mercredi, 12 septembre 2007
De la noirceur
Après avoir regardé, l’autre soir, le DVD d’un récital de Lény Escudero – il s’agissait de son spectacle de 1990, emmené en tournée en 1991 – je me suis fait quelques remarques.
Escudero est un chanteur au répertoire extrêmement noir, qu’il détaille d’une voix agréable mais très « sèche », sombre. Cette noirceur est soulignée par un visage émacié, une silhouette qui n’a que la peau sur les os – mais cela, c’est autre chose. Il reste que, sur vingt-et-une chansons, deux seulement étaient des sourires, des pauses, des radeaux sur une mer de désespoir. C’était très éprouvant.
Beaucoup de gens disent que Léo Ferré est trop sombre pour eux, que ses chansons les déstabilisent parce qu’il leur donne le sentiment d’un homme sans espoir aucun. C’est très exactement le contraire et chacun ici, je pense, sera d’accord avec moi : l’œuvre de Ferré est pleine d’un espoir immense, jamais contredit. Les spectacles de Ferré étaient réconfortants, on en sortait plein de force.
Pourtant, objectivement, le désespoir est le désespoir. C’est sa mise en mots qui diffère. Sa mise en voix aussi car celle de Léo Ferré, avec son grain, sa tessiture, peut évidemment beaucoup.
Alors ? Qu’est-ce qui sépare Escudero de Ferré, même en-dehors d’une différence, facilement constatée, de qualité des textes et de la musique ? Escudero n’est pas Ferré, mais ce qu’il écrit n’est vraiment pas mal non plus. Pourquoi son spectacle, pourtant « affadi » par le DVD qui, comme je le dis souvent, ne restitue pas la présence, m’a-t-il écrasé par sa noirceur quand ceux de Léo Ferré, même avec les réserves de la vidéographie, me portent en avant ?
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lundi, 10 septembre 2007
Le poinçonneur c’est extra
En 1960, a lieu la première rencontre entre Léo Ferré et Serge Gainsbourg. Devant le micro de Pierre Guénin, ils participent au « Jeu de la vérité » en compagnie de Micheline Presle, Norbert Carbonnaux, Pierrette Pradier et Jacqueline Boyer. Le texte du débat paraît dans Cinémonde [1], puis est repris en volume chez Losfeld [2], en même temps que d’autres.
Le texte imprimé reproduit un échange, apparemment un peu vif mais sans plus :
« Guénin. - Gainsbourg, écrivez-vous des chansons par amour de l’art ou pour gagner de l’argent ?
Gainsbourg. - Mon cas est assez délicat. J’ai été peintre pendant quinze ans et maintenant je gagne ma vie en écrivant des chansons. Ce qui m’ennuie c’est que, plus ça va, plus j’ai envie d’écrire des chansons « inchantables » ?
Ferré. - En principe, quand on écrit quelque chose, c’est avec son cœur et non pour de l’argent. Vous avez tort de considérer la chanson comme un art mineur. Si vous vous laissez aller à des contingences commerciales imposées par un patron de disques… évidemment. Il y a l’art et la m…
Gainsbourg. - Si mon éditeur et ma maison de disques…
Ferré. - Ne me parlez pas de ces gens qui sont des commerçants.
Gainsbourg. - Mais enfin, si on me ferme la bouche ?
Ferré. - Je connais votre situation, c’est une situation dramatique. Ce que vous avez envie de chanter et d’écrire, il faut le chanter et l’écrire, mon vieux.
Gainsbourg. - Chez moi ?
Ferré. - Non, dans la rue. Il faut prendre une licence de camelot à la préfecture de police.
Gainsbourg. - Moi, je veux bien me couper une oreille comme Van Gogh pour la peinture, mais pas pour la chanson ».
J’ai toujours ressenti ce passage comme amical et, aujourd’hui encore, j’entends dans la voix de Léo Ferré quelque chose d’affectueux. Ferré aimait Gainsbourg et tout, dans ce dialogue, me paraît plein d’attention envers les difficultés que connaît alors le chanteur.
Or, il semble qu’il s’agisse d’un extrait seulement. Si l’on en croit Gilles Verlant, le biographe de Gainsbourg, la conversation a continué. Dans un livre collectif comportant une série de textes sur la chanson, Chroniques d’un âge d’or [3], il raconte :
« Hors micro, Guénin raconte que le débat se transforma en véritable pugilat verbal au cours duquel Gainsbourg finit par traiter Ferré de « démodé ». Pire qu’avec Béart, un quart de siècle plus tard, dans un légendaire numéro d’Apostrophes ».
Peut-être. Mais pourquoi ? On ne connaîtra jamais la suite de la conversation, ni ce que Guénin a pu raconter, ni où Verlant l’a appris. Dommage.
À plusieurs reprises, au cours de sa carrière, Ferré va parler de Gainsbourg, notamment après l’allusion amicale qu’il fait dans le courant de Pépée, à celui qui se croyait laid. Dans le recueil Vous savez qui je suis, maintenant ?, Quentin Dupont cite cinq extraits d’interviews [4] :
« Gainsbourg venait m’entendre tous les soirs dans un cabaret de la rue… Les Saints-Pères. Et quand j’arrivais, Gainsbourg me faisait signe avec les oreilles, parce que je chantais la chanson Pépée... Fantastique ! » (Il s’agit du cabaret parisien Don Camilo, 10, rue des Saint-Pères (Littré 65-80 ou 71-61), où Ferré chante dans un dîner-spectacle, durant vingt jours, à partir du vendredi 3 octobre 1969. Gainsbourg habite à quelques mètres).
« J’aime beaucoup Gainsbourg et je trouve que ses oreilles... Dans la chanson que j’ai écrite sur Pépée, ça n’est pas du tout méchant ce que j’ai dit, c’est très amical. Vous savez, moi j’aime beaucoup les chimpanzés. Les chimpanzés ont tous les oreilles comme monsieur Gainsbourg. Seulement, la nuit, ils les replient, tandis que Gainsbourg, s’il veut les replier, il faut qu’il mette du scotch. Mais c’est pas méchant, c’est fraternel ce que je dis… J’aimerais avoir Gainsbourg, avec moi, à la maison, comme ça, pour vivre avec lui quelques jours. Voilà ! C’est mon droit ! S’il veut bien, je l’invite… »
« Je me souviens d’une interview que Denise Glaser avait faite de ce garçon que j’aime beaucoup parce qu’il est infiniment intelligent et qui s’appelle Gainsbourg. Et un jour, elle lui avait demandé, après ces silences dont elle a le secret : « Mais, dites-moi, pourquoi vous avez retourné votre veste ? » (parce qu’il commençait peut-être un peu à vivre de son métier). Et il a répondu : « J’ai retourné ma veste quand je me suis aperçu qu’elle était doublée de vison ! » »
« Gainsbourg est un type qui est intelligent, qui a choisi de faire une chose qu’il fait très bien. Et puis, c’est un mec intelligent. L’intelligence gêne les cons ».
« … J’ai beaucoup de sympathie pour Gainsbourg. Et je trouve d’ailleurs que c’est un personnage curieux (je ne suis pas le seul) et intelligent. Et je pense que c’est parce qu’il est intelligent que j’ai pu me permettre de dire ça, parce qu’il a dû comprendre. C’est pas du tout contre, c’est avec beaucoup de tendresse que je dis ça. Vous savez pourquoi, parce que les chimpanzés ont les oreilles comme ça, un peu dégagées comme celles de notre ami Serge Gainsbourg. Mais ce qui était extraordinaire, un jour je m’en suis aperçu, la nuit quand elle dormait, elle les mettait à plat Ça veut dire que dès qu’elle se levait le matin, elle mettait ses amplis, elle mettait ses trucs pour écouter et c’était très émouvant… Je veux dire que c’était extraordinaire, parce que les gens imaginent que les chimpanzés ont les oreilles comme ça… mais ils ont les oreilles comme ça, parce que ça sert, parce que c’est la nature et la nuit, hop ! ils n’en ont pas besoin, ils les replient ».
On connaît la photographie des deux hommes souriants, signée Marie Ferré, prise entre 1980 et 1984 (selon les sources) à Genève, au cours d’une rencontre.
On nous parle, depuis 1969, de la conversation qui eut lieu entre Ferré et les deux grands B. de la chanson. J’avais envie d’évoquer Gainsbourg et Ferré : il y a peu à dire, mais c’est au moins aussi intéressant que le débat supposé « mythique » dont, rétrospectivement, la platitude et le total désintérêt n’ont pas fini de nous étonner.
____________________
[1]. Cinémonde du 15 novembre 1960.
[2]. Pierre Guénin, Le Jeu de la vérité, Le Terrain Vague, 1961.
[3]. Collectif Chanson, Chroniques d’un âge d’or, Christian Pirot, 2007.
[4]. Léo Ferré, Vous savez qui je suis, maintenant ?, recueil d’interviews de radio et de télévision transcrites et thématisées par Quentin Dupont, La Mémoire et la mer, 2003.
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jeudi, 06 septembre 2007
À propos des premières chansons enregistrées
Écoutant le disque 33-tours 30-cm Barclay Les douze premières chansons de Léo Ferré – il s’agit bien entendu des douze premières chansons enregistrées, comme on le sait – je me fais ces quelques réflexions.
J’ai découvert ce disque lorsqu’il est sorti en 1969, l’année où j’ai appris l’existence d’un artiste qui s’appelait Ferré. Au moment où Ferré l’enregistre, soit les mardi 4 et mercredi 5 mars 1969, il n’est plus disponible au Chant du Monde, en version piano et chant. Il le ressort alors au catalogue Barclay, avec les orchestrations de Jean-Michel Defaye.
Ces orchestrations sont dans la parfaite lignée du travail que Defaye effectue depuis plusieurs années et qu’il poursuivra durant quelques années encore, pour Léo Ferré. Dans l’esprit et dans la forme, elles ne se différencient pas des précédentes ni des suivantes : Defaye sert Ferré au mieux de son talent. Ferré lui-même, en 1969, est en pleine possession de sa puissance vocale, il a acquis beaucoup de métier, sa voix est celle qui vient de triompher dans C’est extra et qui a fait les beaux soirs de soufre de Bobino, du mercredi 8 janvier au lundi 3 février. De très nombreux jeunes le découvrent cette année-là et, pour eux comme pour moi, ce 30-cm est celui qui leur permet d’entendre pour la première fois ces chansons des débuts.
D’où vient, par conséquent, que, lorsqu’on les évoque, on fasse toujours référence aux premiers enregistrements piano et chant, ceux effectués en 78-tours ou, plus généralement, toujours piano et chant, leur ré-enregistrement en microsillon 25-cm, en 1953 au Chant du Monde… alors que Ferré est sous contrat avec Odéon ? Si mon souvenir est bon – et je crois qu’il l’est – je n’ai entendu, chanté en scène sur cette bande enregistrée Barclay, que Le Bateau espagnol, à Marseille, au Théâtre aux Étoiles, le jeudi 30 juillet 1970. Or, Ferré reprendra pratiquement toute sa vie, en scène, Le Bateau espagnol, ainsi que La Vie d’artiste et À Saint-Germain-des-Prés. Et quelquefois Le Flamenco de Paris, Monsieur Tout-Blanc ou La Chanson du scaphandrier. Il le fera toujours, par la suite, au piano, mais plus jamais avec les bandes enregistrées de l’orchestre de Defaye, bandes auxquelles il fera pourtant appel pour de nombreux autres morceaux, plus du tout pour ceux-là.
Et ces « premières » chansons s’inscriront dans l’imaginaire de chacun dans leur version piano et chant de 1953, y compris pour ceux qui, comme moi, auront d’abord connu les orchestrations et n’achèteront que plus tard le disque de 1953 (intitulé Chansons de Léo Ferré interprétées par Léo Ferré puis, lors d’un changement de pochette, Léo Ferré chante… Léo Ferré), entre-temps réédité, avec un sommaire identique, en 30-cm (sous le titre Léo Ferré chante ses premières chansons puis, lors d’un changement de pochette, Premier Ferré, d’abord en pochette ouvrante puis en pochette simple). Pourquoi ?
C’est d’autant plus étonnant que le 25-cm de 1953, enregistré les mardi 27 et samedi 31 octobre ainsi que le mardi 17 novembre, ne comprend pas Le Temps des roses rouges, pourtant gravé en 78-tours le lundi 20 novembre 1950 mais ignoré lors du ré-enregistrement : il faudra attendre le vendredi 29 mai 1998 pour que cette chanson, dans sa version piano et chant, paraisse en CD (dans le livre-disque La Vie d’artiste, les années Chant du Monde, 1947-1953). Donc, ce texte-là, durant des décennies, ne sera connu – pour ceux, nombreux, qui n’avaient pas les 78-tours originaux – qu’avec les orchestrations de Defaye. Ce qui aurait peut-être pu conférer au 30-cm Barclay orchestré Les douze premières chansons de Léo Ferré (reparu plus tard en CD) une certaine autorité, à tout le moins une prééminence. Il semblerait, avec le recul, que cela n’ait pas été le cas, sans que je puisse avancer d’explication.
Ni entière nouveauté ni réédition à proprement parler, ce disque orchestré paraît avoir un curieux statut. En résumé, la question est triple. Pourquoi ces chansons se sont-elles inscrites dans l’esprit et le cœur du public sous leur forme de 1953, y compris chez ceux qui les ont découvertes, de prime abord, orchestrées ? Est-ce ou non parce que Ferré a fort peu utilisé en scène ces bandes orchestrales, préférant revenir au piano ? Pourquoi a-t-il eu si peu recours à ces bandes, alors qu’il en utilisa d’autres, du même Defaye, toute sa vie ?
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samedi, 14 juillet 2007
Dommage
Il fut un temps où les interprètes étaient des chanteurs, c’est-à-dire des gens ayant une voix, du souffle, une présence. On pouvait les écouter comme des artistes à part entière dans un répertoire qu’ils avaient construit, erreurs éventuelles comprises, avec soin. On est loin de nombreux « interprètes » d’aujourd’hui qui sont vocalement ineptes, artistiquement infâmes, scéniquement consternants, et qui ne « chantent » Ferré que pour exister eux-mêmes, de loin en loin. Le pire est qu’ils trouvent un public – qu’on veut espérer abusé ou attendri car venu pour Léo Ferré – pour les applaudir.
Ferré qui pensait, il l’a souvent dit, les chansons faites pour être chantées, avait souvent des idées originales dans ce domaine et l’on peut effectuer un rapide tour d’horizon des propositions qu’il fit lui-même aux interprètes du moment. On ne redira pas les refus que tout le monde connaît, mais on rappellera ceux qu’on peut considérer comme des pertes sèches pour la chanson.
Le plus grand regret, peut-être, les poèmes de Baudelaire avec sa musique, que Léo Ferré avait lui-même proposés à Piaf. On connaît la réponse : « Non, Léo, Baudelaire, c’est sacré ». On peut penser que Piaf a été effrayée par la perspective de chanter les Fleurs du Mal. Et pourtant, Piaf chante Baudelaire, musique de Léo Ferré, c’eût été quelque chose, il me semble. On aurait certainement pu discuter ce disque, voire le critiquer sévèrement, mais il eût incontestablement existé et compté.
On connaît le projet de faire chanter à Johnny Hallyday Les Albatros. Avorté pour une raison inconnue : selon toute vraisemblance, l’entourage du chanteur lui aurait déconseillé cet enregistrement, qui pouvait être de nature à déstabiliser son public. On n’en sait pas plus.
Comme on ignore les raisons – vraisemblablement les mêmes – de Mireille Mathieu pour ne pas chanter La Mort des loups. Léo Ferré voulait lui faire interpréter ce texte, jugeant qu’elle avait une voix lui autorisant autre chose que son habituel répertoire.
Moins connu est le refus opposé par les Compagnons de la chanson. Je m’étais souvent demandé pourquoi les Compagnons n’avaient jamais chanté Ferré. La réponse à cette interrogation est donnée dans ses souvenirs, récemment publiés par Fred Mella. Ferré aurait aimé leur donner Mon p’tit voyou. Le groupe trouva la chanson beaucoup trop intime pour figurer dans un répertoire à plusieurs voix. La règle des Compagnons, pour travailler et graver une chanson, était l’unanimité, que la proposition de Ferré ne recueillit pas. Je ne peux m’empêcher d’imaginer ce que cela aurait donné et je pense qu’au contraire, cette interprétation serait vraiment sortie des sentiers battus et aurait pu faire date. Léo Ferré, en effet, s’était certainement posé lui-même la question avant d’avancer ce titre.
Juliette Gréco a chanté plusieurs œuvres de Ferré. Elle qui pourtant peut tout oser, lui avait refusé Les Bonnes manières. Là aussi, on peut rêver à ce qu’elle en aurait fait, qui n’eût certainement pas été à jeter au ruisseau.
Je m’aperçois que cette note va paraître le 14 juillet, date à laquelle de nombreux interprètes, ici et là, chantent Ferré. Ce n’était pas préconçu et, finalement, c’est peut-être aussi bien.
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mardi, 10 juillet 2007
Les articles d’Edmée Santy
La boussole des veuve(s) aveugles sous leur voile
(À TOI)
Sur internet, les voix de femmes s’expriment fort peu au sujet de Léo Ferré. C’est étonnant : depuis soixante ans, les interprètes féminines sont très nombreuses, les journalistes femmes aussi. J’ai souvent dit combien Claude Sarraute avait su tenir à un beau niveau la chronique de variétés du Monde, combien, parmi tant d’artistes dont elle a parlé, elle a célébré Léo Ferré qu’elle admirait, ne se privant pas cependant de lui dire son fait lorsqu’elle l’estimait utile. La collection de ses articles possède aujourd’hui encore une réelle valeur. Loin de là, tout au sud, aux rives de la mer antique, une autre journaliste devenait lyrique lorsqu’elle évoquait l’artiste.
À Marseille, on peut alors lire trois quotidiens du matin : Le Méridional-La France qui est de droite et dont le rédacteur en chef, Gabriel Domenech, s’illustrera plus tard en se présentant à des élections locales sur les listes du Front national ; Le Provençal, sous-titré « Journal des patriotes socialistes et républicains » ; enfin, La Marseillaise, journal communiste. Le soir, une seule feuille locale est vendue dans les kiosques, Le Soir, justement. Je précise toujours Le Soir « de Marseille » pour éviter d’éventuelles confusions avec le célèbre journal belge. Le Soir appartient au Provençal, c’est un peu son édition vespérale ; il comprend relativement peu de pages. Edmée Santy signe les chroniques de variétés.
Le 7 mars 1972, un article non signé paraît (je respecte dans les articles cités ci-après les alinéas, capitales et guillemets abondamment utilisés par la journaliste) :
PALAIS DES CONGRÈS (jeudi et vendredi)
LÉO FERRÉ
accompagné par ZOO
(Photo Jo Nahon, Le Soir)
Léo Ferré sera jeudi et vendredi prochain à Marseille avec les « Zoo » au Palais des Congrès.
Ce grand poète de la chanson française, l'homme du « dialogue avec la solitude » présentera son tour de chant accompagné par l'excellent orchestre pop « Zoo ».
À une journaliste qui lui demandait : « Avec votre dernier disque apparaît une forme nouvelle dans votre univers musical : la pop musique, pourquoi ? »
Léo Ferré répondait : « La pop musique... ça à l'air d'une blague, mais c'est vrai, du moins au début – c'est un bruit énorme – cela dit, c'est une façon neuve de concevoir la musique, c'est une esthétique particulière ».
Avant son prochain passage à l'Olympia, dans quelques jours les Marseillais pourront donc apprécier le nouveau tour de chant du grand « Ferré ».
Les places sont en vente chez Gébelin-pianos, 77, rue Saint-Ferréol, Marseille.
Le 8, soit le lendemain, Le Soir annonce :
Demain (et vendredi)
PALAIS DES CONGRÈS
FERRÉ ET ZOO
Léo FERRÉ sera demain et vendredi à Marseille, avec les ZOO au Palais des Congrès.
Le grand poète de la chanson française, l'homme du « dialogue avec la solitude », l'éternel chantre de la révolte et de la tendresse, présentera son tour de chant accompagné par l'excellent orchestre pop « ZOO ».
À une journaliste, Françoise Travelet, qui lui demandait : « Avec votre dernier disque apparaît une forme nouvelle, dans votre univers musical la pop musique, pourquoi ? »
Léo FERRÉ répondait : « La pop musique... ça à l'air d'une blague, mais c'est vrai du moins au début. C'est un bruit énorme – Cela dit, c'est une façon neuve de concevoir la musique, c'est une esthétique particulière. Ce n'est pas tellement la musique en soi que tout ce qu'il y a autour, politiquement, sociologiquement. Elle est liée à une pensée jeune, libérée ».
Avant son prochain passage à l'Olympia, dans quelques jours les Marseillais pourront donc apprécier le nouveau tour de chant du grand « FERRÉ ».
Les places sont en vente chez GÉBELIN-PIANOS, 77, rue Saint-Ferréol.
Le lendemain toujours, le 9, on peut lire :
Ce soir et demain
au Palais des Congrès
Léo Ferré
Léo Ferré sera ce soir jeudi, et demain vendredi, à Marseille avec les « Zoo » au Palais des Congrès.
À une journaliste, Françoise Travelet, qui lui demandait : « Avec votre dernier disque apparaît une forme nouvelle, dans votre univers musical : la pop musique, pourquoi? ».
Léo Ferré répondait : « La pop musique... Ça a l'air d’une blague, mais c'est vrai, du moins au début – c'est un bruit énorme – cela dit, c'est une façon neuve de concevoir la musique, c’est une esthétique particulière ». Avant son prochain passage à l’Olympia dans quelques jours, les Marseillais pourront donc apprécier le nouveau tour de chant du grand « Ferré ». Les places sont en vente chez Gébelin-pianos – 77, rue Saint-Ferréol.
