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vendredi, 25 janvier 2008

Une opinion de Gracq sur Breton

L’histoire de Léo Ferré et des surréalistes a été reconstituée dans son déroulement factuel. J’ai fait mon possible pour en mieux cerner la chronologie complète. À ce jour, en croisant et refondant mon récit des Chemins de Léo Ferré, les deux notes complémentaires parues sur ce blog il y a quelque temps et la Lettre à l’ami d’occasion, il est possible de relire cette histoire et de mieux apprécier les raisons de Breton qui, lorsqu’on dépasse l’« interdiction » de publication qu’il formula à l’encontre de son ami, paraissent maintenant bien plus claires et compréhensibles. On n’y reviendra pas ici.

La succession des faits mise à part, il reste, pour moi, un point obscur. Breton n’aime pas Poète… vos papiers ! qu’il vient de lire sur manuscrit. On ne sait d’ailleurs pas si l’état du texte correspondait exactement à ce qui fut publié peu après par La Table Ronde. Vraisemblablement, oui. Quoi qu’il en soit, cela ne change rien au fond.

Mais voilà : Breton, homme d’une très grande culture et d’une forte lucidité, ne nous a pas habitués à se tromper sur les œuvres de tel ou tel auteur. Ce qui me frappe, c’est qu’il n’ait pas su voir, lire dans ce manuscrit confié un soir par Ferré, les évidentes promesses qu’il contenait. Car si l’on n’aime pas Poète… vos papiers !, ce qui est parfaitement admissible, évidemment, il reste que ce recueil est attachant et contient en germe bien des choses. Il me paraît incroyable qu’un homme comme Breton n’ait pas su (voulu ?) voir cela, lui qui discernait en tous lieux la petite flamme de la beauté.

C’est en lisant cette phrase de Julien Gracq sur le jugement de Breton, qu’il a connu et admiré – et l’on sait que Gracq n’admirait pas facilement – que je me suis fait les réflexions qui précèdent. Voici cet extrait de Gracq (En lisant, en écrivant, Corti, 1980) : « Ce qu’il y avait de vibrant – pour reprendre son vocabulaire – dans les refus de Breton, venait, j’en ai eu souvent le sentiment, de ce qu’ils étaient conquis plus d’une fois sur une secrète complaisance, non tout à fait abolie, à ce qu’il refusait, ou plutôt se refusait. Plus que son opposé Valéry, si dédaigneusement étranger à ce qu’il rejette, il était riche, comme presque tous les bons gouvernements de combat, de quelques utiles et secrètes intelligences avec l’ennemi ».

Breton s’est-il refusé toute secrète complaisance envers son ami Léo Ferré ? A-t-il conquis sur elle son propre refus ? Ce n’est pas impossible. Cette comparaison que fait Gracq avec l’attitude de Valéry me rappelle que, jeune homme, Ferré lui avait envoyé un poème et n’avait jamais obtenu de réponse. Ce qui se comprend facilement : Valéry devait certainement recevoir chaque jour un très grand nombre de textes d’apprentis écrivains et ne pas s’en soucier outre-mesure. Mais Breton ? Cette opinion de Gracq serait-elle une clef permettant de comprendre pourquoi Breton n’a rien vu de prometteur dans le recueil incriminé ?

Peut-être suis-je en train de faire fausse route, mais ce lieu est aussi un chantier de réflexion.

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lundi, 21 janvier 2008

Trois jeunes timides

Marseille, février 1971. Les trois amis déjà évoqués ici se dirigent vers le théâtre Axel-Toursky où Léo Ferré va chanter pour la première fois. C’est l’après-midi, ils vont, au hasard, voir s’il se passe quelque chose.

Le Toursky est alors une école désaffectée. Richard Martin a récupéré les anciens fauteuils, réformés, de l’Opéra de Marseille : des sièges de bois. Il a vingt-huit ans, les cheveux aux épaules et de l’enthousiasme. Il a commencé l’année précédente à faire vivre ce nouveau lieu de spectacle. C’est Ferré qui, cinq soirs de suite (dont quatre sans cachet), va lancer véritablement la salle et faire découvrir aux Marseillais le chemin du 22, rue Édouard-Vaillant (téléphone 50 75 91), où s’ouvre un passage qui sera, longtemps plus tard, baptisé Passage Léo Ferré. Pour le moment, des cartons d’œufs tapissent les murs et servent à l’insonorisation. Dans sa loge, la gardienne vend les billets. Un jour, l’éclairagiste, Michel Tzicuris, voulant réparer ou régler un projecteur, tombera du haut des cintres sur les fauteuils et se tuera. Longtemps, son portrait demeurera dans la salle.

