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lundi, 24 décembre 2007

Contourner l’obstacle

Au collège des Frères des écoles chrétiennes, Léo Ferré découvre les poètes et les auteurs interdits en arrachant les pages de leurs ouvrages et en les cachant dans son livre de messe. Délicieux plaisir de la transgression mêlé à celui de la découverte et de l’enchantement de découvrir des textes et des univers qui le satisfont. Mais pas seulement. Car cette façon de faire – une forme de résistance instinctive qui s’organise d’elle-même et solitairement – va conditionner son esprit pour longtemps, en cette période de formation, puis d’apprentissage. Interdiction, désormais, égale moyen à trouver pour tourner l’interdit.

Certainement, les études de droit qu’il suivra, même de loin, même distraitement, même s’il passe plus de temps au Dupont-Latin qu’à la faculté, contribueront à ancrer en lui cette manière que je résume ici en trois mots : contourner l’obstacle.

Durant toute sa carrière, chaque fois qu’il sera en butte à un événement extérieur l’empêchant de s’exprimer ainsi qu’il l’entend, Ferré va contourner l’obstacle. C’est-à-dire ne jamais insister outre-mesure, ne pas persister dans la voie bloquée, ne pas avancer dans le brouillard, ne pas foncer obstinément la tête la première, mais, tout simplement, s’y prendre autrement. Comme font les avocats qui se servent du droit pour obtenir gain de cause, en cherchant la faille, interprétant, plaidant, avec les ressources de leur art – si c’en est un – ainsi que leurs études les ont formés avant qu’ils accèdent au barreau.

Une première manifestation de résistance organisée se situe en 1957, quand Ferré, qui ne parvient pas à faire jouer son oratorio lyrique depuis sa création à Monte-Carlo en 1954, cet oratorio qui a été refusé par la radio, a l’idée d’« échanger » des droits que lui doit la maison Odéon contre deux disques : La Chanson du mal-aimé et Les Fleurs du mal dont il sait pertinemment qu’il ne trouvera pas d’éditeur pour réaliser un disque entier – au moins pour le moment. Pour faire bonne mesure, il réclame et obtient l’orchestre de la Radiodiffusion française pour son œuvre consacrée à Apollinaire. À l’obstacle de l’édition et de l’exécution impossibles, il oppose un contournement : le renoncement à ses droits.

Lors de l’affaire d’À une chanteuse morte, face au refus de diffusion de la chanson enregistrée, il utilise son moyen d’action favori : l’interprétation publique. À Bobino, les spectateurs de 1967 découvrent la chanson et, toujours pour faire bon poids, se voient distribuer une copie de l’assignation faite à la Compagnie phonographique française. Ferré perdra son procès en janvier 1968, mais la question n’est pas là. Il y a eu de nouveau contournement d’un obstacle.

En 1969, quand il rencontre Brel et Brassens, la question est posée par Brel, quant à l’attitude à adopter si l’on se trouve face à un mur. Les réponses que chacun apporte sont très fidèles à leur tempérament respectif. Sans hésiter, Léo Ferré dit : « Moi, je le contourne ».

Lorsque, au moment de sa contestation par son jeune public, il finit par se rendre compte que les discussions d’après spectacle au cours desquelles il est sommé de se justifier en permanence, ne mènent à rien, le mécanisme se met en marche. Comment éviter ces demandes de comptes qui l’ennuient et ces explications qui ne solutionnent rien ? En contournant l’obstacle. Lorsqu’il entame sa dernière chanson, sa voiture est devant la porte, prête à partir. Au dernier mot de la dernière œuvre, il sort de scène et, tandis que s’élèvent les applaudissements, il est en coulisses où on lui tend son blouson ou son manteau, une cigarette déjà allumée, puis il s’engouffre dans l’auto. Lorsque les lumières se rallument dans la salle, il est parti depuis un moment déjà. Solution de fuite, certes, mais aussi contournement de l’impossible obstacle, contournement d’une situation refusée par lui. Cela, d’ailleurs, n’aura qu’un temps, et il recommencera ensuite à recevoir les spectateurs avec la gentillesse qu’on lui connaît.

En 1975, le disque Ferré muet dirige Ravel et Léo Ferré est le couronnement de la méthode en question. Il ne peut pas, par une clause de son contrat expiré, enregistrer ses chansons dans une autre maison, durant deux années. Soit. Il enregistre donc ailleurs… la musique. Et, chez ce même éditeur (CBS), un disque jumeau où, sur sa partition, Pia Colombo chante pour lui les chansons qui, autrement, auraient été retardées de deux ans. Toujours un coup de griffe supplémentaire : les deux pochettes, manifestement conçues dans le même esprit, proposent deux textes brefs qui informent le public de ce qui se passe. Juridiquement imparable, cette réaction de « survie » artistique se manifeste encore dans un cas d’expression entravée.

J’ai choisi ces quelques exemples mais, certainement, la liste n’est pas close. Ce qui est intéressant, c’est de remarquer que cette façon d’agir devient constitutive de l’artiste, qui ne renoncera jamais à sa libre expression. Elle entre en jeu chaque fois qu’il refuse une situation donnée, qu’il n’a pas choisie et dont il estime qu’elle l’enferme. Et dans Thank you Satan, en 1961, on entend bien, parmi la litanie des raisons que l’artiste donne à son remerciement, la formule explicite : « Le moyen de tourner la loi ».

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mardi, 18 décembre 2007

Léo Ferré lecteur de Sartre, par Francis Delval

Je remercie une fois encore Francis Delval pour cette nouvelle et riche contribution au fonctionnement de ce lieu.

Cette note se limitera à ce que le titre annonce. On ny trouvera pas de propos sur Saint-Germain-des-Prés ou la mode existentialiste, brocardée par quelques chansons de Ferré, comme Complainte pour Popaul que Belleret a bien expliquée, ou par Stéphane Golmann (Les Prés à Germain, La Petite existentialiste), ou les romans de Vian. De même, on laissera de côté les démêlés avec L’Idiot international, ainsi que la rencontre avec Sartre en 1973, au lancement de Libération. Tout ceci est bien connu, et a été souvent conté. Ce n’est pas davantage une note visant à développer la philosophie sartrienne, qui défie le résumé.