Ce spectacle annoncé de nombreuses fois, se déroulera mal, comme on l’a déjà raconté. Le 10 mars, Edmée Santy signe cette fois :
Music-hall
Face aux fauves du palais des Congrès
Un ALBATROS rugissant : LÉO FERRÉ
soutenu par de jeunes lions : LES ZOO
Ses yeux de myope l'empêchant de ciller, ses mains d'enchanteur l'empêchant de cogner, son cœur d'Archange noir l'empêchant de se battre, FERRÉ, superbe et solitaire « ALBATROS » a hier, maté la hargne, la bêtise de quelques cinquante fauves perturbant par leurs farandoles « internationales » et leurs poings de blanc bec, une salle archicomble, venue, une fois encore, entendre le MAGE.
Au nom de quel « isme », de quelles frontières, de quelle révolution, ces puérils desperados croient-ils que cracher à la face du POÈTE c'est faire acte d'adulte.
« La Poésie, ça ne se lave pas », FERRÉ ne les a pas attendus pour se moucher dans l'anti-conformisme, pour fouler l'ordre, pour clamer qu'il vit « à la dimension 4 ». FERRÉ a payé assez cher de suivre son « enterrement », de se barder contre les c.., qui le « lapideront ». FERRÉ, avec ou sans « PÉPÉE » ne l'a-t-il pas vécu, lui, son « Âge d'or » ?
Alors pour ces « limonaires » auréolés d'azur, pour cette « bouche ouverte comme du feu », alors pour ces « JE T'AIME » dressés en holocaustes, alors que [sic] pour ces « papiers » extorqués au Poète pour « Ton style » charriant le sang, la vie, l'ordure peut-être, mais toujours des gemmes constellés, c'est à vous, Monsieur FERRÉ, que nous disons « Thank you ».
Anarchiste de la planète Minerve, combattant de Satan et du Bonhomme Dieu, les chaînes de Renault et des vitamines factices ne les a-t-il pas brisées pour qu'on le laisse poursuivre son monologue. Ce long et sublime cri qu'à force de pousser les étoiles elles-mêmes en ont tremblé dans la galaxie.
On ne jette pas des pièces dans la sébile de Monsieur FERRÉ, on ne bivouaque pas en campus rageurs à ses pieds. On l'écoute, et on se tait car, de Belleville à l'Huveaune, de l'Oural à Billancourt qui, à part lui, a parcouru tant de chemins, semé autant de constellations ?
Dans ce pugilat atroce, Ferré a trouvé chez les « ZOO » d'ardents chevaliers. Étonnants « lions » entonnant leurs décibels « pop » mais prouvant que pour faire du bruit, certains jeunes savent encore entendre battre leur cœur ; ce cœur qui, au rythme du « Patriarche », a repris le goût de la dignité.
Si vous êtes un « chien », Monsieur FERRÉ, permettez-nous, de faire taire la meute des roquets pour que le bruissement de « vos ailes de géant » emplissent notre « Solitude ».
Votre « Solitude », qu'avec ou sans clin d'œil, avec ou sans trompette (ni clairon) vous assumez à en mourir... d'aimer.
Edmée SANTY
LÉO FERRÉ et les ZOO seront à nouveau ce soir au Palais des Congrès. Rappelons que, paradoxalement, la venue de « l'ANAR », de l'Interdit, du « Maudit » est organisée par les concerts MAZARINE, hôtes habituels de l'Abbaye de Saint-Victor.
La tournée qu’il fait à la suite de son spectacle de l’Olympia amène Ferré à Marseille en décembre. Il se produit au théâtre Toursky, comme l’annonce Le Soir du 16.
Léo
FERRÉ
au théâtre Axel-Toursky
du 19 au
23 décembre
Léo Ferré, qui s'est produit l'année dernière [sic] avec le groupe pop « Zoo », sera de nouveau à Marseille dans les prochains jours. Il chantera, du 19 au 23 décembre, à 21 h, au théâtre Axel-Toursky (22, rue Édouard-Vaillant).
Léo Ferré, seul avec lui-même (et avec son pianiste), va dialoguer avec les étoiles, l'amour, la vie, cette « chienne de vie » dont il est le poète illuminé et incomparable.
Pour ces soirées exceptionnelles, la location est ouverte au théâtre Toursky (tél. 50 75 91).
Deux jours plus tard, le 18, une nouvelle annonce est faite :
LÉO FERRÉ
Le théâtre Axel-Toursky nous communique : location terminée pour demain mardi – complet –. On peut encore louer pour samedi et les autres jours.
Le lendemain, 19 décembre, on rappelle :
Pour 3 soirs à Marseille
(au théâtre Axel-Toursky)
Monsieur FERRÉ
Si ce soir le théâtre Axel-Toursky affiche complet pour la première du récital Léo FERRÉ, l’on peut encore louer, pour demain et jeudi soir (22, rue Édouard-Vaillant), la venue de Monsieur FERRÉ – avec son seul pianiste – à Marseille est un événement, le poète écorché n'est-il pas, déjà, entré dans la légende ?
(Photo Le Soir)
La relation du spectacle paraît le 20, dans un texte signé de la journaliste :
L'ACTUALITÉ DES ARTS ET DU SPECTACLE
Au THÉÂTRE AXEL-TOURSKY (jusqu'au 23 inclus)
FERRÉ 72 : une clameur torrentielle et constellée
Une clameur, un coup de g..., un coup de poing, une âme déchirée, constellée, un torrent de boue et d'étoiles, le cri de la Bête pour ne pas entendre les pleurs de l'Ange, un géant crucifié, déchiré, loqueteux, sublime, des cheveux enneigés auréolés d'épines et de cendres, un FERRÉ tout noir, un FERRÉ tout rouge, un FERRÉ délirant, dialoguant avec le cosmos, un « voyant » de l'an 10. 000, un amant ébloui qui tonne et insulte pour mieux prier, un déluge de pudeur, un hymne à l'Amour, voilà le FERRÉ 72.
Seul, avec Paul CASTAGNIER [sic], le complice de la nuit obscure, le compagnon du clavier, FERRÉ se met à nu, « géométrise son âme », interroge « Qui donc inventera le désespoir ? », cueille « la fleur de l'âge », rapetasse les souvenirs de « ceux qui n'ont plus de maison », déclenche le vacarme des vitrines, se gausse de la « mélancolie » et ballotté, cahoté, démiurgique face à la lèpre, au quotidien, au vice de bas étage, aux compromissions, aux évasions de « super-marché », déflingue les boutons de la télé « consommation » pour édifier une ode monumentale, déchirante, « LES AMANTS TRISTES », un mausolée qui a le goût du soufre mais une coupole en plein azur. Si LAUTRÉAMONT avait été amoureux, si RIMBAUD avait vécu, si GENET savait regarder, ils auraient employé les mêmes mots, auraient inventé un identique « miracle des voyelles ».
Et FERRÉ, lui, plie, lit, froisse l'autre jusqu'à ce qu'elle crée, jusqu'à ce que le maëlstrom du désir balaie et confonde les corps à l'anéantissement de l'âme.
Vingt-neuf titres, un glossaire, le Coran des « Mal aimés », des « Trop aimants », la Bible dégorgée des « Solitaires », un récital qui n'en est pas un tant la tension, la hargne, la vomissure, les « tripes », la voix s'entrechoquent, s'affrontent, s'empoignent, « s'archangélisent ».
• Vingt-neuf titres qui font mal et qui éblouissent,
• Vingt-neuf prières,
• Vingt-neuf colères,
• Vingt-neuf poèmes qui donnent tort à Monsieur d'Alambert, aux ordonnateurs, aux geôliers, aux revendeurs de médiocrité, à tous ceux qui veulent « culturiser » l'absurde et endoctriner les théorèmes,
• Vingt neuf merveilles nauséabondes et cosmiques qui permettent de croire en autre chose, de voir la Voie lactée, de déboulonner « la Jeune Parque », d'apporter, à la pointe du cœur, la preuve rageuse que la Poésie n'est pas asexuée ni éthérée, qu'elle est une clameur qui n'a pas fini de lézarder les HLM comme les Élysées, et qu'il faudra bien, un jour, en l'an 10. 000, parce que maintenant « il n'y a plus rien » que nous ayons alors « le temps d'inventer la vie ».
• Le drapeau noir de l'oppression, de l'opprobre, de l'injustice, le drapeau sang de la Révolution, le drapeau artificiel et « dé-hampé » d'une jeunesse étriquée, vous voyez bien que LÉO FERRÉ les a abattus pour mieux planter son étendard à lui, celui du délire, de l'amour et du génie.
Edmée SANTY.
UN HIBOU, UN VAUTOUR, UN AIGLE, UN HOMME (Photo Gaston Schiano).
ATTENTION LÉO FERRÉ EST AU THÉÂTRE AXEL-TOURSKY, 22, RUE ÉDOUARD-VAILLANT, 50 75 91, CE SOIR, DEMAIN JEUDI, VENDREDI 22 ET SAMEDI 23.
Le 21, Le Soir insiste encore :
« FERRÉ 72 »
au TH. « TOURSKY »
(22, rue Édouard-Vaillant
tél. 50 75 91)
une clameur et un
hymne à entendre
ce soir, demain, samedi
Le 23 enfin, le journal regrette :
Th. « A.-Toursky » :
dernière, ce soir
FERRÉ
FERRÉ est venu, Ferré s'en va mais ce soir encore pour la dernière fois nous entendrons sa clameur et son chant d'amour et de rage (Théâtre Axel-Toursky, 22, rue Édouard-Vaillant, téléphone 50 75 91).
Plus tard cette fois, le 12 janvier 1974, Le Soir annonce :
Au « Toursky » (22 au 27)
LÉO FERRÉ
C'est un rendez-vous à ne pas manquer avec cet authentique poète qui ne cesse de crier sa colère ou son espoir ; son amour ou sa haine.
Seul en scène ; il nous revient pour cinq soirées en ce début d'année 1974.
Lui, qui dès le départ a cru en la démarche de Richard Martin, marque son attachement au théâtre Toursky en venant se produire une fois de plus sur la scène du Toursky.
La location est ouverte librairie La Touriale, bd de la Libération, maroquinerie Dallest, cours Belsunce, au théâtre – tél. 50 75 91.
Prix des places 15 F + taxes.
Le 22, soir de la première, on peut cette fois lire :
Au « Toursky »
LÉO FERRÉ
Le voici donc qui revient, par amitié, par fidélité, par talent, le voici, ce Léo FERRÉ, encore grandi sous la neige des cheveux et encore plus solitaire dans l'arène de l'humanité.
Un FERRÉ tout noir, un FERRÉ tout rouge, le FERRÉ poète qui prie et chante son génie comme d'autres dressent des barricades ou cultivent leur jardin. Un FERRÉ qui a signé avec Richard Martin du théâtre TOURSKY un pacte de qualité, de lutte et de confiance.
Un FERRÉ qui pour les Marseillais retrouvés chantera dès ce soir et jusqu'au 26 janvier tout ce qu'il a dans la tête et dans le cœur, c’est-à-dire le monde entier.
Théâtre TOURSKY, 22, rue Édouard-Vaillant (tél. 50 75 91).
Curieusement, pour la première fois depuis des années, ce n’est pas Edmée Santy qui rendra compte de ce spectacle, mais Jean-René Laplayne.
Je ne pense pas posséder dans mes dossiers la totalité des articles qu’Edmée Santy a consacrés à Léo Ferré. Ces quelques textes sont suffisamment révélateurs, néanmoins, de l’admiration qu’elle lui portait. Ces articles, bien sûr, sont un peu brouillons, pas toujours rédigés dans une langue très correcte : Edmée Santy, avec son usage abusif des capitales, des guillemets et ses alinéas constants, n’est pas Claude Sarraute. Ils montrent en revanche – au moins en partie – l’effet que pouvait produire Ferré sur les femmes, sur une femme dont la profession était de rédiger ces comptes rendus de spectacles et qui, à ce titre, aurait pu le faire avec beaucoup plus de distance. Ces coupures de presse fleurent bon, aussi, une époque de la société, un moment du poète.
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jeudi, 05 juillet 2007
Aimer Ferré
Je me suis toujours demandé ce que signifiait, pour ceux qui l’aiment, le fait de, justement, « aimer Léo Ferré ». La question vaut, d’ailleurs, pour tous les artistes et même pour tous les sujets possibles.
Aimer Ferré, est-ce que cela peut être l’aimer « comme ça », c’est-à-dire connaître quelques chansons et prendre plaisir à les écouter ? Ou bien connaître quelques chansons et apprécier d’en découvrir d’autres ? Est-ce avoir une vague connaissance de l’homme et de son œuvre, être à peu près capable de le situer artistiquement ? Est-ce collectionner stérilement les documents, de quelque nature qu’ils soient, pour le plaisir maladif d’accumuler des objets reliés par un thème ? Encore existe-t-il plusieurs niveaux de gravité de cette maladie communément désignée par le terme de « collectionnite ». Est-il utile de préciser que je n’aime pas (litote) les collectionneurs stériles ? Aimer Ferré, est-ce encore adouber tout interprète même médiocre qui ne vise qu’à se servir lui-même, et s’imaginer que la mémoire de Ferré et la vie de son œuvre ont besoin de l’interprète en question, ce qui serait d’ailleurs plutôt étonnant : confier la postérité (dont l’artiste lui-même n’avait que faire, d’ailleurs) à la nullité est un pari risqué. Aimer Ferré, est-ce pouvoir négliger la lecture d’ouvrages qui lui sont consacrés (il n’est pas besoin, je pense, de préciser ici que je ne mets absolument pas mes propres livres dans la balance ; ma question demeure de portée générale) ? Est-ce tirer un trait sur ce qui paraît a priori difficile et qui, concrètement, se révèle être, la plupart du temps, la partie de l’œuvre non chantée ? Est-ce refuser de considérer l’œuvre dans toutes ses dimensions et de tenter le cheminement intellectuel indispensable à la cohésion : y a-t-il grand-œuvre ou pas ? Et si oui, pourquoi négliger certains de ses aspects ?
Étudier un sujet, un domaine, une création, est une chose que je ne conçois pas sans un investissement complet : connaître l’œuvre dans le détail, lire tout ce qui a été écrit sur la question, en tirer des travaux personnels. C’est de cette manière que je procède, dans tous les domaines qui m’intéressent – ils sont nombreux – depuis toujours.
Que ce qui précède ne soit surtout pas mal compris. Loin de moi l’idée de dicter des conduites, d’imposer des points de vue. J’ai assez répété qu’ici, je ne disais pas le droit. Simplement, il me semble qu’aimer tel ou tel artiste, tel ou tel auteur, s’intéresser à tel ou tel domaine, cela ne peut pas être superficiel. Aimer Ferré, qu’est-ce que c’est ?
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mardi, 26 juin 2007
Contester Ferré
The Owl me pose une série de questions sur la contestation de Léo Ferré. Au cours de notre discussion, je lui réponds que, contrairement à ce que j’avais cru dans les premières années 70, les critiques avaient commencé longtemps auparavant. Elles étaient faites, surtout, par des journalistes. J’écris : « Or, les années passant, je découvre, dans la presse, des traces écrites d’une contestation équivalente... depuis 1962. C’est-à-dire : équivalente dans l’esprit (évidemment, il n’est pas attaqué dans la rue à ce moment-là). Mais déjà, on lui reproche, en gros, de gagner de l’argent alors qu’il se dit anarchiste. Cela commence finalement dès le lendemain du succès de l’Alhambra en 1961. Cela continuera, doucement mais réellement, jusqu’à la contestation « politique » des jeunes gens, plus tard. En 1966 (émission « La Vie de château », Panorama, qu’on peut voir à l’INA), on le pique un peu, dès le début, sur son château, ses « toiles de maître » supposées. Il est obligé de répondre que ce ne sont pas des toiles de maître et de s’emporter un peu. Et puis, d’archives en archives, je découvre qu’on lui faisait des reproches, déjà, en 1954 ! Au lendemain du spectacle de Monaco en présence de Rainier, on écrit ironiquement « l’ex-dynamitero pour cabarets d’avant-garde devenu musicien de cour » (je cite de mémoire) et autres gracieusetés. En résumé, donc, ce reproche d’une inadéquation supposée entre ses idées et son mode de vie lui a toujours été fait, dès qu’il a connu un peu de succès. Après 1968 – en gros, à partir de 1971 – ce sera bien plus violent, au point qu’il devra tenter de s’expliquer au micro de Campus (Europe 1) pour calmer le jeu, ce qui ne servira pas à grand-chose, d’ailleurs. Je crois qu’il a eu très peur de se faire descendre en scène, carrément. Il l’a dit plusieurs fois. Jusqu’en 1975 au moins, cela continuera. Puis ça se tassera mais, en 1979 encore, il y aura quelques problèmes ».
The Owl me demande alors de recenser tous les incidents survenus. Ce n’est pas possible : je ne les connais pas tous et une liste incomplète ne signifierait pas grand-chose. De plus, un chahut dans la salle et des coups de poing dans la rue, ce n’est pas la même chose.
The Owl pose aussi deux questions intéressantes :
Pourquoi à votre avis la critique se déplace-t-elle des journalistes au public ?
Il est très difficile de répondre à cette question d’une manière simple. Il faut prendre en compte l’évolution de la société, et l’arrivée de 1968. Avant cette date, la société de consommation est quelque chose de très stable. Il y a le plein-emploi : on n’hésite pas à changer de travail pour gagner un franc de l’heure de plus ; le chômage dure une semaine au maximum. On change de réfrigérateur tous les ans et de voiture tous les deux ans. Je simplifie, certes, mais ne caricature pas du tout. Cette société stable, on la croit éternelle : mieux, on croit que la société, c’est ça. Mais pour les jeunes de vingt ans, changer de réfrigérateur n’est pas un but en soi. À cette époque, la presse est le porte-parole essentiel. Radio et télévision d’État sont aux mains du pouvoir. Les radios dites « périphériques » (Europe 1 et RTL) sont un peu plus libres, mais soumises à des impératifs publicitaires. Il n’y a pas d’internet, bien évidemment, et fort peu de téléphones fixes. Le courrier et la presse sont donc les vecteurs essentiels de tout échange. C’est la presse qui se fait l’écho des tendances de la société, c’est par elle que la société s’informe. Si remarque sur Ferré il y a, c’est dans la presse qu’elle s’exprime. Les journalistes ont toujours eu beaucoup de pouvoir et, dans ces années, ils portent toute forme de débat. Ce qui nous amène à la question suivante de The Owl.
Pourquoi cela commence-t-il précisément en 1971 ?
Je ne garantis pas l’exactitude de l’année. Ce fut peut-être tout à fait à la fin de 1970, mais certainement pas avant. Je table sur 1971, en tout cas. Pourquoi ? À cause de l’affaire de L’Idiot international qui, dans son numéro 15 daté mars-avril 1971, appelle à recevoir Ferré, partout, « à coups de pavés dans la gueule ». Cela déclenchera une vague de violence qui durera plusieurs années. Que s’est-il produit ? 1968 a changé la société. Pas seulement en France, mais dans toute l’Europe et aux États-Unis (voir Daniel Cohn-Bendit, Nous l’avons tant aimée, la Révolution, Barrault, 1986). Les jeunes ont pris la parole et la rue avec. La société a changé du tout au tout. Tout est devenu politique (on disait d’ailleurs : « Tout est politique »). La moindre analyse du moindre fait social se fonde sur une dialectique marxiste, léniniste, maoïste, trotskyste, anarchiste, avec un doigt de Marcuse et une bonne louche de surréalisme. Pour être honnête, c’est très difficile à vivre et pourtant, rétrospectivement, cela paraît formidable : il y a bouillonnement incessant des idées… et mise en cause permanente de tout et de tous. Le comportement de chacun est en permanence questionné par autrui et chacun se doit, par ailleurs, de se remettre en question régulièrement. L’argent est honteux. Le féminisme, qui existe déjà, ne tardera pas à devenir très virulent, ce qui achèvera de déstabiliser les « vieux » (comprendre : plus de trente ans). Adoncques, les jeunes s’arrogent le droit de juger et de demander des comptes. Il faut impérativement avoir les cheveux longs, être barbu si possible, participer aux manifestations (plusieurs par mois) et se justifier si l’on n’y va pas : « Qu’est-ce que c’est pour toi, l’anarchie ? C’est les disques ? » (dialogue authentique). C’est un temps difficile à comprendre à présent : on fume librement et partout (des gauloises, autrement gare, il faudra rendre des comptes), on roule en voiture sans limitation de vitesse, sans ceinture, sans appuie-tête, sans contrôle d’alcoolémie (je ne dis pas que c’était intelligent, je dis que c’était ainsi), on fait l’amour sans précaution aucune (pas de sida, naturellement, peu de maladies vénériennes et arrivée de la pilule). On vit en communauté (pas longtemps). Il y a le mythe du retour à la terre, que beaucoup tenteront et dans lequel peu demeureront. Tout est libre : la vitesse et l’amour. Et les amours meurent en vitesse, aussi…
Le racisme anti-jeunes s’installe. Sous Pompidou, Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, est persuadé qu’il existe un complot anti-France, dirigé de l’étranger. La répression augmente dans les manifestations interdites, qui ont lieu quand même. Le fait d’être jeune peut suffire à être arrêté et je ne sais plus où j’ai lu ce témoignage de quelqu’un qui avait été interpellé parce qu’il marchait dans la rue avec Charlie-Hebdo sous le bras. Les CRS lui avaient pris son journal et l’avaient déchiré.