Sur la droite, les issues dites de secours sont des portes donnant directement dans le passage en question, sans le moindre couloir. Elles sont ouvertes. L’un des trois, timidement, entrouvre le battant et passe le bout du nez dans la salle : « Il est là ».

Ils se concertent, hésitent, sont littéralement mangés par la timidité mais ils décident d’entrer et se tiennent debout, près de la porte, tentant de se confondre avec le mur. Oui, « il » est là et la candeur des dix-neuf ans (même pas, dix-huit et des poussières) des trois camarades n’en revient pas. Un type à moustaches, cheveux longs, portant beau, règle les lumières : « Envoie-moi un peu de rouge », « Tu m’envoies du bleu, par là ». C’est Frot. Puis Léo Ferré, sans lâcher sa cigarette allumée, vient, les bras croisés, faire « la balance ». Il chante uniquement quelques vers des Poètes, puis, à quelqu’un de la régie : « Ça va, comme ça ? »

Ils s’enhardissent encore, nos trois gamins. Ils vont s’asseoir dans une rangée de fauteuils, au milieu, bien dans l’axe de la scène. Oh, du bout des fesses, et encore. Ferré reçoit un journaliste à qui il déclare, lors de la conversation : « J’ai de jeunes amis dans la salle. Il est quatre heures de l’après-midi, ils sont venus me voir… » Tiens, ils ne sont donc pas passés inaperçus, les trois qui se pensaient discrets.

Quelqu’un, ensuite, arrive du fond de la salle : « Léo, téléphone ! » Soit. L’artiste, docile, descend de scène et se dirige vers le récepteur. Il passe dans la rangée située juste derrière les trois jeunes qui, spontanément, se lèvent. L’artiste, très gentiment : « Ne vous dérangez pas ». Ils n’avaient pas à se lever puisqu’il passait derrière eux, mais ce fut instinctif.

Dans l’entrée – un minuscule bout de couloir où, avant le spectacle, le public s’entasse – une affiche est dédicacée : « À Richard Martin, le Dullin de la Belle-de-Mai. Fraternellement, Léo Ferré ».

Un souvenir encore émerge de ce moment. Sur la scène, Ferré est debout devant le piano. Il joue quelques mesures puis, définitif : « Il est faux ». Il est encore tôt et l’accordeur, sans doute, était-il en chemin.

Très impressionnés par cette après-midi, les trois garçons remettront ça l’année suivante, quand Ferré sera annoncé les 9 et 10 mars 1972 au Palais des Congrès, mais cela a déjà fait l’objet de la note Trois amis et les pops.

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samedi, 12 janvier 2008

Gilbert Sigaux

ed589c7df6f0f5dd356ff8a34f57ac55.jpgDans les années 60, j’étais adhérent d’un club de livres, les éditions Rencontre à Lausanne. Plus exactement, ma mère m’avait abonné. Un club de livres intelligent : j’ai découvert, dans ses collections, Baudelaire, Stendhal, Poe, Hemingway, Lamartine, Swift, excusez du peu. Et aussi Dumas et Daninos. Ces deux derniers étaient préfacés par Gilbert Sigaux. C’est ainsi que j’ai connu ce nom. Sigaux avait aussi été l’éditeur, au sens anglo-saxon du terme, de Simenon, entre autres. Et, pour le Cercle du Bibliophile, de Mac Orlan. J’en passe. La seule consultation de Google fait ressortir la très grande quantité d’éditions et de commentaires qui lui sont dus.