Je prendrai les lectures de Ferré dans l’ordre chronologique de la bibliographie sartrienne (du moins celles dont il a parlé). Puis je m’attarderai sur deux thèmes : la fameuse formule « L’enfer, c’est les autres », que Ferré cite et utilise souvent. Et le problème de l’engagement de l’artiste, de l’écrivain. Nous verrons que Ferré, malgré ses propos souvent critiques envers l’engagement est, au fond, d’accord avec Sartre sur l’essentiel.

Léo Ferré n’a guère d’atomes crochus avec les écrits des philosophes, en général. Il a certes lu Stirner et Bakounine. Il a lu Marx. Nous savons qu’il admirait fort Bachelard, qui lui a écrit après avoir lu Poète... vos papiers !, et il évoquera toujours Bachelard avec ferveur et émotion. Si dans ses textes nous trouvons bon nombre de noms de philosophes (ou de mathématiciens...), il est peu probable qu’il en ait lu beaucoup... Le langage technique des philosophes le rebute. Ayant rencontré Lacan à l’époque où il fréquentait Breton, Ferré le trouve « incompréhensible ». S’étant plongé dans la lecture de L’Être et le néant, Ferré critiquera vertement le discours sartrien qui, pour lui, ne veut pas dire grand-chose, du moins certaines phrases seraient dépourvues de sens !

« Dans L’Être et le néant, je vous demanderai ce que ça veut dire, je n’ai jamais compris, et puis je ne tiens pas à comprendre, il y a, c’est d’une connerie rare, la « transcendance transcendée ». Et vas-y... » [1], et en 1980, dans Apostrophes : « L’Être et le néant, hein, c’est vrai, non, il faut être raisonnable. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est une chose qui m’inquiète ».

Cette allergie déclarée à la langue philosophique devrait mettre en garde ceux qui veulent à tout prix faire de Ferré un penseur, un philosophe. Le concept n’est pas son domaine de prédilection. À la décharge de Ferré, il faut reconnaître que L’Être et le néant est un ouvrage difficile, avec peu de références explicites, qui s’appuie sur Descartes, Hegel, Husserl ou Heidegger sans toujours les nommer ou les citer. Sartre fait confiance au lecteur. Ce n’est pas un livre de débutant, bien que ce fut souvent celui-là que les étudiants lisaient d’abord dans les années 50-60, notoriété de Sartre oblige. On peut conjecturer que Ferré ne lira pas les livres philosophiques qui suivront, Critique de la raison dialectique, par exemple, plus difficile d’accès que le précédent.

Mais en 1969, Léo Ferré dit à Michel Lancelot : « Sartre, il restera, c’est le plus intelligent. Il est d’une intelligence foudroyante, c’est le type qui a tout trouvé, qui a trouvé l’homme d’aujourd’hui », à la suite de quoi il évoque ses lectures : « Le premier livre de Sartre que j’ai lu, c’était Le Mur... J’ai lu La Nausée après, et puis tout le reste... Je le lis souvent, je le lis toujours. C’est un grand mec ».

Qu’entendre par « tout le reste », si nous laissons de côté les sommes philosophiques par principe de précaution ? Vraisemblablement les autres romans, le théâtre, les volumes de Situations, etc. Mais Ferré ne cite nommément que le Baudelaire et Saint-Genet, comédien et martyr. Des approches biographiques. Probablement aussi Les Mots. Quant à L’Idiot de la famille, ce livre-monstre de trois mille pages sur Flaubert, il est peu probable que Ferré l’ai lu, en raison de ses très nombreuses occupations dans les années 70.

Nous ne pouvons parler ici que de ce qui est certain, ce sur quoi Ferré s’est exprimé : le Baudelaire, le Genet, le théâtre (du moins Huis-clos), certains textes sur l’engagement, nombreux chez Sartre. Ferré, à l’évidence, en a lu, mais difficile de les identifier. Et la précision na jamais été son point fort, il n’a ni la mémoire des noms, ni celle des titres ou des dates... !

Avançons donc avec prudence.

Sartre, on l’a souvent fait remarquer, s’intéressait peu à la poésie. Encore qu’il fut un des premiers à montrer l’importance et la nouveauté de l’œuvre de Ponge (Situations, 1).Dans sa conférence de 1946, à l’Unesco, La Responsabilité de l’écrivain, Sartre distingue le poète et le prosateur : « Le prosateur utilise les mots pour nommer », donc pour constituer des significations, des idées, le poète, lui, « utilise les mots dune autre manière… Ils sont des objets dont l’assemblage produit certains effets, comme des couleurs sur une toile en produisent ». Pour Sartre, dès lors, on ne peut demander à un poète de s’engager « en tant que tel » dans une lutte sociale. S’il ne le fait pas, on ne peut le lui reprocher qu’en tant qu’homme.

Et pourtant, Sartre consacrera plusieurs ouvrages à des poètes, des approches « biographiques » d’un type nouveau. À Baudelaire, à Genet, à Mallarmé (inachevé), même à Leconte de Lisle (plus de cent pages dans le tome III de L’Idiot de la famille), et aussi à des peintres (Le Tintoret, également inachevé).

Avec les poètes, Sartre est dans le même projet qu’il tentera vis-à-vis de lui-même dans Les Mots : comprendre, expliquer, le devenir-poète, le devenir-écrivain. Par quelle alchimie personnelle, sociale, langagière, tel ou tel enfant devient l’homme (ou la femme) qui écrit, qui se construit en construisant une œuvre singulière ?

Ferré a lu le Baudelaire, paru en 1947. Il raconte : « Un jour, j’ai lu un livre de Sartre sur Baudelaire, avec certaines vérités bien sûr, mais très méchant. C’était très méchant, et il m’a convaincu un moment. Un moment, je ne pouvais plus le voir, Baudelaire. Je n’aime pas que Sartre ait parlé comme ça d’un tel poète » [2] ... et aussi : « Avec Baudelaire, je suis passionné et passionnément critique ». Contrairement à son rapport à Verlaine ou Rimbaud, Ferré gardait donc toujours un regard critique sur Baudelaire.

