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mardi, 10 mars 2009

Du public et de l’âge

Depuis ses débuts, Léo Ferré a pu compter – dans la mesure où l’on a pu s’intéresser sérieusement à cet aspect des choses – sur le public lettré, les « intellectuels » comme on dit, dont un bon nombre de bourgeois, petits ou grands, pas mal de professeurs et des artistes. Cette audience fut la sienne, avec une tranche d’âge s’étendant du lycéen de second cycle à la personne « encore jeune » – comprendre : un peu âgée – en passant par l’étudiant. La carrière de l’artiste s’étendant sur près d’un demi-siècle, il est bien évident que le lycéen de second cycle et l’étudiant du départ eurent tout loisir de devenir des personnes « encore jeunes ».

 

L’afflux de la population estudiantine qu’on n’a pu manquer de remarquer en 1968 et dans les années qui suivirent ne constituait pas une nouveauté, ce public ayant toujours été là. On a beaucoup glosé là-dessus, mais ce fut l’augmentation considérable du nombre d’étudiants dans les salles où se produisait Ferré qui donna l’impression d’un nouveau public, alors que ce public était ancien et ne remplaçait pas le précédent. Il le masquait par le nombre, uniquement. La preuve en est que, dans les tout-derniers spectacles de 1990, 1991 et 1992, hommes et femmes plus vraiment jeunes étaient encore là, en même temps que ceux qui auraient pu être leurs enfants, voire leurs petits-enfants. En 1990, au TLP-Déjazet, j’ai trente-huit ans, il y a autour de moi des sexagénaires qui pourraient être mes parents, il y a près de moi mes filles, alors âgées de neuf et six ans (l’aînée assistait déjà au spectacle d’inauguration, en février 1986). Il y a évidemment de nombreux spectateurs se situant entre vingt et trente ans. On peut déduire de ces considérations que, dans l’ensemble, le public du début était encore là à la fin, renouvelé deux fois au moins, dans l’intervalle, mais toujours présent.

 

Si l’âge du public connut ainsi une forme de permanence, son origine sociologique varia tout aussi peu : spectateurs cultivés, « intellos », bourgeois. La part de population ouvrière ou d’employés est toujours restée relativement faible, mais il est plus difficile de savoir pourquoi. Le prix des places, modéré par rapport à ceux pratiqués par d’autres chanteurs, ne doit pas, je pense, être en cause : le facteur économique n’explique pas toujours tout. S’agissant des étudiants, je me demande si, réellement, les littéraires au sens très large (littérature stricto sensu, philosophie, linguistique, histoire, droit, sociologie…) étaient plus nombreux que les scientifiques (mathématiques, physique, chimie, odontologie, pharmacie, médecine…) Je n’en suis pas certain mais ne dispose naturellement d’aucune donnée statistique.

 

Si j’insiste aujourd’hui sur ce point qui ne me paraît pas secondaire, c’est parce que cette compréhension de facteurs socioculturels peut permettre d’aider à répondre à la question que, régulièrement, je pose, y compris ici-même : Ferré, qu’est-ce que c’est ?, avant de me risquer à dire : un OVNI artistique. Il n’y a pas d’artiste sans audience, ou bien si : c’est alors un auteur qui range sa production dans un tiroir, c’est tout. Comme ses pairs, Léo Ferré a un public. Il a mis longtemps à le constituer mais l’a conservé. Il n’est pas inutile de s’y intéresser.