79017dbdd85fb8a05ce0931dfcd36fc1.jpgNoël 1970. Je passe, avec deux camarades, une semaine à Paris. Nous logeons à trois dans une chambre pour un, louée quinze francs la nuit dans un hôtel minable de la montagne Sainte-Geneviève, face à ce qui était alors Polytechnique et qui est devenu une des implantations du ministère de l’Éducation nationale. Il neige. Incorrigible méridional, je n’ai rien prévu, je suis vêtu d’un petit blouson de skaï, d’une écharpe synthétique et chaussé de mocassins. Mais j’ai dix-huit ans et je n’ai pas froid. Le train du retour sera bloqué par la neige, dans la nuit, à hauteur de Montélimar. Nous n’avons plus un sou, rien à manger, plus de cigarettes – juste un paquet d’un immonde scaferlati que nous brûlons dans nos pipes (j’en ai acheté une quelques jours auparavant à un éventaire, boulevard Saint-Michel). Mon royaume pour une gauloise. Il n’y a ni lumière ni chauffage dans le compartiment. Dormir, que faire d’autre ? Le train arrivera à Marseille à quatre heures du matin, au lieu de minuit, soit onze heures de voyage au lieu de sept. En attendant, nous sommes à Paris.

Le 29 décembre, à la librairie du Monde libertaire, dite « Publico », alors sise rue Ternaux dans le onzième arrondissement, je découvre les premiers numéros de la revue La Rue, publiée par le groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste. Et, sur un rayon, je trouve un album de 1962, le Léo Ferré de Sigaux, publié à Monte-Carlo par les éditions de l’Heure, dans la collection « Les albums de la chanson » (n° 4), ouvrage qui devait être là depuis huit ans peut-être. C’est un peu comme si deux mondes s’étaient rejoints. Il coûtait initialement 6 NF 90 et je crois me souvenir qu’on me le vendit au même prix. De très nombreuses années plus tard, je découvrirai qu’il existe aussi une édition cartonnée. À la lecture du livre – énormément illustré pour l’époque et d’une qualité technique alors peu courante dans la reproduction des photographies – je m’aperçois que, selon toute vraisemblance, Sigaux a connu Ferré et les siens. Ce n’est pas un travail « extérieur ». Il dit même avoir entendu l’artiste chanter le poème Madeleine (Rappelle-toi), qui n’a jamais été enregistré ni, je crois, chanté en scène. Il ne peut donc s’agir que d’une audition privée. Or, et c’est curieux, le nom de Sigaux n’apparaît plus jamais dans l’histoire de Léo Ferré, à l’exception d’une mention dans Les Mémoires d’un magnétophone, où il est question d’un roman de lui, intitulé Fin, qui fut publié en 1951. J’ai lu un jour ce livre, qui ne m’a pas passionné. Autrement, plus rien.

1a7986b6c15b90d75d62cfb2385436fb.jpgSigaux est mort en 1982 et sa bibliothèque a été acquise. Je n’ai jamais su dans quelles circonstances il avait approché Léo Ferré, ni ce qui avait décidé de la rédaction de son livre. Une idée de sa part ? Une commande de l’éditeur ? Je n’ai aucune lumière sur la question et c’est pourtant le genre de chose que j’aime bien comprendre.

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vendredi, 04 janvier 2008

Dĕkuji ti, Ferré ! (ou Ferré traduit en tchèque), par Daniel Dalla Guarda

J’accueille aujourd’hui un nouvel « invité du taulier », Daniel Dalla Guarda, qui nous propose un ample travail consacré aux versions tchèques des chansons de Léo Ferré. Je le remercie de s’en être chargé.

 

Dès 1961-1962, Daniel Dalla Guarda fait montre d’un esprit rebelle : lecteur assidu de Hara-Kiri (mensuel), (télé)spectateur des Raisins verts d’Averty, il se complaît à écouter une musique de voyous, le rock ‘n’ roll, et surtout Vince Taylor. Cela aurait pu durer longtemps, mais 1968 est arrivé, qui lui a grand ouvert les yeux. Avoir eu dix-huit ans dans ces années a été jubilatoire : outre Hara-Kiri hebdo (le vrai), il redécouvre la chanson française et… Léo Ferré : c’est un énorme choc, au Théâtre Montansier de Versailles. Avec un doute : était-ce avant ou après le spectacle de Bobino 1969 ? Presque sexagénaire, informaticien de profession, l’humour et la poésie lui permettent de belles échappées. Ses rencontres avec Léo Ferré ont  bouleversé sa vie. Collaborateur du site Thank You Ferré (leo.ferre.org), hélas disparu avec Julien, puis des Cahiers d’Études Léo Ferré, il souhaite partager cette passion.

