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vendredi, 28 septembre 2007

Sur la scène toulousaine, par Jacques Miquel 3/3

« L’âge d’or »

Tout au long des années 80 et au tout-début des années 90, Léo Ferré se produisit dans de nombreuses villes situées à moins de cent kilomètres de Toulouse, permettant aux amateurs toulousains  de suivre les différents jalons de cet « âge d’or » de l’artiste  : le 6 août 1981 à Castres ; le 23 novembre 1985 à Montauban ; le 7 octobre 1986 à la Halle de la Verrerie de Carmaux pour le récital Les poètes ; successivement les 29 et 30 septembre 1988 à Foix et Albi ; le 18 mai 1989 à Auch et le 10 novembre suivant à Moissac pour la fête de la poésie; enfin, les 7 et 9 mai 1992 encore une fois au théâtre de Montauban pour le festival Alors chante. Aucun de ces spectacles ne donna lieu à quelque incident que ce soit et chaque fois, devant des salles pleines, le chanteur remporta de très grands succès. Pendant la même période, on le revit à trois reprises sur des scènes toulousaines.

 

Chapiteau à Colomiers, 29 septembre 1982

Les articles qui annoncèrent la venue de Léo Ferré aux portes de Toulouse ne firent pas spécialement dans la sobriété et en voulant fuir la banalité, ils n’évitèrent pas toujours la boursouflure : [Léo Ferré] « semble être né de nulle part, d’un mélange alchimique du soleil d’hier et de la nuit de demain. Humble comme un bidonville, écorché comme un abattoir, il ouvre sur le monde les yeux plissés de celui qui s’est usé la vue à regarder, à comprendre. Ses gros mots vont aux épousailles du grand souffle de la poésie… »

Difficile d’évaluer le nombre de spectateurs ayant pris place sous ce chapiteau plein à craquer et que l’on aurait pu croire soulevé par les bravos qui accueillirent l’artiste si au dehors le vent d’autan ne gonflait pas la toile. Très tôt Léo Ferré s’en prit à cet orage qui chahutait le voilier, et demanda au public de pousser à l’unisson un grand coup de gueule pour protester contre les éléments… L’ambiance était à la connivence, mais l’écoute fut intense quand le chanteur déclina selon sa fantaisie, les trente-cinq chansons de son répertoire de cette soirée : Vitrines – Les 400 coups - Thank you Satan – Vingt ans – Y en a marre – Chanson mécanisée – Monsieur Barclay – L’Âge d’or - C’est extra – Les Anarchistes – Madame la Misère – Le Printemps des poètes – Le Chien – La Folie - La Solitude / L’Invitation au voyage – Avec le temps – Préface –Allende – À vendre – Les Celtiques – Géométriquement tien – Words words words – Frères humains / L’amour n’a pas d’âge – La Mort des amants – L’Adieu - La Vie d’artiste – La Mélancolie – Ils ont voté – Cette blessure – Ta source – De toutes les couleurs – En faisant l’amour – Un jean’s ou deux – T’as d’beaux yeux tu sais – Les Poètes de sept ans

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Colomiers, 29 septembre 1982 – D. R.

 

La Dépêche du Midi du 30 septembre 1982.

Léo « Le Lion ». Hier soir, à Colomiers, le poète était seul. Sans orchestre, avec « sa lucidité » et ses chansons.

Un chapiteau sur une tranche de bitume, au cœur d’une ville frileuse et ouverte aux fantasmes. Et cette pluie qui tombe comme une voix houleuse. Vieux fascisme, défaitisme… Hier soir, à Colomiers, le vieux lion n’a pas pu s’empêcher de rugir contre cet orage qu’il n’avait pas voulu.

Il cogne, il frappe, il cingle, il fonce, il chante…. C’est Léo Ferré, soixante-six ans, traînant ses lambeaux de rêves et gardant « sa lucidité dans son froc ». Il n’a plus d’âge et son public non plus. Sous la tente, ils étaient nombreux venus l’écouter : des anars, des amoureux du lyrisme extasié, des fidèles de la voix faite de soufre et de sang, les branchés de la symphonie rose et noire qui se balance comme du Verlaine, et ceux qui n’ont pas oublié ce mot de Léo : I am un immense provocateur.

Tous ont été gâtés. Ferré seul avec son piano et sa bande magnétique (hélas !) leur a tout servi : des bouffées de violence, des couplets fous de vie et d’humour, des imprécations tout d’un souffle, des chansons murmures et des chansons cris, des chansons qui portent l’élan spontané, les tensions sourdes de la vie, des chansons qui s’ouvrent sur un monde en révolte, un monde sans raison.

Léo sait bien qu’on ne plante plus son vieux drapeau noir sur les barricades, mais il continue de prendre son mal en impatience, et sa vieille carcasse vibre autant avec ses tripes qu’avec sa tête. Vingt ans, Avec le temps, La Solitude, C’est extra… Il ne manquait rien à cet étincelant spectacle. Mais quand la voix fauve et ocre s’est éteinte sous les projecteurs, la pluie était toujours là, tapie dans la nuit.

[non signé].

 

Halle aux Grains de Toulouse,  29 mai 1985

Revoilà donc Léo Ferré à la Halle aux Grains à Toulouse, six ans jour pour jour après le récital quasi insurrectionnel de 1979. Ce retour se fit apparemment sans tambour ni trompette et un seul article annonça le récital prévu le soir même.

 

La Dépêche du Midi du 29 mai 1985.

Aujourd’hui à 20 heures 30 à la Halle aux Grains Léo Ferré.

Il fait encore quelques apparitions de temps à autre. De moins en moins : retranché dans sa campagne d’Italie, le vieux maître n’éprouve plus le besoin de paraître, occupé qu’il est de jongler avec les mots, les doubles-croches et les silences, poursuivant une œuvre sans pareille.

Depuis combien d’années maintenant ses mots brûlants comme une lave jaillissent-ils de l’obscurité ? Depuis combien d’années cet homme rongé de solitude est-il le copain, le frangin de notre multitude ? Depuis combien d’années cette fraternité fragile qu’il délivre nous réchauffe-t-elle les jours de pluie ?

Non, Ferré n’a pas changé, il ne changera jamais : il est un torrent de mots sur des flots de musique, il est un homme debout qui ne fait que passer, il est un sourire un peu pâle, lointain, vacillant comme son regard. Une voix surtout.

Ferré l’amour, Ferré la mort, qui chante la folie et les cœurs piétinés, les années disparues et le goût furtif du bonheur, l’injustice et le silence, l’absurdité de toute chose.

Aujourd’hui, Ferré qui voudrait que « tout s’arrête là du temps compté des hommes », nous revient avec la neige de ses cheveux qui accroche la lumière, la grimace d’un sourire comme une blessure, sous le ciel blanc des projecteurs.

Une escale dans la poursuite de l’errance incertaine de « monsieur le poète qui semble venir d’ailleurs ».

[non signé].

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 Halle aux Grains à Toulouse, 29 mai 1985 – D. R.

 

 

Aucun compte rendu de presse n’a décrit cette soirée qui méritait pourtant d’être évoquée, tant le triomphe fut grand dans une Halle aux Grains bondée et ployant sous le charme. Finis les incidents d’avant spectacle pour forcer les portes ou pour revendiquer sur des sujets pour lesquels le chanteur ne détenait pas spécialement la solution.

Il est vraisemblable qu’avant ce spectacle, Léo Ferré avait rencontré des représentants de la mouvance libertaire, car aussitôt achevée l’interprétation de Frères humains,  après avoir jeté un coup d’œil sur un tract, il dédia la Ballade des pendus de Villon « aux quatre militants antifascistes emprisonnés à Toulouse… », dédicace ponctuée du vers : « Mais priez Dieu que tous les veuille absoudre ».

Quant à son programme il était composé de cette large trentaine de chansons : La Vie d’artiste – Pauvre Rutebeuf – Graine d’ananar – Le jazz-band – T’es rock coco – Les Copains d’la neuille – Les Amoureux du Havre – La Solitude / L’Invitation au voyage – À celle qui était trop gaie – Mon camarade – La Vie moderne – Thank you Satan – L’Amour – Madame la Misère – Pépée – Marizibill – La Porte – Le Printemps des poètes – Le Chien – Ton style – Préface– Je te donne – Les Artistes – Tu penses à quoi – Allende – Words words words – Frères humains / L’amour n’a pas d’âge – Ta source – Un jean’s ou deux – Le Tango Nicaragua – T’as d’beaux yeux tu sais – Avec le temps.

 

Halle aux Grains de Toulouse,  12 janvier 1990

Sous l’intitulé « Léo, à certaines heures pâles de la nuit », le traditionnel article destiné à présenter l’artiste qui allait bientôt se produire à Toulouse aurait plutôt découragé le spectateur perplexe si Léo Ferré n’avait pas fait depuis longtemps ses preuves…

Vingt-cinq ans après son premier récital toulousain sur la scène de l’ancien marché aux grains transformé en Palais des Sports, revoilà le poète au même endroit, cette fois-ci devant une Halle aux Grains archicomble. Comme il le disait lui-même, il y a aussi des journalistes qui connaissent leur métier ; c’est vraiment le cas de Marie-Louise Roubaud.

 

La Dépêche du Midi du 13 janvier 1990.

En concert à la Halle aux Grains, Léo d’enfer.

Il a la passion mimétique. Ses révolutions, certes, ne sont pas de velours, elles ont le goût âcre des orages et du sang, et pourtant, qu’il vienne à chanter la tendresse et « que sont mes amis devenus » de Rutebeuf, et soudain s’installe sous les sunlights une fraternité à couper au couteau. Et la minute suivante qu’il se mette à tempêter et on le croirait vomi par les bouches d’enfer d’un volcan mal éteint. Celui de ses colères fumantes. Avec sa gueule de chimpanzé ou de trappiste triste d’avoir longtemps courbé l’échine sur le même sillon maigre – « en 1956, c’était pas facile de vivre, le téléphone ne sonnait pas, aujourd’hui, il sonne trop » – Léo Ferré reste conforme à son image de toujours. Mais il ne se fige pas. Qu’il se mette à danser un air de jazz-band et le rythme se met au pas et la salle à la mesure.

Cet ancêtre a tous les culots. Celui de nous chanter une messe des morts, un chant des trépassés qui nous ramène tous les vieux fantômes, Lorca, Allende et même Franco. On le croyait bien mort pourtant, celui-là. Et bien non, Ferré a la rancune tenace, et les amours aussi. Il ne faut pas croire que lorsqu’il tient une proie, il va la lâcher pour l’ombre. Alors, dans ses imprécations pas de pardon, mais dans ses amours pas d’oubli.

Son Bateau espagnol descend toujours la Garonne avec une Madone en figure de proue et Aragon et son Affiche rouge flamboient toujours au firmament. D’ailleurs, comme Aragon, Ferré chante pour « passer le temps petit qui lui reste à vivre ». Sans ostentation. Faisant fi de toutes les barrières, celles du temps, de l’âge, des modes, des convenances, Ferré joue les charmeurs de serpents qui sifflent sur sa tête, cette tête d’artiste maudit qui ressemble vingt ans après, au dessin qu’en fit un peintre qui était espagnol et qui s’appelait Carlos Pradal…

Dans toute sa gloire, face aux ovations qui bercent sa tête chenue et qui désaltèrent son cœur exigeant, ce frangin du malheur continue à faire de drôles d’invocations à « l’ange des plaisirs perdus »… Comment, dès lors, ne pas l’aimer comme il le mérite… À la folie.

Marie-Louise Roubaud.