Et, donc, ces jeunes-là demandent des comptes à Léo Ferré. Beaucoup l’ont découvert en 1969 seulement et ignorent tout de son histoire antérieure. En janvier et février 1969, le récital présenté à Bobino reçoit l’accueil triomphal dont deux enregistrements publics conservent la trace. La popularité de Ferré augmente chaque jour et C’est extra berce les amours de l’été. En 1970, Amour Anarchie est reçu en mai comme un très grand manifeste et, quand, en novembre, paraît le second volume, on est épaté de constater cette force crétarice considérable, dont on ne sait pas qu’elle était déjà là avant. Il faut dire qu’alors, un 45-tours est un beau cadeau, un 33-tours davantage encore, et deux 33-tours, c’est immense. C’est difficile à comprendre, maintenant qu’on achète des « intégrales » de plusieurs disques compacts. Léo Ferré commence ainsi à devenir, à son corps défendant, un gourou, un prophète. Là, se produit ce qui se produit toujours en pareil cas. Le prophète-malgré-lui est victime de sa propre image, même si celle-ci ne correspond à rien ou seulement à une image, née dans l’esprit du public. Il doit être ce qu’on croit qu’il est, autrement, c’est la guerre. Et ce fut la guerre. On lui demande alors des comptes, en permanence, sur son mode de vie qui, selon les jeunes, devrait être moindre : en ces temps où une 2 CV ou une 4 L sont seules admises, la DS est mal ressentie. Les restaurants et les hôtels confortables, plus encore. La légende de la Rolls naît à ce moment-là : elle le poursuivra toute sa vie.
Cette contestation est donc la même que celle qui s’exprimait auparavant dans la presse, elle est seulement plus radicale, plus entière, parce que faite avec la fougue de la jeunesse dans une société libérée des contraintes des années 50 et 60, une société maintenant empreinte d’histoire, d’idées, de manifestes, d’utopie totale, de poésie aussi, parfois – encore qu’une vision poétique des choses soit mal acceptée par certains gauchistes, qui l’assimilent à la bourgeoisie. La presse est de plus en plus importante, mais ce n’est plus la même. Les journaux politiques et féministes abondent, ils se démarquent de l’information bourgeoise. Léo Ferré est souvent assimilé à la bourgeoisie. Les jeunes du moment contestent même l’artiste, concept infiniment bourgeois, selon eux.
Bien sûr, certains journaux révolutionnaires, tout comme les groupuscules qui les publiaient, durèrent le temps d’une chanson. Bien sûr, ce qu’on a appelé « le choc pétrolier de 1973 » sonnera la fin de la récréation. Bien sûr, en 1976, Chirac claquera la porte de Matignon et fondera le RPR, cependant que Giscard nommera Barre au poste de Premier ministre et tout ça changera, avec le chômage qui commencera à s’installer plus que durablement. Dans les premières années 80, le sida achèvera de transformer la société, dans le moment même où les socialistes introduiront la rigueur. Plus rien ne sera pareil. Les mentalités évolueront. Un jour, un des contestataires du palais des Congrès de Marseille, un de ceux qui, en groupe, lui avaient craché dessus, ira, seul, voir Ferré chez lui et lui dira, en substance, qu’il a changé, qu’il regrette, qu’il n’avait rien compris. Le poète le fera entrer et boira avec lui un verre de vin blanc.
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vendredi, 15 juin 2007
Le site de l’INA
On a pu observer, récemment, l’ajout de nouvelles images de Léo Ferré sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Quelques conclusions s’imposent.
Le fonds initial, ainsi que les compléments qui lui avaient été apportés précédemment, proposaient deux sortes de documents. Ceux qu’on pouvait acheter (quelques brefs instants étaient proposés en visionnage afin de savoir de quoi il s’agissait) et ceux que l’on pouvait soit acheter, soit visionner gratuitement dans leur intégralité. Intégralité d’ailleurs relative puisqu’il s’agissait, le plus souvent, d’extraits saucissonnés d’une même émission. Pas toujours cependant : certaines émissions étaient intégrales. Plus exactement, il s’agissait de l’intégralité d’un sujet (par exemple, « La vie de château ») dans le cadre d’une émission plus longue (Panorama) ; mais au moins, on disposait d’un tout. Soit gratuitement sur un tout petit écran, soit en payant et en passant alors au plein écran. Je n’évoque pas ici les ennuis techniques qu’a longtemps connus le téléchargement. Cela, aujourd’hui, est rétabli.
L’ajout récent ne comporte, lui, que des extraits payants (avec, comme toujours, l’offre d’un bref visionnage d’information) et l’on s’aperçoit qu’il s’agit exclusivement de chansons interprétées dans telle ou telle émission de télévision, ces chansons étant totalement coupées de leur contexte et, par conséquent, incompréhensibles – j’entends par là : inutilisables « historiquement » et quant à la signification de leur présence dans l’émission. Pis : si les références de l’émission sont heureusement données, ce qui est bien le moins, on s’aperçoit que la courte fiche descriptive systématiquement fournie avec le document, fiche qui, à l’ouverture du site, était aussi détaillée que possible compte tenu du bref espace dont elle disposait, est aujourd’hui réduite à rien : « Léo Ferré interprète telle chanson ». On achète donc une chanson filmée, point final. Qu’y avait-il avant ? Après ? Quel était le genre de cette émission ? La chanson a-t-elle été présentée par Ferré et si oui, comment ? Y a-t-il eu un entretien avec l’artiste ? On a délibérément abandonné la contextualisation artistique et historique au profit de l’événement ponctuel, factuel, qui saura peut-être satisfaire les fanatiques mais ne correspond à rien intellectuellement parlant.
En résumé, deux choix ont été faits : abandon de la contextualisation et des descriptions ; paiement systématique. Autrement dit, choix du commerce contre la documentation et la recherche. Ce n’est certainement pas étonnant. Je précise que le principe du paiement ne me dérange pas a priori, mais je ne veux pas être simplement un cochon de payant, comme on dit. Il nous appartient d’utiliser à l’avenir le site de l’INA en tenant compte de cela et en n’achetant pas n’importe quoi. Par ailleurs, on aura également vu que le critère de classement des documents est, par défaut, celui de la pertinence (on peut le modifier et le remplacer par celui de la date de l’émission ou celui de sa durée). Rien n’a été fait pour signaler visuellement les ajouts. Dans tous les cas, il faut partir à la recherche des nouveautés, c’est-à-dire avoir en tête la totalité du catalogue précédent, ce qui, déjà, devient hypothétique, alors qu’on ne propose à ce jour que cent-dix documents. On a privilégié le ludique, le spectacle, et oublié l’intérêt archivistique, pourtant évidemment primordial.
Je ne parle ici que de Léo Ferré mais, bien entendu, les derniers ajouts concernant d’autres artistes ont subi le même sort.
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samedi, 02 juin 2007
De la reconnaissance
Si tous les dictionnaires biographiques consacrés à la chanson comportent bien sûr une notice plus ou moins longue dévolue à Léo Ferré, on trouve aussi une notice dans (au moins) deux ouvrages consacrés à la musique et aux musiciens.
Dans le Dictionnaire illustré des musiciens français (Seghers, 1961), on peut lire : « Ferré (Léo). Né à Monaco en 1916. Auteur de chansons, dont il écrit le plus souvent texte et musique (Le Piano du pauvre, Monsieur mon passé, Paris-Canaille, Paname, Les Poètes, Jolie môme, Vingt ans, etc.), il a composé une Symphonie interrompue et un oratorio pour quatre soli, chœurs et orchestre sur La Chanson du mal-aimé d’Apollinaire ainsi que deux concertos et un opéra. Il a mis en musique les poèmes de Rutebeuf, Baudelaire, Aragon : « Léo Ferré rend à la poésie un service dont on calcule encore mal la portée… » et ses chansons avec Seghers (Merde à Vauban) et J.-R. Caussimon (Comme à Ostende) sont déjà classiques. Il a publié un recueil de poèmes : Poète… vos papiers ! »
Dans l’ouvrage de Frank Onnen paru en Belgique, Encyclopédie de la musique (collection « Références », n° 6, éditions Séquoia, 1964), est écrit : « Ferré, Léo, chanteur et comp. monégasque (Monaco 24. 8. 1916). Il écrit les textes et la mus. de ses chansons. Est également l’auteur d’un oratorio et d’une Symphonie interrompue ».
Que peut-on observer à partir de là ? Tout d’abord que, chez Seghers, Ferré est reconnu comme musicien (le Dictionnaire illustré des musiciens français est un ouvrage sérieux, dans lequel Ferré figure aux côtés des plus grands compositeurs) avant de l’être comme poète puisqu’il n’entrera que l’année suivante (1962) dans la collection « Poètes d’aujourd’hui », sous le numéro 93 présenté par Charles Estienne. Quand l’Encyclopédie de la musique le fait entrer à son tour dans ses pages, la reconnaissance en question franchit les frontières françaises.
Certes, c’est peu de chose, en quantité, encore que cette recension ne soit certainement pas exhaustive. Ce qu’il est peut-être intéressant de remarquer à présent, c’est ceci : Léo Ferré est reconnu comme musicien dans une période où il ne l’est pas nécessairement comme poète, en tout cas pas chez les poètes « du livre » qui tiennent la poésie chantée pour peu de chose. Puis, quand il sera plus volontiers tenu pour poète, ce sera au moment où lui voudra se tourner davantage vers la musique et là, c’est la critique musicale qui le recevra peu ou mal. Autrement dit, une reconnaissance qui paraissait être acquise a (au moins partiellement) disparu lorsque l’artiste a la possibilité de toucher de plus en plus à la musique symphonique, ce qui, personne ne l’ignore, était son rêve d’enfant.
Ce qui nous renvoie à la question posée il y a quelques mois dans ce carnet : Ferré, qu’est-ce que c’est ? et peut nous conforter dans la proposition de réponse qui avait été faite, toujours ici : un OVNI artistique.
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lundi, 28 mai 2007
La presse et la mort
À l’annonce de la disparition de Léo Ferré en 1993, une importante presse quotidienne puis hebdomadaire, mensuelle et trimestrielle, en France et à l’étranger, va paraître. Voici une revue des titres, à titre d’information. Est-il utile de préciser qu’elle n’est pas exhaustive ?
Dans les quotidiens du samedi 17 juillet : « Ferré, l’anarchiste poète est mort... un 14 juillet » (France-Soir), « Avec le temps, Léo... » (L’Humanité), « Léo Ferré : la mort d’un révolté » (La Marseillaise), « Ferré est mort » (Var-Matin), « Ferré : la mort en Toscane » (Nice-Matin), « Le vent a emporté le musicien des poètes » (France-Soir), « Léo Ferré est mort » (Le Provençal), « L’anar s’est tu, Léo Ferré est mort » (La Montagne), « Léo Ferré : la mort du poète "anar" » (Le Méridional), « Y en avait un sur cent » (Le Soir de Marseille).
Dans les quotidiens datés samedi 17-dimanche 18 : « Léo Ferré est mort » (Le Figaro-L’Aurore), « Avec Léo, va, tout s’en va » (Libération), « Léo Ferré tire sa révérence un 14 juillet ! » (Le Parisien), « Léo Ferré, "l’anar", est mort » (Ouest-France).
Dans les quotidiens datés du dimanche 18 : « Ferré l’anarchiste repose à Monaco » (La Marseillaise), « Avec le temps, Léo s’en va » (Le Journal du dimanche), « O fin de um velho rebelde » (Diário de noticias), « Léo Ferré repose à Monaco » (Le Méridional-dimanche), « Le "prince des anars" repose à Monaco » (Le Provençal-dimanche), « La canción francesa llora la muerte de Léo Ferré, una de sus voces más emblemáticas » (La Vanguardia), « Je t’aimais bien, tu sais... » (Le Bien public dimanche).
Dans les quotidiens datés dimanche 18-lundi 19 : « Léo Ferré, la révérence du poète anar » (La Croix), « Thank you, Ferré » (Le Quotidien de Paris), « L’anar chantant » (Le Monde), « Addio Ferré, poeta anarchico » (La Reppublica).
Dans les quotidiens datés du lundi 19 : « Léo Ferré, l’âme dans les étoiles » (Le Figaro), « Adieux à Léo » (Le Parisien), « Ferré, le caillou noir dans la mémoire française » (L’Humanité), « La vie Ferré » (Libération), « Léo, les mots du souvenir » (France-Soir), « Une graine d’anar s’est envolée » (Journal de Genève-Gazette de Lausanne), « Avec le temps, va, tout s’en va : même Léo Ferré est mort » (Le Soir de Bruxelles).
Dans les hebdomadaires datés du mercredi 21 : « Léo Ferré : ni Dieu, ni pompes, ni funèbres » (Charlie-Hebdo), « Là-haut Ferré (Le Canard enchaîné) ».
Dans les hebdomadaires datés 21 au 27 : « Léo Ferré : il est mort dans les bras de Marie, son seul amour » (Ici-Paris), « Merci Léo » (Globe-Hebdo).
Dans les hebdomadaires datés du jeudi 22 : « L’île Ferré a rompu ses amarres » (Rouge).
Dans les hebdomadaires datés du jeudi 22 au mercredi 28 : « La solitude » (Révolution), « À Ferré, la mort dans l’âme » (L’Express), « Léo the last » (VSD), « Léo Ferré, le dernier des grands » (La Vie), « Même les plus chouettes souvenirs... » (L’Humanité-dimanche), « Léo, et le reste » (Politis, l’hebdo), « Le roman du grand Ferré » (Le Nouvel observateur), « Léo Ferré, le plus grand » (L’Événement du jeudi).
Dans les hebdomadaires datés du samedi 24 : « Léo Ferré bas les masques ! » (Témoignage chrétien).
Dans les hebdomadaires datés samedi 24 au vendredi 30 : « Léo Ferré » (France-Dimanche).
Dans les hebdomadaires datés du lundi 26 : « Léo et les bas » (Elle).
Dans les hebdomadaires datés du mercredi 28 : « Léo, le soleil noir de la mélancolie » (Le Soir illustré).
Dans les hebdomadaires datés du jeudi 29 : « Léo Ferré, mort d’un lion » (Paris-Match).
Dans les hebdomadaires datés jeudi 29 juillet-mercredi 4 août : « Léo the last » (Révolution).
Dans les hebdomadaires datés du samedi 31 juillet au vendredi 6 août : « Salut l’artiste » (TV-Hebdo sud), « Léo Ferré un éternel révolté » (Télé loisirs), « Léo Ferré, salut l’artiste ! » (Télé K7), « Léo Ferré, le bonheur foudroyé » (Télé 7 jours), « Léo le provo » (Télérama), « Léo Ferré, le poète de l’espoir et de la révolte » (Télé-Poche).
Dans un hors série daté de l’été : « Spécial Léo Ferré » (Le Monde libertaire).
Dans un mensuel daté août : « Un poète nous a quittés : Léo Ferré » (Regard actualités).
Dans un quotidien du vendredi 6 : « Léo Ferré, jeho zivot - melancholicky slalom » (Litterarni Noviny de Prague).
Dans un quotidien du 8 : un article dans Standart, journal bulgare.
Dans les périodiques datés de l’automne : « Léo Ferré, le chanteur des pauvres » (Je chante !), « Monsieur Léo de Hurletout » (Chorus).
Dans un périodique canadien daté septembre-octobre : « Est-ce ainsi que les hommes meurent ? » (Chansons).
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mardi, 03 avril 2007
L’année 1970
Janvier
Le samedi 3, il chante à la Maison de la culture de Saint-Denis. Il se produit à la Mutualité, du mardi 6 au samedi 10, le prix des places étant fixé à dix francs. Il est accompagné au piano par Paul Castanier. Le programme vendu dans la salle comprend des propos recueillis par Françoise Travelet, l’année précédente. Le mercredi 7, il passe au journal télévisé de la nuit. À la mi janvier, il effectue une tournée de quinze jours au Canada, puis il chante au Théâtre 140, à Bruxelles, dont le directeur est Jo Dekmine (né en 1930), qu’il connaît depuis des années. Il rencontre le peintre belge d’origine polonaise, Charles Szymkowicz (né en 1948). Le samedi 24, il écrit pour lui un texte : « Le graphisme, c’est un peu la musique du papier... » Toujours en janvier, les actualités Gaumont lui consacrent six minutes, sous le titre Un nouveau Léo Ferré. Les lundi 26 janvier, lundi 2, mercredi 4, vendredi 13 et vendredi 20 mars, mardi 14 et samedi 25 avril, mercredi 21 octobre, il enregistre deux 30-cm Barclay intitulés Amour Anarchie, Ferré 70, qui comprennent : Le Chien, Petite, Poète... vos papiers!, La Lettre, La the nana, La Mémoire et la mer, Rotterdam, Paris, je ne t’aime plus, Le Crachat, Psaume 151, L’Amour fou, La Folie, Écoute-moi, Cette blessure, Le Mal, Paris, c’est une idée, Les Passantes, Sur la scène. Les deux disques, publiés séparément, seront ensuite groupés dans un album dont la pochette originale contient le texte « L’anarchie est la formulation politique du désespoir... » (il s’agit de celui publié dans Le Monde libertaire en janvier 1968, sous le titre Introduction à l’anarchie). Le Chien et La the nana sont accompagnés par le groupe pop Zoo. Le lundi 26 janvier, il enregistre La the nana. Cette prise est demeurée inédite. Le mercredi 28, il enregistre Sur la scène et La Lettre. Ces deux prises sont demeurées inédites. Les jeudi 29 janvier et mercredi 21 octobre, Ferré enregistre respectivement L’Adieu (poème d’ Apollinaire) et Avec le temps, qui deviendront un 45-tours Barclay (L’Adieu ne figure pas sur un 33-tours original ; il sera repris des années plus tard dans un 33-tours de compilation). Dans le mois, il donne une interview à France-Soir.
Février
Le jeudi 5, il passe à la radio canadienne dans l’émission Le Sel de la semaine. Toujours en février, à New York, un rendez-vous est raté entre Ferré et Jimi Hendricks. La rencontre était organisée par Jean Fernandez, représentant la maison Barclay aux États-Unis. Ferré rencontre les Moody Blues (Justin Hayward, Graeme Edge, Mike Pinder, Ray Thomas et John Lodge) et envisage une collaboration qui n’aura pas lieu à cause de problèmes de calendrier. Il est question qu’ils l’accompagnent dans La the nana et qu’ils se produisent ensemble au festival de la Pop music, au Palais des Sports. Les Moody Blues eux-mêmes envisagent de faire enregistrer Léo Ferré en anglais. Ferré tourne au Canada et Fernandez organise un enregistrement avec John Mc Laughlin, Miroslav Vitous et Billy Cobham. La bande est envoyée à Paris pour qu’y soit superposée la voix de Léo Ferré. Finalement, cela ne se fait pas et André Hervé, du groupe Zoo, l’utilise comme ligne directrice pour réaliser l’accompagnement du Chien. Le samedi 14, Ferré se produit au centre culturel de Seraing (Belgique). Il donne une interview à Témoignage chrétien du vendredi 27.
Mars
Le lundi 2, il enregistre La the nana et Les Passantes. Ces deux prises sont demeurées inédites. Le mardi 3, il enregistre Psaume 151. Cette prise est demeurée inédite. Le jeudi 12, il enregistre une émission de télévision qui ne sera pas diffusée, Tous en scène. Le vendredi 20, il enregistre La the nana. Cette prise est demeurée inédite.
Premier trimestre
Le texte Le mot, voilà l’ennemi paraît dans La Rue, n° 7, daté du 1er trimestre.
Avril
Il chante au Palais des Sports de Tours. Le mardi 14, il enregistre La the nana. Cette prise est demeurée inédite. Il accorde un entretien à Popmusic du jeudi 23. Il envisage de réenregistrer C’est extra avec les Zoo. Toujours en avril, Catherine Sauvage grave chez Philips Sur la scène et La Marseillaise.
Mai
Le jeudi 21, il chante au Pavillon des floralies de Vincennes. Le samedi 23, il passe à la télévision dans l’émission Samedi et compagnie, sur la 1e chaîne. Le vendredi 29 voit la naissance de son fils Mathieu, qu’il cachera durant longtemps.
Juin
Le vendredi 19, il achève à Florence la rédaction de son roman Benoît Misère. Quand Sartre effectue dans les rues, les samedi 20 et vendredi 26, une vente sauvage de La Cause du peuple, Ferré pense l’accompagner puis se ravise, craignant qu’on ne le taxe de volonté publicitaire. Les lundi 22 et mardi 23, il enregistre trois chansons en italien, I poeti, Niente più et La Notte dans une traduction d’Enrico Medail. Ces prises sont demeurées inédites. Le mardi 23, il envoie une lettre à Aragon, après le décès d’Elsa Triolet qu’il a appris avec retard.
Juillet
Le mardi 7, il chante au Théâtre de Verdure de Nice, le mercredi 29, au Théâtre antique d’Orange, le jeudi 30, il donne un récital à Marseille, Théâtre aux Étoiles, un théâtre en plein air installé l’été au palais du Pharo.
Août
En août, il est en Corse. Le mardi 4, il chante à Bonifacio.
Deuxième et troisième trimestres
Dans La Rue, n° 8, daté des 2e et 3e trimestres, est publié le poème Les Chants de la fureur, chant 1, Guesclin.
Septembre
Benoît Misère est publié par Robert Laffont (l’ouvrage porte un bandeau : « Le premier roman de Léo Ferré »), à l’initiative de Revel.
Octobre
Le mercredi 28, il passe à la télévision dans l’émission Post scriptum, sur la 2e chaîne, où l’on présente Benoît Misère, avec Paul Guimard et Jean-Pierre Chabrol. Le jeudi 29, il chante au Griffith Club de Genève. L’ invitation porte la mention : « Grande soirée d’ouverture (smoking conseillé) ».
Novembre
Du mercredi 11 novembre au mercredi 16 décembre, il passe à Bobino, au long de quarante-deux représentations qui ont lieu tous les soirs sauf le lundi à 21 h, le dimanche à 15 h. Ce sera la dernière fois car Félix Vitry, le directeur de la salle, mourra quelque temps après. Léo Ferré ne voudra pas continuer à chanter à Bobino après Vitry. Le programme vendu dans la salle comprend Demain. Lors de ce spectacle, il interprète Il y a, qu’il n’enregistrera jamais. Il est accompagné au piano par Paul Castanier. Dimanche 15, il passe au journal télévisé de 20 h. Il donne une interview à Bonnes Soirées du dimanche 15 et à Femmes d’aujourd’hui du mercredi 18. Le samedi 21, il passe à la télévision dans l’émission Samedi et compagnie où des extraits du récital à Bobino sont donnés.