Sartre, dans son livre, ne parle que de l’enfant et de l’homme Baudelaire, mettant le poète entre parenthèses. On a souvent donné comme raison de ce choix la similitude de situation familiale : Sartre, comme Baudelaire, est orphelin de père, et a un beau-père qu’il détestera toujours. Mais cette similitude de situation n’explique en rien les thèses du livre.

Pour Sartre, Baudelaire, c’est l’homme qui a choisi de se voir comme s’il était un autre. Pour Sartre, sa vie n’est que l’histoire de cet échec. Et il tentera de faire revivre « de l’intérieur » ce choix d’être le poète maudit, d’être l’Héautontimorouménos, le bourreau de lui-même. Du choix du dandysme à la façon de Barbey d’Aurevilly, à la mise en avant, par provocation, des idées réactionnaires de Joseph de Maistre (mais Baudelaire sera sur les barricades en 1848), de la fréquentation des prostituées les plus viles, jusqu’à la déchéance et la maladie, Baudelaire est dans un long processus d’auto-destruction. Les Fleurs du mal ? ... « Le succès bizarre de mon livre et les haines qu’il a soulevées m’ont intéressé un peu de temps, et puis après cela, je suis retombé ».

Tout ce qu’il écrit est à distance, l’intérêt qu’il y prend est mince. Comme un exercice parnassien, sans plus. Il se sent davantage porté par son identification quasi-mystique à l’œuvre de Poe qu’il traduit. Sartre relève par ailleurs, et c’était déjà la thèse de Walter Benjamin, que pour Baudelaire, la poésie est moins dans les mots que dans la ville, et d’abord Paris. « Fards, parures, vêtements, lumières, manifestent à  ses yeux la véritable grandeur de l’homme, son pouvoir de créer » [3].

Baudelaire, ce poète qui se détourne de la magie des mots, psychasthénique de surcroît, cette vie à vau-l’eau qu’il aurait choisi délibérément, ce poète, tel que Sartre comprend son « plan de vie », ne pouvait être accepté par Ferré. Il y voit d’abord quelques vérités, et délaissera Baudelaire quelques temps , s’en détournera, mais finira par y revenir par un biais inattendu, confiant à F. Travelet [4] : « C’est Sartre qui a des problèmes avec Baudelaire, pas moi ». Après le « rejet » passager, Ferré reviendra à Baudelaire en le mettant en musique et en l’enregistrant en 1957.

Le Baudelaire de Sartre est dédié à Jean Genet. Sartre, à qui Gallimard demande une préface pour les œuvres de Genet, en écrira comme on sait une très longue qui occupera tout le tome I des œuvres de Genet (578 p.).

Ferré le lit avec enthousiasme. « Pour moi, son chef-d’œuvre. C’est un livre extraordinaire. Au fond un grand livre sur la morale, qu’il appelle Saint-Genet, poète et martyr. C’est fabuleux, fabuleux. Il faut lire ce livre » [5].

Pourquoi cet emballement alors que par ailleurs il semble a priori apprécier peu l’œuvre de Genet si l’on en croit quelques vers de Ferré bien connus... Là non plus, Ferré ne s’explique pas.

La démarche de Sartre est proche de celle utilisée avec Baudelaire. Comprendre, à partir de l’enfance de Genet, enfant abandonné, placé en nourrice dans le Morvan, bien élevé, enfant de chœur, qui choisit la voie de la délinquance dès treize ans : ce sera Mettray, le bagne d’enfants, puis plus tard la prison pour vol (Genet ne volait que des livres, mais la récidive pouvait conduire à la perpétuité !), le choix de l’homosexualité, mais aussi celui de l’écriture, romans et poèmes (on a souvent relevé la parenté du vers de Genet et du vers baudelairien). Pourquoi parler de livre de morale ? Sans doute par cette oscillation perpétuelle entre la tentation du bien et le mal... Livre contemporain de Le Diable et le bon Dieu qui traite aussi de ce choix.

Ferré commet un lapsus qui ne manque pas d’intérêt : il commet une erreur sur le titre. Il dit « poète et martyr », au lieu de « comédien ». Or, dans le titre de Sartre, « comédien » est le mot essentiel. En effet, Sartre se réfère à la pièce éponyme de Jean Rotrou, tragédie (excellente d’ailleurs) écrite en 1646, mettant en scène le comédien romain Genest, jouant devant l’empereur Dioclétien Le Martyr de saint-Adrien. Et jouant Adrien, Genest entend l’appel de Dieu, se convertit au christianisme, et accède au martyr. Le comédien Genest s’est identifié au rôle qu’il interprète, mais, tourniquet sartrien, l’acteur qui joue le rôle de Genest, lui, ne se convertit pas, il joue le rôle d’un converti : il y a l’acteur, le rôle de Genest, et Genest s’identifiant à Adrien. Jean Genet, selon Sartre, joue de tous les registres à la fois. On ne sait jamais quelle place il occupe. Enfant sage ? Voleur ? Homosexuel ? Écrivain ? Plus tard militant politique... Cet enfant en constant déplacement, on ne sait où l’attendre. La maestria dont Sartre fait preuve rend ce livre difficile passionnant à lire. Et Ferré a été conquis.

Si le Baudelaire éloignera Ferré du poète quelque temps, Genet, après avoir lu Sartre, ne pourra (ou ne voudra) plus écrire de romans, et sera plongé dans une sévère dépression. La littérature est aussi un métier à risque quand un Sartre la démonte. Ferré, n’ayant pas à Genet le même rapport qu’à Baudelaire, a fait à l’évidence une lecture déprise d’affect et apprécié ce livre superbement écrit.

