On l'écoute, et on se tait car, de Belleville à l'Huveaune, de l'Oural à Billancourt qui, à part lui, a parcouru tant de chemins, semé autant de constellations ?

Dans ce pugilat atroce, Ferré a trouvé chez les « ZOO » d'ardents chevaliers. Étonnants « lions » entonnant leurs décibels « pop » mais prouvant que pour faire du bruit, certains jeunes savent encore entendre battre leur cœur ; ce cœur qui, au rythme du « Patriarche », a repris le goût de la dignité.

Si vous êtes un « chien », Monsieur FERRÉ, permettez-nous, de faire taire la meute des roquets pour que le bruissement de « vos ailes de géant » emplissent notre « Solitude ».

Votre « Solitude », qu'avec ou sans clin d'œil, avec ou sans trompette (ni clairon) vous assumez à en mourir... d'aimer.

Edmée SANTY

LÉO FERRÉ et les ZOO seront à nouveau ce soir au Palais des Congrès. Rappelons que, paradoxalement, la venue de « l'ANAR », de l'Interdit, du « Maudit » est organisée par les concerts MAZARINE, hôtes habituels de l'Abbaye de Saint-Victor.

 

La tournée qu’il fait à la suite de son spectacle de l’Olympia amène Ferré à Marseille en décembre. Il se produit au théâtre Toursky, comme l’annonce Le Soir du 16.

 

Léo

FERRÉ

au théâtre Axel-Toursky

du 19 au

23 décembre

 

Léo Ferré, qui s'est produit l'année dernière [sic] avec le groupe pop « Zoo », sera de nouveau à Marseille dans les prochains jours. Il chantera, du 19 au 23 décembre, à 21 h, au théâtre Axel-Toursky (22, rue Édouard-Vaillant).

Léo Ferré, seul avec lui-même (et avec son pianiste), va dialoguer avec les étoiles, l'amour, la vie, cette « chienne de vie » dont il est le poète illuminé et incomparable.

Pour ces soirées exceptionnelles, la location est ouverte au théâtre Toursky (tél. 50 75 91).

 

Deux jours plus tard, le 18, une nouvelle annonce est faite :

 

LÉO FERRÉ

Le théâtre Axel-Toursky nous communique : location terminée pour demain mardi – complet –. On peut encore louer pour samedi et les autres jours.

 

Le lendemain, 19 décembre, on rappelle :

 

Pour 3 soirs à Marseille

(au théâtre Axel-Toursky)

Monsieur FERRÉ

Si ce soir le théâtre Axel-Toursky affiche complet pour la première du récital Léo FERRÉ, l’on peut encore louer, pour demain et jeudi soir (22, rue Édouard-Vaillant), la venue de Monsieur FERRÉ – avec son seul pianiste – à Marseille est un événement, le poète écorché n'est-il pas, déjà, entré dans la légende ?

(Photo Le Soir)

 

La relation du spectacle paraît le 20, dans un texte signé de la journaliste :

 

L'ACTUALITÉ DES ARTS ET DU SPECTACLE

Au THÉÂTRE AXEL-TOURSKY (jusqu'au 23 inclus)

FERRÉ 72 : une clameur torrentielle et constellée

Une clameur, un coup de g..., un coup de poing, une âme déchirée, constellée, un torrent de boue et d'étoiles, le cri de la Bête pour ne pas entendre les pleurs de l'Ange, un géant crucifié, déchiré, loqueteux, sublime, des cheveux enneigés auréolés d'épines et de cendres, un FERRÉ tout noir, un FERRÉ tout rouge, un FERRÉ délirant, dialoguant avec le cosmos, un « voyant » de l'an 10. 000, un amant ébloui qui tonne et insulte pour mieux prier, un déluge de pudeur, un hymne à l'Amour, voilà le FERRÉ 72.