Décembre
Au théâtre du Tertre, le comédien Jacques Roux met en scène et interprète Une saison en enfer, spectacle au cours duquel il fait entendre des chansons de Léo Ferré (il s’agit du disque Verlaine et Rimbaud, qui passe sur un électrophone posé au sol). Le jeudi 31, il donne une interview à Émile Noël, pour l’émission Profils sur France-Culture.
Quatrième trimestre
Le texte Le Conditionnel de « variétés » est donné dans La Rue, n° 9, au 4e trimestre. C’est Jean-Pierre Chabrol qui a trouvé ce titre.
Dans l’année
Barclay publie un dossier de presse non daté avec le texte de Maurice Frot, Léo, forgeron de l’enfer. Dans l’année, il donne une interview au Soir illustré. Toujours dans l’année, le pétrolier Antar commandite à Barclay un 45-tours promotionnel qui comprend Jolie môme et Merde à Vauban, dans le cadre de son opération Antarama 70. Au cours d’un Campus spécial « 30-40-50 » réunissant trois générations d’artistes, Ferré rencontre Claude Nougaro.
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dimanche, 01 avril 2007
Imprimatur, IV
(photo X, vers 1979)
Définitivement fixé en Italie, Léo Ferré installe bientôt, de nouveau, son imprimerie et crée ses éditions, Gufo del Tramonto – le Hibou du couchant – qu’il ne commercialisera pas. Il s’attachera à des formats inusités et au choix de papiers non prestigieux, mais d’excellente texture. Finis les dos thermocollés de la période précédente. À présent, les plaquettes – à l’exception des « quatre-pages », « huit-pages » et de Je parle à n’importe qui – seront agrafées. Sur la photographie ci-dessous, on remarque évidemment, aux côtés de la presse, la présence d’un piano électrique. Tout cela est, chez Léo Ferré, véritablement indissociable.
Sa première production estampillée Gufo del Tramonto paraît en 1974. C’est une plaquette au format tout en hauteur de 13 x 38 de trente-six pages non foliotées, intitulée Il est six heures ici et midi à New York. C’est toujours la même formule que retient l’auteur : textes et illustrations en trois bichromies (noir-rouge, noir-bleu et noir-jaune : les passages sont effectués séparément). Il effectue cette réalisation avec l’aide de sa belle-sœur Danièle, comme le précise l’achevé d’imprimer du 2 novembre 1974. Les illustrations sont d’Astrid, Pisanello, Millet, Serge Arnoux, Beham, Naudin, Callot, Van Gogh, Daumier, Jean Veber, Bodmer, Braquemont, Bellanger, Brouet, ainsi qu’une gravure flamande de 1647.
En 1975, il imprime L’Espoir, recueil de textes et d’illustrations de vingt-quatre pages au format 22 x 27 avec des textes, des illustrations et des photographies de Grooteclaes, des lithographies de Steinlen et Odilon Redon. Le recueil, entièrement en noir et vert, atteste la trichromie : trois passages en machine. Et Mathieu en couverture. Des exemplaires de cette plaquette ont été encartés dans le programme du spectacle donné cette année-là au palais des Congrès.
La même année, Je parle à n’importe qui est un ouvrage de très grand format (28 x 42) publié sur vingt-huit pages, illustré par Charles Szymkowicz. Les pages ne sont pas reliées du tout, comme souvent dans les livres d'art, et foliotées en chiffres romains. Le tirage fut de deux-cent cinquante exemplaires numérotés sur papier du moulin Magnani à Pescia, en Toscane – moulin dont on trouve une trace dans Et... basta ! L’ouvrage est dédié à Marie-Christine Ferré, il est imprimé en garamond de corps 12.
L’année suivante, un « quatre-pages » sans titre est publié pour le spectacle donné à Genève le 4 novembre 1976 (format 16 x 23). Quelques textes à l’intérieur.
Retour à l’impression de musique avec La Chanson du mal-aimé. Dans un format réduit (20 x 26, 5), Léo Ferré imprime son manuscrit sur papier bleu (il s’agit ici d'une photocopie en noir). Souvenir des « petits-formats » de Pershing ? Attachement de toujours à cette œuvre symphonique ? Un peu des deux, peut-être.
En 1979, un tout-petit format (8 x 14) sur trente pages de papier bleu propose La Méthode et quelques textes. Composé en garamond de corps 6, il est illustré par des dessins d'Olivier Bernex et de Serge Arnoux, ainsi que par une lithographie d’Odilon Redon.
La même année, il envisage la publication d’Alma Matrix, dont son ami Serge Arnoux signe les dessins. Cela ne se fera pas.
Un « huit-pages » non agrafé au format 13 x 17, 5, tiré sur papier fort avec l’aide de Mathieu Ferré en 1981 : Farò del mio peggio, comprend quelques textes et des illustrations.
Après cette production imprimée par ses soins, quelques ouvrages vont être publiés sous la marque Gufo del Tramonto, mais imprimés par Arti Grafiche Nencini, à Poggibonsi.
Ainsi, en 1989, il fait reparaître son roman Benoît Misère. L’achevé d’imprimer mentionne uniquement le mois de novembre, sans quantième. En quatrième de couverture, une photographie signée Hubert Grooteclaes.
En 1990, il réédite Testament phonographe, dont l’achevé d’imprimer ne porte pas de date. Le copyright demeure celui de la première édition chez Plasma (soit 1980), puisqu’il l’avait de toute façon conservé.
En 1991, Marie-Cécile Ferré, sa première fille, conçoit graphiquement une plaquette sans titre sous couverture rouge illustrée par un portrait de son père, signé Grooteclaes. De format 21 x 30 sur seize pages avec des photographies de Grooteclaes et de Marouani, ainsi que quelques illustrations, elle est vendue lors des spectacles de l’artiste.
On voit que, pris par ses tournées très nombreuses, Léo Ferré a renoncé à éditer lui-même ses livres. Il se limite désormais aux plaquettes à tirages réduits. Encore celle de 1991 ne sera-t-elle pas imprimée par lui, mais, comme les deux livres ci-dessus, par Arti Grafiche Nencini.
Enfin, voici une image de l’artiste devant son massicot.
(photo Alain Marouani, premières années 80)
Et l’on terminera cette évocation des arts graphiques chez Léo Ferré par cette vue du musicien rejoignant l’imprimeur, dans un bâtiment tout en longueur de Castellina-in-Chianti. Puis par ces portraits de 1961 à Pershing rejoignant celui des années 80 en Italie, dans la constance d’une mémoire imprimée.
(photo Hubert Grooteclaes)
(photo Michel Brodsky)
(photo X)
(photo Hubert Grooteclaes)
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vendredi, 30 mars 2007
Imprimatur, III
Au printemps 1968, Léo Ferré s’installe avec Marie en Lozère, durant deux mois, à mille deux-cents mètres d’altitude – mais ils dorment à l’hôtel à Aumont-Aubrac – puis en Ardèche, à Cubagnac, près de Sanilhac et de Largentière, dans une maison trouvée par l’intermédiaire de Jean-Pierre Chabrol.
Il est remarquable que, dans une période nouvelle, difficile, attentif à une vie neuve qui s’ouvre pour lui avec, à ses côtés, une jeune femme de vingt-et-un ans, à l’orée – mais il ne le sait pas encore – d’une période d’une grande fécondité artistique, Ferré se tourne de nouveau vers l’imprimerie. Au cours du quatrième trimestre, il imprime un recueil de textes et d’illustrations de quarante-six pages intitulé Mon programme (daté 1969 sur la couverture). Il vit en Ardèche, mais il indique l’adresse familiale de Monaco comme étant celle de l’auteur. Le format est 21 x 31. L’ouvrage n’est pas folioté dans son ensemble, cependant, les pages 7 à 12 sont, elles, numérotées 1 à 6. Les pages 19 et 20 portent les numéros 13 et 14. La page 25 est dite 17. Sans doute ces feuillets avaient-ils été prévus pour une autre réalisation. On observe encore qu’une reproduction de Steinlen est en bichromie (rouge et bleu), un dessin de Pépée par Dimey en trichromie (noir, bleu et jaune). La couverture est aussi en trichromie (noir, bleu et jaune) puisque le personnage dessiné par Dimey a les yeux verts. On peut donc déduire de ces remarques qu’il n’y eut jamais quatre passages mais trois au maximum, alors que les quatre couleurs sont bien présentes dans la plaquette, mais jamais ensemble.
Dans l’année, il imprime aussi une plaquette sans titre et sans date de seize pages, toujours au format 21 x 31, comprenant son texte Bonsoir et un autre de Frot, Léo, forgeron de l’enfer. L’exemplaire que j’ai pu acheter au marché aux livres de la rue Brancion à Paris, il y a peu d’années, porte cette curieuse dédicace au stylo à bille bleu : "Pour Galli le musicien. Ferré, l’autre... musicien de hasard ! Léo Ferré, 12 décembre 1968". J’indique cette suscription manuscrite uniquement parce qu’elle atteste que la plaquette a bien été éditée au plus tard cette année-là.
Il imprime encore une plaquette sans date d’une douzaine de pages, comprenant uniquement ce dernier texte. Le titre est dessiné par Frot.
Ces publications hors-commerce, vendues lors de ses spectacles, sont de simples feuillets dactylographiés sur une machine électrique IBM à boule, tirés sur une petite machine offset et reliés par un dos thermocollé fragile. En dépit de cette simplicité technique, il y a toujours des illustrations et, on l’a vu, des essais de couleur.
L’année suivante, il fait paraître une autre plaquette encore, comprenant la lettre que vient de lui faire parvenir par pneumatique, le 13 janvier, le syndicat des artistes-musiciens de Paris et de la région parisienne à propos de son utilisation de bandes enregistrées dans son spectacle de Bobino, et la réponse qu’il lui adresse le 14, avec copie aux musiciens des séances d’orchestre de Jean-Michel Defaye. Il s’agit d’une simple pochette contenant le fac-similé de cette correspondance. La couverture est en bichromie (bleu et jaune).
On voit donc que, ne disposant plus, pour le moment, du matériel de professionnel qu’il a acquis quelques années plus tôt, Léo Ferré, qui n’a plus de maison à lui (il ne s’installera en Italie qu’au cours de l’été 1969 dans une villa de San Casciano, puis en janvier 1971 à Castellina-in-Chianti), ne renonce jamais à sa passion de la chose imprimée et continue, avec les moyens du bord, à s’auto-produire.
Marie-Christine Diaz et Maurice Frot en 1969 (photo X)
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mercredi, 28 mars 2007
Imprimatur, II
À Perdrigal où l’apprenti-imprimeur dispose de place et, le succès venu, de moyens d’acquérir du matériel, les choses vont changer. Léo Ferré fait l’acquisition d’une Heidelberg, communément considérée comme « la Rolls de l’imprimerie ». C’est, en matière de presse offset, ce qui se fait alors de mieux. Il achète aussi une photocomposeuse de marque Diatype et installe son atelier dans une ancienne ferme située dans son domaine, au lieu-dit Baradesque basse.
On sait qu’il passe désormais à la vitesse supérieure et entreprend la réalisation des Mémoires d’un magnétophone, un ouvrage complet de deux-cent trente pages au format 18 x 24, à dos carré cousu, couverture illustrée par Maurice Frot et jaquette avec photographie signée Grooteclaes, en garamond de corps 14 sur papier Centaure d’Arjomari. Ce n’est pas un mince travail, même si le tirage est relativement faible. L’écho dans la presse, lui, est considérable puisque nombreux sont les journaux présentant le livre qui insistent sur le fait que Léo Ferré a lui-même procédé à la fabrication du volume, avec l’aide de Frot, quelquefois de passage dans le Lot. « Léo Ferré a créé sa propre imprimerie et sa propre maison d’édition. Il s'est d’ailleurs chargé personnellement de la composition de l’ouvrage. À la main : deux heures un quart par page » peut-on lire dans France-Soir (malheureusement sans référence). Le Figaro littéraire s’en mêle dans son numéro du 9 au 15 octobre 1967, sous la plume de Geneviève Dormann : « Il est rare que la naissance d’un auteur provoque celle d’un éditeur. C’est pourtant le cas. Léo Ferré a donc fondé sa propre maison d’édition, Perdrigal (...) Ainsi les Ferré font des livres comme d’autres font des confitures ou mettent des cornichons au sel ». Dans Elle du 7 décembre 1967, c’est Benoîte Groult qui note : « Léo Ferré a trouvé si belles les confidences de sa femme à son magnétophone qu’il a voulu faire de ce texte, qui lui était dédié, un livre qui soit leur œuvre à tous les deux. Et comme rien ne l’arrête, il a acheté des machines, il a appris à typographier, à brocher et il a réussi à éditer tout seul ces Mémoires d’un magnétophone ». La palme revient à La Dépêche du midi qui, dans son édition lotoise du 26 novembre 1967, fait une « accroche » à la Une et, en page 5, un très grand article abondamment illustré par des photographies signées Jef : « Dans sa propriété de Gourdon (Lot), Léo Ferré est devenu éditeur pour publier le premier livre de sa femme. De notre envoyée spéciale : Annette Brierre ». Car il y eut en effet une journaliste dépêchée sur place, accompagnée d’un photographe. Ferré imprime également une affiche annonçant cette parution ; elle reproduit la couverture.
On sait qu’il offrit à sa femme un magnétophone – très certainement celui qu’on aperçoit dans l’émission de télévision Panorama du 22 avril 1966 – et lui conseilla de raconter ses souvenirs et ses impressions. Il n’en reste donc pas là et entreprend un gros travail dont on trouve trace, entre autres, dans son texte Je donnerais dix jours de ma vie [1] où l’on peut lire : « Je suis monté voir à la "reliure". À peu près cinq à six-cents livres prêts à recevoir la couvrante, et la jaquette... Et tous ces cartons qui s’entassent. Dis donc, la librairie, c’est pas de la tarte ! » Le livre paraît en septembre 1967 (l’achevé d’imprimer est du 6) : le prix public est fixé à vingt-trois francs cinquante-cinq. Pour le diffuser, il se met d’accord avec l’Inter, le service de diffusion des éditions Seghers. Lorsque Pierre Seghers, en 1969, cèdera sa maison à Robert Laffont, celui-ci regroupera l’Inter avec sa propre structure de diffusion, Forum, et de là naîtra Inter-Forum. En décembre, l’ouvrage est en librairie. Il existe aussi, des Mémoires d’un magnétophone, un tirage de tête sur beau papier (vergé teinté de Hollande à la tête de bœuf). Il y eut quelques erreurs de brochage : dans certains exemplaires, on compte en effet des pages en double.
On se rappelle moins que Ferré envisage, au même moment, de publier lui-même son roman Benoît Misère. Il écrit, le 10 janvier 1968 : « Je typographie Benoît Misère, sans justification... ça va nettement plus vite pour les moyennes... Gutenberg ? Connais plus ! » [2] Il arrive que le matériel ne fonctionne plus : « Le type est là pour dépanner ma machine à composer. Il a changé un je ne sais plus quoi et ça marche. Deux heures. Il a mis deux heures à réparer cette attente de dix jours » [3].
Ainsi, Léo Ferré, avec « les éditions et imprimeries de Perdrigal », inscrites au registre du commerce sous le n° RC 66 B 00029, franchit-il un pas de plus dans cette passion pour la chose écrite et imprimée qui l’anime depuis longtemps. Comme toujours, il voit grand et tente de s’approcher le plus possible du professionnalisme... d’une manière autodidacte : il apprend seul l’art d'imprimer, dans des manuels et sur le tas. Il a abandonné le « quatre pages » en bichromie des petits-formats pour un livre, non pas de luxe mais à la fois artisanal et de haut de gamme, comme on ne disait pas encore, qui demeurera son plus gros travail typographique.
__________________
[1]. « Je donnerais dix jours de ma vie », in La Rue, n° 1, mai 1968.
[2]. Ibidem.
[3]. Ibidem.
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lundi, 26 mars 2007
Imprimatur, I
L’ami Patrick Dalmasso me faisait remarquer, il y a quelque temps, que, paradoxalement, le fait que Léo Ferré n’ait pu faire la carrière de chef d’orchestre qu’il eût aimée, lui avait rendu service : il serait certainement devenu un chef d’orchestre parmi d’autres, talentueux sans doute – d’autant qu’une pratique plus constante lui aurait forcément enseigné quelque chose – mais un chef d’orchestre, simplement, si l’on peut dire. Au lieu de cela, il est devenu un artiste pluridisciplinaire original, un « OVNI artistique » tel que je me suis plu à le dénommer.
Une question, cependant, ne cesse de se poser. S’il avait pu devenir ce musicien, vivre de sa musique ou de l’exécution de celle des autres, les mots ne l’auraient-ils pas tenté malgré tout ? On a vraiment beaucoup de mal à le supposer n’écrivant pas. Dès les premières années 50, sous les combles de son appartement du boulevard Pershing, il installe une petite machine offset et, avec l’aide de Maurice Frot quelquefois, imprime ses textes. Puis, dans la nuit, il part chanter dans les cabarets, l’odeur de l’encre d’imprimerie inscrite dans la mémoire olfactive dont on sait qu’elle était chez lui fort développée. Il s’est souvent expliqué – et même justifié comme s’il avait eu à le faire, ce qui est étonnant – quant à son amour de l’imprimerie en disant qu’il avait toujours eu honte de ne rien savoir faire, de n’être pas du tout manuel, et qu’ainsi, il pouvait se donner l’impression de travailler de ses mains. Soit. On remarque toutefois que l’activité choisie, pour ne pas écrire : élue, fut l’imprimerie, c’est-à-dire, concrètement, le papier, l’encre et les mots. Et, ne l’oublions pas, un métier de tradition anarchiste… Les typographes et les correcteurs ont toujours été adhérents de la Confédération nationale du travail (CNT), syndicat anarcho-syndicaliste. Au XIXe siècle, ils étaient même considérés comme le fleuron de la classe ouvrière, ne serait-ce que parce qu’ils savaient lire et écrire.
N’extrapolons pas. Il reste qu’imprimeur, Ferré imprime… quoi ? En tout premier lieu, de la musique, plus précisément des partitions, plus exactement des « petits-formats » ainsi qu’on les dénomme alors. Frot dessine leur couverture (Paulette Caussimon en illustrera un, celui des Indifférentes) et les deux hommes réalisent leurs tirages en bichromie (deux passages en machine seulement, c’est plus facile et moins onéreux), essentiellement en rouge et noir, mais pas uniquement. Comme cela sera une constante dans sa vie, Léo Ferré allie, ce faisant, son goût artistique et les nécessités matérielles. À l’époque, il y a peu de disques, le 78-tours cohabite avec le microsillon puisque tout le monde ne possède pas encore d’électrophone (on dit parfois pick-up par snobisme anglo-saxon), il existe beaucoup d’orchestres, des bals, on enregistre de nombreux disques de danse, on chante chez soi ou en groupe et même dans les rues, bref, on achète des petits-formats en grand nombre et cela constitue donc pour Léo Ferré une source de droits. À ce moment-là, hormis quelques chansons déposées au Chant du Monde et La Chambre de René Baer, primitivement déposée chez Hortensia, il n’a pas d’éditeur « papier » et met donc en vente ses chansons imprimées par ses soins chez lui, ainsi qu’à l’adresse monégasque de ses parents. Testament phonographe conservera le souvenir du travail nocturne des deux amis : « Sur cette offset à la voix off / Nous imprimions nos infortunes / Ô Maurice à Pershing la lune / Avait la gueule d’un sous-off ».
Il apparaît donc que les circonstances – sinon les motivations – qui poussent Ferré à devenir imprimeur à toute petite échelle pour commencer, sont multiples et peut-être plus complexes qu’il n’y paraît : désir d’œuvrer manuellement, attirance naturelle pour la chose écrite, nécessités matérielles et, pourquoi pas, inscription, même inconsciente, dans une tradition historico-professionnelle. Cela se confirmera et se nuancera par la suite, c’est pourquoi on reviendra dans plusieurs notes sur cette activité qu’il pratiquera toute sa vie.
Sous les combles du boulevard Pershing (photo Roger Pic)
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lundi, 19 février 2007
Ferré et les écrivains
Voici un relevé, pas forcément exhaustif, des amitiés que connut Léo Ferré dans le monde des écrivains. Je ne crois pas que beaucoup de chanteurs aient eu autant de connaissances dans ce domaine, sauf peut-être Brassens, ce qui n’est pas sûr, Guy Béart ou Mouloudji.
On connaît l’histoire de son amitié, trop tôt interrompue, avec Breton. J’en ai examiné les aspects ailleurs, je ne les redirai pas ici, sauf s’il venait à apparaître des choses nouvelles. Cette rupture nous a privés, j’en suis certain, d’un disque qui aurait compté, auquel je ne cesserai jamais, sans doute, de rêver.
Benjamin Péret lui fait une place dans son Anthologie de l’amour sublime.
Avec Aragon, on a eu le disque. L’amitié a duré plus longtemps, Ferré a même bénéficié de l’appui des organisations communistes durant un temps (ventes du Comité national des écrivains, fêtes diverses). Jacques Vassal a parlé du projet d’un second enregistrement, avancé par Ferré lui-même, qui resta sans suite.
Il y eut un rendez-vous manqué, la rencontre avec Sartre, dont on ne sait pas bien si elle aurait pu aboutir à une œuvre artistique mais qui aurait forcément donné quelque chose d’intéressant. Au temps des cabarets, Ferré chante à la Rose rouge : dans le public, se trouve Sartre. Ferré dit lui-même qu’il a été impressionné. Il raconte avoir déjeuné avec lui longtemps plus tard, et discuté. Il ne semble pas que cela ait eu de prolongement. Quand Sartre descend vendre dans les rues de Paris le journal interdit La Cause du peuple, Ferré pense l’appeler pour agir avec lui. Il se ravise, craignant une mauvaise interprétation de son geste, dans le sens d’une publicité intempestive. Enfin, quand Jean-Edern Hallier laisse paraître un article dans L’Idiot international appelant à recevoir désormais Ferré « à coups de pavés dans la gueule », Ferré s’adresse à Sartre, au motif que Simone de Beauvoir est directrice de la publication (son nom servait de paravent, bien sûr). Sartre lui répond que, justement, elle vient de démissionner. Voilà, rapidement, ce à quoi se résument leurs rapports. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est vraiment dommage.
