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vendredi, 29 juin 2007

Du mode de fonctionnement de ce lieu

Je pense devoir rappeler de quelle manière fonctionne ce lieu. Cela, d’ailleurs, n’était pas préconçu. Ces aspects se sont éclairés au fil des mois.

Je traite les sujets en fonction, évidemment, de mon désir de le faire à tel ou tel moment (ce qu’on nomme habituellement « inspiration ») ; de ma documentation, qui n’est pas infinie ; de la possibilité d’apprendre éventuellement, et avec beaucoup d’humilité, quelque chose à quelqu’un ; de la cohérence du propos au secours de laquelle j’appelle quelquefois les liens d’une note à l’autre.

L’actualité n’est jamais un critère puisque le fond, en principe, est prédominant ou tente de l’être.

D’une manière générale, je n’écris de textes que choisis par moi. J’ai reçu à plusieurs reprises des demandes auxquelles je n’ai pas accédé, le principe étant qu’on ne passe pas commande. Comprenons-nous, surtout : on ne passe pas commande non parce que je me tiens dans ma tour d’ivoire, mais pour la simple raison que je ne suis pas omniscient et n’ai pas forcément la capacité de traiter un sujet qui m’aura été suggéré. En revanche, j’accueille qui veut dans la catégorie « Les invités du taulier » : dans ce cas, l’auteur a carte blanche.

Concernant les textes nés de conversations privées avec des participants, et singulièrement avec The Owl, l’esprit est différent. Parfois, lorsque la discussion s’étoffe, prend une certaine ampleur, je me dis qu’elle est susceptible d’intéresser d’autres lecteurs : j’en tire alors une note. Certes, tout ce qui se rapporte à Léo Ferré m’intéresse, mais il y aussi une question d’opportunité. Lorsque le sujet n’est pas de mon choix, il ne me touche pas forcément à ce moment-là. Ainsi, je n’aurais pas envisagé de traiter des contestataires de Ferré : j’avais prévu un autre billet, que j’ai repoussé de quelques jours. Toutefois, même dans ces cas-là, je fais évidemment de mon mieux pour répondre aux interrogations des participants, quand je peux y parvenir.

mardi, 26 juin 2007

Contester Ferré

The Owl me pose une série de questions sur la contestation de Léo Ferré. Au cours de notre discussion, je lui réponds que, contrairement à ce que j’avais cru dans les premières années 70, les critiques avaient commencé longtemps auparavant. Elles étaient faites, surtout, par des journalistes. J’écris : « Or, les années passant, je découvre, dans la presse, des traces écrites d’une contestation équivalente... depuis 1962. C’est-à-dire : équivalente dans l’esprit (évidemment, il n’est pas attaqué dans la rue à ce moment-là). Mais déjà, on lui reproche, en gros, de gagner de l’argent alors qu’il se dit anarchiste. Cela commence finalement dès le lendemain du succès de l’Alhambra en 1961. Cela continuera, doucement mais réellement, jusqu’à la contestation « politique » des jeunes gens, plus tard. En 1966 (émission « La Vie de château », Panorama, qu’on peut voir à l’INA), on le pique un peu, dès le début, sur son château, ses « toiles de maître » supposées. Il est obligé de répondre que ce ne sont pas des toiles de maître et de s’emporter un peu. Et puis, d’archives en archives, je découvre qu’on lui faisait des reproches, déjà, en 1954 ! Au lendemain du spectacle de Monaco en présence de Rainier, on écrit ironiquement « l’ex-dynamitero pour cabarets d’avant-garde devenu musicien de cour » (je cite de mémoire) et autres gracieusetés. En résumé, donc, ce reproche d’une inadéquation supposée entre ses idées et son mode de vie lui a toujours été fait, dès qu’il a connu un peu de succès. Après 1968 – en gros, à partir de 1971 – ce sera bien plus violent, au point qu’il devra tenter de s’expliquer au micro de Campus (Europe 1) pour calmer le jeu, ce qui ne servira pas à grand-chose, d’ailleurs. Je crois qu’il a eu très peur de se faire descendre en scène, carrément. Il l’a dit plusieurs fois. Jusqu’en 1975 au moins, cela continuera. Puis ça se tassera mais, en 1979 encore, il y aura quelques problèmes ».

The Owl me demande alors de recenser tous les incidents survenus. Ce n’est pas possible : je ne les connais pas tous et une liste incomplète ne signifierait pas grand-chose. De plus, un chahut dans la salle et des coups de poing dans la rue, ce n’est pas la même chose.

The Owl pose aussi deux questions intéressantes :

 

Pourquoi à votre avis la critique se déplace-t-elle des journalistes au public ?