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jeudi, 05 mars 2009

Évocation ou Une histoire avec des si

Je me suis toujours demandé et j’y pense encore, si, nous qui aimons aujourd’hui l’œuvre de Léo Ferré, nous aurions su reconnaître ce monsieur au piano, si nous avions été ce public de cabaret de la fin des années 40. C’est une question que j’avais déjà posée dans mon premier livre dont j’avais entamé la rédaction en 1984 et qui parut en 1987. Je continue de me la poser. Je ne parle pas du monsieur déjà un peu connu en 1953 lorsque Catherine Sauvage fait triompher Paris-Canaille, ni de celui qui obtient un engagement en vedette à l’Olympia en 1955. Non, j’évoque vraiment l’homme seul au piano en 1946 et après, qui chante de la boîte à champagne qu’est le Bœuf sur le toit au sous-sol de l’hôtel Saint-Thomas d’Aquin, rue du Pré-aux-Clercs, puis traverse la rue Jacob pour aller, à vingt mètres de là, s’asseoir au piano des Assassins. Cet homme seul, sans agent artistique, sans maison de disques, sans épouse. Je demande : aurions-nous su le reconnaître si, dans la nuit parisienne, nos pas nous avaient portés vers tel ou tel cabaret, dans les premières années de l’après-guerre, avec, à notre bras, une dame à qui nous aurions peut-être imaginé faire un des enfants de ce qui allait s’appeler le baby-boom ? Vraiment, aurions-nous su ? Aurions-nous seulement écouté attentivement ce qu’il chantait ou bien nous serions-nous contentés de complimenter Mme Jordan sur l’excellence de sa cuisine ?

 

Honnêtement, je me garderai bien de répondre. Et plus le temps passe, plus je me dis que, si Léo Ferré a mis quinze ans avant de triompher en 1961 qui fut pour lui une de ses années de gloire avec trois récitals parisiens (janvier, mars et novembre) dont le dernier le consacra définitivement, ce n’est pas forcément inexplicable. Son succès n’avait vraiment rien d’évident et je m’abstiens de jeter la pierre au public du moment. Je pense qu’on ne pouvait pas, socio-culturellement et artistiquement, le recevoir immédiatement. Il me semble bien que ce n’était pas possible.

15:54 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (6)

lundi, 02 mars 2009

L’homosexualité sous le regard de Ferré

On connaît La Tante, texte publié dans Poète… vos papiers ! Il n’est pas indispensable d’en citer des extraits car on regrette ce poème, si révélateur de ce qui se disait de l’homosexualité dans les années 50. On le regrette parce qu’il ne témoigne pas d’une attitude très originale ni très ouverte. On aurait pu s’attendre à davantage de compréhension de la part d’un homme plutôt peu conformiste. L’air du temps, toujours, et l’éducation, certainement, ainsi qu’une question, sans doute, de génération. En résumé, un mélange socioculturel qui désapprouve et moque férocement l’homosexualité. Il paraîtrait que, dans les premières années 70, au moment où il travaille beaucoup, publie de nombreux disques, fait paraître Benoît Misère et réédite Poète… vos papiers !, Léo Ferré ait eu des velléités de mise en musique de cette pièce. Frot l’en aurait dissuadé et Paul Castanier aurait plaisanté : « Quand est-ce que tu fais une chanson contre les aveugles ? »

 

J’ignore si cette information est rigoureusement exacte. J’observe qu’au contraire, le sentiment de Léo Ferré sur la question a, au même moment, évolué radicalement. Il a pris conscience qu’il existe plusieurs formes de sexualité au monde et cesse de se moquer des homosexuels, n’utilise plus de terme péjoratif et les considère plus sereinement.

 

C’est en tout cas ce qui ressort de cet entretien qu’il eut avec Sergio Laguna pour les besoins de son livre, publié en 1974 [1]. Je précise qu’évidemment, les propos de l’artiste furent tenus en français, traduits ensuite en espagnol par Laguna en vue d’une publication dans son pays, et retraduits en langue française par mes soins (en 1987, j’avais lu ce livre et, afin de mieux comprendre son contenu, fait pour mon usage personnel une traduction de premier jet, manuscrite). Naturellement, cela est périlleux et l’on risque de tomber dans tous les pièges de la double traduction mais il n’existe pas, à ma connaissance, d’autre déclaration de Ferré sur ce sujet – en tout cas, entre ces deux dates – et il serait dommage de ne pas prendre en compte ce changement d’attitude.

 

Laguna propose, dans son ouvrage, une présentation de Ferré pour le public espagnol, quelques traductions très littérales qui ne pourraient pas être chantées sur la musique initiale, et un entretien d’où j’extrais ce qui suit. Les deux hommes parlent des femmes et Laguna écrit : « Ferré a continué un bon moment. Puis, insensiblement, la conversation a glissé vers le thème de l’homosexualité ». Ferré déclare :

 

« C’est un problème intéressant et, de plus, actuel, qui fait rire stupidement les imbéciles. Je pense qu’il y a diverses sortes d’homosexuels, mais je parle des vrais comme, par exemple, les gamins qui se sentent davantage femmes, plutôt qu’hommes. Moi, j’ai pour cela un très grand respect, bien que je ne connaisse pas leurs réactions, puisqu’il s’agit d’un monde qui n’est pas le mien, vous comprenez ? C’est un problème grave que personne ne peut comprendre, sinon eux-mêmes. En tout cas, la répression est absolument injuste. Heureusement, il me semble qu’il y a une espèce de progrès en matière de répression, au moins dans quelques pays ».