Louise de Vilmorin qui le découvre à travers un disque dans un café l’invite dans l’émission La Joie de vivre qui lui est consacrée. Puis il sera invité chez elle à Verrières où il rencontrera Roland Petit et Zizi Jeanmaire. De là, sortira La Nuit qui deviendra L’Opéra du pauvre, comme on le sait. Je ne reviens pas sur cette histoire que j’ai déjà racontée.
Pierre Seghers avec qui il fit deux chansons et qu’il introduira lui-même chez Louise de Vilmorin, l’accueillera dans la collection « Poètes d’aujourd’hui », comme je l’ai raconté aussi ailleurs.
Ce même volume des « Poètes d’aujourd’hui » fut présenté par Charles Estienne, écrivain et critique d’art.
J’ai détaillé ailleurs son amitié avec Luc Bérimont.
Jean-Pierre Chabrol restera son ami fidèle avec qui il fit des émissions de radio et d’autres de télévision. Il lui trouvera une maison en Ardèche dans une période difficile.
Paul Guimard lui dédiera son roman L’Ironie du sort. Il sera sur le plateau de l’émission littéraire de Polac lors de la sortie de Benoît Misère. Ferré n’appréciera guère, plus tard, que Guimard ait accepté des responsabilités aux côtés de Mitterrand. Lui-même avait refusé de soutenir sa campagne de 1981, refus qu’il réitèrera en 1988 auprès de Hanin s’engageant à lui procurer un orchestre.
Benoîte Groult, à la ville Mme Guimard, fut aussi proche, un temps.
On a déjà parlé de Jean-François Revel, approché un moment pour l’achèvement et la publication de Benoît Misère.
Christine de Rivoyre fut reçue boulevard Pershing, avant le récital de 1955 à l’Olympia. Elle venait en tant que journaliste mais reçut-elle cette rencontre autrement qu’en écrivain ?
Ferré prit position dans « l’affaire Minou Drouet » et, à ce sujet, eut à voir avec André Parinaud et, encore, Breton.
Ferré et Mac Orlan furent proches, le temps d’une chanson et jusqu’à leur brouille.
Max-Pol Fouchet l’accueille dans son anthologie de poésie.
Calvet atteste une rencontre manquée avec Barthes, une autre, sans suite, avec Lacouture.
Enfin, de même qu’il fut reçu par Polac, il le fut par Pivot.
Je pense qu’il y eut d’autres rencontres. Cet intérêt pour Ferré, manifesté par des hommes de lettres, n’est pas sans signification. On lui reconnaît, semble-t-il, quelque chose qui le différencie des chanteurs, au sens où ce mot est habituellement employé. Ce qui peut nourrir notre réflexion esquissée dans la note Ferré, qu’est-ce que c’est ?
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samedi, 03 février 2007
Du contresens et des interprètes
Je tiens que toutes les chansons de Léo Ferré sont des chansons d’amour, y compris les plus véhémentes ou qui sont perçues comme telles.
Les interprètes – je parle ici de ceux, de plus en plus nombreux, qui le chantent sans la moindre espèce de talent avec une voix d’aphasique et un souffle inexistant, quand ils ne donnent pas simplement l’impression de ne pas comprendre ce qu’ils chantent – les interprètes qui hurlent et gesticulent pour dire, sans doute, la force, l’énergie, l’indignation, la colère, que sais-je, ces interprètes commettent tous un contresens : Léo Ferré n’a jamais écrit que des chansons d’amour.
C’est parce qu’il a appelé de ses vœux cet amour tout au long de son œuvre, qu’il l’a établi comme un « programme », qu’il faut garder présent à l’esprit cette dimension essentielle lors de l’interprétation. Cela nous évitera les interprètes hurleurs et faisant de grands gestes déplacés. Les interprètes « historiques » (ceux des années 50 et 60) étaient tous bons : on pouvait ne pas les aimer, ne pas apprécier leur voix, le visage qu’ils donnaient aux chansons, ils étaient tous bons techniquement. Ils ont continué au-delà de cette période, bien sûr, mais personne ne leur a succédé, et les petites natures d’aujourd’hui, les gorges enrouées, les poitrines d’anchois, les filets de voix rares comme un ru occitan au mois de juillet, ne savent pas que chanter n’est pas faire n’importe quoi, moins encore gueuler comme un veau malade.
Il faut rappeler que la véhémence ne peut pas masquer l’absence de talent. Cela est à rapprocher de l’attitude de certains chanteurs qui, parce qu’ils n’ont aucun souffle, vont jusqu’à ajouter à la mélodie des notes qui n’existent pas afin de ne pas avoir à « tenir » la note d’origine quand cela leur est impossible. J’ai entendu un triste sire chanter : « Les anarchiii-i-stes » parce qu’il ne pouvait pas donner vocalement « Les anarchiiiiiiiiiistes ». Je ne veux pas me moquer d’impossibilités vocales parfaitement compréhensibles au demeurant, mais signifier la facilité devant laquelle certains ne reculent pas. Quand on ne peut pas chanter une chanson, on en chante une autre, tout simplement. On ne triche pas. Et si l’on ne peut pas, vocalement, chanter Ferré, eh bien, on s’abstient. On n’est pas tenu de chanter Léo Ferré. Le sire en question, qui plus est, se produisait sur des bandes de style karaoké et chantait faux.
Je pense aussi à un autre spectacle auquel j’ai assisté, présenté dans les programmes avec une prétention incroyable. Il y était question d’arrangements dûs au pianiste. Les arrangements en question consistaient en une simplification outrancière de la partition. En gros, on avait supprimé tout ce qui était sans doute trop difficile à jouer.
Artistiquement parlant, ces exemples, qui ne sont pas les seuls, sont une mauvaise action. Sur un plan plus moral, on est effaré de constater ce que des gens qui se disent artistes se permettent envers un autre artiste qu’ils sont censés admirer et célébrer. Le problème est l’accroissement du nombre d’interprètes médiocres que ces dernières années ont vu naître. Au mieux, je veux croire à leur sincérité et ne puis que déplorer qu’aimant Léo Ferré, ils le servent si mal. Au pire, et j’ose à peine y penser, ils ne voient là qu’une possibilité de se mettre eux-mêmes en avant… sans se rendre compte de l’abîme de ridicule dans lequel ils tombent sans fin. De ces interprétations nulles, nous dirons, reprenant une phrase d’un mien professeur de lettres parlant d’autre chose, qu’elles « sonnent comme les trente deniers de Judas et nous ne les accablerons pas davantage ».
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jeudi, 01 février 2007
Ferré 1984, histoire d’un enregistrement
Comme annoncé dans la note « Sous l’arc copain où je m’aveugle », voici un tour d’horizon portant sur un enregistrement public dont les éditions sont multiples.
De tous les spectacles enregistrés de Léo Ferré, celui réalisé au Théâtre des Champs-Élysées a connu le plus d’avatars. D’ailleurs, lorsqu’on dit « Ferré 1984 », on parle généralement de ce récital. Or, la même année, Ferré chante à l’Olympia du lundi 1er au dimanche 14 octobre, mais jamais on n’évoque ce tour de chant sous le terme de « Ferré 1984 », sans doute parce qu’il n’en demeure pas de trace gravée ou filmée.
On examinera donc ici les différents visages (il en existe neuf) de ce qui demeurera « Ferré 1984 » dans l’histoire de l’artiste. C’est un parcours compliqué, qu’il n’est peut-être pas inutile d’indiquer aux personnes découvrant aujourd’hui Ferré.
Le récital est donc enregistré au Théâtre des Champs-Élysées les vendredi 6 et samedi 7 avril 1984. Il dure trois heures.
Un album de trois 33-tours paraît bientôt chez RCA, sous le titre Ferré 84, enregistrement public, concert en trois disques. Le spectacle n’est pas rendu intégralement.
Curieusement, sous le titre Léo Ferré, paraît, toujours chez RCA, un extrait de l’extrait précédent, en un coffret de deux 33-tours. Évidemment, le spectacle est encore moins intégral.
Sous le titre Léo Ferré en public, RCA fait paraître un CD. Naturellement, ce n’est pas le spectacle intégral.
En 1988, EPM édite un CD maxi single (équivalent d'un 45-tours extended playing) titré Léo Ferré, enregistrement public, extrait de ce spectacle.
Sous le titre Léo Ferré 84, enregistrement public, paraît en 1995 un triple CD EPM, qui, cette fois, propose le récital intégralement.
Puis, sous le titre Léo Ferré au théâtre des Champs-Élysées, La Mémoire et la mer, reprenant dans le catalogue EPM le fonds Ferré qui lui appartient, fait reparaître sous sa marque ce spectacle intégral.
Parallèlement, en vidéo, sous le titre Léo Ferré, récital au théâtre des Champs-Élysées, a été publiée en 1984 une cassette RCA, proposant le spectacle intégral filmé par Guy Job.
Cette même cassette reparaîtra en 1995 chez EPM avec une autre jaquette, sous le titre Léo Ferré 84. Spectacle intégral, toujours.
Sous le titre Léo Ferré au théâtre des Champs-Élysées, La Mémoire et la mer fait reparaître ce film dans un DVD publié en 2003 : il s’agit toujours du spectacle intégral.
Ne demeurent aujourd’hui en vente que les éditions (CD et DVD) de La Mémoire et la mer. Toutefois, on peut toujours trouver, d’occasion, les anciennes. Le plus perturbant, ce sont les perpétuels changements de titre et les images, très voisines. Cette note ne désire qu’aider les personnes découvrant aujourd’hui Léo Ferré, s’il en est ici, à disposer de documents intégraux.
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mardi, 30 janvier 2007
Benoît Misère, histoire d’un livre
Je propose ci-après un article que j’avais donné aux Cahiers d’études Léo Ferré, qui a paru en 2002 dans le n° 6. Pour sa publication en ce lieu, je l’ai légèrement complété.
Benoît Misère est l’unique roman publié par Léo Ferré. Il entreprend sa rédaction à Paris, dans son appartement du boulevard Pershing, aujourd’hui disparu, le dimanche 25 novembre 1956. C’est le début d’une longue histoire.
En 1961, il répond à une interview non signée et signale l’existence de cette œuvre à laquelle il travaille depuis cinq ans mais, bien sûr, de façon discontinue [1]. L’éditeur René Julliard retient rapidement le livre, mais il meurt le dimanche 1er juillet 1962 et le roman, finalement, reste en souffrance. La même année, Ferré mentionne de nouveau, au cours d’un entretien avec Charles Dobzynski au moment de son récital à l’ABC, que le livre va paraître [2]. En fait, Léo Ferré ne cessera d’y travailler que le mardi 9 juin 1970, date à laquelle il l’achève enfin, à Florence. Au total, il lui aura fallu quatorze années pour écrire son ouvrage.
Comme on le sait, il s’agit du récit de ses initiations. À la merveilleuse enfance monégasque aux goûts de soleil, de sauce tomate cuite durant des heures, de mandarine, aux odeurs de mer, enfance durant laquelle croisent autour de lui des personnages magnifiquement dépeints par l’écrivain parvenu à l’âge adulte, succède le déchirement de l’entrée au collège des frères des écoles chrétiennes, à Bordighera, au-delà de la frontière italienne. Huit années de « prison », d’apprentissage de la solitude et de la liberté intérieure, du refus. Le petit Benoît découvre la musique dans une crèmerie où l’emmène sa mère, qui est venue le voir dans son pensionnat, son enfermement, son exil. Puis il s’invente des amours – la fille aux souliers à semelles de crêpe – et un double, Dobrowitch dit Dobro. Et devient un homme.
L’écrivain Jean-François Revel travaille dans l’édition. Il est présenté à Léo Ferré par son épouse Claude Sarraute, qui tient alors la chronique de variétés du Monde en lui insufflant un esprit et une qualité rarement connus dans ce domaine. Revel obtient de Ferré qu’il termine son travail et le rende enfin public. Il lui propose de le donner à Robert Laffont.
C’est ainsi qu’achevé d’imprimer le jeudi 10 septembre 1970, le roman paraît chez Laffont au mois d’octobre. Le livre est ceint d’un bandeau vert (bleu marine par la suite), qui indique : « Le premier roman de Léo Ferré » en caractères blancs.
Un encart en noir et blanc paru dans la presse présente une photographie du poète et annonce : « Un premier roman qui conte les enfances d’un grand poète. L’histoire d’un de ces gosses, de tous ces gosses que l’on met en prison à neuf ans » [3].
Le mercredi 28 octobre 1970, Michel Polac présente l’ouvrage dans l’émission télévisée Post scriptum. Paul Guimard expose le sujet du livre et Jean-Pierre Chabrol explique qu’il l’a lu sans indulgence et l’a aimé. Quatre lecteurs donnent leur opinion, dont l’une est négative. Ferré, présent, apporte quelques précisions.
À Marseille, le quotidien Le Provençal commente le roman dans sa longue chronique littéraire du dimanche, et titre à son sujet « Contestation en rose ». Un portrait de Léo Ferré illustre l’article. Bien entendu, dans un journal du midi, le côté méditerranéen de l’histoire est particulièrement souligné. On insiste sur l’enfance ensoleillée de l’artiste. « Le seul fait que l’action se déroule entre Monaco et Bordighera, dans un "climat" typiquement méditerranéen et avec des personnages dont la plupart ont la truculence et la tendresse de ceux de Pagnol, ne peut pas ne pas être pour nous le fait essentiel. Il y a entre Ferré et nous un merveilleux sentiment de complicité et il n’est pas jusqu’aux critiques que l’on puisse formuler qui ne naissent précisément de cette complicité. Étant "en pays de connaissance", il peut arriver que nous ne nous "reconnaissions pas" nous-mêmes dans l’interprétation parfois insolite que Ferré nous propose de souvenirs qui sont à la fois les siens et les nôtres. Rien de plus excitant d’ailleurs, car il est aussi "plaisant" d’être enchanté par ses évocations qu"amusant" de les contester. […] Benoît Misère est fait de "morceaux de bravoure", c’est un roman lyrique, le contraire même d’un "nouveau roman". Par le rebondissement de l’invention, il fait songer au mot d’un des personnages (à propos de Monte-Carlo, bien sûr) : "Le sucre d’orge du hasard et de la chance". Rien de superficiel pourtant, car le délire verbal se fonde sur une sensibilité infiniment riche. On se doit de signaler entre réussites majeures les variations sur l’odorat, "la terrifiante entreprise de sentir" et l’univers de Benoît est pour une bonne part "olfactif" : "Ma mémoire d’éléphant est une mémoire de nez…" (cf. ce qu’il dit de l’encens et des mandarines de Noël). Quant aux pages sur le "cimetière du temps", où il évoque son oncle, l’horloger, elles sont simplement fascinantes. Qui ne lira sans émotion ce qu’il nous dit des fiacres et des trams de naguère ? Je m’excuse d’avoir si maladroitement parlé de ce livre, mais comment le commenter alors qu’il est envoûtant comme une chanson de Ferré ? Tout est dans le ton, dans la voix. Ce manifeste du désespoir et de l’espoir est aux antipodes de certaines recherches. Comme Ferré a raison : "Du jour où l’abstraction, voire l’arbitraire, a remplacé la sensibilité, de ce jour-là date non pas la décadence, qui est encore de l’amour, mais la faillite de l’art." Puisse sa leçon être entendue ! » [4].
On ne peut toutefois manquer de remarquer que la construction de Benoît Misère n’est pas à proprement parler celle d’un roman. Il s’agit de seize chapitres très distincts, qui feront dire ceci à Georges Coulonges, plusieurs mois plus tard, lorsqu’il consacrera au volume une note de lecture, dans la revue littéraire Europe : « Pottier appelait son héros Jean Misère et le mettait en chansons. Ferré abandonne la chanson pour mettre Benoît Misère en roman. Roman ? Je n’en suis pas sûr. Que Ferré nous dise: "Ce livre n’est pas autobiographique" ne suffit pas à nous convaincre : il s’agit de cet ouvrage commun à beaucoup où le je de la maturité se plonge avec délectation dans les jeux de l’adolescence. En fait, Benoît Misère, c’est, dans une ambiance monégasque, Le Petit Chose ou Le Grand Meaulnes qui, devenu adulte, réinvente pour nous le musée Grévin de ses amis et de ses tortionnaires. Ils s’appellent Mme Tirette ou Barba Chino, Je Tâte ou Stradi, la plume de Ferré leur donne une vraisemblance pittoresque mais, invités à contempler leurs portraits successifs, nous n’avons pas pour autant l’impression qu’ils forment un roman. Une aimable collection de gravures anciennes plutôt, que l’auteur contemple tour à tour avec tendresse ou avec une ironie désabusée » [5].
Pour présenter une émission de télévision, Jacques Marquis reviendra sur le sujet dans Télérama : « Ce Benoît Misère qui s’accrochait "comme une bernique au fond du trou noir" et raconte les "ciels désespérés de son enfance", avec la verve d’un Pagnol, mais canaille, vindicatif, amer et douloureux, c’est Léo Ferré » [6]. Plus tard encore, dans La Semaine radio-télé, Luc Seyral rappellera : « Benoît Misère, l’histoire d’un personnage qui lui ressemble comme un frère » [7].
Pagnol, Le Petit Chose, Le Grand Meaulnes ! À l’unisson ou presque, les chroniqueurs en appellent au classique imaginaire – ou non – de l’enfance littéraire. Au vrai, si Ferré avait poursuivi – mais ce n’était pas son propos – le récit de la vie de son héros, les journalistes eussent sûrement évoqué le souvenir de Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale. Cela dit, il est des compagnonnages moins prestigieux ! On remarquera cependant combien est répandu ce que l’on tient ici pour le vice absolu, la comparaison. Quand cessera-t-on de mettre des œuvres en parallèle ?
Le livre sera réédité plusieurs fois. Une première fois chez Plasma, en mars 1980. Une seconde au Gufo del Tramonto, les éditions fondées par Léo Ferré lui-même, en novembre 1989. Une troisième fois enfin, en mars 2001, dans une présentation entièrement nouvelle, par La Mémoire et la Mer, maison d’édition que dirige Mathieu Ferré. Entre temps, il aura fait l’objet d’une traduction en italien due aux soins de Giuseppe Gennari, qui fut publiée chez Gianni Maroni Editore en mai 1994. Gennari reprendra plus tard sa traduction et la fera reparaître sous le titre Mi racconto il mare, chez Lindau, en 2003. Il aura donc, au total, offert six visages.
Maintenant, Benoît Misère est de nouveau disponible et le demeurera. L’aspect peu orthodoxe que lui reprochait la critique le sert finalement car, hors du temps, hors des modes, le roman de Léo Ferré peut être lu aujourd’hui comme en 1970. Il ignore les rides, littéraires ou autres. L’enfance est une œuvre originale et la vie, une série de rééditions.
__________________________
[1]. Chansons, octobre 1961.
[2]. Les Lettres françaises du 7 au 13 décembre 1962.
[3]. Le Nouvel Observateur du 16 novembre 1970.
[4]. Le Provençal du 29 novembre 1970.
[5]. Europe, avril-mai 1971.
[6]. Télérama du 3 octobre 1971.
[7]. La Semaine radio-télé du 29 juillet au 4 août 1972.
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dimanche, 28 janvier 2007
« Sous l’arc copain où je m’aveugle »
J’ai souvent imaginé un coffret de disques réunissant les enregistrements publics des spectacles de Léo Ferré. Il y a maintenant – ceux qui découvrent son œuvre, par exemple – des personnes qui ne l’ont jamais vu en scène. L’écoute attentive (l’étude) de ces disques en public pourrait peut-être les aider à imaginer ce qu’ils n’ont pas connu, la vidéographie, elle, leur donnant une idée plus précise encore de ce à quoi pouvait ressembler ce qui était non une grand-messe, mais un grand moment tout de même. Encore faut-il que ces enregistrements soient disponibles. En attendant le jour de grâce où l’ensemble des firmes phonographiques se mettront d’accord « sur une idée sur rien pour que l’horreur se taise » et produisent un coffret unique (rêve), ou bien encore le jour où La Mémoire et la mer aura pu achever la publication de « la the intégrale », voici une tentative de relevé des spectacles enregistrés de Ferré, lesquels ne sont pas tous repris en CD, quoi qu’on en dise. Bien entendu, je ne cite que les disques publiés un jour ou l’autre, pas les enregistrements qui, bien qu’effectués, ne sont jamais sortis des archives de firmes diverses. Je reproduis ci-après les titres des disques originaux (microsillons ou CD) et mentionne les éventuels nouveaux titres à la suite.
Les dates indiquées en gras au début de chaque notice sont celles des enregistrements. Lorsque le disque est sorti plus tard, cela est précisé dans la notice.
1950 Chansons sociales (enregistré au cabaret Le Trou le 2 juin 1950 et publié en 2005), CD annexé au Monde Initiatives de janvier 2005. Spectacle non intégral.
1950 La Vie d’artiste, les années Chant du Monde, 1947-1953 (enregistré au cabaret Le Trou le 2 juin 1950 et publié en 1998), album de deux CD, Le Chant du Monde. Spectacle non intégral.
1954 1954 [La Symphonie interrompue et La Chanson du mal-aimé] (enregistré le 29 avril 1954 à l’Opéra de Monte-Carlo et publié en 2006), double CD la Mémoire et la mer 9952-53. Spectacle intégral.
1955 Récital Léo Ferré enregistré au cours du spectacle de l’Olympia (enregistré entre le 10 et le 29 mars 1955), 33-tours 30-cm, Odéon OSX 109. Spectacle non intégral. En CD : sous le titre Récital à l’Olympia, coffret Les années Odéon, vol. 5, Sony.
1958 Léo Ferré à Bobino (enregistré entre le 3 et le 15 janvier 1958), 33-tours 30-cm, Odéon OSX 132. Spectacle non intégral. En CD : sous le titre Récital à Bobino, coffret Les années Odéon, vol. 6, Sony.