Il est très difficile de répondre à cette question d’une manière simple. Il faut prendre en compte l’évolution de la société, et l’arrivée de 1968. Avant cette date, la société de consommation est quelque chose de très stable. Il y a le plein-emploi : on n’hésite pas à changer de travail pour gagner un franc de l’heure de plus ; le chômage dure une semaine au maximum. On change de réfrigérateur tous les ans et de voiture tous les deux ans. Je simplifie, certes, mais ne caricature pas du tout. Cette société stable, on la croit éternelle : mieux, on croit que la société, c’est ça. Mais pour les jeunes de vingt ans, changer de réfrigérateur n’est pas un but en soi. À cette époque, la presse est le porte-parole essentiel. Radio et télévision d’État sont aux mains du pouvoir. Les radios dites « périphériques » (Europe 1 et RTL) sont un peu plus libres, mais soumises à des impératifs publicitaires. Il n’y a pas d’internet, bien évidemment, et fort peu de téléphones fixes. Le courrier et la presse sont donc les vecteurs essentiels de tout échange. C’est la presse qui se fait l’écho des tendances de la société, c’est par elle que la société s’informe. Si remarque sur Ferré il y a, c’est dans la presse qu’elle s’exprime. Les journalistes ont toujours eu beaucoup de pouvoir et, dans ces années, ils portent toute forme de débat. Ce qui nous amène à la question suivante de The Owl.

 

Pourquoi cela commence-t-il précisément en 1971 ?

Je ne garantis pas l’exactitude de l’année. Ce fut peut-être tout à fait à la fin de 1970, mais certainement pas avant. Je table sur 1971, en tout cas. Pourquoi ? À cause de l’affaire de L’Idiot international qui, dans son numéro 15 daté mars-avril 1971, appelle à recevoir Ferré, partout, « à coups de pavés dans la gueule ». Cela déclenchera une vague de violence qui durera plusieurs années. Que s’est-il produit ? 1968 a changé la société. Pas seulement en France, mais dans toute l’Europe et aux États-Unis (voir Daniel Cohn-Bendit, Nous l’avons tant aimée, la Révolution, Barrault, 1986). Les jeunes ont pris la parole et la rue avec. La société a changé du tout au tout. Tout est devenu politique (on disait d’ailleurs : « Tout est politique »). La moindre analyse du moindre fait social se fonde sur une dialectique marxiste, léniniste, maoïste, trotskyste, anarchiste, avec un doigt de Marcuse et une bonne louche de surréalisme. Pour être honnête, c’est très difficile à vivre et pourtant, rétrospectivement, cela paraît formidable : il y a bouillonnement incessant des idées… et mise en cause permanente de tout et de tous. Le comportement de chacun est en permanence questionné par autrui et chacun se doit, par ailleurs, de se remettre en question régulièrement. L’argent est honteux. Le féminisme, qui existe déjà, ne tardera pas à devenir très virulent, ce qui achèvera de déstabiliser les « vieux » (comprendre : plus de trente ans). Adoncques, les jeunes s’arrogent le droit de juger et de demander des comptes. Il faut impérativement avoir les cheveux longs, être barbu si possible, participer aux manifestations (plusieurs par mois) et se justifier si l’on n’y va pas : « Qu’est-ce que c’est pour toi, l’anarchie ? C’est les disques ? » (dialogue authentique). C’est un temps difficile à comprendre à présent : on fume librement et partout (des gauloises, autrement gare, il faudra rendre des comptes), on roule en voiture sans limitation de vitesse, sans ceinture, sans appuie-tête, sans contrôle d’alcoolémie (je ne dis pas que c’était intelligent, je dis que c’était ainsi), on fait l’amour sans précaution aucune (pas de sida, naturellement, peu de maladies vénériennes et arrivée de la pilule). On vit en communauté (pas longtemps). Il y a le mythe du retour à la terre, que beaucoup tenteront et dans lequel peu demeureront. Tout est libre : la vitesse et l’amour. Et les amours meurent en vitesse, aussi…

Le racisme anti-jeunes s’installe. Sous Pompidou, Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, est persuadé qu’il existe un complot anti-France, dirigé de l’étranger. La répression augmente dans les manifestations interdites, qui ont lieu quand même. Le fait d’être jeune peut suffire à être arrêté et je ne sais plus où j’ai lu ce témoignage de quelqu’un qui avait été interpellé parce qu’il marchait dans la rue avec Charlie-Hebdo sous le bras. Les CRS lui avaient pris son journal et l’avaient déchiré.