 

C’est à la suite de son article « De par le monde », paru dans les Cahiers d’études Léo Ferré n° 4 (Écoute-moi) que j’ai pris contact avec Jacques Layani pour la première fois. À l’époque, je désirais apporter quelques petites précisions à cet article. Depuis, de nombreuses traductions ont été publiées (ou simplement retrouvées). C’est le propos de ces notices que je proposerai sur ce site.

Chaque notice traitera d’un pays, plus précisément d’une langue, et citera l’article de Jacques pour le compléter. J’apporterai également les éléments discographiques dont je pourrai disposer.

Remarques générales : j’emploierai le terme de « traduction » pour les simples traductions (plus ou moins littérales) et le terme « adaptation » quand il s’agit de traductions destinées à être chantées. Ces adaptations pouvant être de simples modifications de contexte (cf. les traductions d’Enrico Médail en italien), mais pouvant être de véritables transpositions comme Die dame, adaptation en hollandais de L’Homme.

Seront également citées comme traductions de chansons de Ferré, les poèmes qu’il a mis en musique (bien sûr, uniquement quand elles ont un lien direct avec Ferré).

 

Les traductions en langue tchèque

Pour cette première note, je traiterai des traductions en langue tchèque. Pourquoi ? Pour la simple raison que cette langue n’apparaissait que partiellement dans l’article de Jacques. Il y citait un livret qu’il avait feuilleté et qu’il pensait être polonais. Il s’agissait en fait d’un encart publié avec le disque 33-tours de Léo Ferré édité par Supraphon, la maison de disques tchécoslovaque, laquelle avait des liens étroits avec la société Barclay (c’en était une filiale selon Éric Lipmann, ancien directeur financier de Barclay).

 

Les disques tchèques de Léo Ferré

Une remarque qui concerne tous les disques tchèques présentés dans cette notice : ils ne sont accompagnés d’un livret que s’ils sont co-édités par Supraphon et un club d’auditeurs, à l’image de clubs de lecteurs en France. C’est le cas du seul disque entièrement consacré à Léo Ferré et publié en Tchécoslovaquie et dans les pays dits de l’Est.

 

Le 33-tours « Léo Ferré »

Ce disque est accompagné d’un livret de vingt-quatre pages contenant les textes français et les traductions en tchèque de toutes les chansons du disque. Il est richement orné de photographies, dont trois en couleurs, représentant Léo Ferré, bien sûr, mais aussi Madeleine, leur fille Annie, Léo et Pépée...

Titre du disque : Léo Ferré.

Coédité par Supraphon et Hudby Gramofonového.

Référence : 0 13 0908 (version mono) ou 1 13 0908 (version stéréo).

Date de la première publication : 1971.

Le livret donne le nom du traducteur en couverture : Jaroslav Mysliveček, qui détient les droits sur tout le livret.

Chansons :

Cannes-la-Braguette : Cannes-la-Braguette.

Nous deux : My dva.

À Saint-Germain-des-Prés : Saint-Germain-des-Prés. 

Rotterdam : Rotterdam. 

Les Poètes : Básníci.

Les Assis : Sedici.

Si tu t’en vas.  Až odejdeš.

Paname : Paname. 

Jolie môme : Holka milá.

Tu sors souvent [la mer] : Často vycháziš.

Les Tziganes : Cikáni.

La Marseillaise : Marseillanka.

Les traductions semblent littérales, elles sont bien évidemment destinées à expliquer la chanson au public tchèque, sans visée poétique apparente. Elles sont présentées en vis-à-vis du texte français. Pour Cannes-la-Braguette, le jeu de mot n’est pas indiqué, la traduction donnant tout simplement Cannes-la-Braguette.

Les textes des Assis et Nous deux sont bien attribués à leurs auteurs respectifs.

 

Les 33-tours collectifs tchèques

Deux autres disques, collectifs, avaient précédé le Léo Ferré cité plus haut. Le public tchèque avait pu découvrir Léo Ferré dès 1962, toujours grâce à Supraphon.

Le 33 tours Sous les toits de Paris.

En 1962 donc, Supraphon-Artia publiaient un disque collectif intitulé Sous les toits de Paris (référence SUA 14 472).  Quatre artistes Barclay y sont présentés, Ferré étant le premier par ordre d’apparition :

Léo Ferré :  Blues, Elsa, Je chante pour passer le temps, Je t’aime tant.