 

« L’enfer, c’est les autres »

Ferré cite souvent cette formule, par exemple dans les entretiens de 1969 avec M. Lancelot : « L’enfer, c’est les autres, admirable, c’est toute la clef de Sartre » et, dans la préface au roman de M. Frot, Le Roi des rats, il écrit : « L’enfer, c’est les autres, dit Sartre. L’enfer de Frot, c’est lui-même parce qu’il est un Autre. La conclusion de Sartre, mise à jour après la « confrontation », se réduit à un soliloque désespéré, une façon de poursuivre sa tâche malgré les Autres et dans les Autres, alors que le sentiment d’altérité ne trouve son objet qu’en soi, dans sa propre géhenne ». Il ne s’agit pas, concernant Frot, du « Je est un autre » rimbaldien, du « Je nié », où, nous dit Ferré, il y a tout Rimbaud. Ce « Je » distancié, dissocié, dont l’inconscient occupera la faille. Mais plutôt du « Soi-même comme un autre » [6]... Cette objectivation de soi, vu en extériorité, ce regard porté sur soi comme s’il était étranger (soit une transcendance transcendée ! - sic).

Ferré est donc ici au plus proche de Sartre. Si nous nous référons aux critiques, Huis-clos a donné lieu à pas mal de malentendus, que Sartre a dû balayer à de nombreuses reprises.

« L’enfer, c’est les autres a toujours été mal compris, dit Sartre. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres sont toujours empoisonnés... Or, c’est tout autre chose que je veux dire : si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, ALORS, l’autre ne peut être que l’enfer » [7].

Et Sartre nous rappelle que les trois enfermés sont des morts, des consciences mortes, et donc ne peuvent modifier leur destin. « Mort » fonctionne aussi ici de façon symbolique : être mort, c’est « être encroûtés dans une série d’habitudes, de coutumes, qu’on ne cherche même pas à changer… Nous sommes vivants… J’ai voulu montrer par l’absurde l’importance de la liberté... Quelque soit le cercle d’enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas, c’est encore librement qu’ils y restent, de sorte qu’ils se mettent librement en enfer ». On voit bien ici la proximité de pensée de Sartre et de Ferré. On pourrait évoquer de nombreux passages de Ferré qui sont un rappel de la liberté, un appel à se libérer, à briser le cercle d’enfer des habitudes et des coutumes... Ne serait-ce qu’Il n’y a plus rien.

 

L’engagement

« Vous savez, moi, je l’ai dit un jour à Sartre : « L’engagement, ça n’existe pas », et il a dit : « Un type qui écrit ne peut plus écrire s’il voit des gens qui meurent de faim »... C’est des mots, tout ça, pourtant Dieu sait si je parle de Sartre et Dieu sait si j’ai une admiration pour ce type. Mais vous savez, l’engagement... l’artiste doit être vraiment très, très, très indépendant » [8] et Ferré dira aussi : « Moi, je ne suis pas engagé, je suis comme je suis ».

Françoise Travelet, à juste titre, reconnaît que Ferré ne nie pas que l’écrivain, l’artiste, comme tout homme, se trouve engagé malgré lui, est en situation d’engagement, qu’il le veuille ou non. Mais Ferré ne parle au nom de personne, ni à la place de personne : « Il n’exprime que sa propre pensée et ses propres choix » [9].

Alors, l’artiste ou l’écrivain ne seraient investis d’aucune responsabilité particulière. Est-ce éloigné de ce que dit Sartre ? Toute liberté étant en situation, jetée au monde, l’engagement n’est que la conséquence logique de cet être-en-situation.

Écoutons Simone de Beauvoir : « Nous sommes donc jetés libres et en situation dans le monde un peu comme Pascal disait : « Nous sommes embarqués »... L’existentialisme dit : « Nous sommes engagés ». C’est avant tout un état de fait ». Ainsi, condamnés à la liberté, nous le sommes aussi à l’engagement : je suis toujours-déjà engagé. Sartre n’a jamais confondu engagement et politisation, ou adhésion à un parti. L’artiste retiré dans sa tour d’ivoire, qui ignore ou méprise le monde comme il va est tout aussi engagé que le militant de base ! Encore faut-il que les conditions matérielles existent afin que chacun puisse choisir sa vie. C’est le cœur du problème : on ne fait pas ce qu’on veut, mais on est en même temps toujours responsable de ce qu’on est ou de ce qu’on a fait de nous.

Pour Sartre, l’écrivain, l’artiste ont donc une mission particulière, car en tant que tels, ils parlent aux autres, écrivent pour les autres. Parler aux autres, oui, mais jamais à leur place ; faire en sorte que chacun, chacune soit porteur dune parole singulière. Penser avec sa propre tête, disait le vieux Kant. Et sur ces points, Sartre et Ferré me semblent d’accord sur l’essentiel : ils laissent les gens libres...

 

La Cérémonie des adieux

Sartre meurt le 15 avril 1980. Son enterrement sera suivi par une foule immense : soixante mille à cent mille personnes… ? On parle du « peuple de Sartre », de « manif contre la mort de Sartre », de « dernière manif de 1968 ».

Sartre ayant refusé d’être inhumé auprès de son beau-père, il sera enterré dans un coin tranquille, non loin de la tombe d’un certain Charles Baudelaire...

1981 : Simone de Beauvoir publie le dernier volume de ses mémoires, livre dédié « À ceux qui ont aimé Sartre, qui l’aiment et l’aimeront »... La Cérémonie des adieux est le récit des dix dernières années de son compagnonnage avec Sartre. Quoique respectant comme toujours dans ses « mémoires » l’intimité de certaines personnes (allant souvent jusqu’à changer les noms), elle ne cache rien de la maladie de Sartre, de sa déchéance physique progressive, de sa souffrance et de sa mort. Ce livre est un grand livre, d’une intense émotion et d’une grande beauté, un acte d’amour qui est un des chefs-d’œuvre de la fin du XXe siècle. Il est complété par de longs entretiens inédits avec Sartre.

Léo Ferré le lira. Et il réagira très violemment : « Simone de Beauvoir, qui a écrit ce livre abominable : La Cérémonie des adieux... Dégueulasse... » (propos rapporté par R. Kudelka).