Et, donc, ces jeunes-là demandent des comptes à Léo Ferré. Beaucoup l’ont découvert en 1969 seulement et ignorent tout de son histoire antérieure. En janvier et février 1969, le récital présenté à Bobino reçoit l’accueil triomphal dont deux enregistrements publics conservent la trace. La popularité de Ferré augmente chaque jour et C’est extra berce les amours de l’été. En 1970, Amour Anarchie est reçu en mai comme un très grand manifeste et, quand, en novembre, paraît le second volume, on est épaté de constater cette force crétarice considérable, dont on ne sait pas qu’elle était déjà là avant. Il faut dire qu’alors, un 45-tours est un beau cadeau, un 33-tours davantage encore, et deux 33-tours, c’est immense. C’est difficile à comprendre, maintenant qu’on achète des « intégrales » de plusieurs disques compacts. Léo Ferré commence ainsi à devenir, à son corps défendant, un gourou, un prophète. Là, se produit ce qui se produit toujours en pareil cas. Le prophète-malgré-lui est victime de sa propre image, même si celle-ci ne correspond à rien ou seulement à une image, née dans l’esprit du public. Il doit être ce qu’on croit qu’il est, autrement, c’est la guerre. Et ce fut la guerre. On lui demande alors des comptes, en permanence, sur son mode de vie qui, selon les jeunes, devrait être moindre : en ces temps où une 2 CV ou une 4 L sont seules admises, la DS est mal ressentie. Les restaurants et les hôtels confortables, plus encore. La légende de la Rolls naît à ce moment-là : elle le poursuivra toute sa vie.

Cette contestation est donc la même que celle qui s’exprimait auparavant dans la presse, elle est seulement plus radicale, plus entière, parce que faite avec la fougue de la jeunesse dans une société libérée des contraintes des années 50 et 60, une société maintenant empreinte d’histoire, d’idées, de manifestes, d’utopie totale, de poésie aussi, parfois – encore qu’une vision poétique des choses soit mal acceptée par certains gauchistes, qui l’assimilent à la bourgeoisie. La presse est de plus en plus importante, mais ce n’est plus la même. Les journaux politiques et féministes abondent, ils se démarquent de l’information bourgeoise. Léo Ferré est souvent assimilé à la bourgeoisie. Les jeunes du moment contestent même l’artiste, concept infiniment bourgeois, selon eux.

Bien sûr, certains journaux révolutionnaires, tout comme les groupuscules qui les publiaient, durèrent le temps d’une chanson. Bien sûr, ce qu’on a appelé « le choc pétrolier de 1973 » sonnera la fin de la récréation. Bien sûr, en 1976, Chirac claquera la porte de Matignon et fondera le RPR, cependant que Giscard nommera Barre au poste de Premier ministre et tout ça changera, avec le chômage qui commencera à s’installer plus que durablement. Dans les premières années 80, le sida achèvera de transformer la société, dans le moment même où les socialistes introduiront la rigueur. Plus rien ne sera pareil. Les mentalités évolueront. Un jour, un des contestataires du palais des Congrès de Marseille, un de ceux qui, en groupe, lui avaient craché dessus, ira, seul, voir Ferré chez lui et lui dira, en substance, qu’il a changé, qu’il regrette, qu’il n’avait rien compris. Le poète le fera entrer et boira avec lui un verre de vin blanc.

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mardi, 19 juin 2007

Au salon du Livre

Jeudi 19 mars 1987. Au salon du Livre de Paris, qui se tient alors au Grand-Palais, sur le stand des éditions Laffont-Seghers, Léo Ferré signe les deux volumes qui lui sont consacrés dans la collection « Poètes d’aujourd’hui ». Françoise Travelet, à ses côtés, dédicace avec lui le n° 93-2, sous-titré « Les Années-galaxie ». La foule est considérable et, comme toujours, elle mêle plusieurs générations. On ne fait pas signer que les ouvrages en question : on a aussi apporté des disques, des cassettes, des affiches roulées, d’autres livres. On parle. Une dame évoque une connaissance lotoise commune. Comme souvent, on demande à Ferré son soutien pour diverses causes, on lui remet des textes militants (cahiers traitant de pédagogie libertaire, documents relatifs aux droits de l’homme en Algérie), on lui expose des problèmes. Il écoute tout le monde. Il y a rupture de stock, il faut attendre de nouveaux exemplaires. Sur le stand, se trouvent des employés de la maison d’édition ; l’ami Richard Marsan ; le jeune homme dont nous avons déjà parlé ici et qui, dans l’intervalle, a atteint l’âge de trente-cinq ans ; et Bernard Delvaille, alors directeur de la célèbre collection fondée par Pierre Seghers en 1944.