 

Laguna ne demande pas à Léo Ferré de poursuivre (il ne le fait pas davantage pour les autres sujets abordés) et l’on n’en saura pas plus. On voit que l’artiste, s’il se cantonne à quelques généralités généreuses – mais en 1974, seuls les intéressés allaient plus loin, comme, dans ces années, lors de la création du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) – a bien modifié son discours. Il est tout de même assez remarquable de constater cette nouvelle position, ce revirement plutôt heureux. Sont-ils le fruit d’une discussion ayant suivi la fameuse mise au point faite par Frot et Castanier ou bien s’agit-il d’une évolution personnelle, due au fait qu’il aurait accepté de réfléchir plutôt que de railler ?

 

 

________________________________

[1]. Sergio Laguna, Léo Ferré, collection « Los juglares », n° 10, Madrid, éditions Jucar, 1974.

19:05 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (41)

jeudi, 26 février 2009

Pendant la Seconde Guerre mondiale

1939

 

Fin de l’année scolaire

Ferré obtient le diplôme de l’École libre des sciences politiques. Son père le fait entrer chez un avocat, qu’il connaît par personne interposée. Ferré l’assiste et gagne un peu d’argent.

 

Septembre

Son sursis terminé, il est mobilisé avec Maurice Angeli à Montpellier. Angeli est versé dans l’infanterie, lui, dans l’artillerie. Il demande à être lui-même affecté dans l’infanterie, pour rester avec son camarade. Pour l’officier, cette demande est remarquable car l’infanterie est une arme très dure, à cause des marches et du sac de dix-huit kilos. Il rentre chez lui le vendredi soir par le train, et revient le dimanche. Il est ensuite transféré à Sète, caserne Vauban.

 

1940

 

De janvier à mai

Il est nommé à l’école d’officiers de réserve (EOR) de Saint-Maixent-l’École.

 

Mai

Le lundi 20, il en sort aspirant. Un regroupement a lieu ensuite à Saintes, puis un transfert au fort de Sainte-Foy-lès-Lyon.

 

Juin

Le samedi 8, nommé à la tête d’une section de tirailleurs algériens, il part pour l’exode vers le Sud, à la tête de quarante hommes et de huit chevaux, qu’il doit conduire à Albi. Chargé de contrôler le passage sur la route, il arrête une voiture transportant l’amiral Darlan, à qui il demande ses papiers. L’armistice est prononcé et il doit se replier.

 

Juillet

Il est démobilisé à Albi et touche une prime de huit cents anciens francs.

 

Août

Ce mois-là, il rencontre Odette, Hélène, Germaine, Louise Schunck, née à Paris le lundi 1er mars 1920, en fuite avec ses parents, Jo et Fernande, à Castres. Le père d’Odette est l’administrateur du théâtre parisien de l’Étoile. De Monaco où il est rentré lors de sa démobilisation, il gagne Castres à bicyclette, pour revoir Odette. À Montpellier, Trenet chante. À la fin du spectacle, il lui présente quelques unes de ses créations. Trenet apprécie les chansons, mais pas son interprétation et le dissuade de chanter lui-même.

 

Octobre

Le mardi 29, la sœur de Léo Ferré, Lucienne, dentiste, épouse Joseph Bergeron, pharmacien. L’abbé Trouguet les marie à 11 h, puis une messe est dite par le révérend-père Laurens. Ils vont s’installer à Varennes-sur-Allier. Ils auront trois enfants : Michel, Jacques et Marie-José. Léo Ferré compose pour le mariage un Ave Maria pour orgue et violoncelle, joué à l’église Saint-Charles de Monaco, chanté par Mme Orsoni. Il est aussi le compositeur de deux autres œuvres religieuses, dont un Agnus Dei qu’on ne découvrira qu’en 2000 et un Benedictus qu’on ne découvrira qu’en 2004. L’Éclaireur de Nice consacre un article au mariage dans son édition du mercredi 30 et félicite le compositeur. Ferré s’inscrit à Nice en troisième année de droit. Il ne parvient pas à obtenir son troisième certificat. Il n’aura jamais de licence complète.