Charles Aznavour : Plus heureux que moi, L’amour et la guerre, Fraternité.

Lucienne Delyle : Bistrot, Les Bleuets d’azur. 

Jacques Brel : Les Biches, Zangra, Une île, Madeleine. 

Mais les textes y étant donnés uniquement en français, je n’en parlerai pas plus, sauf à remarquer que pour le premier disque de Ferré édité dans un pays « du bloc soviétique » ou « du bloc de l’Est » comme on les désignait à l’époque, il s’agit de quatre chansons dont le texte est de Louis Aragon.

Les 33 tours Paris, Paris et Pařĭźskŷ šanson.

Le deuxième disque collectif, paru en 1966, est intitulé selon les éditions Paris, Paris ou Pařĭźskŷ šanson. Trois chanteurs (Barclay) y sont présentés : Aznavour et Brel se partagent la première face, Léo Ferré occupe à lui seul toute la deuxième face :

Charles Aznavour :  Donne tes seize ans, Au clair de mon âme, Jolies mômes de mon quartier, Trop tard. 

Jacques Brel : Les Bourgeois, Jeff, Les Bonbons, Mathilde.

Léo Ferré : T’es chouette, Thank you Satan, Paname, Merde à Vauban, Les poètes, Franco la Muerte.  

Ces deux disques ont des pochettes et des labels différents. 

L’édition Paris, Paris est publiée par Supraphon-Artia (référence SUA 14 716). Elle était probablement destinée au marché étranger (notamment à l’Allemagne). Les textes des chansons sont donnés en français sans traduction.

Plus intéressante à mes yeux, l’édition Pařĭźskŷ šanson publiée par Supraphon-Gramophonovŷ Klub (référence DVD 10197) est destinée au public tchèque et contient les traductions de toutes les chansons (sans les textes français !). Certaines  traductions de chansons de Ferré sont accompagnées de courts commentaires explicatifs. Les traductions sont d’Alena Čapková. Elles semblent plus littéraires que celles de Jaroslav Mysliveček,  publiées avec le disque Léo Ferré. Cela apparaît sur les deux chansons communes à ces deux disques (Paname et Les Poètes). De plus, les commentaires sur Vauban, sur le mot « Paname », sur la chanson Les Poètes, montrent un réel souci d’explication. En voici la liste :

T’es chouette : Jsi půvabná. 

Thank you Satan : Dĕkuji ti, Satane.

Paname : Paříž. 

Les Poètes : Básníci.

Franco la Muerte : Smrt Francovi.

 

Hana Hegerova et « Maestro tango »

Hana Hegerová est une artiste tchèque (d’origine slovaque, comme il convient de le préciser depuis la partition de la Tchécoslovaquie en 1993) qui jouit d’une réelle ferveur du public tchèque. J’ai pu le constater à Prague où les disquaires la connaissent très bien et parlent d’elle comme d’une Piaf tchèque (personnellement, je la rapprocherais plutôt de Juliette Gréco, pour la qualité de ses textes).

Commentaires de Radio Praha : En octobre 2001, Hana Hegerova fête ses 70 ans devant la salle archi-pleine du Théâtre na Vinohradech. Deux ans après, elle récidive avec un concert tenu, cette fois-ci, dans un espace on ne peut plus prestigieux de Prague, au Théâtre national. Pendant deux heures, la salle vibre sous ses fameuses chansons, qui jalonnent une quarantaine d'années de sa trajectoire artistique. Certaines sont empruntées aux célèbres chansonniers français...

Cet été, était annoncé un concert au centre-ville de Prague.

Tous ses disques ont été réédités en CD, qui figurent dans les meilleures ventes. Enfin un DVD est paru récemment.

Le titre qui nous intéresse ici est Maestro tango, publié en 1973 sur l’album Récital 2 par Supraphon-CS Hifi-Klub (référence 1 13 1310 ZB). Il en existe une version, sans livret, éditée par la seule compagnie Supraphon.

Contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, il ne s’agit pas d’un enregistrement en public. Il contient des chansons originales et quelques adaptations du répertoire français. En voici le détail :

Face 1 : Penzión na pŕedmĕsti, Tak to na tom svĕtĕ chodi, Svatebni piseń, Maestro tango (Mister Giorgina), Rāmusy blues, Váňa.