Certes, Ferré semble n’avoir jamais eu de grande sympathie pour S. de Beauvoir : il parle de « Sartre et sa copinoscope » (sic), de « Sartre et sa bonne femme » ou de « sa femme de jour »... Encore que ces expressions soient courantes chez lui. Ainsi, il écrivit à Sartre pour qu’il demande à Beauvoir de faire cesser les agressions dont il est l’objet de la part de « troupes » rangées derrière L’Idiot international, dont elle a pris symboliquement la direction, comme Sartre celle de La Cause du peuple. Pourquoi écrire à Sartre ? « Je préfère écrire aux bonhommes qu’aux bonnes femmes ». Ce sont donc des tournures de son langage familier, mais qui sont néanmoins péjoratives, et manquent d’élégance.

Donc, Ferré a détesté le livre. Connaissant son caractère, on peut comprendre sa réaction. Ferré, comme la plupart des poètes, a souvent chanté la mort. La mort, c’est abstrait dans le poème. De la maladie, de la souffrance, il ne parlait jamais. De sa maladie, personne n’en a rien su, ou presque. Cela relevait de son privé, ne concernait pas l’homme public. Ferré était au fond très pudique, et d’une sensibilité exacerbée, lui qui, nous dit F. Travelet, « pleurait en lisant le journal et vomissait à la moindre contrariété… » Il ne pouvait trouver ce livre qu’abominable...

Léo Ferré est passé complètement à côté de La Cérémonie des adieux. Ce livre superbe qu’il faut lire absolument si ce n’est déjà fait.

 

On voit donc, au travers de ces quelques lignes, que la lecture de Sartre a longtemps accompagné Ferré, même s’il a fait des impasses et des rejets du côté de la philosophie. Sur la longue durée, Sartre influença sans doute davantage Ferré que l’amitié intense mais éphémère avec Breton.

Au Panthéon de Ferré, deux philosophes occupent les places d’honneur : Sartre, toujours sur la brèche de l’écriture, de l’aventure, du voyage. Et Bachelard, le sage faisant son marché place Maubert et tisonnant son poêle... Un Bachelard d’Épinal... Mais Ferré et Bachelard, c’est une autre histoire.

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[1]. Voir C. Frigara, p. 70.

[2]. Voir Q. Dupont, p. 352.

[3]. Baudelaire, collection « Idées », p. 52.

[4]. Voir Dis donc, Ferré…de F. Travelet.

[5]. Voir Q. Dupont, p. 353.

[6]. Soi-même comme un autre, livre de Paul Ricœur, Seuil, 1990.

[7]. Enregistrement de Sartre en préface à la captation de Huis-clos (Deutsche G.G).

[8]. Entretien à Europe 1. 

[9]. Voir Dis donc, Ferré…de F. Travelet.

dimanche, 16 décembre 2007

À propos du souvenir

On peut observer chez Léo Ferré un fréquent usage du verbe se rappeler. Souvent employé à l’impératif : « Rappelle-toi mon ange » (Madeleine, devenu Rappelle-toi), « Rappelle-toi ce chien de mer » (La Mémoire et la mer), « Rapp’lez-vous bien c’est moi Cloclo » (Cloclo-la-Cloche), « Rappelle-toi là bas chez les hippies » (Michel), il l’est aussi quelquefois à l’indicatif et à la forme interrogative dans sa tournure familière : « Lochu tu te rappelles ? » (Les Étrangers).

Chaque fois, l’amicale injonction, faite à un proche, a pour but de revivre un moment de sentiment privilégié, un instant volé de bonheur, de complicité, d’estime, d’amitié. On peut peut-être dire que le souvenir est ici source d’inspiration, tant qu’il est volontaire : l’artiste se rappelle et engage l’autre à en faire autant.

L’injonction est quelquefois faite par l’artiste à lui-même : « Souviens-toi des bonbons et puis du pèr’ Noël / D’la toupie qui tournait qui tournait qui tournait / Qui tournait qui tournait qui tournait / Qui tour… » (L’Enfance). Là encore, le souvenir est suscité, on peut même comprendre que l’auteur s’accroche à lui volontairement, énergiquement. Comment comprendre autrement l’utilisation de l’impératif, souligné par l’anaphore, quand il aurait pu écrire plus simplement : « Je me souviens des bonbons… »

À l’inverse, le souvenir qui s’impose, remontant du fond de la mémoire et du cœur, possède un goût de marée noire et n’est pas toujours bien accueilli. Au minimum, il est reçu avec mélancolie : « Les souvenirs de ceux qui n’ont plus de maison / Se traînent dans les bars ou sur les autoroutes / À cent soixante à l’heure ils se tire(nt) et s’en vont / À cent soixante à l’heur’ tu choisis pas ta route », ou encore : « Ils s’en vont ils s’en vont les souvenirs cassés / Ils s’en vont ils s’en vont les souvenirs allez / Comme des chiens perdus qu’on ne reconnaît plus » (Les Souvenirs). Et d’ailleurs, La Mélancolie, « C’est dix ans d’purée / Dans un souvenir ». Au pire, il engendre une souffrance : « Cette cruelle exhalaison / Qui monte des nuits de l’enfance / Quand on respire à reculons / Une goulée de souvenance » (La Mémoire et la mer, version complète).

Dans le cas de la forme interrogative, une exception à l’appel de l’amitié s’entend dans Et… basta ! : « Tu te rappelles ? C’est moi, l’ordure ». Et encore, on peut considérer que la réponse : « Qui ça ? L’ordure ? Je vous demande excuse, monsieur. Je ne connais, quant à moi, que des anges » est un « adoucissement » du souvenir, effectué par la volonté expresse de l’artiste.

Il existe évidemment d’autres occurrences du verbe se rappeler et du souvenir. Comme toujours, le but, ici, n’est pas d’établir une liste mais de se demander si, effectivement, le souvenir, chez Ferré, peut se distinguer ainsi : le souvenir « positif » suscité et aimé ; le souvenir « négatif » imposé ou reçu, dont on souffre. L’exemple de l’enfance, choisi plus haut, paraît révélateur de cette distinction : dans L’Enfance, il est choisi ; dans la version complète de La Mémoire et la mer, il est subi.