De l’autre côté de l’allée, se dresse le stand du Figaro où d’élégantes hôtesses reproduites à la photocopieuse attendent d’avoir quelque chose à faire. À une table, le poète Alain Bosquet signe ses ouvrages. Il n’y a pas un chat. Rien. Personne. Bosquet avait eu un jour cette phrase : « J’ai pour Georges Brassens et Léo Ferré, en particulier, une méfiance extrême. Ils empêchent les gens d’aller à la véritable poésie. Mieux vaut qu'ils se taisent ». Je ne connais pas, malheureusement, les références initiales de cette déclaration qui a été citée par Le Crapouillot (nouvelle série, n° 53, hiver 1979), ce curieux journal anti-conformiste lorsqu’il fut fondé par Galtier-Boissière dans les années 30, d’idées plutôt « avancées » comme on disait lorsque Jean-Jacques Pauvert le reprit dans les années 60, et devenu d’extrême-droite dans le giron de Minute, par la suite. Ce qui explique que Ferré, qui avait participé au numéro d’hommage de 1965, fut ensuite la cible régulière de cette publication.

La situation est donc la suivante : Ferré, qui « empêche les gens d’aller à la véritable poésie » a en face de lui une queue très importante ; Bosquet, qui est certainement, lui, un « poète véritable » selon une définition qu’il n’a jamais donnée, n’a personne.

On peut penser, a contrario, que cet état de fait donne justement raison à Bosquet. On peut aussi s’amuser à observer cela, sans en tirer de conclusions excessives. Je ne pense pas que Ferré ait vu Bosquet : il est arrivé au salon et s’est rendu directement sur le stand où il était attendu. Je ne crois pas non plus que Bosquet ait seulement su la présence de Léo Ferré ce jour-là.

Le Grand-Palais est glacial. Après une signature de deux heures, deux entretiens avec des journalistes et l’écriture d’un texte de présentation pour le catalogue d’un ami peintre (de mémoire, il doit s’agir de Dominique Baur mais je n’en suis pas absolument certain), Léo Ferré va fureter un moment, en compagnie de Marie, dans les rayons de livres et part chanter dans une salle des fêtes de banlieue.

Ferré est mort, Marsan est mort. Delvaille a été retrouvé mort en 2006, à Venise. Le jeune homme est mort dans la peau de l’homme mûr, à moins que le jeune homme soit mûr dans sa peau d’homme mort.

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vendredi, 15 juin 2007

Le site de l’INA

On a pu observer, récemment, l’ajout de nouvelles images de Léo Ferré sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Quelques conclusions s’imposent.

Le fonds initial, ainsi que les compléments qui lui avaient été apportés précédemment, proposaient deux sortes de documents. Ceux qu’on pouvait acheter (quelques brefs instants étaient proposés en visionnage afin de savoir de quoi il s’agissait) et ceux que l’on pouvait soit acheter, soit visionner gratuitement dans leur intégralité. Intégralité d’ailleurs relative puisqu’il s’agissait, le plus souvent, d’extraits saucissonnés d’une même émission. Pas toujours cependant : certaines émissions étaient intégrales. Plus exactement, il s’agissait de l’intégralité d’un sujet (par exemple, « La vie de château ») dans le cadre d’une émission plus longue (Panorama) ; mais au moins, on disposait d’un tout. Soit gratuitement sur un tout petit écran, soit en payant et en passant alors au plein écran. Je n’évoque pas ici les ennuis techniques qu’a longtemps connus le téléchargement. Cela, aujourd’hui, est rétabli.

L’ajout récent ne comporte, lui, que des extraits payants (avec, comme toujours, l’offre d’un bref visionnage d’information) et l’on s’aperçoit qu’il s’agit exclusivement de chansons interprétées dans telle ou telle émission de télévision, ces chansons étant totalement coupées de leur contexte et, par conséquent, incompréhensibles – j’entends par là : inutilisables « historiquement » et quant à la signification de leur présence dans l’émission. Pis : si les références de l’émission sont heureusement données, ce qui est bien le moins, on s’aperçoit que la courte fiche descriptive systématiquement fournie avec le document, fiche qui, à l’ouverture du site, était aussi détaillée que possible compte tenu du bref espace dont elle disposait, est aujourd’hui réduite à rien : « Léo Ferré interprète telle chanson ». On achète donc une chanson filmée, point final. Qu’y avait-il avant ? Après ? Quel était le genre de cette émission ? La chanson a-t-elle été présentée par Ferré et si oui, comment ? Y a-t-il eu un entretien avec l’artiste ? On a délibérément abandonné la contextualisation artistique et historique au profit de l’événement ponctuel, factuel, qui saura peut-être satisfaire les fanatiques mais ne correspond à rien intellectuellement parlant.