Face 2 : Bože můj, já chci zpĕt (Ma jeunesse fout l’camp), Bud’to ty, anebo já (Giroflée girofla), Surabaya Johnny, Rýmováni o životĕ (It Hurts To Say Good Bye, en français : Comment te dire adieu), Rozvod.  

Nous nous intéresserons plus particulièrement à l’adaptation de Mister Giorgina qui devient Maestro Tango.

L’adaptation est de Pavel Kopta, qui restera son parolier privilégié pendant toute sa carrière.

Le texte en est publié dans le très beau livret qui accompagne le disque original (version CS Hifi-Club). On la trouve également sur Internet, c’est pour cela que je me permets de la citer in extenso :

 

Maestro tango

 

Byl jednou jeden kabaret,

vám býlo sotva dvacet let.

Pod rampou hnĕdý klavir stál

a vy jste na nĕj z hecu hrál

svý prvni tango.

Ten večer mĕ jste trochu vztek,

když jedna z mistnich baletek

vás libala

a řikala : Maestro Tango !

 

A když vás přešla prvni zlost,

tak byl jste každodenni host.

Sál celý na vĕdomi vzal,

Že jste si pseudonym dal :

Maestro Tango

 

Když uslyšel to direkto,

tak řek vám : To je dobrej fơr !

Dal na plakát :

Dnes bude hrát,

dnes bude hrát,

MAESTRO TANGO !

 

Nĕkdo se ptal :

Ale co dál ?

Co bude dál ?

To ptal se doma každý den

Pod vrstvou prachu Beethoven.

A Chopinovi šeptal Litz

že neni si tak zcela jist

tim, co je tango.

To nechápal by jaktĕživ,

Že za pár korun, za pár piv,

Jde nĕkdo hrát

a k tomu rád,

a k tomu rád, Maestro Tango !

Proč dennĕ čistit od rána

falešný zuby piána
Nač etudy, nač prstoklad ?
I bez nich dá se přece hrát
vášnivý tango

Ted’ zni to jako špatný žert,
že pomýšlel jste na koncert
a kde a jak
vzit černý frak,
ach, černý frak, Maestro Tango

Nĕkdo se ptal,
co bylo dál ?
co bylo dál...

Když přeletĕlo roků pár,
tak stal se z kabaretu bar.
To tam je hrani za pár piv,
jen zni tam stejnĕ jako dřiv
půlnočni tango.
A nikdo se vám nedivi,
že smutný jste a šedivý
Jak starý snih,
Jak vdovcův smich,
Jak vdovcův smich, Maestro Tango

Když s ūpornosti pijanů
se naklánite k piánu
a hledáte co odvál čas,
tak ozývá se zas a zas
pliživý tango.

Tam dole na dnĕ pamĕti,
v tom zasypaném podsvĕti
je hrstka not.
Ted’ přijde vhod,
ted’ přijde vhod, Maestro Tango !
Tam dole přece nĕco muselo zůstat...
Alespoň trochu hudby...
Byla tak krásná !
Vzpominejte !
Johann Sebastian Bach.
Poznáváte ?

L’interprétation qu’en fait Hana Hegerová est très vivante, et fidèle à celle de Léo Ferré, y compris le final musical, qu’elle laisse se prolonger.

« Muj dik, Hana !» (Merci beaucoup, Hana !)

Pour ceux que cet album intéresserait, il a été pressé en CD en 2006 (référence Supraphon SU 5722-2), avec un booklet réduit, sans le texte.

À défaut, le titre Maestro tango a été repris en CD sur deux compilations :

Všechno nejlepší, double CD Supraphon SU 5726-2 ;

Můj dík, CD Supraphon SU 5633-2 ;

et bien sûr sur l’intégrale Zlata kolekce, coffret de six CD B&M Music BM0047 (paru en 1996).

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Adresse URL du site Internet d’Hana Hegerova : http://www.hanahegerova.cz/

Malheureusement, si ce site est riche d’illustrations, il est assez pauvre en informations.

 

Autres traductions en langue tchèque

Les institutions culturelles.

Le Lycée Français de Prague et Eva Kriz-Lifková.

Eva Kriz-Lifková enseigne la musique au Lycée Français de Prague.