Seul, avec Paul CASTAGNIER [sic], le complice de la nuit obscure, le compagnon du clavier, FERRÉ se met à nu, « géométrise son âme », interroge « Qui donc inventera le désespoir ? », cueille « la fleur de l'âge », rapetasse les souvenirs de « ceux qui n'ont plus de maison », déclenche le vacarme des vitrines, se gausse de la « mélancolie » et ballotté, cahoté, démiurgique face à la lèpre, au quotidien, au vice de bas étage, aux compromissions, aux évasions de « super-marché », déflingue les boutons de la télé « consommation » pour édifier une ode monumentale, déchirante, « LES AMANTS TRISTES », un mausolée qui a le goût du soufre mais une coupole en plein azur. Si LAUTRÉAMONT avait été amoureux, si RIMBAUD avait vécu, si GENET savait regarder, ils auraient employé les mêmes mots, auraient inventé un identique « miracle des voyelles ».

Et FERRÉ, lui, plie, lit, froisse l'autre jusqu'à ce qu'elle crée, jusqu'à ce que le maëlstrom du désir balaie et confonde les corps à l'anéantissement de l'âme.

Vingt-neuf titres, un glossaire, le Coran des « Mal aimés », des « Trop aimants », la Bible dégorgée des « Solitaires », un récital qui n'en est pas un tant la tension, la hargne, la vomissure, les « tripes », la voix s'entrechoquent, s'affrontent, s'empoignent, « s'archangélisent ».

• Vingt-neuf titres qui font mal et qui éblouissent,

• Vingt-neuf prières,

• Vingt-neuf colères,

• Vingt-neuf poèmes qui donnent tort à Monsieur d'Alambert, aux ordonnateurs, aux geôliers, aux revendeurs de médiocrité, à tous ceux qui veulent « culturiser » l'absurde et endoctriner les théorèmes,

• Vingt neuf merveilles nauséabondes et cosmiques qui permettent de croire en autre chose, de voir la Voie lactée, de déboulonner « la Jeune Parque », d'apporter, à la pointe du cœur, la preuve rageuse que la Poésie n'est pas asexuée ni éthérée, qu'elle est une clameur qui n'a pas fini de lézarder les HLM comme les Élysées, et qu'il faudra bien, un jour, en l'an 10. 000, parce que maintenant « il n'y a plus rien » que nous ayons alors « le temps d'inventer la vie ».

• Le drapeau noir de l'oppression, de l'opprobre, de l'injustice, le drapeau sang de la Révolution, le drapeau artificiel et « dé-hampé » d'une jeunesse étriquée, vous voyez bien que LÉO FERRÉ les a abattus pour mieux planter son étendard à lui, celui du délire, de l'amour et du génie.

Edmée SANTY.

UN HIBOU, UN VAUTOUR, UN AIGLE, UN HOMME (Photo Gaston Schiano).

ATTENTION LÉO FERRÉ EST AU THÉÂTRE AXEL-TOURSKY, 22, RUE ÉDOUARD-VAILLANT, 50 75 91, CE SOIR, DEMAIN JEUDI, VENDREDI 22 ET SAMEDI 23.

 

Le 21, Le Soir insiste encore :

 

« FERRÉ 72 »

au TH. « TOURSKY »

(22, rue Édouard-Vaillant

tél. 50 75 91)

une clameur et un

hymne à entendre

ce soir, demain, samedi

 

Le 23 enfin, le journal regrette :

 

Th. « A.-Toursky » :

dernière, ce soir

FERRÉ

FERRÉ est venu, Ferré s'en va mais ce soir encore pour la dernière fois nous entendrons sa clameur et son chant d'amour et de rage (Théâtre Axel-Toursky, 22, rue Édouard-Vaillant, téléphone 50 75 91).

 

Plus tard cette fois, le 12 janvier 1974, Le Soir annonce :

 

Au « Toursky » (22 au 27)

LÉO FERRÉ

C'est un rendez-vous à ne pas manquer avec cet authentique poète qui ne cesse de crier sa colère ou son espoir ; son amour ou sa haine.