En résumé, deux choix ont été faits : abandon de la contextualisation et des descriptions ; paiement systématique. Autrement dit, choix du commerce contre la documentation et la recherche. Ce n’est certainement pas étonnant. Je précise que le principe du paiement ne me dérange pas a priori, mais je ne veux pas être simplement un cochon de payant, comme on dit. Il nous appartient d’utiliser à l’avenir le site de l’INA en tenant compte de cela et en n’achetant pas n’importe quoi. Par ailleurs, on aura également vu que le critère de classement des documents est, par défaut, celui de la pertinence (on peut le modifier et le remplacer par celui de la date de l’émission ou celui de sa durée). Rien n’a été fait pour signaler visuellement les ajouts. Dans tous les cas, il faut partir à la recherche des nouveautés, c’est-à-dire avoir en tête la totalité du catalogue précédent, ce qui, déjà, devient hypothétique, alors qu’on ne propose à ce jour que cent-dix documents. On a privilégié le ludique, le spectacle, et oublié l’intérêt archivistique, pourtant évidemment primordial.

Je ne parle ici que de Léo Ferré mais, bien entendu, les derniers ajouts concernant d’autres artistes ont subi le même sort.

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samedi, 09 juin 2007

La chose rurale dans l’œuvre de Ferré

Comment se traduit la vie rurale dans l’œuvre de Léo Ferré qui, près de Beausoleil, dans le Lot comme en Italie, a passé à la campagne une part fort importante de sa vie ? On sait que la chanson C’est le printemps lui a été tout simplement inspirée par la vision d’un agriculteur travaillant dans un champ, un jour, en Quercy. Mais encore ?

J’ai choisi deux textes qui ne sont pas des chansons, mais ont été, en leur temps, publiés dans La Rue, sous-titrée « revue littéraire et culturelle d’expression anarchiste », que publiait autrefois le groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste. Il s’agit de Perdrigal et du Chemin d’enfer. La poésie Perdrigal a été ensuite proposée dans le recueil Testament phonographe sous le titre Le Loup, après que des modifications eurent été apportées au texte.

Il s’agit d’une campagne « lyrisée » mais il n’y a pas lieu de s’en étonner puisque tout, chez Léo Ferré, est lyrisé : toutes les inspirations sont passées au crible du lyrisme, tout texte est susceptible, en permanence, de devenir chanson, intégralement ou par extraits, tout souci s’apparente à ceux, classiques, des poètes lyriques.

 

Perdrigal

Dans sa parution originale, Perdrigal est dédié « À Serge et Jannah Arnoux, mes frères du Lot ». C’est un poème de vingt-trois quatrains d’alexandrins, soit quatre-vingt douze vers.

Un premier examen permet de dresser une liste de mots faisant état de la nature : moutons, sapins, arbres, racines, forêt, chêne, automne, perdrix, grillons, oiseau, vent, nid, nature, charrues, socs, grain, serres, aigle, moutons, prés, chênes, bouleau, hêtres, paille, foin, fumier, museaux, avoine, aspic, hibou, bois, plaine.

Ces mots, cependant, ne forment pas un univers autre que celui, habituel, de l’auteur, qui commence par se mettre en scène avec les siens : « Les loups n’ont plus de dents, ils mangent des idées ; / À Perdrigal les loups commentent les nouvelles ». Il ajoute : « Il en va de l’espoir comme d’un tapis vert. / Usé, l’espoir déçu se trame une autre chaîne / Sur les brisées de ceux qui portent de la laine, / En guise de moutons les loups vont prendre l’air ». Quand il évoque la nature, Ferré continue à parler de lui, moins directement cette fois : « Les arbres sont polis quand j’y passe mon cœur, / Je me les fais copains d’une ancienne habitude, / Et mes racines se mêlant à leur étude, / Quand je deviens forêt ils deviennent malheur ». Comme souvent dans son œuvre, le départ du poème – ici, les arbres – devient prétexte à une méditation, une transformation du fait premier, du fait donné – ici, la nature – en une complainte mélancolique où pointe toujours le nez triste d’une inquiétude métaphysique. « Je suis le chêne blond d’un automne déçu », dira le poète, s’autorisant ensuite une image très ferréenne dans sa forme : « Des perdrix pour la chasse ont mis leur feu arrière », et une conclusion inattendue : « Les chansons de l’été des grillons de naguère / Grillent dans le phono vers l’Ouest descendu ».