 

Dans l’année

À l’Hôtel de Russie, près le Casino, Ferré chante, sur sa musique, les textes de la fille du propriétaire, Germaine Neumann (ou Médecin, selon les sources), dite Claude Henry (née en 1902).

 

1941

 

Février

Le mercredi 26, il se produit en public, en soirée, dans un spectacle de variétés comprenant douze numéros, spectacle présenté par le studio de Monaco au théâtre des Beaux-Arts. Il chante en dixième position, sous le nom de Forlane, des textes de Claude Henry qu’il cosigne parfois, sur des musiques de sa composition. On ne dispose, pour ces chansons, que des bulletins de déclaration à la Sacem. Les titres sont : Un chant d’amour, Jouez-moi du Bach, Le Vieux cahier, Le Temps des valses, Je fais parfois un rêve fou, Près de toi, Prétexte, Souvenir. Au même programme, un ensemble de jazz dans lequel joue le guitariste Barthélémy (dit Emmy, dit Mimi) Rosso, qui devient son ami. Pendant l’Occupation, secrétaire général du comité de l’hôtellerie, il distribue des bons d’approvisionnement aux hôteliers et restaurateurs de Monaco, travail de bureau trouvé pour lui par son père.

 

1942

 

Toujours durant l’Occupation, il cache parfois des juifs, ce qu’on apprendra par Maurice Angeli, longtemps plus tard, en 2003. Il découvre l’œuvre de Sartre.

 

1943

 

Mars

Le samedi 27, il écrit La Rengaine d’amour.

 

Octobre

Le samedi 2 à 10 h 30, Léo Ferré épouse Odette Schunck à la mairie d’Issy-les-Moulineaux où elle habite chez ses parents, 15, avenue Jean-Jaurès. Le Petit Niçois consacre un écho à ce mariage. Ils vont vivre à Beausoleil, au lieu-dit Grima, dans une ferme, avec quarante-cinq oliviers et des bêtes : une mule, un mouton et trois vaches. Il a son premier chien, un berger allemand nommé Arkel. Il mène une vie de fermier, vend le lait de ses vaches. Puis Ferré est engagé à Radio Monte-Carlo où il est speaker, aide-régisseur, bruiteur, pianiste… Il annonce quelquefois la météo marine. À Nice, il prend des leçons de composition auprès de Leonid Sabaniev (1881-1968), ancien élève de Scriabine. Il écrit ses premières chansons : sur des paroles de René Baer, juif réfugié à Monaco (né en 1887), il compose Le Banco du diable, La Mauvaise étoile et Oubli. Il ne les enregistrera pas. Sur ses propres textes, L’Histoire de l’amour, Petite vertu… Il ne les enregistrera pas.

 

Dans l’année

Au théâtre, il voit Jean-Roger Caussimon jouer Volpone, avec Dullin.

 

1944

 

C’est entre 1944 et 1947 qu’il faut situer, sans autre précision actuellement possible, les enregistrements sur disques « pyral » de trois chansons, Suzon, Ils broyaient du noir et L’Opéra du ciel, qu’on ne découvrira, chantées, qu’en 1998. Encore connaissait-on le texte de L’Opéra du ciel. Les deux autres chansons étaient totalement inconnues.

 

Toussaint

Il remonte avec Odette vers Paris. En chemin, ils s’arrêtent quelques jours à Lyon, où Ferré compose Les Amants de Lyon, qui deviendront plus tard Les Amants de Paris.

 

1945

Avril

À compter du dimanche 1er, Joseph Ferré est nommé directeur du personnel.

 

Juillet

Le vendredi 13, Ferré écrit Le Temps des roses rouges.

 

Août

Le vendredi 3, il écrit La Relève, qui deviendra On change à la Bastille. Le jeudi 23, il écrit L’Inconnue de Londres. Le jeudi 30, il écrit La Vénus du carrefour.

 

Septembre

Mardi 4, il écrit Le Carrousel du temps perdu.