 

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Toulouse, 13 janvier 1990, Éditions Universelles.

mercredi, 26 septembre 2007

Sur la scène toulousaine, par Jacques Miquel 2/3

« Les temps difficiles »

Retors, rétif, rebelle, tel apparut sans doute le public toulousain à Léo Ferré qui allait connaître localement d’amères déconvenues. En effet, malgré d’incontestables succès, les récitals à Toulouse des années 1969-1979 se sont déroulés à l’enseigne des « temps difficiles »…

 

Cinéma Le Royal de Toulouse, 15 décembre 1969

Nul besoin d’article avant-coureur pour annoncer ce récital organisé par le Centre culturel de Toulouse, réservé aux seuls adhérents, en principe un auditoire plutôt calme et conquis d’avance. Les salles de spectacles du centre culturel étant trop petites, Christian Schmidt, le directeur fondateur de cet institut, avait loué celle du Royal, un cinéma du centre ville pouvant accueillir un millier de spectateurs. En guise de commentaire à la note Contester Ferré, je me suis efforcé en juin dernier de raconter cette soirée houleuse contre toute attente, et dont Léo Ferré a partiellement fait les frais. En découvrant l’article de La Dépêche relatant ces faits, je me rends compte que ma mémoire m’a trahi à propos de la nouvelle tenue de scène de l’artiste dont j’ai inversé les teintes, en revanche, c’étaient bien plusieurs spectateurs qui avaient pris place sur la scène. Peu importe. Voici donc le point de vue à chaud de Marie-Louise Roubaud publié le surlendemain de cette soirée passionnée.

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15 décembre 1969, photo La Dépêche, op. Esparbié.

 

La Dépêche du Midi du 17 décembre 1969.

Léo Ferré au Centre culturel : le fauteur de troubles…

On sait depuis toujours que là où il passe, Léo Ferré provoque le trouble. Ses pamphlets anarchistes n’écorchent pas que le langage  et la bonne morale ; ils dérangent. Car le grand Ferré est un homme en colère qui se sert des mots comme d’autres se servent de grenades.

S’il y a aujourd’hui une poésie qui touche au vif la jeunesse révolutionnaire, c’est bien celle de cet homme de plus de cinquante ans. À la fois insolent et tendre, sincère et roué, irritant et attachant, Ferré est un de ces êtres excessifs qui sèment le vent et récoltent la tempête.

Adoré et haï, il aura connu lundi soir, au Royal, l’encens du triomphe et le vitriol des injures.

La rue d’Alsace embouteillée, des grilles défoncées n’étaient qu’un prélude. À l’intérieur, fauteuils et couloirs étaient pris d’assaut par un public secoué par la fièvre des combats.

Quand Léo Ferré apparaît aux couleurs de l’anarchie – pull noir et pantalon rouge – crinière romantique, ce public se retrouve uni pour lui faire une ovation.

Aux deux premiers rangs, les plus « enragés » de ses admirateurs de jeunes anarchistes venus faire un triomphe à celui qu’ils considèrent, à tort comme à raison, comme leur prophète.

À voix basse d’ailleurs, ils disent les vers qu’ils connaissent sur le bout du cœur pour y avoir trouvé l’écho de leur propre révolte.

Ils n’ont pas porté de drapeaux noirs comme leurs camarades parisiens à Saint-Denis, la semaine passée, mais ils ont tous des tenues qui sont autant de porte-drapeaux de l’anticonformisme.

Ils applaudissent et crient plus fort que les autres pendant que Ferré, seul en scène avec son pianiste aveugle, domine la salle de son inquiétante présence. Il est doué d’une puissance de destruction presque satanique, et d’une vulnérabilité désarmante.

Sa poésie torride, son visage terriblement mobile, qui se craquelle parfois comme ravagé par des peines anciennes, sa voix qui tremble et semble sourdre des entrailles, ses belles mains d’artiste qui implorent et menacent, créent un envoûtement et une magie.

Tout va se gâter dès qu’un jeune du premier rang monte sur scène. Il a une tête de saint-Jean-Baptiste, un chapeau de Chouan : il s’assied tranquillement et il écoute. Cinq minutes après, on voit surgir des coulisses un gorille blond, qui lui intime l’ordre de descendre et joint le geste à la parole.

Il y a eu des protestations dans la salle, un autre jeune bondit sur scène et redescend aussitôt. Léo Ferré, avec un visage de jugement dernier, crie dans le micro : « Je ne peux chanter que dans la solitude de la scène. Ici ce n’est pas un foutoir. » Et il enchaîne sur des couplets engagés.

Les uns applaudissent, les autres contestent. Le charme est rompu et va prendre l’allure d’un réglement de comptes. L’injure est dans l’air de part et d’autre, et quand Léo Ferré entonne Les Anarchistes, ceux du premier rang crient à la trahison, se lèvent en chœur le poing levé, en poussant un cri de guerre et de ralliement : « Anarchie ! »

Ils brûlent l’idole qu’ils ont adorée avec la même sauvagerie. Leur silence est un silence armé, leur hostilité ira crescendo. Leur erreur est d’avoir cru tout frontière abolie entre l’artiste et eux ; leur ressentiment est sans pitié.

L’erreur de Ferré, c’est d’avoir traité de haut un public qui n’était turbulent que par excès de passion et d’avoir contredit par un geste de répression sa légende d’« anar ».

Il s’arrêtera d’ailleurs de chanter pour lancer le mot de Cambronne et inviter ceux qui l’insultent à venir s’expliquer d’homme à homme sur scène.

Il finit son récital par un poème débridé : « Je suis un chien », tout empli de tumulte et de désespoir, et où il donne rendez-vous dans dix siècles aux nouvelles générations pour vivre dans un monde d’amour.

La salle est divisée une fois de plus. Ferré a séduit ses ennemis et déçu ses amis… Il n’y a pas de rappel. La polémique continue dans la loge de l’artiste.

« Ce n’est pas parce que je suis un anarchiste que je dois coucher avec tous les anarchistes à la petite semaine. Il y a vingt ans que je lutte. Bientôt je ne vais plus pouvoir chanter. Dans deux ans, au train où vont les choses, ils vont me demander de marcher sur l’eau. Il n’y a qu’un point sur lequel je triche, c’est que je suis persuadé que nous allons vers un monde effroyable et que je ne le dis pas, et que je chante quand même l’espoir. Je suis un chanteur, un point c’est tout, et pas une idole. On me demande : pourquoi ne chantez-vous pas dans la rue ? Je réponds : parce que c’est interdit. »

M.-L. Roubaud.

 

Théâtre du Capitole de Toulouse, 13 mai 1970

Sans doute pour estomper le souvenir de cette soirée particulièrement remuante, Léo Ferré était de retour à Toulouse, tout juste cinq mois plus tard, cette fois-ci devant un public non d’invités, mais ayant en majorité acquitté le prix de la place. Pour ce retour, la salle la plus prestigieuse de Toulouse lui ouvrait ses portes : le Capitole, théâtre à l’italienne de mille deux-cents fauteuils et temple du Bel Canto.

Profitant de la circonstance, les échotiers sortirent les superlatifs et parlèrent à son endroit de « poète terrible et virtuose de la scène » ou encore de « semeur de foudre à la présence magnétique ». Les photos communiquées par le service de presse Barclay montraient un Léo Ferré barbu et l’un des laudateurs se demandait si l’artiste ne revenait pas d’une saison en enfer, comme le laisse penser son visage torturé de « Christ des douleurs »…

Je n’ai pu assister à ce récital, tout comme aux deux suivants dont je parle ici. Toutefois, les échos qui me sont parvenus font état d’un Léo Ferré particulièrement las, résigné à laisser ceux qui n’étaient venus que pour le contester prendre le dessus. Le programme, centré sur les nouveaux titres d’Amour Anarchie en fut plutôt gâché.

Si je n’y étais pas, en revanche la journaliste Marie-Louise Roubaud, à son habitude, était tout à fait présente.

 

La Dépêche du Midi du 15 mai 1970.

Pour le récital Léo Ferré, la révolte avait changé de camp.

Pour Léo Ferré, Toulouse est toujours une étape mouvementée. Elle l’aura été cette fois, un peu plus que de coutume.

À neuf heures du soir, une trentaine de jeunes anarchistes – si du moins il faut en croire le drapeau noir qu’ils ont agité en fin de spectacle comme signe de ralliement – a envahi les galeries du théâtre du Capitole réclamant l’entrée libre et occupant « sauvagement » des lieux dont on ne songeait d’ailleurs pas à leur défendre l’accès.

Le procédé n’est pas nouveau. Les « fans » du Living Theatre le pratiquent couramment ; on est du moins assuré une fois qu’ils sont dans leur place de les voir respecter et le spectacle et les spectateurs.

La non-violence n’était malheureusement pas le fait des jeunes gens de l’autre soir, très soucieux de leur propre liberté mais pas de celle de leurs voisins. Employant des méthodes qu’ils récusent chez les autres, ils justifient le propos désabusé de Léo Ferré : « Les anarchistes de ce soir ? Mais ce sont des fascistes ! C’est clair comme de l’eau de Mao. »

Il est clair aussi que ce sont des gens qui se flattent, pour reprendre un mot d’Henry Miller, d’être différents mais qui ne sont que trop semblables à ceux qu’ils savent si bien condamner.

Ils n’auront, l’autre soir, convaincu personne de leur bon droit, sinon eux-mêmes. Il est vrai que pour eux l’autosatisfaction remplace l’autocritique, et que le chahut leur tient lieu de contestation. C’est se donner à bon compte des brevets de courage et de révolutionnaire, que de prêcher à coup d’injures la révolte à un public d’avance converti aux vertus de l’anticonformisme.

La majorité s’en tint donc au silence par la force des choses, du moins pendant le spectacle, et Léo Ferré, homme de fureur, n’a pas cette fois répondu aux provocations imbéciles, grossières et anonymes d’une minorité ayant visiblement mal digéré les doctrines de la Commune et des idéaux de l’anarchie.

Il est tout de même curieux que sur les vingt spectacles organisés à Toulouse, au Capitole et ailleurs, en cours de saison et qui sont tous régis sur les mêmes principes financiers, les anarchistes aient précisément choisi le récital de Léo Ferré pour contester. On comprendrait si une telle remise en question s’adressait à un spectacle de qualité médiocre, à un poète de peu d’envergure.

« Ferré n’est pas représentatif de notre mouvement », rétorquent les « anars ».

Ferré répond : « Je ne représente que moi-même et je n’ai jamais prétendu représenter un groupe. Il faudrait supprimer le « fric » et c’est utopique. Le premier État à placer son argent en Suisse s’appelle le Vatican, le second c’est la Chine gouvernementale.

Plus je vis, plus je suis convaincu de l’inutilité de l’expression artistique. L’art est une excroissance de la solitude. Le poète converse avec des ombres. Je crois que la poésie a fait plus pour l’humanité que toutes les autres sciences. La poésie c’est une séquelle divine. Je disais, tout à l’heure, la ségrégation c’est l’argent, non c’est l’intelligence. Mais les c… aujourd’hui, sont moins c… qu’avant. Il ne faut pas être trop intelligent pour vivre. »

Léo Ferré va publier à la rentrée, un roman : Benoît Misère, où il raconte l’histoire d’un petit garçon qui devra beaucoup, bien sûr, au collégien qu’il fut :

« J’avais le matricule 38. Je ne veux plus connaître le passé. Ce sont des souvenirs qui font froid au cœur. On ressemble assez peu à celui qu’on a été, on ne peut pas ressembler à celui qu’on sera demain… »

M.-L. Roubaud.