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jeudi, 13 décembre 2007

Comme dirait Léo Ferré

J’ai toujours été amusé par les expressions qui, créées par un auteur, passaient un jour dans la langue courante jusqu’à devenir universelles, jusqu’à ce que l’on oublie parfois le nom de l’auteur. Il y a aussi le cas où le nom d’un personnage imaginaire devient un archétype (« un gavroche », par exemple).

Sans aller jusqu’à cet anonymat qui est la forme suprême de la célébrité, que peut-on observer qui soit issu de l’œuvre de Léo Ferré ou des poètes qu’il fit connaître ? Voici quelques documents amusants dont je garantis l’authenticité. Tous ont été en vente dans le commerce, distribués gratuitement ou ont paru dans des journaux.

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Exposition photographique, Gentilly.

 


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Roman de Francisco Casavella.

 

 

 

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Roman d’Yves Navarre.

 

 

 

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Carnets de Jean Daniel.

 

 

 

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Concours de poésie.

 

 

 

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Carte postale.

  

 

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Carte postale.

 

 

 

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Prospectus d’une compagnie théâtrale.  

 

 

 

 

 

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Carte postale.

 

 

 

 

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  Encart dans la presse.

 

 

 

 

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Ouvrage de Normand Baillargeon.

 

 

 

 

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Roman de Zoé Valdès.

 

 

 

 

Ce n’est pas tout. On peut ajouter à cette liste illustrée de nombreux titres scrupuleusement relevés au fil des ans, dont je ne possède pas les images. Ainsi, Comme un cheval fourbu, roman de Jean Contrucci ; À mes oiseaux piaillant debout…, poèmes par Ahmed Kalouaz ; Au détour d’un regard, photographies par Gérard Luthi ; Et il ventait devant ma porte, nouvelles par Christiane Baroche ; Thank you Satan, film d’André Farwaggi ; Avec le temps, va…, numéro de la revue Taille réelle ; Je connais gens de toute sorte, par Philippe Labro. Et la manifestation annuelle Le Printemps des poètes.

Certes, il peut s’agir, je le reconnais, de formes d’hommage, de dettes reconnues, et des expressions comme « la vie moderne » ne revêtent pas un caractère d’originalité suffisant pour prétendre que Ferré les a créées. « Comme un cheval fourbu » est déjà plus personnel, ainsi que « Du vent et des bijoux » ou « Dieu est nègre ». « L’ordre moins le pouvoir », s’agissant d’une publication consacrée aux anarchistes, constitue bien sûr une référence explicite. Je note, sans autre commentaire, que, très souvent, aucune allusion n’est faite à l’emprunt du titre dans le corps du livre, au verso de la carte ou dans le cadre de la manifestation.

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samedi, 08 décembre 2007

Ferré dans les anthologies de poésie

Léo Ferré entre très tôt dans une anthologie, et pas n’importe laquelle, celle effectuée par Benjamin Péret. Ferré a alors l’estime et l’appui des surréalistes. Dans Anthologie de l’amour sublime (Albin Michel, 1956 ; rééd. collection « Bibliothèque Albin Michel », n° 6), Péret publie donc L’Amour. Ferré a quarante ans, son texte clôt le volume car les poètes sont présentés par année de naissance et il est le plus jeune des auteurs retenus. Après une notice d’ordre biographique, Péret conclut que cette chanson « pourrait être le chant de l’amour sublime ». Il fait suivre le texte imprimé d’un fac-similé de la partition manuscrite.

Deux années plus tard, Max-Pol Fouchet, dont on retrouvera le nom dans l’œuvre de Ferré, fait paraître une Anthologie thématique de la poésie française (Seghers, 1958 ; rééd. 1980). Il propose Paris dans la section « Paris » et Madame la Misère dans la section « Pauvreté » et ne présente pas individuellement les poètes choisis.

Dans la continuité de son célèbre Livre d’or de la poésie française, Pierre Seghers donne un Livre d’or de la poésie française contemporaine (Marabout-Université, n° 174, 1972), volume dans lequel il choisit Dieu est nègre. Je cite intégralement son introduction : « Saura-t-on un jour pourquoi André Breton, après avoir dit à Léo Ferré qu’il était un grand poète, lui fit le lendemain des réserves ? Toute la question de la « chanson poétique » est dans cette volte-face. Poésie de l’écriture, de la réflexion, du mystère d’une part, et d’autre part la parole portée par le chant, l’élaboré devenant populaire, la recherche débondant des tonneaux de vrai vin. Des nourritures spirituelles aux agapes terrestres, de l’intellect au cœur des hommes. Les princes, mais ils sont de plus en plus isolés, « n’aiment pas ça ». Par discrétion, je ne citerai pas un poème que je tiens pour admirable, Madeleine, publié dans Poète... vos papiers ! (La Table Ronde, 1956), ne retenant cette fois que Dieu est nègre. Je vous le dis « tel quel », bouchez-vous le nez ! De toute manière, Rutebeuf et Aragon ne seraient pas les poètes qu’ils sont, sans Ferré. Cf. Léo Ferré, par Charles Estienne (Poètes d’aujourd’hui, n° 99 [sic]).

Gallimard lance une collection de poésie destinée à la jeunesse, qui comprend, entre autres titres, La Nuit en poésie (collection « Folio-Junior », n° 206, 1980). On y trouve un extrait de Rappelle-toi. Il s’agit d’un simple quatrain, celui qui commence par « Cette neige de nuit avec mes cheveux gris ». La notice indique : « Poète, musicien et chanteur dont les textes traduisent les prises de position personnelles. Son état est celui de la révolte – un anarchisme viscéral ».

Cette même collection va sélectionner, pour Le Rêve en poésie (collection « Folio-Junior », n° 198, 1981), le poème Dieu est nègre. La notice sur l’auteur est identique à la précédente. C’est la seconde fois que ce texte est remarqué dans une anthologie.