 

À la fin de l’année

Il chante L’Esprit de famille à Francis Claude (né en 1905) à Monaco. Il l’a connu à la radio. Il rencontre Édith Piaf, venue chanter dans la Principauté et lui fait entendre des chansons. Elle lui conseille de se rendre à Paris. Il rend compte du tour de chant de Piaf dans L’Éclaireur de Nice.

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mardi, 24 février 2009

Reconstitution

1887

 

Décembre

Le samedi 10, a lieu la naissance de Joseph, Bénézel, Marius Ferré, à Nice. Il est le fils de Charles, Joseph Ferré, lui-même né à Nice en 1853, cocher de fiacre et maréchal-ferrant à Nice, marié à Apollonie, Irma Poucel (ou Poussel, selon les sources), vendéenne, née le vendredi 20 mars 1857 en Provence, à Charleval, coiffeuse.

 

1889

 

Octobre

Naissance, le jeudi 24, de Marie, Charlotte Scotto, à Monaco. Elle est la fille de Mathieu Scotto et d’Antoinette. Ils ont aussi un fils (qui deviendra Stradi dans le roman Benoît Misère, publié en 1970).

 

1900

 

Novembre

À un peu moins de treize ans, Joseph Ferré perd son père, mort jeune, le vendredi 23.

 

1908

 

Mai

Le vendredi 1er, Joseph Ferré entre au casino de Monte-Carlo. Il commence sa carrière comme conducteur des travaux au service de l’architecture, à raison de cent soixante-quinze francs par mois. C’est un homme très pieux, qui préside la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul.

 

1912

 

Janvier

Joseph Ferré est détaché au secrétariat général des services extérieurs, puis secrétaire au même endroit.

 

Juin

Joseph et Marie se marient le samedi 8. Charlotte Ferré est couturière. Elle fabrique des robes à partir de patrons que lui donne une amie, première main chez Patou.

 

1913

 

Mai

Le jeudi 1er, Joseph Ferré est augmenté : deux cents francs par mois.

 

Décembre

Leur fille, Lucienne Ferré, naît.

 

1914

 

Mai

Le vendredi 1er, Joseph Ferré est augmenté : deux cent cinquante francs par mois.

 

1915

 

A la fin de l’année, Mme Ferré est enceinte.

 

 

Chronologie vérifiée d’après de récentes recherches de Patrick Dalmasso.

11:12 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (6)

jeudi, 19 février 2009

Question d’oreille

Il arrive – du moins il arrivait, lorsque les électrophones, même stéréophoniques, n’avaient pas encore été remplacés par les chaînes haute-fidélité – qu’on entende autre chose que ce qui était enregistré dans un disque. Il faut aussi prendre en compte, naturellement, la qualité de la prise de son, du pressage. Et bien sûr, la forme générale de l’interprète le jour de l’enregistrement, sa voix du moment.

 

Je prendrai comme exemple la chanson Quand je fumerai autre chose que des celtiques, entendue en scène longtemps avant l’enregistrement, puisqu’une première version désignait sans équivoque Popaul : « Avec à son piano mon hibou sérénade / Qui n’y voit que la nuit pour mieux m’accompagner », final qui sera modifié, « à son piano » devenant « dans mes paquets » et « Qui n’y voit que la nuit pour mieux m’accompagner » perdant de fait toute son évidence (la cécité et l’accompagnement musical). D’ailleurs, en scène, Léo Ferré montrait Popaul de la main. Le vers de clausule disait : « Alors nous fumerons nos dernières celtiques » ; il est devenu : « Alors nous tirerons nos dernières cartouches », avec un jeu de mots à propos de « cartouches », évidemment.

 

Mais le sujet de cet article est plus précisément ce qu’on peut entendre la première fois qu’on écoute un disque, et qui restera toujours dans notre esprit. On a beau avoir appris, dans l’intervalle, que c’était autre chose, l’accoutumance auditive et l’empreinte des premières fois demeurent. Il faut alors se défendre d’entendre ce qu’on entendait, c’est souvent impossible.

 

Ainsi, « Et marchait seul devant le poing dans l’utopique » est un vers que j’ai, au début, entendu ainsi : « Et marchait seul levant le poing dans l’utopique », ce qui avait aussi un sens parfaitement compréhensible. De même, « Moi je suis con ma foi mes fleurs noires à la face » pouvait s’entendre « Moi je suis con ma foi mais fleurs noires à la face », qui se comprenait aussi très bien.