 

Palais des Sports de Toulouse, 29 octobre 1971

C’est en épluchant les archives de La Dépêche du Midi que je suis tombé sur ce récital dont je n’avais jamais entendu parler. Deux articles non signés étaient censés donner le ton de ce retour au Palais des Sports de Léo Ferré, accompagné par le groupe Zoo qui devait donner une « dimension apocalyptique » à la soirée. On était prévenu des possibles débordements, la présence seule de Léo Ferré suffisant à « engendrer des cataclysmes d’enthousiasme ou de contestation » car « il fait partie de ces êtres qui ont le redoutable privilège de n’avoir que des amis fanatiques… ou des ennemis tout aussi acharnés. » Également appelé en renfort, Maurice Frot annonçait la couleur : «Insurrectionnel le récital ! »

Le groupe Zoo, dont on nous assurait qu’il avait une réputation internationale, était au complet, avec le chanteur Ian Bellamy, Daniel Carlet aux violon et sax ténor, Michel Ripoche, également au violon mais aussi aux trombone et sax, André Hervé à l’orgue, au vibraphone, et à la guitare rythmique, Michel Hervé à la guitare basse, et Christian Devaux à la batterie.

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Zoo, La Dépêche du Midi, 1971.

Comme on peut le lire sous la plume de Marie-Louise Roubaud, la soirée qui avait attiré la foule des grands soirs commença violemment à l’extérieur où « ceux qui n’avaient pas de quoi payer » revendiquaient la gratuité de l’entrée. Léo Ferré vint à leur secours en exigeant que les portes du Palais des Sports restent ouvertes toute la soirée. Visiblement, cela contribua à éviter un nouveau sabotage du spectacle.

 

La Dépêche du Midi du 1er novembre 1971.

Au Palais des Sports, Léo Ferré : « Un immense provocateur ».

Vingt-et-une heures, vendredi soir, le Palais des Sports est en effervescence, au-dedans comme au dehors.

Dedans, il y a déjà trois mille spectateurs assis, des jeunes en majorité écrasante. Dehors, c’est l’affrontement classique entre représentants de l’ordre et ceux qui veulent entrer sans bourse délier (15 francs, étudiants ; 20 francs, entrée générale).

Entre ces deux mondes bouillonnants d’une égale violence et tendresse, Léo Ferré, lèvres serrées, crinière ébouriffée, arpente la coulisse.

« J’en ai marre. Il y a des gens qui veulent me voir et n’ont pas d’argent. Moi, je veux les laisser rentrer, et on m’empêche. Et puis, ça me retombe sur la gueule… »

Il allume une cigarette, parlemente avec véhémence avec les organisateurs, et puis s’avance seul au dehors au milieu du dernier carré de ses fidèles qui s’est reformé après le départ de la police.

L’affaire est entendue. Les grilles s’ouvrent sans coup férir, et elles le resteront jusqu’à la fin du récital.

Les Zoo ont sur la scène précédé la vedette qui arrive un quart d’heure après, chemise noire et pantalon de couleur violet, suivi de son fidèle pianiste aveugle, Paul Castanier, habillé de noir comme à l’accoutumée, mais cette fois avec des cheveux aussi longs que ceux de Léo Ferré.

Dans la salle, l’élan est unanime pour saluer les deux hommes dont les rapports ne sont pas de toute évidence des rapports de convention…

« Je cherchais un bon pianiste qui soit de surcroît un homme intelligent avec qui je puisse parler… J’ai rencontré Paul Castanier, nous ne nous sommes plus quittés. »

Le troisième homme est dans les coulisses. C’est Maurice Frot, lui aussi connaît Ferré depuis quinze ans et lui est resté fidèle. Romancier (il a écrit en 1965 Le Roi des rats ; en 1969 Nibergue, qui a obtenu le prix du roman populiste ; il prépare un autre ouvrage : L’étouffe-chrétien ; il a, par amitié, pris la relève de Madeleine Ferré ! Il assure des fonctions qui vont de celles du régisseur à celles de scénariste.

Il vient d’écrire le scénario du film que Léo Ferré va tourner comme acteur avec Philippe Fourastié (le réalisateur de La Bande à Bonnot) et qui s’appellera Mon frère le chien, ma sœur la mort, sorte de transposition moderne  de Saint-François d’Assise qui ne regarde plus voler les oiseaux… mais les « Boeing ». Le pianiste aveugle jouera son propre rôle.

En attendant c’est la tournée dans le sud de la France : Aix, Montpellier, Toulouse, Perpignan, avant la reprise des concerts à la Mutualité, à Paris, à 12 francs (du 22 au 25 novembre, du 12 au 16 décembre, avec les Zoo que Ferré semble avoir définitivement adoptés ainsi d’ailleurs que son pianiste et Maurice Frot, qui n’hésite pas à reconnaître combien le nouveau spectacle doit à « ces jeunes gens qui sont très bien et qui ont secoué nos vieilles habitudes ».

Le fait est que dans le nouveau spectacle qu’il rode en province, Léo Ferré sort grandi de sa confrontation avec la pop music et les jeunes générations.

Léo Ferré artiste cède aujourd’hui le pas à Léo Ferré tribun… Commencé sur L’Âge d’or, le récital s’achève sur un poème en prose de : « Je suis un chien » qui plonge l’assistance dans un état second… Chemin faisant, Léo Ferré s’est mis en colère, dominant le Palais des Sports plein de haut en bas de sa hargne et de sa grogne, de vétéran de la contestation… Il a chanté l’anarchie, l’amour fou, la solitude ; il a tourné en dérision les gouvernements et les étiquettes politiques, les bonnes manières et lui-même, est passé de la fraternité pathétique à un narcissisme impudique.

« Je suis un immense provocateur ». Il frôle et le sublime et l’odieux. Bref, il est lui-même, véritable archange satanique, défiant les règles. À cinquante ans passés, Léo Ferré retrouve le second souffle.

Il y a six ans, son nom déplaçait à Toulouse, tout juste un millier de personnes. Aujourd’hui chacun de ses récitals fait figure d’événement.

M.-L. Roubaud.

 

Palais des Sports de Toulouse, 9 février 1973

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Léo Ferré + Charlebois, tournée 1973.

La presse locale annonçait à la même affiche, « deux monuments de la chanson, deux générations mais la même violence pour crier à la face du monde que seule la folie est raisonnable ». Il s’agissait d’une part de Léo Ferré, « vieux loup redevenu solitaire depuis plusieurs années et qui ne désarme plus », d’autre part de Robert Charlebois qui poursuit, lui aussi, une carrière explosive et « qui progresse en sabots dans la rocaille et les escarpements du folklore québécois. »

Pour ma part, je n’ai pas assisté à ce récital dont j’ai appris les écueils par la presse. Quelques années plus tard les hasards de la vie m’ont conduit à me lier d’amitié avec un des principaux protagonistes des incidents qui ont émaillé la première partie de cette soirée. Alors étudiant, Antoine était proche des groupes maoïstes surnommés les « mao spontex » par leurs voisins trotskistes. C’est donc sa version des faits qui a partiellement inspiré les lignes qui suivent. Cette version est parfois en contradiction avec celle donnée par Maurice Frot dans son livre de souvenirs Je n’suis pas Léo Ferré (Éd. Fil d’Ariane, 2002).

Le moins que l’on puisse dire c’est que la soirée allait être des plus chaotiques, commençant de façon presque banale par des échauffourées entre ceux qui exigeaient la gratuité du spectacle et la police. Ce qui est certain, c’est que beaucoup de militants d’extrême-gauche se trouvaient dans la salle quand Robert Charlebois débuta son tour de chant, et qu’au moins un détail fut perçu par certains comme une provocation : la présence en fond de scène du drapeau québécois largement déployé. Devant un public plutôt sensible aux thèses internationalistes, cet emblème fleurdelisé faisait un peu désordre. L’indifférence de Robert Charlebois aux rudiments de la sociologie française n’a pas non plus simplifié les choses. Les calembours ne marchent pas forcément partout de la même façon et sans doute a-t-il sous-estimé la politisation du public toulousain lorsqu’il a balancé en plaisantant qu’il était « marxiste tendance Groucho ». C’est cette boutade qui faisait simplement partie de son jeu de scène, qui a été le point de départ du « foutoir » qui s’est installé sur la scène du Palais des Sports. Esprit frondeur et rigolard, Antoine, dont la stature est réellement très éloignée de celle d’un lutteur de foire, aurait à ce moment-là bondi sur scène dans le but de s’emparer du micro pour reprendre le leitmotiv bien connu de « laissez entrer nos camarades ». La bourrade qu’il aurait donnée à Robert Charlebois qui tentait d’entraver cette dépossession du micro fit rouler celui-ci à terre, avant que la scène ne soit effectivement livrée à une grande pagaille, ainsi que le décrit Marie-Louise Roubaud dans deux chroniques reproduites ci-dessous. Là aussi cette relation s’écarte de celle de Maurice Frot, concernant l’attitude de Léo Ferré en coulisses qui en réalité aurait été plus lucide et décisif que ce qu’en a dit son ancien factotum. Quant à la quinzaine de titres que le poète chanta au cours de la seconde partie, les voici en respectant l’ordre de leur interprétation : Préface – Les Poètes – Ton style – À toi – Le Crachat – Vitrines – L’Oppression – Les Amants tristes - Avec le temps – Night and day - Comme à Ostende – Ne chantez pas la mort - La Solitude – Ni Dieu ni maître – Il n’y a plus rien

 

La Dépêche du Midi du 11 février 1973.

Le Québécois Robert Charlebois a mordu la poussière du Palais des Sports où Léo Ferré a triomphé.

Soirée mouvementée vendredi au Palais des Sports de Toulouse, gorgé de monde et qui a débuté dès les portes ouvertes par l’affrontement classique des forces de l’ordre et des spectateurs désargentés exigeant le droit d’entrée et le prenant.

Pas de blessés, mais des vitres cassées et quelques sévères empoignades qui ont donné le ton de la violence et échauffé les esprits.

Tout semble se calmer lorsque Robert Charlebois et ses musiciens entament leur récital. C’est la première fois qu’on les entend et qu’on les voit, donc qu’on les juge. Leur réputation n’est plus à faire auprès des amateurs de « pop music ». Avec sa chevelure rousse et bouclée de jeune Papou, avec son accent québécois où le français prend une saveur terrienne, avec un folklore puissant et un peu fou qu’il a réinventé à sa propre mesure, et qui tient du rock et de la danse indienne, Robert Charlebois est une hyper-vedette en puissance. Hélas ! il a bien failli laisser son scalp à Toulouse au terme d’un véritable pugilat qui lui a fait mordre la poussière et s’affronter avec les spectateurs. Tout a commencé quand un militant est monté sur scène pour demander le micro, la parole et le droit d’entrée pour ses camarades d’infortune. Des cris de sympathie émanent des gradins pris du frisson des combats politiques, Robert Charlebois arbitre malgré lui du conflit est déconcerté, et puis se fâche rouge lorsque son partenaire impromptu lui jette le micro aux pieds. Le Québécois lève le poing et dans l’instant les spectateurs du premier rang montent en force sur scène, la salle hurle son mécontentement tandis que Charlebois est à terre.

Tout n’est que cris, tumulte et confusion.

L’incident est passé du registre cocasse au registre dramatique.

Charlebois reprend ses esprits et tente de renouer le récital. Mais le charme est rompu, le cœur n’y est plus de part et d’autre. Désormais le récital va prendre l’allure d’un réglement de comptes entre le spectateur anonyme revenu sur scène et les musiciens excédés qui vont quitter la scène en pliant bagages.