Une évocation de la nature à proprement parler (l’automne) existe bien (« Paradis Perdrigal le jaune te va bien, / Cette couleur qui fonce à mort vers les ténèbres ») mais elle cède aussitôt la place à un souvenir de sa vie à Paris (« Je me souviens du givre et des lundis funèbres / Dans la voiture vers Boulogne avec les chiens… ») qui, chanté en six vers, n’a plus rien à voir avec une inspiration rurale. L’évocation de son inquiétude d’artiste se poursuit avant de retrouver une allusion à la nature, réelle mais immédiatement transformée par la condition humaine. Le quatrain est très beau : « La nature est sévère à qui la prend d’un coup ; / Nous sommes des charrues avec des socs de rêve, / Et quand nous essayons le grain entre ses lèvres / La nature nous rend la monnaie de nos sous ». L’auteur poursuit alors ce parallèle constant entre la nature et sa propre existence, nichée en elle : « Les moutons dans les prés rêvent d’être mangés, / Les loups à Perdrigal boivent du sang de Une ».

Un quatrain, par la suite, vient cependant chanter la nature en soi, sans évidemment être élégiaque : « Arbres aux noms perdus, Chênes faits de bouleau, / Hêtres décapités par un néant de paille, / Foin rêvant d’être acquis aux meilleures ripailles, / Fumier devenant OR sous l’arche des museaux… » C’est toutefois pour ouvrir la voie à douze vers mélancoliques qui reviennent à la condition propre de Ferré : « Perdrigal des fureurs jaunes, je te salue ! / Je t’apporte un bouquet de fidèle écriture, / Un bouquet de parole où la voix démesure / Les mots de tous les jours qui n’en finissent plus. / Il faut prier pour moi dans ton ordre païen, / Il faut me pardonner mes pas dans ton silence / Et me donner le temps pour que mon temps commence. / Pour que tout aille mieux et du Mal et du Bien… / Il faut me laisser rire au sourire du bleu, / Quand la figure du jardin me fait des signes / Et que le sort jaloux relâche ses consignes / Pour nous voir respirer ensemble, l’air heureux ».

Un peu plus loin, semble apparaître, enfin, un repos : « Je voyais une avoine avenante et de chic, / Folle, comme on le sait, dans la nuit des conquêtes, / Et des ombres frôlant ses grâces de coquette, / Saluant de mémoire un frôlement d’aspic ». On note, au passage, l’expression « de chic » qui ne doit plus dire grand-chose aux lecteurs d’aujourd’hui. On sait que l’argot évolue. « De chic » signifie (sauf erreur de ma part, car cette expression est même antérieure à moi) « au flan », « au culot », « tout à trac », « comme ça », « spontanément », « sans préparation ». Ce qui rend l’image intéressante : une avoine se faisant avoine sans être préparée à cela, cela lui suppose un sacré talent. On connaît aussi le cliché « avoine folle ». C’est celui que l’auteur s’amuse à sanctionner en écrivant : « Folle, comme on le sait ». Ce « comme on le sait » est grinçant. Mais le cliché est aussi chez Verlaine : « Tels ils marchaient dans les avoines folles / Et la nuit seule entendit leurs paroles » (Colloque sentimental). Peut-être cette nuit verlainienne est-elle celle que Ferré appelle « des conquêtes » ?

La nature, encore – mais la mélancolie avec, qui s’inscrit au bout comme un paraphe inévitable : « Je saluais les prés où se mire le Nord, / Dans le vert en allé de ses fins cardinales, / Dans la glace posée au pôle d’une eau pâle / Qu’un avenir d’hiver a durcie dans sa mort ». On salue l’allitération : « au pôle d’une eau pâle » qui elle-même contient un jeu de mots : « eau pâle-opale ».

S’il évoque ensuite les oiseaux, c’est pour lier leur chant à la musique, ce qui n’étonnera guère de sa part : « Un hibou dans les bois joue de la flûte en sol, / Des cris, comme une écharpe aux gorges des fauvettes / Lui jouent la tierce des terreurs et des boulettes… / Ô lugubres chansons des hiboux parasols ! ».

Plus loin encore, on lit : « J’entends le train passer son message de fer ». Concrètement, il s’agit tout simplement d’une allusion au trajet du Paris-Toulouse qui, après un arrêt en gare de Gourdon et un passage à niveau, passe en contrebas de Perdrigal et se fait entendre du château, pourtant bâti sur un tertre et isolé de la voie par une départementale, quelques centaines de mètres de prés et de champs et un chemin encore, au-delà duquel commence l’ascension du pech rigal. Mais au-delà de ce biographisme, on peut lire autrement ce vers, dans la mesure où il ouvre le mouvement final du poème, qui se clôt en deux quatrains : « J’entends le train passer son message de fer, / Le monde survécu dans un paquet de cendres, / Un Boeing éployé qui ne veut plus descendre, / Ô renaître de Vous et remanger la mer ! / Repasser sous le plat du fer qui plane et plie, / Être la soie perdue au bord de la blessure, / Être le feu qui rêve au froid de la brûlure, / Accaparer du Rien dans un verre d’oubli… ». Quelle mélancolie ! Et quel retour aux soucis existentiels (dans lesquels on se dispensera ici de deviner d’autres allusions biographiques car ce n’est pas notre sujet), en ne s’interdisant pas de nouvelles allitérations et des images érotiques.