 

Autre exemple, celui d’Il n’y a plus rien, où l’on entend : « Lâche ces notions, si ce sont des notions ». J’entendais – je n’étais pas le seul, mes camarades aussi, nous en avions parlé au temps du lycée : « Lâche ces notions, ce sont des notions », ce qui n’est certainement pas la même chose.

 

Enfin, dans Tu ne dis jamais rien, au lieu de : « Ma machine à écrire a un complet tout neuf », j’entendais : « Ma machine à écrire a un pourpoint tout neuf », ce qui ne changeait rien au sens, cette fois.

 

En ce qui concerne La the nana, toutefois, j’ai toujours entendu correctement : « Tu joues complet dans ton cinoche », quand un autre soutenait que la chanson disait : « Tu joues complet pour ton cinoche ». J’étais ennuyé car je ne parvenais pas à le convaincre que le sens, dans son hypothèse, n’était pas évident et qu’en l’occurrence, il n’y avait pas de difficulté d’audition particulière, moins encore d’interprétation.

11:44 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (18)

jeudi, 05 février 2009

Da capo

Un des poncifs de la chanson, qui m’a toujours laissé plein d’incompréhension, consiste à répéter, à la fin du texte, le début : un, deux, plusieurs vers sont repris. Un peu comme un da capo littéraire. Je n’ai jamais su pourquoi. Souvent, on a le sentiment que l’auteur ne sait pas finir, ignore comment terminer un texte. Il est vrai que c’est très souvent le cas de mauvaises chansons,  mais les bonnes n’y échappent pas. Dans la chanson où, souvent, on répète ad nauseam les mêmes mots, des couplets entiers, voire des la la la interminables, le retour pur et simple au début ne s’explique cependant pas.

 

Léo Ferré n’a pas dérogé à cette règle. Lui qui, par ailleurs, a torpillé l’alternance classique couplet-refrain, a quelquefois, au contraire, créé des refrains où il n’y en avait pas (les deux premiers quatrains du Bateau ivre, par exemple). Et, comme tous les chanteurs, il lui est arrivé, parvenu au bout d’un texte, de reprendre au début, faisant d’un vers, d’un quatrain, voire de plusieurs, une forme de chute qui n’en est pas une, une clausule hésitante.

 

Il faut considérer un cas particulier, celui d’un texte relativement bref. L’interprétation terminée, il la reprend au début et, comme le poème n’est guère très long, il se retrouve… à le dire deux fois entièrement. On aura reconnu La Porte. Cependant, pour ce texte d’Apollinaire, il s’agit d’une mise en musique, donc d’une interprétation, donc d’un travail, donc d’un choix musical. La partition est ainsi écrite. J’aimerais cependant comprendre quel est exactement ce choix de répéter le texte, sur un autre tempo, il est vrai. Cela porte-t-il un nom en musique, est-il d’autres exemples d’une interprétation double, d’un dit à la fois redondant et singulier ?

14:06 Publié dans Propos | Lien permanent | Commentaires (21)

lundi, 02 février 2009

Chanter Apollinaire

Parmi les disques que je regretterai toute ma vie – pour cette excellente raison qu’ils n’existent pas – figurent en tête de liste Léo Ferré chante André Breton ou bien La Légende des siècles, Ferré chante Hugo. Et pourquoi pas Les chansons de La Fontaine chantées par Léo Ferré ? On peut rêver… Patrick Dalmasso avait il y a quelque temps réalisé une belle pochette imaginaire pour le premier (recto, verso, intérieur 1, intérieur 2).

 

Je regretterai également toujours Ferré chante Apollinaire et cette fois, j’ai une bonne raison pour cela. Je veux dire que de nombreuses poésies ont été mises en musique et enregistrées en studio ou en public, mais qu’il n’existe aucun ensemble comparable à ceux qui ont été proposés pour les autres poètes. Bien entendu, je mets à part les trois versions de La Chanson du mal-aimé, qui est un cas différent.