Ce ne sera pas la dernière. Quatre ans plus tard, on retrouve Dieu est nègre dans Cent poèmes contre le racisme choisis par Claire Etcherelli, Gilles Manceron et Bernard Wallon que procure la Ligue des Droits de l’homme, avec une préface d’Élie Wiesel (Le Cherche-Midi, 1985). Dans la notice d’introduction, il est précisé que Léo Ferré « est allé à l’encontre de bien des préjugés péjoratifs et méprisants en rendant hommage dans ce poème au jazz et aux musiciens noirs ».

Enfin, Pierre Delanoë inclut Les Poètes dans De Charles d’Orléans à Charles Trenet, anthologie et portraits de la poésie française (Éditions du Layeur, 1996). Ferré est présenté ainsi : « Il a si bien parlé des poètes Léo / Qu’il mérite à son tour un bon coup de stylo / Poète lui aussi, chanteur, compositeur / Baladin, Cabotin, peut-être, mais Seigneur / Il a mis en chansons Guillaume Apollinaire / Et puis Louis Aragon, Rimbaud et Baudelaire / Il était fou, anar et comme sa guenon / Vieux singe très malin et habile en chanson / « C’est extra » ce parcours un peu trop tourmenté / Fini en désaccord avec la Société, / Celle du show-bizness, loin de la vie d’artiste / Des poètes d’abord, ce qui le rendait triste / Lui l’auteur à succès passait en Italie / Des nuits à bricoler dans son imprimerie / Léo « Avec le temps » du « Tango » jusqu’au rap / Il a fait sa valise et il a mis le cap / Sur les vert pâturages de l’autre côté / Du miroir de Cocteau, Léo « Le mal aimé » ».

Ce panorama est volontairement limité aux anthologies de poésie stricto sensu, à l’exclusion des livres thématiques très illustrés, du genre « Chansons sur Paris de 1852 à 1963 » ou « Les 35847 plus belles chansons d’amour pour la fête des mères choisies par Jules Les Églises et préfacées par Ly Nreno », tous ces albums parfaitement inutiles et coûteux dont l’édition française nous abreuve. Il donne, après les recensions du Who’s who in France et celles des dictionnaires et encyclopédies, encore un aperçu de ce que les auteurs – quelquefois poètes eux-mêmes comme Péret, Fouchet, Seghers – ont pu retenir de Léo Ferré.

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jeudi, 06 décembre 2007

Ferré dans les dictionnaires et les encylopédies

Après l’inventaire du Who’s who in France, il peut n’être pas inutile d’en établir un autre. 

« Auteur de chansons dont il écrit le plus souvent texte et musique (…), il a composé une Symphonie interrompue et un oratorio pour quatre soli, chœurs et orchestre sur La Chanson du mal-aimé d’Apollinaire ainsi que deux concertos et un opéra », écrit entre autres le Dictionnaire illustré des musiciens français (Seghers, 1961), à propos de Léo Ferré.

« Chanteur et compositeur monégasque (…). Il écrit les textes et la musique de ses chansons. Est également l’auteur d’un oratorio et d’une Symphonie interrompue », relève Frank Onnen dans Encyclopédie de la musique (collections « Références », n° 6, Séquoia, 1964), ouvrage d’un éditeur belge que l’inspection générale de l’éducation musicale offrait comme prix aux élèves de la ville de Paris.

« Révolté, tendu, vengeur, L. Ferré a traité la chanson avec rigueur (…). Il est aussi l’auteur d’un opéra (La Vie d’artiste, 1950), d’un oratorio sur le poème d’Apollinaire La Chanson du mal-aimé (créé en 1954) » conclut le Dictionnaire de la chanson française de France Vernillat et Jacques Charpentreau (collection « Les dictionnaires de l’homme du XXe siècle, n° D 27, Larousse, 1968).

En 1969, le Grand Larousse encyclopédique en 12 volumes consacre à Ferré une notice dans son supplément, tome 1. Il y est question de « chansons amères et grinçantes, cruelles et anarchistes, qui ne manquent ni d’humour ni de poésie » et le recueil Poète… vos papiers ! est mentionné.

L’Encyclopedia Universalis, dans son volume 18, publie, en 1974, une notice dans laquelle on peut lire : « Son œuvre est sans cesse tiraillée entre la poésie pure (L’Étang chimérique, par exemple) et la mise en musique des poètes (…) d’une part, la chanson politique d’autre part (…). Il va, en 1968, alors qu’il se trouve au sommet de sa gloire, effectuer un étonnant virage et contribuer sans doute à la rénovation de la chanson française. (…) Ses œuvres, qui ne doivent alors plus rien à la conception classique de la chanson, deviennent une sorte de poésie orale, parlée, qui frappe par sa sincérité d’inspiration, sa beauté formelle et sa violence ».

Frank Lipsik écrit, lui : « Il se remet en cause totalement sans la moindre humilité et c’est en 1969 Le Chien, qui claque comme un coup de fouet et qui marque définitivement la nouvelle carrière de Léo Ferré, plus engagé, plus difficile, plus solitaire, mais encore plus grand, plus riche et plus exigeant » (Le Dictionnaire des variétés, Mengès, 1977).

Sobrement, le Petit Larousse en couleurs de 1980 note : « Chanteur français, né à Monte-Carlo en 1916, auteur de chansons amères, grinçantes, parfois anarchistes et pamphlétaires ».

Le Dictionnaire universel des noms propres de Robert, dans son tome 2, indique, toujours en 1980 : « Ses chansons prennent la forme de pamphlets, de professions de foi ou de poèmes, sur des orchestrations utilisant souvent des genres populaires (musiques de danse) ».

Le Grand Larousse universel de 1983, dans son volume 6, parle de nouveau de ces « chansons amères et grinçantes, cruelles et anarchistes, qui ne manquent ni d’humour ni de poésie » en précisant que Ferré « reste un auteur quelque peu marginal, qui contribuera néanmoins, plus que d’autres, au renom de la chanson française ».