1961 Léo Ferré à l’Alhambra (enregistré en novembre 1961), 33-tours 30-cm, Barclay 80164. Spectacle non intégral. En CD : sous le titre Thank you Satan, en public à l’Alhambra 1961, Barclay 841 262-2, et sous le titre Léo Ferré chante à l’Alhambra et à l’ABC, Barclay 076 183-2.
1961-1963 Flash Alhambra-ABC (enregistré en novembre 1961 pour l’Alhambra et entre décembre 1962 et janvier 1963 pour l’ABC et publié en 1963), 33-tours 25-cm, Barclay 80204 S. Spectacle non intégral. En CD : sous le même titre, Barclay, 065-027 2, et sous le titre Léo Ferré chante à l’Alhambra et à l’ABC, Barclay 076 183-2.
1966 Les temps sont difficiles (enregistré à l’Alhambra le 18 novembre 1961, à l’ABC entre décembre 1962 et janvier 1963 [et non le 27 juin 1963 comme indiqué par erreur sur la pochette], au casino de Trouville le 16 juillet 1966), 45-tours, Barclay 71082.
1969 Les Anarchistes, Léo Ferré en public à Bobino (enregistré entre le 15 et le 20 janvier 1969), 45-tours, Barclay 71311. Spectacle non intégral.
1969 Récital 1969 en public à Bobino (enregistré le 2 février 1969), double 33-tours 30-cm, Barclay 80389-90. Spectacle intégral. En CD : sous le même titre, Barclay, 529 116-2.
1969 En vidéo : quatre chansons filmées à Bobino (enregistré entre le 8 janvier et le 3 février 1969 et publié en 2004 en bonus du DVD Léo Ferré chante les poètes, cf infra). Spectacle non intégral.
1969-1970 Un chien à la Mutualité (enregistré au Centre culturel de Yerres le 13 décembre 1969 et à la Maison de la culture de Saint-Denis le 3 janvier 1970 et publié en 1970), 45-tours Barclay 71416. Spectacle non intégral.
1972 La Double vie (enregistré à l’Olympia le 24 octobre 1972 et publié en 1994), CD annexé au livre de Jean-Roger Caussimon paru au Castor astral. Spectacle non intégral.
1972 Seul en scène, Léo Ferré 73 (enregistré à l’Olympia le 11 novembre 1972), double 33-tours 30-cm, Barclay 920425-26. Spectacle non intégral. En CD : sous le même titre, Barclay 589 537-2. En vidéo : sous le titre Sur la scène… (enregistré entre le 24 octobre et le 12 novembre 1972), cassette La Mémoire et la mer 20100. Spectacle non intégral filmé par la RTBF. Sous le même titre, DVD La Mémoire et la mer 10100. Spectacle non intégral filmé par la RTBF.
1973 Sur la scène… (enregistré à Montreux le 3 février 1973 et à Lausanne le 16 mai 1973 et publié en 2001), double CD, La Mémoire et la mer 10038-39. Spectacle intégral. Sous le titre Un chien à Montreux, extrait enregistré à Montreux le 3 février 1973 et publié en 2001, CD, La Mémoire et la mer 10040.
1984 Ferré 84, enregistrement public, concert en trois disques, triple 33-tours 30-cm, RCA 70445 (enregistré les 6 et 7 avril 1984 au théâtre des Champs-Élysées). Spectacle non intégral. Sous le titre Léo Ferré, extrait en un coffret de deux 33-tours 30-cm, RCA NL 70787-2. Spectacle non intégral. En CD : sous le titre Léo Ferré en public, RCA fait paraître un CD, spectacle non intégral. EPM édite ensuite un CD maxi single (équivalent d’un 45-tours extended playing) titré Léo Ferré en public, extrait de ce spectacle. Sous le titre Léo Ferré 84, triple CD EPM 983712 puis La Mémoire et la mer, spectacle intégral. En vidéo : sous le titre Léo Ferré, récital au théâtre des Champs-Élysées, cassette RCA, spectacle intégral filmé par Guy Job. Cette même cassette reparaîtra en 1995 chez EPM avec une autre jaquette, sous le titre Léo Ferré 84. Spectacle intégral, toujours. Sous le titre Léo Ferré au théâtre des Champs-Élysées, publié en 2003, DVD La Mémoire et la mer 10101, spectacle intégral.
1986 Léo Ferré chante les poètes, en vidéo : cassette EPM 982978, spectacle intégral, publié en 1993, filmé par Guy Job. Sous le même titre, publié en 2004, DVD La Mémoire et la mer 10102, spectacle intégral filmé par Guy Job (en bonus, quatre chansons du récital à Bobino en 1969). En son uniquement : dans le coffret Léo Ferré au Théâtre libertaire de Paris, double CD La Mémoire et la mer, spectacle intégral.
1987 La Fête à Ferré, (enregistré le 9 juillet 1987 à La Rochelle), 33-tours 30-cm, EPM FDD 1024. Spectacle non intégral. En CD : sous le même titre, EPM FDC 1024 avec deux chansons supplémentaires. Spectacle non intégral.
1988 Léo Ferré en public au TLP-Déjazet (enregistré les 3, 4 et 5 mai 1988), triple 33-tours 30-cm, EPM FDD 31050). Spectacle intégral. En CD : sous le même titre, double CD EPM, spectacle intégral. Dans le coffret Léo Ferré au Théâtre libertaire de Paris, double CD La Mémoire et la mer, spectacle intégral. En vidéo : dans le coffret Léo Ferré au Théâtre libertaire de Paris, DVD La Mémoire et la mer, spectacle non intégral filmé par Raphaël Caussimon.
1990 Alors, Léo…, enregistrement public (enregistré les 20, 21 et 22 novembre 1990 et publié en 1993), coffret de deux CD, EPM 982942-52. Spectacle intégral. Dans le coffret Léo Ferré au Théâtre libertaire de Paris, double CD La Mémoire et la mer, spectacle intégral.
1992 Avec le temps (enregistré le 27 août 1992 à Saint-Florentin et publié en 1995), CD annexé au livre de Léo Ferré et Hubert Grooteclaes avec un texte de Patrick Buisson paru aux éditions du Chêne. Spectacle non intégral.
On ne tient pas compte ici des enregistrements figurant dans des archives radiophoniques ou télévisuelles diverses, qui n’ont pas fait l’objet d’une sortie en disque ou en vidéo.
N. B. : compte tenu de ses multiples éditions, le récital de 1984 fera l’objet d’une note spéciale, illustrée, à paraître le 1er février 2007.
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vendredi, 26 janvier 2007
À la recherche de Guillaume
À part, naturellement, La Chanson du mal-aimé, les mises en musique d’Apollinaire par Léo Ferré n’ont jamais été regroupées dans un disque. Comme si son oratorio lyrique avait remplacé en lui toutes les interprétations éparses qu’il a pu faire et le dispenser de construire des ensembles comme il le fit pour d’autres poètes.
On en est réduit, par conséquent, à imaginer ce qu’aurait pu représenter la réunion dans un ou deux grands microsillons des pièces suivantes.
Le Pont Mirabeau (studio, 1953).
Marizibill (Bobino, 1969).
L’Adieu (studio, 1970).
Marie (studio, 1973).
Marie (Lausanne, 1973).
Marizibill (Théâtre des Champs-Élysées, 1984).
La Porte (Théâtre des Champs-Élysées, 1984).
L’Adieu (Théâtre des Champs-Élysées, 1984).
Les Cloches (et) La Tzigane (studio, 1986).
Marie (TLP-Déjazet, 1986).
La Porte (TLP-Déjazet, 1986).
L’Adieu (TLP-Déjazet, 1986).
Les Cloches (et) La Tzigane (TLP-Déjazet, 1986).
Le Pont Mirabeau (TLP-Déjazet, 1986).
Marie (studio, 1986).
Automne malade (studio, 1990).
(Tableau de Marie Laurencin)
Ces enregistrements, qui plus est, s’étendent de 1953 à 1990, sont épars dans les catalogues de plusieurs maisons d’édition phonographique, et sont réalisés avec des accompagnements aussi divers que l’orchestre de J. Faustin ; au piano, Paul Castanier ; arrangements et direction d’orchestre de Jean-Michel Defaye ; arrangements et direction d’orchestre de Léo Ferré ; orchestre symphonique de Milan dirigé par Léo Ferré ; au piano, Léo Ferré ; a capella ; à l’accordéon, Jean Cardon. Certains ont été effectués en studio (parfois dans des versions différentes), d’autres en public uniquement (parfois dans des versions différentes, eux aussi), quelquefois les deux. Quelques uns existent, parallèlement au disque en public, en DVD, dans des récitals filmés par Guy Job.
Je trouve d’autant plus étonnant que Léo Ferré ait laissé ces poèmes en chansons ici et là, qu’il se disait lui-même, sur le plan de l’écriture, très influencé par Apollinaire : « Du point de vue poétique, j’ai surtout été influencé par Apollinaire. (...) Il avait cette espèce de parole d’avant la parole, il parlait comme un grand oiseau sur la pierre » [1]. On a vu précédemment qu’il avait même marché sur ses traces avec son Bestiaire.
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[1]. Françoise Travelet, Dis donc, Ferré..., Hachette, 1976 (rééd. Plasma, 1980 ; La Mémoire et la mer, 2001).
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lundi, 22 janvier 2007
Censure à la radio
Voici quelques faits précis et datés, sans commentaires, suivis d’un souvenir personnel.
Le jeudi 23 avril 1953, le comité d’écoute de la Radiodiffusion française interdit Paris-Canaille.
Le jeudi 19 novembre 1953, le comité d’écoute de la Radiodiffusion française interdit Et des clous.
Le jeudi 12 juillet 1956, le comité d’écoute de la Radiodiffusion française interdit Le Temps du plastique.
Le mardi 13 février 1962, le comité d’écoute de la Radiodiffusion française interdit Regardez-les.
En 1960, Ferré présente la chanson Les Poètes à la radio, disant en introduction que les ministres seront oubliés mais pas les poètes, ajoutant être heureux de chanter ce texte en ce moment. L’émission passe en différé trois jours plus tard, les mots « ministres » et « en ce moment » sont coupés. Pour protester contre cette affaire de censure, il écrit La Liberté d’intérim, que publie France-Observateur dans son numéro du jeudi 20 octobre. On l’a vu dans une note précédente.
Les samedi 18 février, vendredi 17 mars et mercredi 26 avril 1961, il enregistre un 25-cm de chansons censurées à la radio, Les Chansons interdites de Léo Ferré, qui comprend Les Rupins, Miss Guéguerre, Thank you Satan, Les 400 coups, Pacific Blues, Regardez-les, Mon Général et La Gueuse. Ce disque est interdit à la publication et le pressage est détruit (il n’en demeure qu’un 45-tours portant le même titre et proposant Les Rupins, Miss Guéguerre, Thank you Satan, Les 400 coups).
À la fin des années 60, peut-être au début des années 70, j’achète pour cinq francs, chez un bouquiniste du cours Julien à Marseille, le double album Barclay Verlaine et Rimbaud chantés par Léo Ferré. Cinq francs, c’est une somme pour un lycéen, mais c’est peu de chose pour un double 30-cm. La raison de ce prix bas est très simple. Les deux 33-tours sont cassés. Ils sont cassés de la même manière, c’est-à-dire qu’un morceau de quelques centimètres manque, qui empêche l’écoute du premier morceau de chaque face, soit quatre chansons en tout. Cette brisure n’est pas accidentelle – d’ailleurs, on se demande comment on pourrait casser accidentellement un disque de cette manière, à plus forte raison deux disques. Manifestement, cela a été fait volontairement, sans doute avec une pince. Les deux disques sont estampillés « ORTF » sur l’étiquette centrale. C’est une censure par le fait, dirigée contre l’interprète car on ne voit pas pourquoi Verlaine et Rimbaud auraient été frappés d’ostracisme à la radio à ce moment-là. Par quel hasard ce disque appartenant à une discothèque de service public à Paris s’est-il retrouvé à Marseille, chez un marchand de livres et de disques d’occasion, tenant étal en plein air ? Pendant des années, le plateau tournant déjà, je poserai comme je pourrai le bras du tourne-disques au-delà des deux cassures. C’est une époque où le bras de lecture se manœuvre à la main ; il n’y a pas encore de levier avec descente amortie. Même avec un appareil de professionnel comportant cet équipement, aucun régisseur, à la radio et dans des conditions normales de travail, ne se donnera la peine de viser ainsi. Le disque est bel et bien inutilisable sur les ondes. Pendant des années, je ne pourrai pas écouter quatre morceaux de ce double album. Plus tard, je rachèterai ce disque, neuf, chez le disquaire Raphaël sur la Canebière, et je découvrirai les quatre chansons dont j’ignorais tout. Je regrette de n’avoir pas conservé l’ancien.
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mercredi, 10 janvier 2007
Un OVNI artistique
On continue aujourd’hui à se demander si Léo Ferré est un poète ou un simple auteur de chansons de variétés. C’est un débat qui m’amuse et m’agace à la fois car il existait déjà lorsque j’ai découvert cette œuvre, en 1969. Je me rappelle les interminables discussions de 1971-1972, d’un peu après encore, à ce sujet. Si, en 2007, la question n’est toujours pas tranchée, c’est peut-être qu’elle n’a pas à l’être ou qu’elle est mal posée.
Je vais essayer de ne pas tenir compte de mon avis personnel et de raisonner objectivement. On a tendance, souvent, à comparer Ferré à Baudelaire, Rimbaud et autres poètes de cette envergure, ce qui a inévitablement pour résultat de provoquer l’ire ou l’ironie de ceux qui ne sont pas d’accord et trouvent cela nettement exagéré. On peut d’abord répondre que, s’il faut absolument comparer Ferré à d’autres, il suffirait de le comparer à ses pairs en chanson : il n’y aurait alors, je pense, aucune difficulté à le situer.
On peut également envisager d’apporter à la sempiternelle question la réponse que je proposais dans une note précédente : l’important n’est pas que Ferré soit ou non l’égal de ces grands artistes, mais qu’il soit nourri d’eux et de leur œuvre. Je crois que c’est la seule réponse sérieuse et objective qu’on puisse formuler. Ensuite, il est loisible de disserter sur la nature des influences subies et leur profondeur. Cette optique impose alors Léo Ferré comme un artiste (mot que personne, il me semble, ne contestera) authentiquement original en ce sens qu’il a supprimé les cloisonnements connus (subis ?) jusqu’à lui et qu’il a conjugué des talents multiples (tout le monde, là encore, sera d’accord). On aboutit donc à l’image d’un créateur inclassable, un OVNI intéressant qui, en un demi-siècle de carrière, a pu croiser plusieurs générations qu’il a su émouvoir par son authenticité. Ajoutons à ses influences un apport personnel, celui de sa voix qui participe énormément de l’émotion qu’il transmet. À cette voix, nulle comparaison avec de grands poètes ne peut être faite ou niée.
Bien entendu, ces mêmes remarques sont valables dans le domaine de la composition musicale.
Peut-être, finalement, cette solution est-elle la seule possible. Ferré, nourri de grandes ombres et de prédécesseurs illustres, devient un artiste original, sans filiation excessive ou exagérée et, à ce jour en tout cas, sans descendance artistique.
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jeudi, 14 décembre 2006
Ferré, qu’est-ce que c’est ?
L’habituelle lignée à laquelle on rattache Léo Ferré commence avec Rutebeuf, se poursuit avec Villon, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire et Breton. C’est oublier le fait qu’il a mis en musique de nombreux autres poètes, mais passons. En musique, on cite Beethoven, Ravel, Bartok et d’autres. Ce qui compte n’est pas qu’il soit ou non l’égal de ces grandes ombres, mais bien – ce qui est incontestable – qu’il en soit nourri et que, selon toute vraisemblance, son œuvre n’aurait pu exister ou eût été différente si cette filiation n’avait pas eu lieu. Or, si l’on peut, pour chacun d’entre eux, citer au moins une œuvre impérissable, qu’en est-il pour Léo Ferré ? Il n’est évidemment pas question de se livrer ici au petit jeu classique et inepte de la chanson préférée, mais bien de se demander si l’on peut, parmi les cent domaines dans lesquels s’est exercée l’activité créatrice de Ferré, déceler une dominante, une œuvre maîtresse. Je ne le crois pas. Plus les années passent ; plus s’éloigne le moment adolescent où, dans la cour du lycée Victor-Hugo, à Marseille, un mien ami m’avait dit : « Et Ferré, tu aimes ? », ce à quoi j’avais répondu : « Ferré ? Je ne connais pas » ; plus grandissent mon trouble de vieillir et mon exigence de lecteur et d’auditeur ; plus je me convaincs que, décidément, on ne peut guère isoler un fragment de cette création tous azimuts. Ferré, j’y crois de plus en plus, est un tout englobant l’homme et ce à quoi il a donné naissance, un tout qui serait monolithique tout en étant fortement composite – et c’est par là que l’auteur échapperait à toute forme de classification. Prise isolément, aucune parcelle de son œuvre n’est l’équivalent des Fleurs du mal ou des symphonies de Beethoven. Considéré dans sa totalité, l’iceberg devient une somme d’une richesse baroque qui, non seulement n’a pas d’équivalent dans le domaine de ce qu’on appelle la chanson – ne serait-ce que parce qu’elle comprend bien d’autres choses que des chansons – mais n’est réductible à rien. Si l’on ne peut considérer Benoît Misère comme un sommet, on ne peut envisager l’œuvre sans Benoît Misère. Même si l’on ne considère pas la mise en musique des poètes comme indépassable – c’est cependant ce qu’on conteste le moins chez Ferré – on ne peut la séparer de ses propres textes chantés, d’où, d’ailleurs, l’erreur de certaines firmes phonographiques qui persistent à séparer les disques consacrés aux poètes de son « intégrale » proprement dite. Pour ces raisons, je crois qu’il sera difficile, pour longtemps encore, d’en arriver au stade de la critique littéraire dépassionnée et érudite. Ce regard-là n’est pas possible pour le moment, même s’il est déjà plus autorisé qu’autrefois.
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lundi, 11 décembre 2006
Les grands spectres
La chanson Les Anarchistes figure dans un 30-cm paru en 1969, qui aurait dû être publié dès 1968 si diverses considérations juridiques ne l’avaient retardé.
Remarquablement équilibrée et composée, cette poésie, servie par la musique de Ferré et les arrangements de Jean-Michel Defaye, servie encore par la voix et le souffle de l’artiste, devint quelque chose comme un hymne, ce que Léo Ferré ne souhaitait pas car il ne désirait pas se poser en héraut de quoi que ce soit. Ses poèmes, même lorsqu’ils étaient l’expression de protestations, demeuraient toujours sa parole propre et sa « prophétie » personnelle. C’est pourquoi, un temps, il supprima Les Anarchistes de son récital. Comme il en supprima également Avec le temps. Au rebours des auteurs à l’affût de la facilité démagogique, il n’exploitait jamais un succès en-dehors de l’envie propre qu’il pouvait avoir, sur le moment, de le chanter ou non. Le texte des Anarchistes fut initialement publié dans un numéro de la revue libertaire La Rue [1] avec une variante : « Faudrait pas oublier qu’ça descend dans la rue / Les anarchistes » fut d’abord écrit « Il faut pas oublier qu’y a toujours dans la rue / Un anarchiste ».
Il n’est pas interdit de considérer Les Artistes comme un des trois volets d’une trilogie, dont les deux autres parties seraient Les Poètes et Les Musiciens. Ce triptyque deviendrait alors, sinon un portrait de l’auteur lui-même, du moins une évocation des trois grands « titres » qu’il revendique en ce qui le concerne.
Les Artistes : trois huitains d’alexandrins composent cette évocation d’artistes de toutes disciplines, puisqu’on y reconnaît chanteurs, peintres, musiciens.
La chanson joue d’une opposition entre les artistes célébrés et les autres, dénommés « vous ». On ne sait pas qui est réellement ce « vous ». Si l’on craint d’y reconnaître le public, c’est-à-dire soi-même, on n’a pas totalement tort. Mais il n’y a pas là d’élitisme. Ferré ne fait que rappeler que la condition première de l’artiste est d’être libre pour pouvoir créer, c’est-à-dire concevoir et réaliser les choses de l’esprit qui nous enchantent et nous aident à vivre. Ensuite, « Ils vous tendent leurs mains et vous donnent le bras », mais qu’on n’aille surtout pas s’aviser, tenant ces mains et ces bras, de vouloir les retenir car, en réalité, « Ils décident de tout quand tu veux les soumettre ».
Bien sûr, il y a là revendication, par Léo Ferré, de sa singularité, mais pas uniquement. On ne voit pas pourquoi quelqu’un qui a toujours respecté son public et l’a attendu durant quinze ans se mettrait tout à coup à le repousser. D’ailleurs, il est intéressant de remarquer que le « vous » laisse la place, à la fin de la chanson, au « tu ». Ferré, comme souvent, interpelle directement un « tu » anonyme qui est, en réalité, l’ensemble de son large public mais fait que, chaque fois, l’auditeur dans son salon, le spectateur dans la salle, le lecteur devant son livre se sentent personnellement concernés par cette mise en cause. Chacun doit bien laisser passer ces « gens d’ailleurs ».
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[1]. La Rue, n° 5, 3e trimestre 1969.