 

De mémoire, Léo Ferré a chanté Apollinaire au travers des pièces suivantes : Le Pont Mirabeau (deux enregistrements dont un en public), Marizibill (deux versions, toutes deux en public), L’Adieu (deux enregistrements dont un en public, a capella), Marie (deux versions en studio à des années de distance, une en public accompagnée par Popaul), La Porte (deux versions, toutes deux en public), Les Cloches (et) la tzigane, Automne malade. On peut y ajouter les versions en public pour lesquelles on dispose uniquement d’un enregistrement en vidéographie.

 

Quant aux textes écrits à propos d’Apollinaire (Il y a vingt ans que je n’écris pas de musique, Guillaume, vous êtes toujours là !, La Chanson du mal-aimé, c’est…), on peut imaginer qu’ils auraient constitué le contenu d’une pochette de disque. Tout cela est bien dommage.

 

J’observe que la maison Barclay, en 1980, paraît s’être déjà posé la question. Elle avait fabriqué une compilation de deux titres, L’Adieu et Marie, c’est-à-dire le regroupement des faces B de deux 45-tours, celui de 1970 (Avec le temps, L’Adieu) et celui de 1973 (Je t’aimais bien, tu sais, Marie). Cette compilation avait elle aussi la forme d’un 45-tours, présenté sous une pochette uniquement typographique. Elle était intitulée, justement, Léo Ferré chante Apollinaire. Ce disque était hors-commerce (on peut le voir sur le site L'Encyclopédisque).

 

Il n’est pas vraisemblable que Léo Ferré ne se soit pas posé la question. Qu’est-ce qui a fait que cet album n’ait jamais existé ? Considérait-il La Chanson du mal-aimé comme « son » Apollinaire au point de ne pas désirer aller plus loin et de considérer que des poèmes épars n’avaient pas à être regroupés ?

 

Curieusement, j’avais rédigé cette note (en me rappelant très bien que nous avions déjà parlé de la musique écrite pour Apollinaire par Léo Ferré) lorsque je me suis aperçu que… j’avais déjà traité le sujet ici même. Comme quoi cela m’obsède.

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lundi, 26 janvier 2009

Demandez le programme !

Les programmes de spectacle sont une source d’informations très intéressante… et les vendeurs de papiers anciens le savent bien, qui demandent des sommes souvent importantes pour ces fascicules dont on ignore le tirage et qui ne relèvent d’aucune obligation de conservation. Je me rappelle une conversation d’il y a plusieurs années avec une bibliothécaire de l’Arsenal (département Arts du spectacle de la Bibliothèque Nationale) qui me confirma qu’il n’existait pas de procédure de dépôt légal pour ce type de publication. On se demande d’ailleurs vraiment pourquoi. Ces documents contiennent des textes et des images qui, tous, relèvent du droit d’auteur : or, en règle générale, aucun copyright ne figure dans leurs pages, rien n’est déposé et par conséquent tous les droits habituels sont violés, à commencer par la propriété littéraire et artistique. De plus, alors que le dépôt légal impose la remise d’exemplaires à la Nationale et au ministère de l’Intérieur, on ne voit pas pour quelle raison les programmes de spectacle échapperaient à la règle. L’Intérieur, on s’en doute, ne reçoit pas de dépôt afin de juger de la qualité littéraire des ouvrages… Par conséquent, pourquoi un texte contenu dans un programme serait-il moins susceptible d’être un brûlot susceptible de porter atteinte à l’ordre public, qu’un autre, paru en volume ?

 

La fragilité même des programmes suppose qu’un exemplaire qui a traversé plusieurs décennies a eu beaucoup de chance. Ils sont le plus souvent agrafés – les agrafes rouillent vite, la rouille ronge le papier – et leur couverture est la plupart du temps dans le même grammage que les pages intérieures, si bien qu’elle ne protège rien à proprement parler.