L’Encyclopedia Universalis, dans le Thesaurus-Index 1, A-Friedländer, en 1985, avance : « Établi en Italie depuis 1972 [sic], il se produit moins souvent aujourd’hui. Il a cependant publié deux ouvrages (Le [sic] Testament phonographe, 1980 et Dis donc, Ferré…, 1980 [sic]) et a enregistré plusieurs beaux albums comme Et… basta !, La Violence et l’ennui, Ludwig, L’Imaginaire, Le Bateau ivre, etc. »

« Sa façon de chanter, pour particulière qu’elle soit, émeut souvent. Les yeux fermés, les jambes écartées, Ferré se pose en grand prêtre, illuminé et revendicateur », écrit Pascal Sevran dans Le Dictionnaire de la chanson française (Lafon-Carrère, 1986).

Le Grand Larousse en 5 volumes, publié en 1987, reprend, dans son volume 2, les notices précédemment publiées par la maison, en supprimant la mention « qui ne manquent ni d’humour ni de poésie ».

« Un grand monsieur que cet anarchiste de cœur », conclut Alain-Pierre Noyer dans son Dictionnaire des chanteurs francophones de 1900 à nos jours (Conseil international de la langue française, 1989), après une notice exclusivement biographique.

Christian Dureau relève « une incursion dans la pop-music (il travaille avec le groupe Zoo) » dont il estime qu’elle « précède un retour à un style plus pur, plus proche de sa vraie nature, répondant mieux à ce qu’attendent ses inconditionnels. Aujourd’hui encore, il demeure le vieil anarchiste que l’on sait, le lion à la crinière blanche toujours prêt à choquer et à dire ce qu’il a sur le cœur. Il vit en Toscane avec sa seconde [sic] épouse » (Dictionnaire mondial des chanteurs, Vernal-Philippe Lebaud, 1989).

L’Universalia 1994, la politique, les connaissances, la culture en 1993, que publie en 1994 l’Encyclopedia Universalis, écrit, sous la signature de Michel P. Schmitt : « désenchanté, lassé peut-être à certains moments d’être statufié dans le personnage de l’« anar » qu’on apprécie tant que son anticonformisme ne met pas la propriété en danger, Ferré se retire en Toscane avec Marie, sa nouvelle compagne et, reddition ou provocation supérieure (« I am un immense provocateur »), fait des enfants. (…) Ce « vieux mec de trois jours et de dix mille ans » (L’amour meurt) se place de façon inédite au carrefour de la chanson de variétés, de l’anarchie de cœur, d’un romantisme intimiste et visionnaire à la fois et même d’une forme d’« écriture du désastre », quand la poésie est réduite au constat qu’Il n’y a plus rien ».

Voici donc un panorama, certes non exhaustif, des notices dévolues à Léo Ferré dans les dictionnaires et les encyclopédies (à l’exclusion de celles contenues dans les innombrables histoires de la chanson, ou dans plusieurs anthologies de poésie). Dans ces ouvrages, la neutralité de l’ordre alphabétique interdit de le mettre plus qu’un autre en avant. Bien entendu, je n’ai pu citer que des extraits de ces présentations, souvent longues. J’ai ignoré la quasi totalité des éléments biographiques, les listes de titres, pour m’attacher à ne relever que des fragments pouvant composer le portrait le moins inexact possible.

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lundi, 03 décembre 2007

Ferré au Who’s who

On sait que les notices du Who’s who sont remplies selon un canevas préalable, mais toujours par les intéressés. Il peut, par conséquent, être intéressant de relever de quelle manière ils désirent se présenter, au fil du temps. On passera bien sûr sur la naissance et la filiation, immuables, comme sur les études suivies ou la liste des œuvres, pour examiner les éléments mouvants.

Léo Ferré entre au Who’s who dans l’édition datée 1959-1960, achevée d’imprimer au mois d’avril. Il se définit comme : « Compositeur. Artiste de variétés » et se dit : « Marié en 1950 avec Mlle Madeleine Rabereau (un enfant : Annie) ». Il donne pour adresse professionnelle : « 9, avenue Saint-Michel, Monte-Carlo, principauté de Monaco » et pour adresse privée : « 28, boulevard Pershing, Paris (17e) ». Il se présente donc comme marié au moment de sa rencontre avec Madeleine, qu’en réalité il n’épousera que le 29 avril 1952. Il présente la fille de Madeleine comme leur enfant. Il fournit l’adresse de ses parents comme domiciliation professionnelle.

Dans l’édition 1971-1972 du célèbre annuaire, il donne comme profession : « Compositeur. Artiste lyrique ». La mention de son mariage, de sa femme et de la fille de celle-ci n’a pas changé bien qu’ils soient séparés depuis 1968. C’est que son divorce n’est pas encore prononcé. Mathieu, lui, n’est pas encore connu. L’adresse professionnelle est toujours celle de l’appartement monégasque de ses parents. Il n’y a plus d’adresse privée, bien qu’il soit fixé en Italie.

Pour l’édition de 1973-1974, pas de changement dans la profession ni dans la situation de famille. Sans doute, la notice a-t-elle été rendue avant que le divorce soit prononcé, le 28 mars 1973 et, de toute façon, avant qu’il épouse Marie-Christine Diaz, le 5 mars 1974, avant, également, la naissance de Marie-Cécile, le 20 juillet 1974. L’adresse professionnelle est : « 54, rue Mazarine, Paris (6e) ». Aucune modification en ce qui concerne l’adresse privée : toujours Monaco.

Dans sa livraison de 1983-1984, après la profession, identique, on peut lire : « Marié (trois enfants : Mathieu, Marie, Manuela) ». L’adresse donnée est unique, c’est celle de « Castellina-in-Chianti, Italie (provincia di Siena) ». Sa première fille, Marie-Cécile, est encore appelée Marie.

Le Who’s who de 1984-1985 ne présente, sur les points qui nous intéressent, aucune modification.

Bien entendu, je ne possède pas toutes les notices et il aurait fallu disposer de celles, intermédiaires, pour établir un panorama complet. On voit cependant combien les dictionnaires biographiques peuvent, d’une manière générale, être sujets à interprétation, même lorsqu’ils sont mis à jour annuellement.

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