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vendredi, 08 décembre 2006
De la terre à la lune
Écrite en 1954, Y a une étoile attendra 1990 pour être enfin enregistrée par Léo Ferré dans son disque Les Vieux copains, paru chez EPM. Cette valse lente s’inscrit au registre des considérations métaphysiques de Léo Ferré, quand il lui arrive, et c’est fréquent, d’interpeller sans façons le soleil (Le Soleil de Baudelaire, Soleil de Bérimont, Ça s’lève à l’est…), la lune (La Lune), la terre (Elle tourne... la terre), le vent (Le Vent, Mister the wind, Vous savez qui je suis, maintenant ?), la nuit (La Nuit, La Sorgue), la vie (La vie est louche, La Vie, C’est la vie, La Vie d’artiste, La Vie moderne…), la mort (La Mort, Ne chantez pas la mort de Caussimon, Je vous attends…)
Ici, tout se rejoint, l’étoile, la terre, le soleil… On s’adresse à la terre qu’on remet à sa place, à qui l’on demande de bien vouloir ne pas geindre en permanence (« Salut ma vieill’ copin’ la terre / T’es fatiguée ben ! nous aussi »). Il y a une étoile, deux étoiles, mille étoiles qui veillent sur le poète. Heureusement, car la terre, pendant ce temps, que fait-elle ? Ferré lui dit son fait : « Tu dormais (…) / Tu peinais à charrier sur ton dos des continents d’misère ». À cette prétentieuse, il rappelle les réalités : « Y a des amants qui font leur lit / En se fichant pas mal de tes frontières ».
La terre, ce n’est pas la première fois que le poète l’engueule. En 1948-1949, il lui disait déjà sa façon de penser dans Elle tourne… la terre : « Tu peux tourner moi j’m’en balance (…) car j’ai ma chance (…) moi j’ai tout l’temps ». Pour finir, il l’apostrophait : « Essaie donc la marche arrière (…) / Vas-y la terre… moi j’suis pas pressé ».
Ces chansons ne sont pas innocentes. Ce sont des valses, elles sont dansantes, elles tournent (c’est bien le moins, en l’espèce). Mais elles n’esquivent pas les problèmes essentiels et induisent deux des grands thèmes lyriques : le temps qui passe et, donc, la mort. Une lueur d’espoir, cependant, pour donner à la terre une chance ultime : voler quelques unes de ces étoiles et, avec elles, « mettre au front d’la société / Des diamants qu’on pourrait / Tailler à notr’ manière ». Cette manière-là, c’est celle de ceux que Léo Ferré montrera, au fil des années, dans le triptyque Les Poètes, Les Artistes, Les Musiciens, complété par Les Anarchistes qui, en quelque sorte, viennent s’y ajouter, pour constituer une tétralogie.
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mercredi, 06 décembre 2006
Tout finit à la République
Et puisqu’il faut sur cette terre
Que chacun passe solitaire
Vous avez le droit de rêver
(MON GÉNÉRAL)
Ce qui est intéressant dans une longue carrière, c’est qu’il est possible de situer l’artiste dans son temps, surtout d’un point de vue historique. Avec Léo Ferré, on n’est pas privé. Ce qui est intéressant dans une longue carrière, c’est qu’il est possible de situer l’homme politique dans son temps, surtout d’un point de vue historique. Avec le Général, on n’est pas privé. Il n’est évidemment pas question de solliciter les faits. Les deux hommes ne s’aimaient pas, ne se sont jamais rencontrés. Ce qui est curieux, c’est de suivre le poète dans son siècle et, pour commencer, durant des années, en ce qu’il a pu dire du Général et de ses hommes.
En 1940, de Gaulle rallie Londres et crée la France libre. Durant l’Occupation, Ferré cache parfois des juifs. En 1946, jugeant que « le régime exclusif des partis est revenu », de Gaulle quitte le pouvoir et se retire dans sa demeure de Haute-Marne.
L’histoire commence réellement en 1947 quand de Gaulle fonde le Rassemblement du peuple français (RPF) et que Ferré, jugeant qu’il s’agit là de « manœuvres par en dessous pour revenir au pouvoir » [1], écrit, depuis la Martinique où il se trouve pour une tournée de six mois, la chanson Mon Général. Dans ce texte, il prévient de Gaulle qu’il vaudrait mieux pour lui se retirer de la vie publique afin de ne pas ternir le prestige que lui a valu la guerre. Le soldat mort qui est censé être le récitant était gaulliste, à ce moment-là. Tout comme l’auteur : « J’étais gaulliste. Tous les gens bien étaient gaullistes… Ma mère était gaulliste, mon père pétainiste », racontera-t-il plus tard [2]. Le soldat mort qui dit « je » dans la chanson avertit le Général : « Des fois que vous comprendriez ».
En 1958, de Gaulle revient au pouvoir, rappelé pour mettre un terme à la situation dans laquelle la France s’enferre en Algérie. Le jour de l’anniversaire de la proclamation de la République en 1870, il prononce un discours place de la République, justement. Avant lui, Malraux, vibrant, « chauffe » l’assistance. Léo Ferré, estimant que cette prise de pouvoir est assimilable à un coup d’État – nombreux sont alors ceux qui pensent ainsi et les manifestations se multiplient – écrit La Gueuse. Le projet de constitution que présente de Gaulle est soumis à référendum le 28 septembre. Il est massivement approuvé. C’est la Cinquième République. Le parolier René Rouzaud, communiste, dit à Ferré : « Ils en ont au moins pour dix ans ».
En 1960, Léo Ferré a à souffrir d’une grotesque affaire de censure. Il présente à la radio la chanson Les Poètes et, dans son introduction, dit en substance que les ministres seront oubliés, pas les poètes et qu’il est heureux de chanter cette chanson « en ce moment ». L’émission est diffusée en différé trois jours plus tard. Les mots « ministres » et « en ce moment » sont coupés. Il n’aime pas ça. Il écrit alors un texte de protestation qu’il adresse à France-Observateur. Ce journal s’est d’abord appelé L’Observateur du monde, puis France-Observateur, puis Le Nouvel Observateur. À cette époque, ce sont des pages de grand format imprimées sur papier journal. Le texte paraît, avec un titre qui sonne comme une gifle : La Liberté d’intérim [3]. On ne dit pas ici que cette censure provient du président de la République lui-même, ce serait hasardeux et très probablement inexact. Mais elle émane certainement de responsables zélés ou, peut-être, du ministre de l’Information.
Il faut se montrer attentif au tempo très doux de la chanson Mon Général, telle qu’elle a été enregistrée en 1961 chez Barclay. Le disque a été interdit à la publication et le pressage détruit (en 1961, on ne touche pas à de Gaulle) mais la bande, conservée, est ressortie en 1980 dans un coffret rétrospectif. Rappelons qu’alors, Ferré n’écrit pas lui-même ses orchestrations. Dans quelle mesure a-t-il accepté celles-ci ? En tout cas, sa musique ainsi habillée ne porte pas réellement en elle de prise à parti.
En 1961, Ferré triomphe après quinze années de travail. Au Vieux-Colombier d’abord, au mois de janvier, puis en mars à l’Alhambra. Enfin, de nouveau à l’Alhambra, en novembre. Le putsch des généraux a eu lieu à Alger, cette année-là. Ferré chante La Gueuse en public. Il fait aussi allusion aux tortures à l’électricité qui ont lieu en Algérie dans Les Temps difficiles. L’Organisation armée secrète (OAS) organise une alerte à la bombe dans la salle. Prévenu, Ferré s’adresse au public et dit qu’il va continuer à chanter, invitant ceux qui le désirent à rester. Le public reste.
En 1962, de Gaulle échappe incroyablement à l’attentat perpétré contre lui au Petit-Clamart. Il décide ensuite que l’élection présidentielle aura lieu au suffrage universel. Cette mesure est jugée comme anti-démocratique puisqu’assimilée à un plébiscite. Ferré chante une seconde version des Temps difficiles dans laquelle il évoque le référendum, initiative favorite du Général. À la fin de 1962 et au début de 1963, il interprète Mon Général sur la scène de l’ABC avec une intention beaucoup plus polémique qu’en 1947 et des accents d’orchestre infiniment plus martiaux. Le texte n’a pas vieilli mais, brusquement, il semble dire autre chose, être plus menaçant. Le vers de clausule, « Des fois que vous comprendriez », n’est plus un conseil ou une mise en garde, mais une ironie grinçante.
En 1964, au plus haut du triomphe gaulliste, du redressement économique et de la fierté de l’indépendance française vue par l’Élysée – la force de frappe – Ferré écrit Sans façons, chanson très brutale, directement dirigée cette fois contre un personnage qui lui est devenu insupportable. Il l’apostrophe immédiatement et, dans le courant du texte, passe du « vous » au « tu » lorsqu’enfle le ton polémique.
En 1965, un 45-tours paraît, qui comprend une chanson contre la peine de mort, Ni Dieu ni maître.
En 1966, Ferré récidive. Une troisième et dernière version des Temps difficiles épingle de nouveau de Gaulle en lui souhaitant de mourir. Dans la même chanson, un coup de griffe, aussi, à son ministre préféré, celui des Affaires culturelles. Malraux, en effet, n’est pas intervenu en faveur du film de Rivette, La Religieuse, inspiré de Diderot. L’ancien aventurier, ancien combattant républicain en Espagne, a laissé s’exercer la censure contre cette réalisation. Toujours en 1966, de Gaulle est cité dans Salut beatnik, où « Charlot » est assimilé à Johnson, Castro et Mao. En 1966 enfin, il chante La Grève.
Léo Ferré ne cède pas. En 1967, Ils ont voté (« et puis après », dit le refrain) sanctionne les élections législatives. La Marseillaise est une prostituée sur le port de Marseille. La chanson Les Anarchistes est déjà écrite mais ne sera gravée que plus tard.
En janvier 1968, dans la chronique Je donnerais dix jours de ma vie [4], Ferré raille Pompidou qui s’exprime à la télévision. Puis ce sera le mois de mai et, après cela, les « purges » de l’audiovisuel.
L’année 1969, le disque de Ferré, un 33-tours à pochette blanche, comprend L’Été 68, Comme une fille et, justement, Les Anarchistes. Sa publication est retardée durant deux mois au motif qu’il y a « dans cette chanson dix-sept chefs d’accusation » [5]. Un enregistrement public à Bobino, conservé dans un 45-tours, propose La Révolution où sont stigmatisés les ministres gaullistes : Sanguinetti, Finalteri, Ortoli, assimilés, sur un ton de chansonnier, à une maffia. Le texte s’achève sur un salut à Max-Pol Fouchet, évincé parmi d’autres journalistes après les « événements » de 1968. Un double 33-tours, toujours enregistré à Bobino, donne une seconde version de La Révolution. Max-Pol Fouchet n’est plus seul, la chanson salue cette fois tous les journalistes licenciés. Mais la maffia gaulliste est toujours là. Par ailleurs, un 45-tours enregistré en public au centre culturel de Yerres propose trois chansons, dont Paris, je ne t’aime plus où l’on entend une allusion aux années de pouvoir (« de servitude ») du Général, une autre à Daniel Cohn-Bendit. La chanson sera enregistrée en studio pour le 33-tours de 1970.
En novembre 1970, de Gaulle s’éteint à Colombey-les-Deux-Églises. « La France est veuve », déclare le président Pompidou. Dans le numéro de janvier 1971 de Rock et Folk, le journaliste Philippe Paringaux demande à Ferré, ironique : « Tu es veuf, toi aussi ? Comme la France ? » et Ferré s’insurge : « Oh, quand tu vois ce qui s’est passé à la mort de ce mec, c’est absolument incroyable », faisant allusion à la grande émotion qui s’était emparée du pays [5].
Dans le disque La Solitude, en 1971, Ferré enregistre Le Conditionnel de variétés – chanson qui fut écrite dans une chambre d’hôtel, la veille de sa rentrée à Bobino, en novembre 1970 – où il évoque la censure du gouvernement de Pompidou, exercée contre le journal maoïste La Cause du peuple. Et aussi le ministre de l’Intérieur du moment, Raymond Marcellin.
Dans La Mort des loups, en 1976 (en réalité, la chanson fut écrite en 1972), Ferré évoque les deux condamnés à mort Buffet et Bontemps. Entre l’écriture et l’enregistrement, Pompidou est décédé et cela donne l’occasion d’un prologue évoquant la mort de celui qui n’avait pas exercé son droit de grâce en faveur des deux condamnés et les avait rejoints deux ans plus tard. Cette même année, André Malraux disparaît.
Mai 1988. Au Théâtre libertaire de Paris-Déjazet, dit « le TLP », à deux pas de la République où, trente ans plus tôt, de Gaulle avait prononcé son discours, Ferré reprend Mon Général… avec la bande enregistrée de 1961 qui, par son tempo doux et grave, l’oblige à des inflexions calmes. Il annonce la chanson en expliquant qu’elle fut écrite en 1947 et qu’il ne se doutait pas alors qu’elle serait encore valable tant d’années après. Un enregistrement public est effectué pour un triple 33-tours. Le spectacle est filmé par Raphaël Caussimon. On ne connaîtra ce film qu’en 2006, grâce à un DVD compris dans un coffret rétrospectif des enregistrements effectués au TLP. Ce récital avait eu lieu l’année des vingt ans de Mai et au moment de l’élection présidentielle [6].
_________________________________________
[1]. Rock et Folk, janvier 1971.
[2]. Françoise Travelet, Dis donc, Ferré…, Hachette, 1976 (rééd. Plasma, 1980 ; La Mémoire et la mer, 2001).
[3]. France-Observateur du 20 octobre 1960.
[4]. La Rue, n° 1, mai 1968.
[5]. Rock et Folk, article cité.
[6]. Voir le texte de Jacques Layani in livret du coffret Léo Ferré au Théâtre libertaire de Paris (1986-1988-1990), La Mémoire et la mer, 20041.46.
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lundi, 04 décembre 2006
Ah, ça ira
Léo Ferré n’acceptait pas le terme d’engagement et prétendait, à juste titre, que l’artiste est engagé ou n’est pas. « Je suis né engagé », lui arrivait-il d’ajouter. C’est donc par commodité de langage qu’on utilise ici ce mot.
Ferré a pratiqué une forme de soutien artistique, sa vie durant, en réagissant essentiellement à l’amitié. C’est bien davantage pour des individus, plutôt que pour des causes, qu’il se mobilisait. En tout cas, c’était à la demande d’individus. Il a soutenu des théâtres pendant des années, chantant sans demander de cachet pour permettre à ces salles de survivre.
Sur un plan plus politique, Ferré a chanté, toute sa carrière, pour la Fédération anarchiste. Il a, depuis ses débuts, participé à des galas de soutien pour Le Monde libertaire, l’organe de la Fédération anarchiste ; pour le groupe libertaire Louise-Michel, animé par ses amis, Maurice Joyeux et Suzy Chevet ; pour Radio-Libertaire, notamment pour ses dix ans, au Palais des Sports de Paris, en 1991 ; pour le Théâtre Libertaire de Paris-Déjazet, qu’il a inauguré par des concerts non rémunérés, en 1986, et qu’il a toujours aidé jusqu’à la reprise de la salle par son propriétaire ; pour des groupes de province de la Fédération... Il a aussi donné de nombreux textes aux publications des anarchistes : La Rue, revue culturelle et littéraire d’expression anarchiste ; Le Monde libertaire ; La Cannibale ; Le Magazine libertaire... À l’ensemble de ces titres, il a également accordé de nombreux entretiens. Cette adhésion, toutefois, demeura morale, affective et fraternelle. Léo Ferré n’a jamais appartenu à quelque groupe que ce soit. Ses textes eux-mêmes évoquent, depuis toujours, ses amis libertaires : Graine d’ananar, Ni Dieu ni maître, Les Anarchistes. Les anars sont cités dans Thank you Satan comme dans À vendre, Bakounine l’est dans Le Chien...
Il a aussi donné des galas de soutien pour des journaux comme Politique-Hebdo, aux halles de Baltard, le 4 juin 1971 ; évoqué La Cause du Peuple, interdite, dans sa chanson Le Conditionnel de variété, enregistrée avec les Zoo en 1971.
Il a, à la fin des années 50 et au début des années 60, participé aux ventes et aux galas du Comité national des écrivains, auquel Aragon, qu’il venait de mettre en musique, l’avait introduit. Il a même participé, comme en 1961 et en 1988, à la Fête de l’Humanité. C’est d’ailleurs dans le cadre de cette fête qu’il est entré en scène pour la toute dernière fois, en septembre 1992, invité par Bernard Lavilliers à chanter deux chansons dans le spectacle de celui-ci. Venu tout exprès d’Italie, Ferré a donné un texte d’Aragon et... Les Anarchistes.
La dernière chanson interprétée en public par Léo Ferré, fidèle à lui-même et à ses amitiés, à ses convictions comme à sa sensibilité, est donc Les Anarchistes. On ne saurait être plus constant.
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samedi, 02 décembre 2006
La voix, le chant, la diction et la musique
Léo Ferré est aussi un chanteur, il peut paraître invraisemblable d’avoir à le préciser. Toutefois, on rappellera ici qu’il fut longtemps contesté en tant que tel. On écrivit, en substance, à ses débuts, qu’il ne savait pas se tenir en scène ; qu’il se perdait dans les grandes salles, habitué qu’il était aux cabarets ; qu’il était un piètre interprète ; qu’il n’avait pas une belle voix ; qu’il chantait mal ; qu’il chantait faux.
Et puis, il devint peu à peu impossible de prétendre cela. La voix montra son ampleur, sa puissance. Servie par un souffle exceptionnel, elle sut dévoiler tous ses registres, en même temps que sa tessiture. Elle se fit pleine d’inflexions différentes, tendre, grinçante, hurlante, caressante, sourde, ironique, grave, ample, retenue, libérée, implorante, légère, attristée, pleine de sanglots, emplie de rires. Elle sut servir des écritures variées, se marier à des orchestrations multiples ou au seul piano.
Ferré a beaucoup parlé de sa propre voix, conscient de ce qu’elle était son instrument premier et le plus personnel, qu’elle faisait partie de son intégrité : « Ma voix dans quelque temps sous la lune en plastique », « Ma voix les bercera dans des berceaux de passe » ou « Ma voix microsillonne une terre ignorée » (Écoute-moi), « Et puis ma voix perdue que tu pourras entendre / En laissant retomber le rideau si tu veux (Le Testament). Il s’est aussi soucié des enregistrements de cette voix : « Je suis en or galvanoplaste et je m’égare / Sous la tête diamant d’un phonographe toc » (Écoute-moi), « Sur un EP / J’ai mis ma vie / Et pour vingt francs / Je chante aux gens / Les beaux discours / Qui toujours font / Quarant’-cinq tours / Et puis s’en vont » (EP Love), comme il se souciait des voix des poètes enfuis : « La voix d’André Breton » (Le Testament), « L’inflexion des voix chères qui se sont tues » (vers de Verlaine, dans Mon rêve familier), ou des amours mortes : « On oublie le visage et l’on oublie la voix » ou « On oublie les passions et l’on oublie les voix / Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens » (Avec le temps).
Il s’est aussi montré conscient de ce que sa voix était également un instrument de travail : « Cela ne cesse de m’étonner, que je puisse nourrir tout et tout, tant et tant avec ma voix ! Si je n’avais pas de voix, il y a longtemps que je serais derrière une table de roulette… Croupier. Merde ! » [1], allant jusqu’à dire, à plusieurs reprises, qu’il n’aurait pas écrit s’il n’avait pas eu de voix, seule celle-ci lui permettant de se « publier » lui-même, puisque personne, autrement, n’aurait accepté de le faire. C’est pourquoi, à la date du 5 janvier 1968, il note : « Date bénie de la Sacem… C’est tout ce qu’il nous restera, ou à peu près, dans quelques années… quand je ne chanterai plus. Mais quand ne chanterai-je plus ? » [2] Il a chanté jusqu’au bout.
Un 45-tours Barclay intitulé Un chien à la Mutualité, enregistré en public au centre culturel de Yerres, le 13 décembre 1969, présente trois titres accompagnés au piano par Paul Castanier. Le premier s’intitule Le Chien et la pochette précise « poème ». Au vrai, cette étiquette embarrassée veut expliquer qu’il ne s’agit pas d’une chanson, avec une mélodie et un refrain. Le texte a été créé au Don Camilo en octobre, mais c’est la toute première interprétation enregistrée du Chien par Léo Ferré.
Par la suite, il ne cessera de dynamiter les genres et recourra souvent au texte – vers ou prose – parlé (La Solitude, Préface, Il n’y a plus rien, Et… basta !, L’Imaginaire…), sur une musique toujours exigeante, parfois symphonique, voire sur celle de Beethoven (Ludwig, dit sur l’ouverture d’Egmont). On n’osera plus mentionner « poème » à la suite du titre.
Ferré introduit dans son œuvre un registre autre, celui du diseur, qui va lui permettre de créer des choses nouvelles et d’aborder d’autres disciplines. Ainsi, L’Opéra du pauvre est dit par lui, en 1983, dans un album de quatre disques ; il joue tous les personnages en parlant ou en chantant. Et l’on s’aperçoit, par-là même, de l’étendue de son talent de diseur, qui lui autorise des voix différentes, plus celle du récitant.
Il introduit surtout une caution morale, pour les suivants. Avant lui, aucun chanteur, fût-il piètre, ne se serait permis la voix parlée. Depuis Le Chien, plusieurs ont franchi cette limite, imposée par la conception sociale du tour de chant.
En novembre 1946, Léo Ferré débute au Bœuf sur le toit. Il s’accompagne au piano… et s’y accroche. Le piano est son refuge. Il a trente ans, il est timide, il faut bien qu’il se cache. Il chantera longtemps assis. Lorsqu’il triomphera, debout cette fois, il se fera accompagner, soit par une petite formation, soit, ensuite, par son seul pianiste, Paul Castanier. Après leur séparation, qui eut lieu dans le courant de l’année 1973, Ferré n’aura plus d’autre pianiste. Il se réinstallera à son clavier, en alternance avec des bandes orchestrales. Mais entre-temps, il aura appris à « tenir » une salle. Le piano n’est plus une protection, il lui permet de faire entendre ses partitions, y compris dans leurs évolutions, car elles ne seront jamais harmoniquement figées.
On a beaucoup parlé de ses influences musicales. S’agissant de piano, on a dit qu’il avait emprunté son jeu à Bartok. En réalité, toutes empreintes confondues et recuites, son jeu pianistique, c’est du Ferré, pur et simple. Les allusions au piano sont fréquentes dans son œuvre (Mon piano, La Vie d’artiste, Et… basta !)