On remarque que Ferré a conservé ici la ponctuation, supprimée en poésie par Apollinaire corrigeant, en 1913, les épreuves d’Alcools. Après lui, la plupart des poètes ont, sauf désir particulier d’exprimer quelque chose grâce à elle, maintenu cette suppression. Léo Ferré lui-même a abandonné la ponctuation dans ses vers, la plupart du temps en tout cas. Ici, il paraît avoir désiré la maintenir, mais pourquoi ? Ce ne sera pas le cas du Chemin d’enfer, auquel on consacrera intégralement une prochaine note, toujours dans l’esprit d’examiner la chose rurale dans l’œuvre de Ferré.

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mardi, 05 juin 2007

Bons baisers de Tahiti

Une des chansons les moins connues de Léo Ferré, une chanson dont, en tout cas, on ne parle pratiquement pas, est Tahiti. Pourtant, elle est intéressante.

Elle l’est en premier lieu, par l’opposition apparente entre Paris et Tahiti, endroit communément vécu, dans les années 50 et certainement aujourd’hui encore, comme le paradis sur terre. C’est une image d’Épinal mais, pour Ferré, ce doit être bien davantage qu’une carte postale puisqu’y traîne, exacerbé par son imaginaire, le souvenir de Gauguin dont il a souvent dit qu’il avait « inventé » le mauve. Mauve qui est pour Ferré, comme on le sait, la couleur de l’érotisme.

Un but, donc, pour le « je » de la chanson : partir pour Tahiti. En rêve, naturellement : « Moi qui n’irai jamais / À Tahiti, Tahiti / Car il faut bien des sous / Pour faire Paris-Tahiti ». Le chanteur (le narrateur, le rêveur) assume. Tahiti restera un rêve et ce n’est peut-être pas plus mal ; cela évite une déception éventuelle (et même certaine) et puis, finalement, « Je reconnaîtrai bien / Monsieur Gauguin / Et ses pinceaux de majesté / Qui venaient piquer / Un peu de mauve / Sur les quais de la Seine / Quand la Seine ressemble / À Tahiti / Comme une amie ». L’opposition entre Paris et Tahiti disparaît à la fin du texte. Est-ce de la résignation puisque, décidément, on ne part pas pour Tahiti comme ça ? De la prudence car, vraiment, l’idée qu’on s’en fait doit être plus belle que la réalité (« Si des fois j’arrivais / À Tahiti, Tahiti / Ça s’rait comme dans la rue / De Rivoli, Rivoli ») ? Ou bien, tout simplement, la raison raisonnante : « On est partout quand on est à Paris » ?

De toute manière, tout au long de la chanson, Tahiti n’a pas cessé d’être utopique. Le voyage lui-même l’était déjà (« Le jour où j’ m’en irai / À Tahiti Tahiti / Sur un bateau qui pass’ra / Par Paris par Paris ») car il y avait peu de chance, en vérité, qu’un navire passât par Paris. À partir de là, le rêve était autorisé : « Le vent me f’ra crédit » et, sur le pont du navire, à n’en pas douter, « Les goélands de majesté / Viendront piquer le pain / Dans mes mains étoilées / Et de loin me feront / Des signes d’amitié / Comm’ des baisers ».

Le futur cède vite la place au conditionnel et, avec celui-ci, le doute s’installe : « Si des fois j’arrivais / À Tahiti, Tahiti / Je saluerais bientôt / Monsieur Gerbault / Sa goélette en majesté / Viendrait traîner sa traîne / Dans le ciel mouillé / Et partout il flotterait / Des signes d’amitié / Comme des regrets ». L'aspect verbal entre en jeu : « Les goélands de majesté » deviennent « Sa goélette en majesté » mais cela demeure un simple sourire un peu musical, car le reste est moins gai : ce n’est plus le pain que des oiseaux marins viendront manger dans des mains d’étoiles, mais une traîne qui s’installe dans le ciel mouillé, promesse de désillusion sinon de déconvenue. Hélas encore, voilà que les « signes d’amitié » se muent de « baisers » en « regrets ». Le bonheur ne dure pas longtemps, même en songe.