L’entracte ne coupe pas court à la contestation. Le micro est à qui veut le prendre. Tout semble aller à la dérive. Léo Ferré est dans les coulisses et attend son tour avec son visage de jugement dernier. Il avance sur scène où l’attend Popaul, son pianiste aveugle avec l’énergie rentrée des vieux capitaines au long cours. Il ne changera pas un iota à son tour de chant : quinze longues chansons dont cinq nouvelles au verbe délirant, au style pamphlétaire et qui placent le vieux lion Ferré au-dessus de la mêlée. La partie est gagnée. La jeunesse médusée écoute ce prophète terrible à cheveux blancs qui réduit en charpie toutes les institutions « Le désordre c’est l’ordre moins le pouvoir » et qui est de la même race qu’elle, avec l’étincelle du génie en plus.

M.-L. Roubaud.

 

La Dépêche du Midi du 12 février 1973.

À Robert Charlebois les risques du métier, à Léo Ferré les lauriers.

La soirée de vendredi, au Palais des Sports, aura bien sûr dépassé le cadre de l’événement artistique. Les incidents qui ont marqué la première partie où Robert Charlebois officiait, n’ont fait que confirmer l’emprise de Ferré sur un public déchaîné, qui a rendu les armes au talent et à plus contestataire que lui. Le prestige de Ferré avait pourtant été mis à mal il y a trois ans, pour les mêmes raisons qui ont motivé, l’autre soir, l’insuccès personnel de Robert Charlebois. Les rapports qui régissent le dialogue entre le public et les vedettes sont, à Toulouse plus qu’ailleurs, d’ordre passionnel. Le succès n’y est jamais garanti d’avance et pas un faux pas n’est pardonné. Dure leçon pour Charlebois, flamboyant Québécois et jeune idole à la tête fière descendu, pour un soir seulement, de son Olympe.

Pour Ferré, une ferveur accrue et qui est à la mesure de sa propre maturité. Depuis qu’il a déserté sa propriété de Saint-Clair, Ferré, rendu à ses démons, continue de se battre envers et contre tous, revêtu d’une invisible tunique de Némésis qui lui brûle la peau. « Ce qu’il y a de plus profond en nous c’est la peau… »

Ses textes sentent toujours la rue et son langage cru, mais ce n’est plus la même rue, ni tout à fait les mêmes générations qu’on y croise. Aussi ses derniers poèmes en prose sont-ils des tracts fleuve dont la violence frappe comme un boomerang. Et ce n’est pas par esprit d’opportunisme, mais bien parce que Ferré hume le vent de l’Histoire, qu’il vit son temps avec tous ses pores. Poète insurgé, il n’en faut pas douter, bête de scène aussi, Ferré avec son refus nouveau de fioritures et d’artifices un peu déclamatoires, Ferré le nihiliste, poing fermé ou poing levé continue de s’abreuver aux sources de la colère.

M.-L. Roubaud.

 

Halle aux Grains de Toulouse, 29 mai 1979

Lorsque Léo Ferré revient plus de six ans plus tard à Toulouse, l’appellation « Palais des Sports » s’est effacée depuis quelques mois seulement au profit de celle de « Halle aux Grains », mais il s’agit bien du même lieu, complètement restauré et réaménagé ainsi que mentionné plus haut. Au cours de ces six années, Léo Ferré a lui aussi changé. Désormais il est seul sur scène, avec son piano et ses bandes magnétiques, parfois un grand orchestre, mais ce n’est pas le cas ce soir-là. Sa notoriété de poète, de musicien, d’artiste lyrique, s’est considérablement accrue et dépasse les frontières de la francophonie, si bien que dans ces circonstances, la Halle aux Grains affichant « complet », on s’attend à une grande prestation. Pourtant, selon Robert Belleret dans Une vie d’artiste, dès la veille du  récital Léo Ferré avait confié à son entourage qu’il redoutait « qu’il y ait de la merde à Toulouse », et effectivement, cette soirée-là releva une nouvelle fois  de la rubrique des faits divers :

La Dépêche du Midi du 30 mai 1979.

Toulouse : bagarres pour le récital Léo Ferré. Plusieurs blessés place Dupuy.

Léo Ferré était, hier soir, à Toulouse. Ses fans voulaient le voir, et ce à tout prix, la Halle aux Grains n’est pas extensible et ceux qui voulaient payer, les resquilleurs aussi, étaient nombreux.

Les choses se sont finalement envenimées lorsque des énergumènes essayèrent de forcer les portes.

Les responsables du spectacle durent alerter Police secours, qui tenta de dégager les abords de la salle. Les manifestants lancèrent alors des pierres et des bouteilles sur les forces de l’ordre qui eurent plusieurs blessés. La police dut alors charger et les manifestants qui s’étaient réapprovisionnés en munitions sur des chantiers en construction voisins, revinrent en force.

La bagarre s’est soldée par de nouveaux blessés. Un des « fans » de la chanson a même dû être hospitalisé.

Il faut souligner que les spectacles de rock avaient déjà été l’objet de semblables « émeutes » et que de ce fait les organisateurs ont décidé de les supprimer dans la Ville « rose » !

[non signé].

Désormais on ne parlait plus d’anarchistes ou de militants d’extrême-gauche, mais plus prosaïquement de resquilleurs, qui ne réservaient plus leurs exigences aux seuls spectacles de Léo Ferré mais aussi aux festivals de rock…

Concernant cette soirée, on sait qu’un commerçant victime des casseurs a adressé directement à Léo Ferré la facture des réparations. Dans l’ironique fin de non-recevoir qu’il lui opposa, l’artiste qualifia les auteurs des dégâts de « jeunes prématurément vieillis »…

Pour ce qui est de ce qui s’est passé à l’intérieur de la Halle aux Grains ce soir-là, le compte-rendu qu’en donne La Dépêche du Midiest particulièrement fidèle. Il faut dire que la grande confusion qui régnait a bien failli tourner à un mouvement de foule en proie à la panique. D’une part, on entendait dans un vacarme assourdissant comme des coups de boutoirs donnés contre les portes mêlés aux sirènes des voitures de police, sans vraiment savoir de quoi il s’agissait. D’autre part certains en avaient après Léo Ferré tandis que d’autres enfin tout aussi véhéments l’assuraient de leur solidarité en lui conseillant d’abandonner la partie, le public ne méritant pas qu’il poursuive son récital. Au bas de la scène, des spectateurs gesticulaient provoquant la colère de l’artiste qui à ce moment-là ne comprenait pas ce qui se passait et croyait que ce tumulte était dirigé contre lui. Quand enfin il s’arrêta pour demander que l’on ouvre les portes, de très longs moments de confusion s’écoulèrent, où la gorge protégée par une serviette, Léo Ferré arpentait la scène, ne laissant aucune prise à l’hostilité persistante d’une partie du public ni à l’insistance de ses proches en coulisse pour qu’il arrêtât là le concert. Sourd à tous ces discours, avec beaucoup d’abnégation, il mena son récital jusqu’au terme qu’il s’était assigné, interprétant dans les pires conditions  et « dans l’ordre qui lui a plu », les vingt-trois chansons suivantes : La Mémoire et la mer – Vingt ans – C’est extra – La Solitude / L’Invitation au voyage – Avec le temps – Préface – Muss es sein es muss sein – Les Musiciens – La Vie d’artiste – La Frime – Les Étrangers – Comme à Ostende – Tu penses à quoi – Ton style – La Jalousie – Je te donne – Chanson d’automne – C’est fantastique – La Nostalgie – Ma vie est un slalom – Des mots - Ni Dieu ni maître - Thank you Satan

 

La Dépêche du Midi du 30 mai 1979.

Ferré place Dupuy : rude soirée pour le « roi » Léo.

Chemise de soie noire (il y a dix ans, c’était un pull-over) col ouvert, pantalon noir, chaussettes rouges, cheveux en halo blanc et mousseux, Léo Ferré entre en scène devant une salle impatiente. Il est 21 heures 15. Il envoie, du bout des doigts, un baiser au public, et s’assied au piano noir.

Dans le recueillement s’élève cette voix depuis longtemps célèbre, murmurante et rauque de sentiments retenus ; la tendresse. « La marée je l’ai dans le cœur ».

Et la houle, aussitôt après, dans les gradins où l’on manifeste, dès la deuxième chanson. Ferré chante, debout au micro, sur une bande musicale enregistrée.

« À quand le tourne-disques, Ferré ? » « Place aux jeunes ! » Sifflets. Contre protestations. Silence revenu, tandis que sans ciller, « le vieux Léo » qui ne s’est pas interrompu, chante La Nostalgie. « Ils n’ont de noir qu’un faux drapeau de 68… » Début de réponse aux perturbateurs, qui ne s’en contenteront pas, faisant entendre leur mécontentement à chaque fois que Léo Ferré utilisera ainsi le magnétophone.

Quatre fois, avec La Vie d’artiste, L’Allitérature (sic), Avec le temps et Thank you Satan, il reviendra au piano. Quatre fois, sur plus de vingt chansons au total. Alors, les manifestations se faisant de plus en plus pressantes, il fallut bien expliquer, même si très violemment : « J’ai chanté à Paris avec quatre-vingts musiciens et soixante choristes. Alors, quand je ne peux pas les avoir, je chante tout seul ! Tu comprends ? Merde ! »

Climat qui n’était pas favorable à la délectation de textes aussi purement beaux que « l’oreille de Beethoven en train d’imaginer pour la neuvième fois des symphonies muettes », « mon ombre a son soleil qui lui lèche sa trace », « si tu le veux, ta parallèle s’entrianglera avec la mienne » ou « les ailes de l’archange au milieu des pavés », aussi simplement forts que « ces bois que l’on dit de justice et qui poussent dans les supplices », « pour la prise de la Bastille même si ça ne sert à rien » « dans ce monde où les muselières ne sont plus faites pour les chiens. »

Et des chiens, justement, muselés, et d’aucuns diront démuselés, il y en avait pendant ce temps, aux portes de la Halle aux Grains. Dans notre rubrique « faits divers », nous relatons ce qui s’est passé à l’extérieur de la salle. Dedans, la rumeur des affrontements parvint vite. On crie, pour avertir Léo Ferré de ce qui arrive. Il ne comprend pas. On l’insulte. Il continue de chanter La Musique.

À la fin de cette chanson, une vingtaine de jeunes gens s’approchent de la scène, et, troublé, Ferré les écoute. « Tu ne comprends pas ? Il y a les flics, dehors ! » « Pourquoi les flics ? » « Parce qu’il y avait des types qui voulaient entrer sans payer ! » « Les cons, il n’y a qu’à ouvrir les portes ! » On s’est un peu bousculé, on s’apaise. « Dis-le très fort, Ferré, qu’il faut ouvrir ! » Il le dit.

Le calme revient lentement. Les jugements sur l’incident sont divers. D’aucuns laissent entendre que l’on profite qu’il s’agit d’un chanteur de « gauche » pour s’en prendre à lui. Lui, répète « je ne pouvais pas le savoir, qu’il y avait les flics dehors, comme ça, que les flics partent ! »

Il chantera et dira encore « les violons de l’automne », Marie, Ni Dieu ni maître, qui le fait acclamer, la salle enfin gagnée, et, parce qu’on lui demande un « bis », Thank you Satan.

Mardi à Toulouse, une rude soirée pour le roi Léo.

[non signé].

Quelques années plus tard, lors d’une entrevue avec le poète, nous avons évoqué ce récital de la Halle aux Grains de mai 1979. C’est alors qu’il eut ce commentaire sans appel : « Ce soir-là, c’était vraiment la Halle aux cons ! »

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 Léo Ferré par Carlos Pradal, La Dépêche du Midi, 1971.

lundi, 24 septembre 2007

Sur la scène toulousaine, par Jacques Miquel 1/3

Je remercie une fois encore Jacques Miquel qui a fait pour nous le long panorama des spectacles donnés par Léo Ferré à Toulouse, depuis 1965. Sa note est si fournie qu’elle paraîtra en trois fois, tout au long de cette semaine : aujourdhui lundi, puis mercredi et enfin vendredi. Bon voyage archivistique et musical en Occitanie.