Seul en scène ; il nous revient pour cinq soirées en ce début d'année 1974.

Lui, qui dès le départ a cru en la démarche de Richard Martin, marque son attachement au théâtre Toursky en venant se produire une fois de plus sur la scène du Toursky.

La location est ouverte librairie La Touriale, bd de la Libération, maroquinerie Dallest, cours Belsunce, au théâtre – tél. 50 75 91.

Prix des places 15 F + taxes.

 

Le 22, soir de la première, on peut cette fois lire :

 

Au « Toursky »

LÉO FERRÉ

Le voici donc qui revient, par amitié, par fidélité, par talent, le voici, ce Léo FERRÉ, encore grandi sous la neige des cheveux et encore plus solitaire dans l'arène de l'humanité.

Un FERRÉ tout noir, un FERRÉ tout rouge, le FERRÉ poète qui prie et chante son génie comme d'autres dressent des barricades ou cultivent leur jardin. Un FERRÉ qui a signé avec Richard Martin du théâtre TOURSKY un pacte de qualité, de lutte et de confiance.

Un FERRÉ qui pour les Marseillais retrouvés chantera dès ce soir et jusqu'au 26 janvier tout ce qu'il a dans la tête et dans le cœur, c’est-à-dire le monde entier.

Théâtre TOURSKY, 22, rue Édouard-Vaillant (tél. 50 75 91).

 

Curieusement, pour la première fois depuis des années, ce n’est pas Edmée Santy qui rendra compte de ce spectacle, mais Jean-René Laplayne.

Je ne pense pas posséder dans mes dossiers la totalité des articles qu’Edmée Santy a consacrés à Léo Ferré. Ces quelques textes sont suffisamment révélateurs, néanmoins, de l’admiration qu’elle lui portait. Ces articles, bien sûr, sont un peu brouillons, pas toujours rédigés dans une langue très correcte : Edmée Santy, avec son usage abusif des capitales, des guillemets et ses alinéas constants, n’est pas Claude Sarraute. Ils montrent en revanche – au moins en partie – l’effet que pouvait produire Ferré sur les femmes, sur une femme dont la profession était de rédiger ces comptes rendus de spectacles et qui, à ce titre, aurait pu le faire avec beaucoup plus de distance. Ces coupures de presse fleurent bon, aussi, une époque de la société, un moment du poète.

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jeudi, 05 juillet 2007

Aimer Ferré

Je me suis toujours demandé ce que signifiait, pour ceux qui l’aiment, le fait de, justement, « aimer Léo Ferré ». La question vaut, d’ailleurs, pour tous les artistes et même pour tous les sujets possibles.

 

Aimer Ferré, est-ce que cela peut être l’aimer « comme ça », c’est-à-dire connaître quelques chansons et prendre plaisir à les écouter ? Ou bien connaître quelques chansons et apprécier d’en découvrir d’autres ? Est-ce avoir une vague connaissance de l’homme et de son œuvre, être à peu près capable de le situer artistiquement ? Est-ce collectionner stérilement les documents, de quelque nature qu’ils soient, pour le plaisir maladif d’accumuler des objets reliés par un thème ? Encore existe-t-il plusieurs niveaux de gravité de cette maladie communément désignée par le terme de « collectionnite ». Est-il utile de préciser que je n’aime pas (litote) les collectionneurs stériles ? Aimer Ferré, est-ce encore adouber tout interprète même médiocre qui ne vise qu’à se servir lui-même, et s’imaginer que la mémoire de Ferré et la vie de son œuvre ont besoin de l’interprète en question, ce qui serait d’ailleurs plutôt étonnant : confier la postérité (dont l’artiste lui-même n’avait que faire, d’ailleurs) à la nullité est un pari risqué. Aimer Ferré, est-ce pouvoir négliger la lecture d’ouvrages qui lui sont consacrés (il n’est pas besoin, je pense, de préciser ici que je ne mets absolument pas mes propres livres dans la balance ; ma question demeure de portée générale) ? Est-ce tirer un trait sur ce qui paraît a priori difficile et qui, concrètement, se révèle être, la plupart du temps, la partie de l’œuvre non chantée ? Est-ce refuser de considérer l’œuvre dans toutes ses dimensions et de tenter le cheminement intellectuel indispensable à la cohésion : y a-t-il grand-œuvre ou pas ? Et si oui, pourquoi négliger certains de ses aspects ?