Il a dirigé l’orchestre des concerts Pasdeloup, l’orchestre symphonique de Milan, l’orchestre national de la Radiodiffusion française, l’orchestre de l’Institut des hautes études musicales, l’orchestre symphonique régional de La Rochelle, l’orchestre philharmonique de Lorraine, l’orchestre symphonique de l’Essonne, l’orchestre symphonique de RTL, l’orchestre symphonique de Lorient, et bien d’autres encore. Tout en conduisant ces importantes formations, Léo Ferré chante, ce qui suppose une mémoire simultanée du texte, de la musique (même en ayant les partitions devant lui) et du chant. Ce qui suppose aussi une gestuelle dominée, les mouvements de l’interprète ne pouvant, par définition, interférer avec ceux du chef d’orchestre. Il faisait cela avec une joie éclatante. Il a souvent répété que diriger un orchestre, c’était « faire dix-mille fois l’amour ».
Léo Ferré, qui s’est toujours voulu musicien avant tout, figurait au Who’s who comme « compositeur, artiste lyrique ».
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[1]. « Je donnerais dix jours de ma vie », in La Rue, n° 1, mai 1968.
[2]. Ibidem.
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mercredi, 29 novembre 2006
Des musiques pour Verlaine
Léo Ferré a mis en musique vingt-cinq poésies de Verlaine. On en connaît la liste et, pour plus de détails, on se reportera à Verlaine et Rimbaud, Poèmes en chansons, La Mémoire et la mer, 2004.
Cinq dates – cinq grandes étapes, plus exactement, ont pu être déterminées : 1959 (fonds INA), 1960 (fonds INA), 1962 (fonds INA), 1964 (double 30-cm Barclay Verlaine et Rimbaud chantés par Léo Ferré), 1986 (double 30-cm EPM On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans). D’autres dates sont incertaines, qui correspondent à des états divers du travail de mise en musique : mélodie (parfois partielle) sans accompagnement ; enregistrements piano et chant privés ; partition piano et chant non enregistrée.
Dans la préface qu’il consacre à l’anthologie citée plus haut, Stéphane Oron remarque qu’il ne faut pas chercher « de thèmes, d’époques, de longueur de textes privilégiés dans le choix opéré par Léo Ferré pour interpréter Verlaine et Rimbaud : il n’y en a pas ». Il a très certainement raison et cette position est, il me semble, confortée par les choix concernant les autres poètes chantés par Ferré, choix tout aussi peu raisonnés. Apollinaire, lui, ne sera même pas rassemblé dans un disque (La Chanson du mal-aimé étant un cas un peu à part).
En revanche, il peut être curieux d’étudier l’origine des poésies retenues, recueil par recueil. Quel enseignement peut-on en tirer ? Huit textes proviennent de Poèmes saturniens, six de Romances sans paroles, quatre d’Amour, deux de Fêtes galantes, deux de Sagesse, deux de Parallèlement, un de Jadis et naguère. [1]
On observe que la plus grande part est celle des Saturniens. Ce n’est peut-être pas étonnant puisqu’il s’agit du recueil que Ferré préface, en 1961, pour la Librairie générale française (Hachette), qui édite la collection « Le Livre de poche ». [2] On ignore d’ailleurs dans quelles circonstances exactes cette préface a été composée. Était-ce une commande ? Il serait légitime, en tout cas, que ce recueil soit son préféré, soit qu’il l’ait choisi lui-même, soit que la commande, si c’en est une, ait fait naître en lui un attachement supplémentaire. Dans cette édition toutefois, les Saturniens sont suivis des Fêtes galantes, recueil dont le musicien n’a extrait que deux pièces.
Ce qui m’a toujours intrigué, c’est la persistance d’Amour, paru en 1888, dans ses mises en musique et, surtout, le fait que les quatre poèmes qui en sont extraits proviennent tous du cycle « Lucien Létinois ». Je ne suis pas certain qu’il y ait une raison objective à cela. Peut-être Ferré s’est-il senti touché par l’immense chagrin du poète qui avait perdu ce jeune homme de vingt-deux ans (1861-1883), son ancien élève au collège de Rethel, à qui il s’était beaucoup attaché et qu’il nommait son « fils ». Le cycle de poèmes dans lequel Verlaine dit sa détresse ne comprend pas moins de vingt-cinq textes.
Quand Léo Ferré interprète Green en scène, il rappelle que « Verlaine écrivit Green à l’intention d’un jeune adolescent nommé Arthur Rimbaud ». À l’opposé, il n’évoque pas Létinois et ne donne la publicité du disque qu’à trois textes (en 1964 : Âme, te souvient-il ? et Il patinait merveilleusement ; en 1986 : Si tu ne mourus pas entre mes bras), le quatrième (Mon fils est mort) demeurant un enregistrement privé.
Les photographies que fit Hubert Grooteclaes lors de l’enregistrement du double disque Barclay, en 1964, montrent que Léo Ferré utilisait l’édition de la Pléiade. Cette observation ne vaut qu’en ce qu’elle signifie la disposition de toute l’œuvre poétique en un seul volume. Si c’est ce livre-là que Ferré posait sur son piano, on comprend que, tournant les pages, il puisse passer d’un recueil à l’autre selon sa sensibilité et sa réceptivité du moment. Ce serait, il me semble, la seule explication au fait qu’il se soit tenu aussi précisément à un seul cycle d’un recueil donné, mettant en musique les pièces 1, 10, 18 et 21.
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[1]. Mon fils est mort, Il patinait merveilleusement, Âme, te souvient-il ?, Si tu ne mourus pas entre mes bras (Amour), Art poétique (Jadis et naguère), Je vous vois encore, Dans l’interminable ennui de la plaine, Green, Il pleure dans mon cœur, Ô triste triste était mon âme, Le piano que baise une main frêle (Romances sans paroles), Cauchemar, Chanson d’automne, Croquis parisien, Marco, Mon rêve familier, Nocturne parisien, Sérénade, Soleils couchants (Poèmes saturniens), Clair de lune, Colloque sentimental (Fêtes galantes), Écoutez la chanson bien douce, L’espoir luit (Sagesse), Pensionnaires, Sur le balcon (Parallèlement).
[2]. Paul Verlaine, Poèmes saturniens suivi de Fêtes galantes, Le Livre de Poche classique, n° 747, 1961. Préface de Léo Ferré.
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lundi, 27 novembre 2006
Les dernières années
Un doux hiver voit naître 1990. Ferré est à l’affiche à Toulouse. Passage des Panoramas, à Paris, Éric Zimmermann, restaurateur et chanteur, donne des dîners-spectacles au « Croque-notes ». Dans la vitrine de l’établissement, figure un message d’amitié manuscrit, signé Ferré, encadré. Zimmermann chante, entre autres, Félix Leclerc et Léo Ferré, dans cette atmosphère hors du temps que créent les passages couverts parisiens. L’excellent Michel Ragon publie un roman, grande fresque de l’histoire des anarchistes depuis le début du siècle. [1] Barbara est annoncée au théâtre Mogador. À Marseille, le théâtre Axel-Toursky est en totale réfection ; il sera rasé et remplacé par un nouveau bâtiment, vingt ans après le début de son aventure. Mais la continuité est assurée, et Richard Martin a déjà un programme complet pour la réouverture. Pour la soirée d’inauguration, ce n’est pas une surprise, est prévu Léo Ferré, fidélité oblige envers cette salle où il revient sans cesse, depuis 1971. Il écrira à ce sujet : « Ce théâtre Toursky, c’est ma raison d’être marseillais depuis vingt ans. Richard, Michel, Tania… sont toujours à mon rendez-vous de cette belle de mai qui n’en finit pas d’être belle ! Ô Marseille, ô Marseille, je te dirai un jour ce que tu as semé en moi : l’ardeur, le courage et l’accent de la Méditerranée, cette mer monstrueuse d’affection et de tendresse ». [2]
Un peu plus tard, Christian Mesnil et Philippe Worms lui consacreront une émission de télévision, dans le cadre d’une série rétrospective. [3] Quelques jours plus tôt, Ferré aura fait un séjour de très courte durée à Paris pour un concert privé, destiné à RTL. Très peu auparavant, Philippe Soupault est mort. En avril, disparaît Greta Garbo, mystérieuse, silencieuse (« C’est revoir Garbo / Dans la rein’ Christine » avait chanté Ferré, dans La Mélancolie). Anne Philipe rejoint son Gérard, dans le petit cimetière de Ramatuelle. Thierry Maricourt consacre une étude à la littérature libertaire ; il y fait une place à Léo Ferré. [4]
Le 14 mai, le poète donne un concert au profit du Collectif contre l’armée à l’école, qui demande « l’abrogation des protocoles d’accord Défense-Éducation nationale » (le dernier de ces accords a été signé en 1989). Il renoue par là avec la tradition des galas de soutien qu’il effectue depuis toujours pour la Fédération anarchiste, Radio-Libertaire, Le Monde libertaire, l’Action laïque, le journal Politique-Hebdo en 1971, le CNIPHM (handicapés-moteurs), contre la peine de mort et pour tant d’autres causes… Ce spectacle exceptionnel a lieu au TLP-Déjazet. Une salle pleine à craquer, une ovation, et l’artiste donnant le meilleur de lui-même. De plus en plus, à présent, l’histoire de Ferré va se conjuguant avec celle du TLP-Déjazet. Cette salle lui va bien. D’ailleurs, ce soir-là, il dit en scène : « Ici, c’est un peu ma maison ». Cinq jours après, il chante à Bagneux, sous l’égide de Mélodies 90 avec, dans l’intervalle, des soirées à Tourcoing et dans le sud-ouest. Le 29 de ce même mois, son fils Mathieu a vingt ans. Nous, nous écoutons toujours la voix de son père, cette voix « tantôt fragile, tantôt puissante et pour jamais inoubliable ». [5] Cette voix, et c’est heureux, ne se taira jamais. Tant pis pour ceux qui ne peuvent rédiger un article sans faire allusion à l’âge de Léo Ferré, ce qui est devenu une habitude, depuis quelque temps. D’ailleurs, il nous rappelle, au détour d’un propos, qu’il a le bonheur d’avoir un travail qui n’a pas d’âge, tant et si bien que, dit-il, « si je m’arrêtais, je serais navrant ». [6]
Au mois d’août, à Gourdon, a lieu au restaurant « Le Croque-notes » (aucun rapport avec son homonyme parisien, cité plus haut), un dîner-spectacle au cours duquel le chanteur Fred Modolo est accompagné à l’accordéon par le vieil ami de Ferré, Jean Cardon. Cardon mourra peu après, et ce sera un compagnon de plus, qui disparaîtra.
Vient l’automne. Après un spectacle en Espagne en septembre, un voyage au Canada, vingt-quatre heures à Paris pour un bref passage à la télévision, un spectacle dans le Jura et l’inauguration à Marseille, en octobre, du nouveau théâtre Toursky, c’est, à Paris, en novembre et décembre, un double événement. Un récital de plusieurs semaines au TLP-Déjazet (une des soirées sera donnée au profit d’Amnesty International) suivi de la création, par le Zygom Théâtre, de L’Opéra du pauvre, qui sera présenté – après les représentations de Castres, longtemps auparavant – durant près de quinze jours.
La presse annonce ces deux spectacles à grand renfort d’articles sans imagination et, donc, sans justification, comme si l’originalité s’était à jamais enfuie des journaux ; désormais, tous les titres sont interchangeables, toutes les interviews se ressemblent, toutes les présentations sont identiques, accumulations de clichés et de banalités mille fois rabâchées. Quelques heureuses photographies viennent parfois éclairer l’ensemble.
Le programme propose un texte de Paul Bellenger. Le récital sera un beau moment. Il commence par Vison l’éditeur précédé d’un amusant prologue, et s’achève avec Les Anarchistes puis, quelques jours plus tard, par l’éternel Avec le temps. Ferré a choisi un programme cohérent et les enchaînements de titres sont parfaitement justifiés. Quelques reprises d’anciennes chansons sont à saluer, comme La Marseillaise, La Mélancolie, Les Chéris, Les Romantiques… Ou bien Richard, La Grève, Mon piano et La Mort. [7] Le 11 novembre, il touche son public par une belle interprétation de Ni Dieu ni maître. L’ovation qui salue ce texte se prolonge et l’artiste, ému, s’écrie : « Ça fait plaisir de ne pas écrire de conneries et d’être applaudi comme ça. Merci ! », des larmes étouffées dans la voix, larmes qui embrumeront le début de la chanson suivante, L’Espoir. Bel instant d’émotion. La salle ne suffit plus, le public est installé sur la scène. Tout est loué d’avance pour plusieurs semaines.
Dès le lendemain, sa voiture le ramène chez lui… en attendant d’autres départs. Il sera bientôt en chemin pour Avignon où il chantera chez son ami Gelas. Cependant, il vient encore à Saint-Ouen, en coup de vent, et participe à la fête donnée pour le 27e congrès du PCF. [8]
Discrètement, 1991 ouvre les portes de la dernière décennie du XXe siècle. Janvier voit Juliette Gréco à l’affiche de l’Olympia. À la Vidéothèque de Paris, on présente une série intitulée Paris qui chante, où Léo Ferré est présent à travers quelques documents.
Ferré vit sa vie et sa musique sur la route. Il roule, roule, roule. On le signale à Bobigny, on l’aperçoit à Argenteuil, on l’entend à Choisy-le-Roi, on le guette en Belgique, il est à Conflans-Sainte-Honorine. Ivresse des déplacements dans l’espace… Le temps coule. C’est alors, et surtout, la ridicule, absurde, inepte guerre du Golfe. La presse rapportera, au style indirect, l’opinion, parmi celles d’autres personnalités, de Léo Ferré. [9]
Sous les neiges de février, de belles affiches multiplient ses yeux sur les murs de Paris. On annonce déjà, pour juin prochain, un gala spécial donné par l’artiste pour les dix ans de Radio-Libertaire. Au mois de mars, Serge Gainsbourg meurt à Paris. « C’est une des personnes les plus intelligentes du métier. Gainsbourg, c’est l’homme qui vous donne le droit de tout faire, de tout dire… », déclare Ferré. [10]
Les tournées se poursuivent. Aix-en-Provence. Un joueur d’orgue de Barbarie, à Cahors, chante Jolie môme et Le Piano du pauvre… Des chanteurs de rue, hommes et femmes, interprètent en groupe L’Âge d’or sous les arcades de la place des Vosges.
Le gala exceptionnel donné pour Radio-Libertaire et son dixième printemps rassemblera cinq mille personnes au Palais des Sports de la porte de Versailles. Ce sera un grand succès, avec, au moins, trois ovations debout. En coulisses, l’ami Grooteclaes œuvre en photographe et en poète.
Une Citroën particulière prendra peu après la route de Bretagne. C’est aussi en Bretagne que les éditions du Petit-Véhicule publient une revue, qui vient d’ailleurs de consacrer un dossier conjoint à Rimbaud et à Léo Ferré. Ferré, qui note : « Rimbaud, c’est le sourire du large, la passion des mots au fond de ta gorge. Crie, crie, crie... et tu lui ressembleras ». [11]
Maurice Fanon est parti nouer son écharpe aux nuages d’outre-vie. Des spectacles de Léo Ferré sont donnés, partout. Maurice Laisant est mort, lui aussi ; un disque où Consuelo Ibanez chantait ses textes, avait autrefois été préfacé par Ferré. [12] Qui vient par ailleurs de rencontrer le jeune cinéaste Leos Carax, lors du tournage du film Les Amants du Pont-Neuf.
Et, bien sûr, le centenaire de la mort de Rimbaud, à Marseille, a lieu en novembre. Léo Ferré va publier sa mise en musique d’Une saison en enfer qu’il dit et interprète, s’accompagnant lui-même au piano. Cet enregistrement sera une étape supplémentaire sur la route commune à Ferré et aux poètes. Une date encore, un jalon de plus. Sa façon, également, de marquer, de sa pierre et de sa voix, ce centenaire. Après quoi, il participera, à la Villette, à un spectacle collectif, avec un programme spécial, Léo Ferré chante Rimbaud. Il y interprètera, entre autres, le Sonnet du trou du cul (Verlaine et Rimbaud), texte qu’il n’aura pas le temps d’enregistrer.
Il y a maintenant quarante-cinq ans exactement, qu’il chante. Quarante-cinq années qu’il débutait au cabaret, en novembre 1946.
En décembre, il donnera, à Marseille, un récital particulier, Léo Ferré chante Aragon, pour l’anniversaire de la mort du poète, et parmi d’autres évocations, à l’initiative de l’association pour la fondation Louis Aragon-Elsa Triolet. Puis, pour deux soirées, il conduira les quatre vingt musiciens de la Philarmonie de Lorraine. Tout cela, naturellement, sur la scène du théâtre Toursky. On annonce même, mais cela n’aura pas lieu, une lecture par Ferré lui-même de quelques uns de ses textes, au « Refuge », un centre de poésie marseillais. Auparavant, une tournée l’aura conduit au Luxembourg, à Charleville, à Bastia… Et, juste après, au théâtre du Chêne-Noir d’Avignon, pour, de nouveau, le spectacle consacré à Rimbaud.
Et puis, avec l’année qui chute, tombent encore les vieux amis. C’est au tour de Maurice Joyeux d’être emporté, en décembre. Anarchiste de toujours, militant du mouvement ouvrier, pacifiste, ancien responsable du Monde libertaire, animateur du groupe libertaire Louise-Michel, de la revue La Rue, écrivain, ancien libraire (« Le Château des brouillards », à Montmartre), Joyeux s’en va rejoindre sa compagne Suzy Chevet, qui organisait autrefois les galas anarchistes.
Un mois plus tôt, son ancien pianiste, compagnon de nombreuses années (il l’avait rencontré en 1957, au cabaret Chez Plumeau, sur la Butte), est mort. Une soirée spéciale sera donnée, en février 1992, à l’Olympia. Présentée par José Artur, elle célèbrera Paul Castanier. Y participeront des grands noms, mais aussi des amis de Popaul et de sa compagne : Alain Meilland, Jacques Serizier, Wasaburo Fukuda, Patrick Siniavine et Svetlana. Le public, qui avait raillé avec Font et Val, frondé avec Rufus, fraternisé avec Moustaki, changera du tout au tout avec Léo Ferré. De plus en plus, on lui fait des ovations debout, dès son entrée en scène. Ce sera une soirée simple et très prenante. Paul Castanier y revivra au travers d’interviews filmées, de projections et d’enregistrements musicaux.
Quelques jours plus tard, la ville de Berre (Bouches-du-Rhône) connaîtra une série de manifestations. Ce sera La Semaine à Léo avec un programme à plusieurs facettes ; une exposition de pochettes de disques, livres, manuscrits, photographies d’André Villers ; la projection de trois bandes vidéographiques (le Discorama de Denise Glaser, l’émission À bout portant de R. Scandria et le spectacle du théâtre des Champs-Élysées, filmé par Guy Job) une conférence ; l’émission Pollen de Jean-Louis Foulquier, en direct, à France-Inter ; la reprise de L’Opéra du pauvre par le Zygom-Théâtre. L’organisation est assurée par le Forum des jeunes et de la culture et la médiathèque municipale de Berre, avec l’assistance de deux hommes de théâtre de la région, qui sont tous deux des amis de Léo Ferré, Richard Martin et Gérard Gelas, les deux fidèles. Cette initiative se veut « hommage et reconnaissance à un artiste qui marque notre siècle et restera dans l’Histoire ». [13]
Pendant ce temps, à Paris, Pierre Lafont présente, au théâtre Mouffetard, un spectacle de poésie dont toute la seconde partie est consacrée à Léo Ferré qui se trouve ici dit, chanté sans accompagnement musical et mis en scène par un artiste d’une incontestable sincérité.
Dans les premiers jours de mai, nouvelle manifestation, Montauban fête Léo Ferré, dans le cadre de Alors... chante ! 92. Un spectacle du poète et, en clôture de festival, un « final, avec Léo Ferré et les invités ». Et des tournées, des tournées… En juin, c’est, à Presles, la fête de Lutte Ouvrière et, durant l’été, le quatrième festival de la chanson française de Sauve (Gard), ainsi que le festival en Othe et en Armance (Yonne), où il chantera Vous savez qui je suis, maintenant ?, texte qu’il n’enregistrera jamais.
Juillet, Arletty est partie, s’est enfuie en douce. Léo Ferré, depuis le printemps, est annoncé au TLP-Déjazet pour le mois de novembre. Ce nouveau rendez-vous avec cette salle n’aura pas lieu, car son propriétaire entend ne pas renouveler le bail. L’équipe du TLP s’en va après six ans d’un travail remarquable, après avoir fait vivre cette salle qui, dans l’imaginaire du public comme dans l’histoire des lieux de spectacle, a presque remplacé Bobino. Exit le TLP. On avance, pour remplacer les vingt spectacles prévus, l’idée de deux soirées au Zénith, puis celle d’une série de concerts au Grand Rex. En attendant, Ferré est, en septembre, l’invité surprise de Lavilliers qui donne un tour de chant à la Fête de l’Humanité. Venu tout exprès d’Italie et repartant dès le lendemain, il chantera un poème d’Aragon et Les Anarchistes, sur la grande scène. Les premiers jours d’octobre, il doit effectuer une tournée en Belgique. Parallèlement, Hubert Grooteclaes présente, à Louvain, une exposition de photographies célébrant trente ans d’amitié (un peu plus, en fait, puisqu’ils se connurent en 1959) avec Léo Ferré. [14] Au même moment, Richard Marsan, autre fidèle, passe « derrière la glace du comptoir ». [15] En décembre, au théâtre de Nesle, Alain Aurenche se produit en récital. Ferré écrit : « Aurenche est au fond de moi comme une lumière de la nuit (...). Aurenche est un orage de sympathie qui vous arrache ce qui vous reste de sensible (... ). Aurenche a une voix qui me fait du bien. Prenez-la, et vous verrez comment ! » [16]
Le dernier spectacle de 1992 n’aura pas lieu. La suite appartient à la vie privée.
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