 

 « On s’aimera »

Il a fallu attendre 1965 pour voir enfin Léo Ferré se produire sur une scène toulousaine, et encore c’est en empruntant des chemins vicinaux qu’il vint à la rencontre de ce public, puisque son premier spectacle eut lieu à Noé, commune rurale située à une trentaine de kilomètres au sud de Toulouse. Là, du 2 au 5 juillet se déroulaient les fêtes annuelles de la Belle Gaillarde, c'est-à-dire une vaste fête foraine avec quotidiennement des spectacles de variétés, des jeux, des concours et des animations, bal tous les soirs et grand feu d’artifice de clôture. En outre, le dimanche après-midi se déroulaient l’élection de la Belle Gaillarde, robuste miss labours, puis le tour de chant d’une grande vedette (Enrico Macias en 1964, Léo Ferré en 1965, Johnny Hallyday en 1966, etc.) En réalité, il s’agissait des manifestations festives les plus importantes de toute la région toulousaine, et peut-être que la tenue de ces grandes fêtes dans un si petit village n’était pas étrangère à l’influence de Jean-Baptiste Doumeng, « le milliardaire rouge » dont Noé constituait le fief électoral.

En tout cas, ce dimanche 4 juillet 1965 après-midi, en plein air et sous un soleil radieux, Léo Ferré présenta son récital devant un public fourni prenant ses aises dans l’herbe d’un champ commun. La majorité de ces spectateurs découvrait cet artiste vêtu d’un singulier costume de scène de velours noir et accompagné d’un pianiste aveugle. Si j’en crois les bribes de souvenirs de cette journée que m’a confiées il y a peu une de mes proches qui assista à cet événement artistique, ce fut vraiment un concert exceptionnel dans lequel autant les textes que la musique soutenus par une voix maîtrisée et une présence scénique hors du commun soulevèrent l’enthousiasme de la foule…

 

Palais des Sports de Toulouse, 27 novembre 1965

Quant à la première apparition de Léo Ferré à proprement parler sur une scène toulousaine, elle allait avoir lieu au Palais des Sports, vaste salle au confort spartiate sur laquelle il convient de dire quelques mots.

Érigée au XIXe siècle pour abriter le négoce du blé, cette halle a surtout servi de marché couvert jusqu’à la Seconde guerre mondiale, quand elle resta un temps désaffectée. En 1952, des gradins en béton furent construits et avec une capacité dépassant largement les trois mille places assises, le lieu fut rebaptisé Palais des Sports et voué aux combats de boxe et de catch mais aussi aux spectacles de cirque, matinées enfantines, festivals de rock, galas de variétés, etc. À la fin des années 70, la salle fut  dévolue à l’Orchestre national du Capitole en raison de son acoustique exceptionnelle et en retrouvant son appellation première de Halle aux Grains, bénéficia de modernisations visant à améliorer le confort et à favoriser la représentation de grands spectacles lyriques comme les opéras wagnériens. Devenue un des hauts lieux de la musique toulousaine tous genres confondus, la Halle peut accueillir aujourd’hui jusqu’à deux mille trois-cents spectateurs.

Le gala de Léo Ferré était annoncé d’une part par un encart publicitaire dans Le Monde libertaire de novembre 1965 et d’autre part par deux articles non signés dans les colonnes du journal La Dépêche du Midi et complétés de plusieurs encadrés en page des spectacles. Rappelant qu’il s’agissait là de son premier récital à Toulouse, l’auteur d’un des articles rapportait ce propos récent du poète : « J’espère faire un grand gala, et je compte beaucoup sur le public toulousain que je sais très difficile. » Par ailleurs, le quotidien ne disait pas un mot sur l’organisateur de la soirée, en l’occurrence le Groupe libertaire de Toulouse. C’est sans doute lui qui avait assuré l’affichage publicitaire dont on peut déplorer la discrétion, ce qui explique en partie l’affluence limitée pour cette première toulousaine. Y avait-t-il seulement mille spectateurs ? En tout cas, les gradins et travées semblaient très clairsemés alors que, comme en attestent aussi bien le compte-rendu de La Dépêche que celui du Monde libertaire, la soirée fut de très grande qualité. En première partie, Rosalie Dubois se tailla notamment un très beau succès.

À l’entracte, tandis que la salle prenait des allures de meeting politique, on pouvait apercevoir du côté des coulisses Madeleine Ferré faisant savoir que « l’artiste ne recevait pas », l’artiste qui enfin parut sur scène  et dont le premier soin fut de demander aux spectateurs du balcon et des galeries de rejoindre ceux de l’orchestre afin que cela fasse moins vide ! Ce récital dont les articles ci-après mentionnent, parfois de façon approximative, les titres des chansons interprétées, fut pour moi celui de la découverte.

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Le Monde libertaire, novembre 1965.

 

La Dépêche du Midi du 30 novembre 1965.

Pour son unique récital, Léo Ferré toujours égal à lui-même a connu un grand succès.

Il est depuis longtemps inutile de présenter Léo Ferré au public, grand ou petit, chacun l’ayant plus ou moins entendu sur les ondes, plus ou moins applaudi, plus ou moins critiqué, plus ou moins admiré.

On prétend que c’est un intellectuel, un littéraire, un compliqué, un « brave type », etc. Ce qui est certain, c’est qu’il n’est pas yéyé, ce terme n’étant pas a priori péjoratif, et qu’il est un des plus populaires chanteurs actuels, avec « l’ours » Brassens.

Il est franc dans ses chansons comme dans sa vie, et si entre deux sanglots soudain jaillit la pointe d’une ironie amère, c’est probablement cette ironie qui lui ôte les suffrages des « chastes oreilles » et des « bien pensants ».

Samedi soir, au grand gala Léo Ferré, nous avons retrouvé et avec quelle joie, l’un des plus authentiques troubadours de notre époque, et peut-être l’un des moins compris.

En première partie, une équipe de jeunes « chauffa » la salle. Les idoles des jeunes préparaient le terrain pour l’idole des… moins jeunes.

(…) Enfin, venait Léo Ferré, après un interminable entracte qui n’en finissait plus. Salué dès son entrée par un tonnerre d’applaudissements, il devait pendant plus d’une heure, tenir la salle en haleine, en interprétant, accompagné par son pianiste aveugle, Paul Castanier, une bonne vingtaine de chansons.

Ce nouveau récital, puisque nouveau récital il y avait, comportait entre autres, les titres suivants qui seront bientôt célèbres : Espana la vida, La Mélancolie, Bagnard, Le Temps du plastique, La Chanson des amants, Ni Dieu ni maître, etc.

Les titres changent, les chansons se renouvellent, les airs se modifient, mais le « grand Ferré » demeure. Il est toujours là, tendu, révolté, cynique, mélancolique, langoureux. Sous l’éclairage des « sunlights », sa silhouette épaisse et désinvolte projette sur la salle l’ombre d’un « brave type » génial. Il chante la vie et les passions humaines, balayant l’assistance d’un œil humide et doux.

Il fut rappelé plusieurs fois, et finalement, dans une apothéose, il embrassa son pianiste et partit en le tenant par le bras.

Quand on leur demanda leur avis sur ce récital, beaucoup le trouvent bon. Beaucoup plus encore le trouvent excellent. Pour moi, ces critères sont vagues. Si on me demandait mon avis, je répondrai simplement : « C’était du Léo Ferré ». Ce qui se passe de commentaires.

[non signé].

Le Monde libertaire, janvier 1966.

Gala Léo Ferré à Toulouse [27 novembre 1965].

 

L’immense salle du Palais des Sports nous a appartenu… pour un soir. Pour un soir, le Groupe libertaire de Toulouse a pu donner la pleine mesure de ses moyens. Et quels moyens ? Des copains au contrôle, à la caisse, à la criée du M. L., à la régie… Pour un soir, le Palais des Sports a été l’antre de l’Anarchie.

 

C’était bien la première fois qu’un groupe libertaire en dehors de Paris organisait un grand gala. Avec l’aide notre amie Suzy, nous avons pu avoir le brave Léo, Léo Ferré et la bonne chanson…

 

(…) À l’entracte, les livres et les disques furent enlevés par un public avide de savoir, de connaître notre pensée, nos théoriciens. La récolte se fera, amis !

 

Franco la muerte, Graine d’ananar, voici Léo Ferré, voici notre vedette tant attendue. Madeleine, dans les coulisses, règle les éclairages rouges, blancs, jaunes, qui, tout à tour, viendront nuancer, souligner de leurs effets savamment calculés, la poésie chantée du Ravachol de la chanson. Un applaudimètre aurait explosé ! Quelle chance que tu as eue Léo pour ton premier gala à Toulouse ! et quelle chance nous avons eue nous aussi ! Faut-il dire tout ce que tu as remué dans les esprits et dans les cœurs de ces jeunes gens venus t’écouter ?

 

Qu’ici soient remerciés tous nos amis connus et inconnus, qui ont participé à la réussite de cette manifestation libertaire, que les artistes le soient encore, ainsi que Suzy à qui nous devons ce beau plateau. N’oublions pas de signaler qu’après l’entracte, une allocution fut lue au public par notre camarade J.-C. Bruno, afin de bien marquer notre position face aux événements sociaux actuels. Elle fut vivement applaudie… et ce n’est pas pour avoir rempli la salle de copains espagnols car ils se sont sagement abstenus ce soir-là.

 

Des copains de Tarbes, Bordeaux, Agen et d’ailleurs étaient venus nous encourager et nous donner un bon coup de pouce. Merci à tous.

 

Le Groupe libertaire de Toulouse.

 

 

Palais des Sports de Toulouse, 20 mars 1968

 

J’ai longtemps pensé qu’il m’avait été donné de voir un spectacle de Léo Ferré au Palais des Sports de Toulouse en 1966 ou 1967, mais si j’en crois les archives de La Dépêche du Midi, il n’en a rien été. Peut-être s’agit-il là d’un « concert de rêve » ?  En tout cas, c’est réellement à un nouveau récital que j’ai assisté au même Palais des Sports le 20 mars 1968. La soirée était organisée par l’ENSEEIHT, grande école d’ingénieurs de Toulouse et qui produisait alors annuellement le festival N’7, composé d’une série de manifestations culturelles. L’invitation faite à Léo Ferré témoigne au passage de l’intérêt qu’il suscitait dans les milieux estudiantins dès avant mai 1968.

 

Dans la semaine précédant le spectacle, trois articles de La Dépêche du Midi le chroniquaient en évoquant entre autres la vie idyllique de l’artiste à Saint-Clair auprès de son épouse et entouré d’une horde d’animaux familiers. Histoire de mettre le public en condition, un des articles avançait que « l’on ne va pas à Léo Ferré l’âme sereine [car] il y a chez lui de l’objecteur de conscience ». Le propos était renforcé par quelques citations parmi lesquelles cet aveu assez réaliste : « J’aime l’époque où je vis même si je la critique. C’est l’ère des tyrans au berlingot. »

 

Depuis sa dernière apparition toulousaine, l’audience s’était nettement élargie et cette fois-ci c’étaient plus des deux-tiers des places du Palais des Sports qui avaient été réservées. Le répertoire de Léo Ferré de ce soir-là, qui était accompagné au piano par Paul Castanier, correspondait à celui présenté à Bobino à l’automne 1967 et, comme là, ce qui surprit sans apparemment heurter qui que ce soit, c’était le recours aux bandes magnétiques orchestrées pour quelques titres : Cette chanson, Spleen, La Marseillaise et la chute à l’accordéon pour À une chanteuse morte (cf. Ce qu’on disait du récital donné à Bobino en 1967 et commentaires.) La sincérité des interprétations du poète semblait atteindre la plus grande profondeur et le succès fut considérable, comme en témoigne l’article de Marie-Louise Roubaud paru le surlendemain dans La Dépêche. En fait, à ce moment-là, ce qu’ignorait la journaliste comme le public toulousain, c’est qu’en ce 20 mars 1968, la vie conjugale du couple mythique formé par Léo et Madeleine était en train de basculer vers la rupture définitive, provoquant la dispersion dramatique de la ménagerie de Perdrigal.