Elle a également publié de nombreux CD dont un consacré à la chanson française :

Eva Kriz-Lifková : Sous les toits de Paris (Pod střechami Paříže). CD PRAG-DATA, 2001 (épuisé).

Eva Kriz-Lifková y interprète Paname (c’est aussi le titre tchèque) dans une adaptation très poétique de Stuka. Pour avoir conversé avec elle, elle pourrait très bien la chanter en français !

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Adresse URL du site d’Eva Kriz-Lifková :

http://www.kriz-lifkova.cz/ (site bilingue français-tchèque)

Un grand merci aussi à Eva Kriz-Lifková pour son accueil sympathique !

L’Alliance Française à Prague.

L’Alliance Française organise des spectacles. On peut penser que des traductions figurent dans le programme de ces soirées, comme c’est souvent le cas (voir la notice Traductions en allemand, pour paraître). C’est peut-être le cas de la chanson Y a une étoile, qu’y a chantée Fabiola Toupin en mars 2006.

Les enseignants du Français en Tchécoslovaquie.

Ces enseignants organisent des soirées de chanson française. On y entend quelques chansons de Ferré dont Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, devenue Cožpak takhle lidé žijí dans le programme, apparemment consacré principalement à Édith Piaf  (Program koncertu  Pod krídly Edith Piaf).

Divers.

Uvod do poetiky.

Je rappellerai la traduction que Jacques Layani citait dans son article : Préface : Uvod do poetiky (traduction en tchèque) de Sergej Machonin publiée dans Litterarni noviny du 6 août 1993.

Sergej Machonin est une personnalité éminente de la vie culturelle tchèque : cinéaste, poète, traducteur et j’en oublie... Cela est significatif de l’importance que la revue accordait à Ferré.

Marta Balejová.

Dans son spectacle Édith & Frank, elle interprète Les Amants de Paris, titre qu’elle ne reprend pas sur son CD. Je n’en sais donc pas plus. 

Paris-Canaille.

C’est une des chansons de Léo Ferré les plus reprises. En Tchéquie, elle est interprétée par Duo Canto, duo formé de Tomáš Krejèí et Zuzana Pálenská. 

On peut aussi l’entendre par Yves Montand sur un disque 33-tours Supraphon (référence SUA 14846).

Mais sans traduction à ma connaissance.

 

Conclusion

Si l’on s’en tient aux seules traductions avérées, nous arrivons à un total de quinze titres traduits en tchèque dont deux dans des traductions différentes : deux pour Les Poètes et trois pour Paname.

Dix-huit traductions : c’est énorme pour ce pays finalement pas très grand, surtout si l’on compare avec le nombre très réduit de traductions dans l’ensemble des autres pays de l’Est. Il est vrai qu’il n’y a pas de disques de Ferré pressés dans ces pays à l’exception, donc, de la Tchécoslovaquie.

Il faut en remercier principalement Supraphon et les clubs coéditeurs qui accompagnaient leurs disques de livrets, démarche que l’on ne retrouvera qu’au Japon (ce sera l’objet d’une notice à venir).

Faut-il y voir un des nombreux exemples d’ouverture sur le monde qu’offrait alors la Tchécoslovaquie ? Je le pense.

Bien évidemment, cette notice ne prétend pas à l’exhaustivité : d’avance, un grand merci à ceux qui pourraient m’aider à la compléter.

Hodně štěstí a zdraví v novém (Bonne année et bonne santé).

Fiche synthétique :

À Saint-Germain-des-Prés  Saint-Germain-des-Prés 
Cannes-la-Braguette  Cannes-la-Braguette 
Franco la Muerte  Smrt Francovi
Jolie môme  Holka milá
La Marseillaise  Marseillanka
Mister Giorgina  Maestro tango
Nous deux  My dva
Paname  Paname
Paname (texte différent)
Paříž 
Les Poètes  Básníci
Básníci (texte différent)
Rotterdam  Rotterdam 
Si tu t’en vas  Až odejdeš
T’es chouette Jsi půvabná     
Thank you Satan Dĕkuji ti, Satane          
Tu sors souvent [la mer] Často vycháziš
Les Tziganes  Cikáni
 

mardi, 01 janvier 2008

La forme épistolaire, l’adresse, l’apostrophe, la dédicace

On avait déjà évoqué la forme épistolaire à propos des Lettres non postées.