Reste la volonté sans faille du poète, qui transmue la réalité par la force de ses mots, armes de son vouloir : « J’ mettrai la Tour Eiffel / Dans mon chapeau et d’en haut / Je confondrai les ciels / De Tahiti à Paris ». L’abandon du conditionnel et le retour au futur signent la volonté d’agir et de manier le rêve comme un moyen. On n’est pourtant pas loin, ce faisant, des velléités de L’Opéra du ciel où l’emploi du conditionnel ne signifiait pas une impuissance à agir (ou pas seulement) mais aussi une volonté farouche de parvenir un jour à son but, une façon de prendre date : « si j’avais » peut se comprendre comme « lorsque j’aurai ».

Il est enfin loisible de rattacher Tahiti à cette veine ferréenne qu’on pourrait dénommer « les voyages imaginaires » (Le Bateau espagnol qui trouve le chemin de l’Espagne… en remontant la Garonne n’est pas moins exotique ou chimérique que celui qui passe par Paris pour gagner Tahiti. L’Inconnue de Londres pourrait être d’Alger ou de Francfort. Le Flamenco de Paris pourrait résonner à Toulouse). Après tout, il nous a dit ailleurs ce qu’il pensait des gares et des ports. Et même L’Invitation au voyage ne conduit chez lui qu’à la solitude : il le montrera en croisant justement une version de La Solitude avec le poème de Baudelaire.

Tahiti sera plus tard évoqué de nouveau dans l’œuvre de Léo Ferré : « Gauguin crevait à Tahiti » (Les Temps difficiles), « Les amants de la mer s’en vont en Bretagne ou à Tahiti » (Il n’y a plus rien). Toujours l’assimilation du lieu avec Gauguin, toujours l’idée d’un rêve.

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samedi, 02 juin 2007

De la reconnaissance

Si tous les dictionnaires biographiques consacrés à la chanson comportent bien sûr une notice plus ou moins longue dévolue à Léo Ferré, on trouve aussi une notice dans (au moins) deux ouvrages consacrés à la musique et aux musiciens.

Dans le Dictionnaire illustré des musiciens français (Seghers, 1961), on peut lire : « Ferré (Léo). Né à Monaco en 1916. Auteur de chansons, dont il écrit le plus souvent texte et musique (Le Piano du pauvre, Monsieur mon passé, Paris-Canaille, Paname, Les Poètes, Jolie môme, Vingt ans, etc.), il a composé une Symphonie interrompue et un oratorio pour quatre soli, chœurs et orchestre sur La Chanson du mal-aimé d’Apollinaire ainsi que deux concertos et un opéra. Il a mis en musique les poèmes de Rutebeuf, Baudelaire, Aragon : « Léo Ferré rend à la poésie un service dont on calcule encore mal la portée… » et ses chansons avec Seghers (Merde à Vauban) et J.-R. Caussimon (Comme à Ostende) sont déjà classiques. Il a publié un recueil de poèmes : Poète… vos papiers ! »

Dans l’ouvrage de Frank Onnen paru en Belgique, Encyclopédie de la musique (collection « Références », n° 6, éditions Séquoia, 1964), est écrit : « Ferré, Léo, chanteur et comp. monégasque (Monaco 24. 8. 1916). Il écrit les textes et la mus. de ses chansons. Est également l’auteur d’un oratorio et d’une Symphonie interrompue ».

Que peut-on observer à partir de là ? Tout d’abord que, chez Seghers, Ferré est reconnu comme musicien (le Dictionnaire illustré des musiciens français est un ouvrage sérieux, dans lequel Ferré figure aux côtés des plus grands compositeurs) avant de l’être comme poète puisqu’il n’entrera que l’année suivante (1962) dans la collection « Poètes d’aujourd’hui », sous le numéro 93 présenté par Charles Estienne. Quand l’Encyclopédie de la musique le fait entrer à son tour dans ses pages, la reconnaissance en question franchit les frontières françaises.

Certes, c’est peu de chose, en quantité, encore que cette recension ne soit certainement pas exhaustive. Ce qu’il est peut-être intéressant de remarquer à présent, c’est ceci : Léo Ferré est reconnu comme musicien dans une période où il ne l’est pas nécessairement comme poète, en tout cas pas chez les poètes « du livre » qui tiennent la poésie chantée pour peu de chose. Puis, quand il sera plus volontiers tenu pour poète, ce sera au moment où lui voudra se tourner davantage vers la musique et là, c’est la critique musicale qui le recevra peu ou mal. Autrement dit, une reconnaissance qui paraissait être acquise a (au moins partiellement) disparu lorsque l’artiste a la possibilité de toucher de plus en plus à la musique symphonique, ce qui, personne ne l’ignore, était son rêve d’enfant.

Ce qui nous renvoie à la question posée il y a quelques mois dans ce carnet : Ferré, qu’est-ce que c’est ? et peut nous conforter dans la proposition de réponse qui avait été faite, toujours ici : un OVNI artistique.

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