 

 

La Dépêche du Midi du 22 mars 1968.

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Léo Ferré par Carlos Pradal, La Dépêche du Midi, 1968.

 

 

Point de vue – Festival N’7 : Ferré le grand.

 

Il ne ressemble à personne et personne ne lui ressemble.

 

Une crinière rousse, un visage de statue de commandeur, des yeux de chat, les gestes pathétiques du mime, une voix qui tonne comme l’orgue ou qui tremble comme l’archet du violon, c’est Léo Ferré, poète terrible et vieux routier du music hall, sorti pour un soir de sa retraite de Saint-Clair pour chanter sous les projecteurs du Palais des Sports.

 

Avec l’humour en dents de scie qui provoque quelques grincements de dents, avec les mots de la rue auxquels il donne une nouvelle noblesse, Léo Ferré décrit d’après nature une époque qui est la nôtre et sur laquelle il promène un regard sans complaisance. Ce n’est pas sa faute si cette peinture-là tient de la caricature et de la parodie. Qui aime bien châtie bien. Aussi Léo Ferré manie-t-il l’invective avec hardiesse, sans merci.

 

Il ne mâche pas ses mots. Sa pensée est sans détours et c’est dans l’univers du spectacle où règne une conspiration du silence, la seule voix qui ose réellement dire non. Sa chanson sur Piaf « Bayreuth de trottoir », lui a valu quelques ennuis avec son éditeur. La censure, une fois de plus, nous prive d’un chef-d’œuvre.

 

Cet homme qui hurle « Thank you Satan » avec une tête de Christ aux douleurs, croit-il en Dieu ou au diable ?

 

Ce n’est pas par hasard, on s’en doute, qu’il a mis en musique Aragon, Baudelaire, Verlaine, Apollinaire.

 

Pour lui aussi « l’art est un vampire » et ne le dirait-on pas né sous le signe fatidique de Saturne, cette « fauve planète » commune aux poètes qu’on appelle maudits ? Cette complicité qui unit d’instinct, au-delà du temps, les poètes de même race explique sans doute les réussites de ces mises en chansons. Si Victor Hugo avait connu Léo Ferré, peut-être n’aurait-il pas défendu qu’on dépose de la musique le long de ses vers.

 

Qui a, une fois vu et entendu Léo Ferré chanter Le Spleen de Baudelaire avec son visage de revenant et ses belles mains désespérées qui semblent porter le poids de la terre entière, se sent pris à son tour d’un vertige.

 

Au prix de quelles angoisses Léo Ferré a-t-il payé ce don de sincérité ? Ses propres chansons nous le disent assez bien où il exhale ses plaisirs et ses haines, ses amours aussi. Car cet anarchiste-né, ce fauve solitaire a des accents bouleversants de passion et de tendresse, dont on sait qu’ils s’adressent à une seule femme : Madeleine Ferré, la Muse qui ne le quitte jamais, qui est là, dans les couloirs, à veiller aux nombreux détails de son récital.

 

Peu d’interprètes et de compositeurs prennent aujourd’hui le risque de chanter seuls pendant près de deux heures comme Léo Ferré l’a fait, l’autre soir, pour un public de deux mille étudiants qui l’ont rappelé par trois fois. Quels artistes d’ailleurs supporteraient la confrontation sur une scène avec ce diable d’homme ? À cinquante ans passés, Léo Ferré, l’irréductible, reste dans le camp des jeunes qui reconnaissent en lui le romantisme de leur propre révolte.

 

Mais dans la France de Mireille Mathieu, ces pamphlets vengeurs qui sentent le soufre et où Léo Ferré se révèle un prodigieux jongleur de mots, n’ont pas, on s’en doute, la faveur de tous les publics.

 

Qu’importe à Léo Ferré qui n’est jamais rentré dans le rang. Les modes passeront ; Léo Ferré, lui, restera…

M.-L. R.

 

Cinéma Le Trianon de Toulouse, 5 décembre 1968

 

La page des spectacles de La Dépêche du Midi annonçait pour ce 5 décembre au Palais des Sports « Le géant Ferré, champion du monde toutes catégories », mais il s’agissait là d’un combat de catch ! Quant au poète, c’est de façon plus discrète que, moins de neuf mois après sa dernière prestation toulousaine, il était de retour dans la ville rose, investissant cette fois-ci la scène du cinéma Le Trianon, qui pour une soirée retrouvait sa vocation première de théâtre.

 

Les journalistes signant les articles présentant le spectacle de Léo Ferré se contentaient soit de reproduire des passages entiers de la monographie de Gilbert Sigaux, soit de résumer le dossier de presse concocté par la maison Barclay et dont certaines allusions à Madeleine Ferré dataient cruellement. Aussi, rien ne transparaissait sur les avatars de la vie privée de l’artiste et la plupart des spectateurs qui occupaient les mille trois-cent cinquante fauteuils du Trianon ignoraient tout de cela. Mais le nouveau répertoire, qui préfigurait celui présenté à Bobino à partir du 15 janvier suivant, ressemblait bien à une somme de confidences douloureuses, particulièrement les inédits comme Pépée, Le Testament, ou À toi qui donnaient sa tonalité mélancolique au tour de chant, tonalité renforcée par la nostalgie de pièces anciennes telles L’Étang chimérique et plus encore L’Amour (1956) magnifiquement accompagnées au piano par Paul Castanier. Cette impression était confirmée dès l’entracte pour ceux qui achetèrent le livret Mon programme 1969, un rapide coup d’œil sur le texte Mes enfants perdus ne laissant aucun doute sur les événements qui s’étaient tramés peu de temps auparavant près de Gourdon. Les autres chansons inédites comme L’Été 68, Les Anarchistes ou Madame la Misère, également accompagnées au piano, enflammèrent le public sans toutefois parvenir à dissiper complètement le sentiment de tristesse dans lequel baignait tout le récital.

 

La Dépêche du Midi du 5 décembre 1968.

Au Trianon, Léo Ferré : « Je suis un bon client de la tristesse ».

 

Comme à chaque fois Léo Ferré arrive les mains dans les poches, sans sonorisation, sans orchestre, avec pour seul accompagnateur son pianiste aveugle, et cette fois, sans Madeleine. La veille, il était à Bordeaux, et pour venir à Toulouse, il a fait un détour par Saint-Clair, où, il y a huit mois encore, il vivait dans une maison qui était un refuge :

 

« C’est à présent une maison morte. Il s’est passé dans ma vie, depuis mars dernier, des drames dont je ne veux pas parler… »

 

On sait seulement que la guenon « Pépée » est morte et que Madeleine est partie.

 

Voilà Léo Ferré rendu à la solitude, donc à lui-même.

 

« On ne voyage pas, on bouge. On n’emporte que soi, et c’est lourd à porter. 

 

Sur les routes, en semaine, on ne rencontre que les routiers et les artistes de music hall. Nous faisons, les uns et les autres, de très longues étapes.

 

Je me suis toujours senti un peu déraciné, n’importe où que je sois. Je ne fais jamais de projets. C’est trop présomptueux. Les autres en font pour moi. Désormais, je me sens bien avec mes compagnons de fortune… et d’infortune.

 

Je ne me mêle jamais des affaires de mon destin. Je pense que, de toutes manières, on ne choisit pas. Des regrets ? Non je n’en ai pas. En vivant, on fait du passé, et je ne peux pas regretter de vivre.

 

Je suis un bon client de la tristesse. D’ailleurs, la beauté, c’est toujours triste, c’est les larmes.

 

Chaque soir, plus je chante et plus je me sens triste, et plus j’ai mal. C’est inexplicable. Chanter n’est pas un devoir, mais c’est quelque chose de plus effrayant. On est tout seul et il faut rester soi. Et puis, toutes les trois minutes, il y a une cassure, le public qui intervient, qui applaudit ou qui n’applaudit pas. Sur scène, chaque soir, je me montre, je vends quelque chose de moi qui est ma voix… et je me demande si, après tout, ce n’est pas pareil que les femmes qui vendent leur corps. »

 

Des êtres avec qui Léo Ferré a eu plus d’affinités, l’un n’est plus, l’autre s’est éloigné : « Il y avait d’abord André Breton qui était un être magnifique… et puis ma femme Madeleine.

 

L’absolu mais ça n’existe pas. L’amour absolu c’est Roméo et Juliette. Oui, mais ils sont morts… »

 

« L’anarchie, un état d’âme ».

 

Le sentiment angoissant du temps qui passe, du bonheur qui ne dure pas, la fascination morbide du néant ont toujours habité l’âme tourmentée du poète Ferré. « Ce qui nous caractérise nous, Méditerranéens, c’est la sensibilité. L’anarchie, c’est quoi ? C’est un état d’âme. »

 

Et Léo Ferré sait de quoi il parle, lui qui, dans ses chansons, tire à boulets rouges.

 

« La poésie est une fureur qui se contient juste le temps qu’il faut. »

 

Aujourd’hui, ces textes d’hier sonnent si juste qu’ils semblent prophétiques. Sans doute les événements de mai ont apporté de l’eau au moulin de cet homme qui n’a pas cessé de se battre.

 

Jamais Léo Ferré n’a été aussi vivant dans le cœur de la jeunesse. Ses dernières chansons sur les barricades ont soulevé des vagues de bravos, l’autre soir, dans le Trianon, plein à quatre-vingt-dix pour cent d’étudiants.

 

L’accueil que ces « enfants de mai » ont fait au chanteur est de ceux qui prouvent avec évidence que la révolution d’il y a six mois était vraiment celle de l’intelligence.

 

On a assisté l’autre soir, entre le public et le chanteur, à une de ces « communications magnétiques » qui tiennent du miracle.

 

Et quand Léo Ferré, sur des musiques à donner le frisson, crie : « Tu ne m’as pas dit que les guitares de l’exil sonnaient parfois comme un clairon, toi mon ami l’Espagnol » quand il se livre à une caricature au vitriol de la vie moderne ou bien quand il rend hommage aux « enragés qui dérangent l’histoire », aux anarchistes « qui ont l’âme rongée par de foutues idées » et qui sont, après tout, les mêmes qui « pour tout bagage, ont vingt ans », on n’est pas loin de penser que les générations d’aujourd’hui trouvent dans cet homme de plus de cinquante ans, leur plus impitoyable moraliste.

 

Cet art de l’invective serait évidemment sans effet si Léo Ferré n’était pas aussi un vieux lion de la scène qui connaît son métier par cœur, qui sait jouer de sa voix avec un art consommé.

 

« L’essentiel sur scène, c’est de ne pas en faire trop » dit-il.

 

Et puis, il y a ce visage romantique, tourné comme une figure de proue, un visage auquel les feux de la rampe, donnent parfois une allure spectrale…

 

M.-L. Roubaud.

 

 

1965-1968. Ces quatre rendez-vous avec le public toulousain qui semblait murmurer au poète : « On s’aimera », laissaient bien augurer des récitals à venir. Hélas, les choses ne furent pas toujours aussi faciles et tournèrent parfois à des rapports pour le moins rugueux.      