Léo Ferré va encore l’utiliser, cette fois en chanson, de Mon Général (« Je vous écris du paradis… ») ou Cloclo-la-Cloche (« Mais aujourd’hui je vous écris… ») à La Lettre et Lorsque tu me liras, qui sont de toute évidence deux lettres authentiques adressées à Marie.

Toutefois, il va aussi user d’une forme légèrement différente : l’adresse. Certains textes ne sont pas des lettres à proprement parler – pas dans leur forme – mais constituent des adresses à des personnes vivantes. Après tout, rien ne commandait qu’une chanson contre Franco ait l’allure d’interpellation directe qu’il lui a donnée (Franco-la-Muerte). Rien non plus n’indiquait qu’une chanson contre Pie XII ait la tournure qui est la sienne dans Monsieur Tout-Blanc. Il n’était pas obligatoire, sur le plan du style, qu’une chanson contre de Gaulle prenne la forme d’une adresse immédiate, comme dans Sans façons.

L’adresse est également utilisée dans Monsieur mon passé ou Madame la misère, envers qui l’auteur use de la forme impérative : « Laissez-moi passer », « Écoutez le silence ».

On remarque donc que, dans ces deux derniers cas, l’interpellation conduit à une mise en cause ou à un ordre. L’artiste prend les choses de haut, il a un compte à régler avec la misère comme avec le pape, avec Franco comme avec son temps jadis. Il ne s’agit pas de leur répondre mais bien de les prendre à parti. Peu lui importe la dimension sociale ou politique de ses « correspondants », l’auteur les interpelle et, d’égal à égal, leur dit leur fait. Cela tient du « Hep, vous là-bas » au ton comminatoire.

L’adresse est décidément partout : invocatoire (Cloches de Notre-Dame, Marseille), ironique (Martha la mule, Judas, La Poisse), agressive (Miss Guéguerre, T’es rock, Coco !), amicale (Mister Georgina, Salut Beatnick, Gaby, Tu chanteras, Michel), satirique et sociale (La Maffia, La Gueuse, T’as payé, Vous les filles, La Grève, Le Conditionnel de variétés, L’Oppression), mélancolique (Madame Angleterre, La Chanson triste, Paname, Le Vent, Tu sors souvent, Beau saxo, Pépée, Paris, je ne t’aime plus, Mister the Wind)…

L’adresse est plus distante dans Merci mon Dieu. Plus détournée. Si Ferré dresse en quelque sorte la liste de ce qu’il reproche à Dieu – ou plus simplement de ce qui l’étonne ou le bouleverse – ce n’est qu’au refrain que la mise en cause trouve sa place et encore, sous la forme d’une modeste (même si elle est ironique) résignation (« Nous te disons merci mon Dieu ») ou d’une interrogation finale : « Nous te disons pourquoi mon Dieu ». Elle est enfin complice dans Thank you Satan, qui constitue une « prière inversée » avant l’heure.

Il empruntera également aux poètes quelques adresses : Si tu ne mourus pas, Tu n’en reviendras pas, Âme, te souvient-il ? et beaucoup d’autres encore, comme La Chanson du scaphandrier ou Notre-Dame-de-la-Mouise. Il en trouvera un certain nombre chez Caussimon qui, on le voit ici, emploie souvent cette tournure : Monsieur William, À la Seine, Mon Sébasto, Mon camarade, Nous deux, Avant de te connaître

Il faudrait par ailleurs considérer d’un œil particulier toute une série d’adresses très spécifiques, puisqu’elles sont constituées de chansons d’amour et là, la liste n’est certainement pas close (La Vie d’artiste, Ma vieille branche, Jolie môme, Si tu t’en vas, Chanson pour elle, T’es chouette, Ça t’va, Plus jamais, La Gauloise, Le Testament, À toi, L’Amour fou, Ton style, Tu ne dis jamais rien, La Fleur de l’âge, Je t’aimais bien, tu sais, La Damnation, Je te donne, Tu penses à quoi ?, À vendre, Ta source, Je t’aime, Les Ascenseurs camarades, En faisant l’amour, Tout ce que tu veux, Notre amour, La Femme adultère, Suzon…)

On peut enfin nuancer en fonction du contenu des chansons. De Franco-la-Muerte à À toi, le registre change. La première adresse est plus une apostrophe, la seconde davantage une dédicace, un envoi.  

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