 

Étudier un sujet, un domaine, une création, est une chose que je ne conçois pas sans un investissement complet : connaître l’œuvre dans le détail, lire tout ce qui a été écrit sur la question, en tirer des travaux personnels. C’est de cette manière que je procède, dans tous les domaines qui m’intéressent – ils sont nombreux – depuis toujours.

 

Que ce qui précède ne soit surtout pas mal compris. Loin de moi l’idée de dicter des conduites, d’imposer des points de vue. J’ai assez répété qu’ici, je ne disais pas le droit. Simplement, il me semble qu’aimer tel ou tel artiste, tel ou tel auteur, s’intéresser à tel ou tel domaine, cela ne peut pas être superficiel. Aimer Ferré, qu’est-ce que c’est ?

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mardi, 03 juillet 2007

Couleurs d’aimer

Mon p’tit voyou, très tendre chanson de Léo Ferré, dont le titre, il faut peut-être le rappeler car l’expression n’a guère plus cours aujourd’hui, signifie « mon chéri », « mon amour », est ainsi construite : quatre sixains d’octosyllabes croisés avec des tétrasyllabes, fondés sur des couleurs : gris pour la tristesse, bleu pour l’amour, vert pour l’espoir, noir pour la mort. Ce schéma très classique sert cependant une pensée émue, articulée non en une progression, mais en un bouquet de thèmes familiers de la poésie lyrique.

Bien plus tard, Léo Ferré enregistre De toutes les couleurs, dont la structure est plus complexe : cinq neuvains d’alexandrins construits selon le schéma de rimes a-a-a-b-c-c-d-d-b. Les strophes sont toujours, cependant, fondées sur des couleurs : vert pour l’espoir, bleu pour l’amour, jaune pour la folie, rouge pour la passion, noir pour la mort.

Au fond, rien n’est fondamentalement différent : seules deux couleurs sont ajoutées au spectre initial et, pour ce qui est de leur symbolique, elles demeurent classiques. Seul le jaune devient l’emblème de la folie, parce que, dans l’univers de l’auteur, il est supposé être nécessairement celui de Van Gogh. L’amour physique est maintenant très fortement présent, expressément dit : « De toutes les couleurs du rouge où que tu ailles / Le rouge de l’Amour quand l’Amour s’encanaille / Au bord de la folie dans la soie ou la paille / Quand il ne reste d’un instant que l’éternel / Quand grimpe dans ton ventre une bête superbe / La bave aux dents et le reste comme une gerbe / Et qui s’épanouit comme de l’Autre monde / À raconter plus tard l’éternelle seconde / Qui n’en finit jamais de couler dans le ciel » alors que, s’agissant de Mon p’tit voyou, les pudibondes années 50 n’autorisaient guère que « Quand tout est bleu / Y a l’ permanent dans tes quinquets / Les fleurs d’amour s’fout’nt en bouquet / Quand tout est bleu / C’est comme un train qui tend ses bras / Y a pas d’ raison que j’te prenn’ pas » – avec l’ambiguité voulue dans l’acception du verbe « prendre » : le train ou la femme ?

Chez Léo Ferré, on le sait, il n’est pas de différence intrinsèque entre l’amour courtois et l’amour physique, ainsi qu’il en va, d’ailleurs, dans toute la tradition de la poésie lyrique qui, par ses thèmes mêmes, n’a jamais fait que contourner, notamment au moyen des blasons, l’interdiction sociale de dire le corps, ses fêtes et ses fastes.

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