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Toulouse, décembre 1968 – D.R.

jeudi, 20 septembre 2007

La notion de « texte intégral »

Lorsque le Livre de Poche est apparu, en 1953, la maison Hachette, qui en était l’éditrice et l’avait introduit en France sur le modèle du paperback américain, prit immédiatement soin de préciser sur les couvertures : « Texte intégral ». Ce qui paraît aller de soi mais il faut savoir qu’à l’époque, il existait, notamment pour les romans, des adaptations condensées de textes parus auparavant dans des éditions plus sérieuses.

Je m’interroge sur ce qu’est devenue cette notion, en ce qui concerne deux recueils de textes de Léo Ferré.

Il suffit de comparer les tables des matières pour constater qu’entre l’édition originale parue chez Édition n° 1 en 1993 et le tirage en Livre de Poche sous le numéro 9626, en 1995, le recueil La Mauvaise graine a un peu maigri. Les titres manquants sont, sauf erreur de ma part : Et vogue vogue la galère, Qui pourrait maintenant, Le Faux poète, L’Homme lyrique, Paris, Ma vieille branche, À la folie, La Vie moderne, La rue est la galaxie de l’outrage, L’Araignée, Au premier hibou de service, Demain, La Banlieue, Les Amants tristes, Alma Matrix, Et… basta !, Words… words… words…, Je vivais dans une sorte de malédiction confortable, Je parle à n’importe qui, L’Imaginaire, Ma vie est un slalom, Death… death… death…

La couverture ne précisant pas « Texte intégral », il n’y a rien à dire, mais on peut s’étonner de la disparition d’une vieille tradition qui était pratiquement ressentie comme un contrat de confiance entre l’éditeur et le lecteur. Or, surprise, le volume a reparu sous une seconde couverture en 2000, avec, cette fois, la mention en question : « Texte intégral », imprimée en bas à gauche. Que nenni : les textes, les mêmes, manquent toujours. Il y a donc abus, sinon mensonge, de la part de l’éditeur.

Il n’y a qu’à comparer également Testament phonographe, paru chez Plasma en  1980, ayant connu une deuxième édition au Gufo del Tramonto (1990), une troisième chez La Mémoire et la mer (1998), une quatrième dans la collection « 10-18 » sous le numéro 3356 (2001), enfin une cinquième chez La Mémoire et la mer (2002) pour se rendre compte qu’entre les volumes de grand format et celui de « 10-18 », il y eut aussi une cure d’amaigrissement, plus réduite il est vrai que dans l’exemple précédent. Les titres manquants sont, sauf erreur de ma part : Adieu, La Damnation, La Femme adultère, Pacific Blues, Paris c’est une idée, Les Passantes, Tu sors souvent la mer. Là encore, la couverture ne précisant pas « Texte intégral », il n’y a rien à dire, mais on constate que la logique éditoriale qui était celle des collections de poche ne va plus de soi. Un coup d’œil au catalogue de la collection « 10-18 » pour l’année 2001 ne rassure guère : aucune allusion n’est faite à l’intégralité ou non des textes.

Alors, qu’est devenue la notion de « Texte intégral » ? Le Livre de Poche ou « 10-18 » ont publié autrefois des volumes bien plus gros. Il ne peut donc s’agir d’une simple question de format, de nombre de pages. Je ne comprends pas. Sans parler de cette autre question, plus importante encore : qui décide de couper, que coupe-t-on et pourquoi ?

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dimanche, 16 septembre 2007

Une opinion sur la musique de Ferré pour Apollinaire

« L’exemple de Poulenc ne doit pas nous faire oublier que d’autres musiciens se sont tournés moins discrètement vers Apollinaire et n’ont pas hésité, eux, à toucher au recueil Alcools. Ils sont en tout une vingtaine. Nous citons simplement parmi eux – car M. Pouilliart reviendra bientôt sur un certain nombre de noms – Jean Absil, Robert Caby, Luigi Cortese, Georges Dandelot, Léo Ferré, Arthur Honegger, Jacques Leguerney, Jean Rivier, Daniel Ruyneman et même Louis Bessières. Ces musiciens sont de répertoire et de style très différents et les poèmes les plus utilisés sont Le Pont Mirabeau, Clotilde, L’Adieu.

Nous reconnaissons volontiers que certaines de ces mélodies, au lyrisme assez appuyé, sont agréables à entendre. Mais elles ne savent pas toujours éviter l’écueil dont Poulenc s’était si bien gardé. La poésie d’Apollinaire étant dans Alcools essentiellement lyrique, elle souffre de s’ajuster à une autre source de lyrisme qui la contraint à s’effacer derrière un air et un refrain étroitement déterminés. Nous pourrions même dire que le courant mélodique existant à l’origine et celui qui lui est artificiellement imposé, finissent par se contrarier et par annihiler la puissance d’évocation du poème. La poésie ne gagne rien à passer sur ce lit de Procuste, et un long poème se montre particulièrement réfractaire à ce traitement. La Chanson du mal-aimé supporte que sa lecture se détache sur un fond musical, mais elle est elle-même défigurée par toute tentative de transformation mélodique intégrale et l’on est frappé de voir à quel point le pompeux oratorio de Léo Ferré manque d’invention et de grandeur. La convention la plus plate y tient lieu d’inspiration. Tout y est annoncé, préparé à grand renfort de thèmes élémentaires : les Cosaques Zaporogues prennent appui sur des réminiscences de Khatchaturian, le tzigane de la fin s’est vu précéder d’un air de violon réglementaire. Quant aux sept épées, elles sont environnées d’héroïques accords de trompettes. La technique est un peu trop facile : ce procédé d’anticipation sonore a pour effet d’orienter l’imagination de l’auditeur vers les clichés les plus traditionnels et ruine la variété du poème. Les sautes d’humeur d’Apollinaire, les résonances étranges des images qu’il juxtapose se dissolvent dans la monotonie. Une réussite, cependant, nous paraît d’autant plus éclatante qu’elle est unique. La traduction de la strophe « Voie lactée ô sœur lumineuse / Des blancs ruisseaux de Chanaan » est un véritable chef-d’œuvre. Elle doit son charme à la voix d’un jeune garçon qui vibre imperceptiblement comme un clignotement d’étoiles et qui la porte de façon presque immatérielle à des hauteurs vertigineuses. Elle nous prouve à son tour que l’accord total entre un poème et sa transposition lyrique ne peut être qu’un miracle de court instant ».

Voilà le jugement consigné dans les Actes du colloque « Apollinaire et la musique » réunis par Michel Décaudin (Journées Apollinaire, Stavelot, 27-29 août 1965), ouvrage publié par l’asbl Les Amis de Guillaume Apollinaire, Stavelot, 1967. Je ne connais pas le nom de l’auteur de cette contribution. On sait que les amoureux d’un poète ne tolèrent guère qu’on touche à ses œuvres. Peut-être est-ce le cas de cet exégète d’Apollinaire.

Cette opinion retrouvée dans mes archives n’est pas étonnante. La vieille question de la mise en musique des poèmes est ici encore remise sur la table avec les mêmes sempiternels arguments. On a examiné ce point dans Avec Luc Bérimont. Je relève que ce sentiment négatif concernant La Chanson du mal-aimé est le seul du genre, tout au moins à ma connaissance. Tous les échos que j’ai lus sur la question étaient plutôt positifs.

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mercredi, 12 septembre 2007

De la noirceur

Après avoir regardé, l’autre soir, le DVD d’un récital de Lény Escudero – il s’agissait de son spectacle de 1990, emmené en tournée en 1991 – je me suis fait quelques remarques.

Escudero est un chanteur au répertoire extrêmement noir, qu’il détaille d’une voix agréable mais très « sèche », sombre. Cette noirceur est soulignée par un visage émacié, une silhouette qui n’a que la peau sur les os – mais cela, c’est autre chose. Il reste que, sur vingt-et-une chansons, deux seulement étaient des sourires, des pauses, des radeaux sur une mer de désespoir. C’était très éprouvant.

Beaucoup de gens disent que Léo Ferré est trop sombre pour eux, que ses chansons les déstabilisent parce qu’il leur donne le sentiment d’un homme sans espoir aucun. C’est très exactement le contraire et chacun ici, je pense, sera d’accord avec moi : l’œuvre de Ferré est pleine d’un espoir immense, jamais contredit. Les spectacles de Ferré étaient réconfortants, on en sortait plein de force.

Pourtant, objectivement, le désespoir est le désespoir. C’est sa mise en mots qui diffère. Sa mise en voix aussi car celle de Léo Ferré, avec son grain, sa tessiture, peut évidemment beaucoup.

Alors ? Qu’est-ce qui sépare Escudero de Ferré, même en-dehors d’une différence, facilement constatée, de qualité des textes et de la musique ? Escudero n’est pas Ferré, mais ce qu’il écrit n’est vraiment pas mal non plus. Pourquoi son spectacle, pourtant « affadi » par le DVD qui, comme je le dis souvent, ne restitue pas la présence, m’a-t-il écrasé par sa noirceur quand ceux de Léo Ferré, même avec les réserves de la vidéographie, me portent en avant ?

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lundi, 10 septembre 2007

Le poinçonneur c’est extra

En 1960, a lieu la première rencontre entre Léo Ferré et Serge Gainsbourg. Devant le micro de Pierre Guénin, ils participent au « Jeu de la vérité » en compagnie de Micheline Presle, Norbert Carbonnaux, Pierrette Pradier et Jacqueline Boyer. Le texte du débat paraît dans Cinémonde [1], puis est repris en volume chez Losfeld [2], en même temps que d’autres.

Le texte imprimé reproduit un échange, apparemment un peu vif mais sans plus :

« Guénin. - Gainsbourg, écrivez-vous des chansons par amour de l’art ou pour gagner de l’argent ?

Gainsbourg. - Mon cas est assez délicat. J’ai été peintre pendant quinze ans et maintenant je gagne ma vie en écrivant des chansons. Ce qui m’ennuie c’est que, plus ça va, plus j’ai envie d’écrire des chansons « inchantables » ?

Ferré. - En principe, quand on écrit quelque chose, c’est avec son cœur et non pour de l’argent. Vous avez tort de considérer la chanson comme un art mineur. Si vous vous laissez aller à des contingences commerciales imposées par un patron de disques… évidemment. Il y a l’art et la m…

Gainsbourg. - Si mon éditeur et ma maison de disques…

Ferré. - Ne me parlez pas de ces gens qui sont des commerçants.

Gainsbourg. - Mais enfin, si on me ferme la bouche ?

Ferré. - Je connais votre situation, c’est une situation dramatique. Ce que vous avez envie de chanter et d’écrire, il faut le chanter et l’écrire, mon vieux.

Gainsbourg. - Chez moi ?

Ferré. - Non, dans la rue. Il faut prendre une licence de camelot à la préfecture de police.

Gainsbourg. - Moi, je veux bien me couper une oreille comme Van Gogh pour la peinture, mais pas pour la chanson ».

J’ai toujours ressenti ce passage comme amical et, aujourd’hui encore, j’entends dans la voix de Léo Ferré quelque chose d’affectueux. Ferré aimait Gainsbourg et tout, dans ce dialogue, me paraît plein d’attention envers les difficultés que connaît alors le chanteur.

Or, il semble qu’il s’agisse d’un extrait seulement. Si l’on en croit Gilles Verlant, le biographe de Gainsbourg, la conversation a continué. Dans un livre collectif comportant une série de textes sur la chanson, Chroniques d’un âge d’or [3], il raconte :

« Hors micro, Guénin raconte que le débat se transforma en véritable pugilat verbal au cours duquel Gainsbourg finit par traiter Ferré de « démodé ». Pire qu’avec Béart, un quart de siècle plus tard, dans un légendaire numéro d’Apostrophes ».

Peut-être. Mais pourquoi ? On ne connaîtra jamais la suite de la conversation, ni ce que Guénin a pu raconter, ni où Verlant l’a appris. Dommage.

À plusieurs reprises, au cours de sa carrière, Ferré va parler de Gainsbourg, notamment après l’allusion amicale qu’il fait dans le courant de Pépée, à celui qui se croyait laid. Dans le recueil Vous savez qui je suis, maintenant ?, Quentin Dupont cite cinq extraits d’interviews [4] :

« Gainsbourg venait m’entendre tous les soirs dans un cabaret de la rue… Les Saints-Pères. Et quand j’arrivais, Gainsbourg me faisait signe avec les oreilles, parce que je chantais la chanson Pépée... Fantastique ! » (Il s’agit du cabaret parisien Don Camilo, 10, rue des Saint-Pères (Littré 65-80 ou 71-61), où Ferré chante dans un dîner-spectacle, durant vingt jours, à partir du vendredi 3 octobre 1969. Gainsbourg habite à quelques mètres).

« J’aime beaucoup Gainsbourg et je trouve que ses oreilles... Dans la chanson que j’ai écrite sur Pépée, ça n’est pas du tout méchant ce que j’ai dit, c’est très amical. Vous savez, moi j’aime beaucoup les chimpanzés. Les chimpanzés ont tous les oreilles comme monsieur Gainsbourg. Seulement, la nuit, ils les replient, tandis que Gainsbourg, s’il veut les replier, il faut qu’il mette du scotch. Mais c’est pas méchant, c’est fraternel ce que je dis… J’aimerais avoir Gainsbourg, avec moi, à la maison, comme ça, pour vivre avec lui quelques jours. Voilà ! C’est mon droit ! S’il veut bien, je l’invite… »

« Je me souviens d’une interview que Denise Glaser avait faite de ce garçon que j’aime beaucoup parce qu’il est infiniment intelligent et qui s’appelle Gainsbourg. Et un jour, elle lui avait demandé, après ces silences dont elle a le secret : « Mais, dites-moi, pourquoi vous avez retourné  votre veste ? » (parce qu’il commençait peut-être un peu à vivre de son métier). Et il a répondu : « J’ai retourné ma veste quand je me suis aperçu qu’elle était doublée de vison ! » »

« Gainsbourg est un type qui est intelligent, qui a choisi de faire une chose qu’il fait très bien. Et puis, c’est un mec intelligent. L’intelligence gêne les cons ».

« … J’ai beaucoup de sympathie pour Gainsbourg. Et je trouve d’ailleurs que c’est un personnage curieux (je ne suis pas le seul) et intelligent. Et je pense que c’est parce qu’il est intelligent que j’ai pu me permettre de dire ça, parce qu’il a dû comprendre. C’est pas du tout contre, c’est avec beaucoup de tendresse que je dis ça. Vous savez pourquoi, parce que les chimpanzés ont les oreilles comme ça, un peu dégagées comme celles de notre ami Serge Gainsbourg. Mais ce qui était extraordinaire, un jour je m’en suis aperçu, la nuit quand elle dormait, elle les mettait à plat Ça veut dire que dès qu’elle se levait le matin, elle mettait ses amplis, elle mettait ses trucs pour écouter et c’était très émouvant… Je veux dire que c’était extraordinaire, parce que les gens imaginent que les chimpanzés ont les oreilles comme ça… mais ils ont les oreilles comme ça, parce que ça sert, parce que c’est la nature et la nuit, hop ! ils n’en ont pas besoin, ils les replient ».

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On connaît la photographie des deux hommes souriants, signée Marie Ferré, prise entre 1980 et 1984 (selon les sources) à Genève, au cours d’une rencontre.

On nous parle, depuis 1969, de la conversation qui eut lieu entre Ferré et les deux grands B. de la chanson. J’avais envie d’évoquer Gainsbourg et Ferré : il y a peu à dire, mais c’est au moins aussi intéressant que le débat supposé « mythique » dont, rétrospectivement, la platitude et le total désintérêt n’ont pas fini de nous étonner.

____________________

[1]. Cinémonde du 15 novembre 1960.

[2]. Pierre Guénin, Le Jeu de la vérité, Le Terrain Vague, 1961.

[3]. Collectif Chanson, Chroniques d’un âge d’or, Christian Pirot, 2007.

[4]. Léo Ferré, Vous savez qui je suis, maintenant ?, recueil d’interviews de radio et de télévision transcrites et thématisées par Quentin Dupont, La Mémoire et la mer, 2003.

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jeudi, 06 septembre 2007

À propos des premières chansons enregistrées

Écoutant le disque 33-tours 30-cm Barclay Les douze premières chansons de Léo Ferré – il s’agit bien entendu des douze premières chansons enregistrées, comme on le sait –  je me fais ces quelques réflexions.

J’ai découvert ce disque lorsqu’il est sorti en 1969, l’année où j’ai appris l’existence d’un artiste qui s’appelait Ferré. Au moment où Ferré l’enregistre, soit les mardi 4 et mercredi 5 mars 1969, il n’est plus disponible au Chant du Monde, en version piano et chant. Il le ressort alors au catalogue Barclay, avec les orchestrations de Jean-Michel Defaye.

Ces orchestrations sont dans la parfaite lignée du travail que Defaye effectue depuis plusieurs années et qu’il poursuivra durant quelques années encore, pour Léo Ferré. Dans l’esprit et dans la forme, elles ne se différencient pas des précédentes ni des suivantes : Defaye sert Ferré au mieux de son talent. Ferré lui-même, en 1969, est en pleine possession de sa puissance vocale, il a acquis beaucoup de métier, sa voix est celle qui vient de triompher dans C’est extra et qui a fait les beaux soirs de soufre de Bobino, du mercredi 8 janvier au lundi 3 février. De très nombreux jeunes le découvrent cette année-là et, pour eux comme pour moi, ce 30-cm est celui qui leur permet d’entendre pour la première fois ces chansons des débuts.

D’où vient, par conséquent, que, lorsqu’on les évoque, on fasse toujours référence aux premiers enregistrements piano et chant, ceux effectués en 78-tours ou, plus généralement, toujours piano et chant, leur ré-enregistrement en microsillon 25-cm, en 1953 au Chant du Monde… alors que Ferré est sous contrat avec Odéon ? Si mon souvenir est bon – et je crois qu’il l’est – je n’ai entendu, chanté en scène sur cette bande enregistrée Barclay, que Le Bateau espagnol, à Marseille, au Théâtre aux Étoiles, le jeudi 30 juillet 1970. Or, Ferré reprendra pratiquement toute sa vie, en scène, Le Bateau espagnol, ainsi que La Vie d’artiste et À Saint-Germain-des-Prés. Et quelquefois Le Flamenco de Paris, Monsieur Tout-Blanc ou La Chanson du scaphandrier. Il le fera toujours, par la suite, au piano, mais plus jamais avec les bandes enregistrées de l’orchestre de Defaye, bandes auxquelles il fera pourtant appel pour de nombreux autres morceaux, plus du tout pour ceux-là.

Et ces « premières » chansons s’inscriront dans l’imaginaire de chacun dans leur version piano et chant de 1953, y compris pour ceux qui, comme moi, auront d’abord connu les orchestrations et n’achèteront que plus tard le disque de 1953 (intitulé Chansons de Léo Ferré interprétées par Léo Ferré puis, lors d’un changement de pochette, Léo Ferré chante… Léo Ferré), entre-temps réédité, avec un sommaire identique, en 30-cm (sous le titre Léo Ferré chante ses premières chansons puis, lors d’un changement de pochette, Premier Ferré, d’abord en pochette ouvrante puis en pochette simple). Pourquoi ?

C’est d’autant plus étonnant que le 25-cm de 1953, enregistré les mardi 27 et samedi 31 octobre ainsi que le mardi 17 novembre, ne comprend pas Le Temps des roses rouges, pourtant gravé en 78-tours le lundi 20 novembre 1950 mais ignoré lors du ré-enregistrement : il faudra attendre le vendredi 29 mai 1998 pour que cette chanson, dans sa version piano et chant, paraisse en CD (dans le livre-disque La Vie d’artiste, les années Chant du Monde, 1947-1953). Donc, ce texte-là, durant des décennies, ne sera connu – pour ceux, nombreux, qui n’avaient pas les 78-tours originaux – qu’avec les orchestrations de Defaye. Ce qui aurait peut-être pu conférer au 30-cm Barclay orchestré Les douze premières chansons de Léo Ferré (reparu plus tard en CD) une certaine autorité, à tout le moins une prééminence. Il semblerait, avec le recul, que cela n’ait pas été le cas, sans que je puisse avancer d’explication.

Ni entière nouveauté ni réédition à proprement parler, ce disque orchestré paraît avoir un curieux statut. En résumé, la question est triple. Pourquoi ces chansons se sont-elles inscrites dans l’esprit et le cœur du public sous leur forme de 1953, y compris chez ceux qui les ont découvertes, de prime abord, orchestrées ? Est-ce ou non parce que Ferré a fort peu utilisé en scène ces bandes orchestrales, préférant revenir au piano ? Pourquoi a-t-il eu si peu recours à ces bandes, alors qu’il en utilisa d’autres, du même Defaye, toute sa vie ?

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samedi, 01 septembre 2007

Encore Prévert

On se souvient de Pierre Misère, le père du petit Benoît, s’occupant à chercher, à l’aide de cubes sur lesquels figurent des lettres, des anagrammes pour son triste nom et ne se montrant jamais satisfait de celles qu’il trouve. Un jour, les cubes tombent et, au sol, forment un mot encore plus désespérant : « remise ». Ne pouvant supporter cette idée, Pierre Misère renonce à ses recherches.

Ce passage du roman Benoît Misère avait beaucoup frappé le jeune homme de dix-huit ans que j’étais lors de ma première lecture, à parution, en 1970. C’est dire que j’ai été surpris, au printemps dernier, de découvrir ceci.

En avril 2007, Gallimard a publié une édition de Paroles de Prévert, dans la collection « Folio », sous coffret illustré, accompagnée d’un mince livret en quadrichromie, hors-commerce, reproduisant quelques fac-similés d’éditions originales, de collages, de lettres et d’autres documents autographes de Prévert. Ce livret est intitulé Prévert en ses livres, le copyright des dessins et autographes appartient à « Fatras », la succession de Jacques Prévert. C’est plaisant, mais cela reste une opération commerciale de la part de l’éditeur, visant à faire acheter ce qu’on possède déjà.

L’objet de cette note est naturellement ailleurs.

Sur l’une de ses faces, le coffret lui-même reproduit en couleurs, dans l’autographe de Prévert, quelques anagrammes et calembours du poète, malheureusement sans date ni référence aucune. Parmi les « avenir navire », « Turc truc », « image magie », « la gauche et l’adroite » et autres, que peut-on lire ? On l’aura deviné : « misère remise ».

Bien entendu, Ferré ne pouvait avoir eu connaissance de cette page inédite. Je ne pense pas que Prévert lui en ait parlé : il l’aurait un jour ou l’autre raconté. Il n’y a donc pas de réminiscence, cette hantise de l’écrivain qui se figure trouver une chose qu’il a lue autrefois, parfois longtemps avant, sous une autre plume et qui l’a marqué. Est-ce alors que, par coïncidence, ces deux amoureux des mots auraient eu la même idée ? Ce n’est pas impossible. L’anagramme, d’ailleurs, est assez évidente. Ce qui vaut dans le roman, ce n’est pas l’anagramme elle-même, mais la dramatisation dont Ferré l’entoure. Peut-on dire – ou est-ce excessif ? – que les deux hommes avaient une tournure d’esprit commune, à tout le moins proche ? Sont-ils en cela les principaux représentants des « retombées » du surréalisme dans la poésie populaire ?

Prévert, là encore, croise Léo Ferré, ainsi qu’on avait tenté d’en parler dans une note précédente.

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