 

Les programmes de Léo Ferré ont souvent été le support de textes intéressants qui figurèrent là en première publication. Ils ont été repris en recueils par la suite, parfois longtemps après. D’autres, cependant, sont à ce jour demeurés inédits sous une autre forme, ce que les vendeurs de papiers anciens n’ignorent pas, qui font monter les prix grâce à cela. Par exemple, le livret du récital de 1962-1963 à l’ABC comprend entre autres le texte Pourquoi je fais un récital, témoignant d’un point de vue artistique à l’époque peu partagé. Il regroupe aussi des photographies signées Jean-Pierre Sudre. J’ai évoqué en détail ce document dans Les Chemins de Léo Ferré. Parmi les textes du programme de Bobino en 1969 (il comprenait une plaquette annexée, L’œuvre poétique de Léo Ferré), on pouvait lire l’excellente prose intitulée Bonsoir : « Nous sommes des gens de l’autre côté de la rive, du rideau… » ; on la retrouve dans la pochette du double disque Barclay enregistré en public, mais on l’aurait sans doute perdue si cet album n’avait pas existé.

 

Typographiquement, les programmes sont une grande satisfaction pour le curieux : mise en page, polices, publicités, témoignent de temps révolus. Les différents formats signent chacun une époque. Pour un amoureux de l’imprimerie, c’est un régal. Chaque fois que j’ai parlé d’imprimerie ici, il s’est manifesté peu d’intérêt, mais je ne désespère pas de trouver un autre amateur pour ce domaine auquel je m’intéresse depuis je ne sais combien de dizaines d’années.

 

Sur internet, le Passage Léo Ferré n’est pas uniquement constitué de la page principale, celle qui présente les ouvrages de et sur l’artiste. Je rappelle qu’il existe trois autres pages, dont une consacrée justement aux programmes.

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mercredi, 21 janvier 2009

Dans la presse de 1957 à 2005

C’est dans l’hebdomadaire Arts que Léo Ferré publie, à ma connaissance, son premier texte dans la presse, en 1957. Il s’agit de En France la poésie s’est sabordée, qui constitue la fameuse préface polémique de son recueil Poète… vos papiers ! On n’y reviendra pas, le sujet ayant été traité dans le livre Les Chemins de Léo Ferré et complété par quatre notes de ce blog : Léo Ferré et les surréalistes : nouveaux éléments, Léo Ferré et les surréalistes : encore de nouveaux éléments, Léo Ferré et les surréalistes : encore une découverte, Une opinion de Gracq sur Breton.

1960. À la suite d’une affaire de censure radiophonique, Léo Ferré publie dans France-Observateur le texte La Liberté d’intérim, auquel j’ai déjà consacré une note : Sur un texte de 1960.

En 1961, Les Lettres françaises font paraître Aragon et la composition musicale, en parallèle avec le texte d’Aragon lui-même, Léo Ferré et la mise en chanson. Ces deux articles se retrouveront dans la pochette du 25-cm original Barclay, où Ferré chante le poète.

Les Lettres françaises livrent encore, en 1963, une version du « Chant premier » des Chants de la fureur, version peu connue du fameux texte intégral de La Mémoire et la mer.

Nous Deux, en 1969, présente, avec un grand article consacré à l’artiste, un petit texte sans titre : « Le couple, c’est toi et moi… »

La chanson La Vie d’artiste est reprise par le journal Pilote, en 1973.

De larges extraits de Technique de l’exil paraissent dans Les Nouvelles littéraires à la fin de l’année 1979.

Le Monde publie, en 1980, Guillaume, vous êtes toujours là !, lors du centenaire d’Apollinaire.

En 1981, c’est encore Le Monde qui, à propos de l’affaire Knobelspiess, donne en tribune libre la Lettre ouverte au ministre dit de la Justice, à l’époque Alain Peyrefitte.

Et c’est toujours Le Monde qui publie Viens…, une adresse à un jeune, en 1983.

En 1984, le journal de Jean Clouet, Chanteuses, chanteurs, vos papiers !, au titre évidemment inspiré par Ferré, fait paraître un extrait de Je parle à n’importe qui. La même année, L’Humanité-dimanche donne Improvisation pour figer les armes : le titre est de la rédaction du journal.

En 1985, Le Monde reprend Viens… dans ses Dossiers et documents, spécial « Showbiz ». Dans le journal belge Une autre chanson, on peut lire, la même année, « Il fallait qu’un jour… » (un texte sans titre sur Ann Gaytan), ainsi que Tout ce que tu veux et Le Manque. À ce moment-là, ces deux chansons n’ont pas encore été enregistrées par leur auteur et on n’en connaît qu’une version au piano, donnée par Ann Gaytan dans un maxi 45-tours belge très peu diffusé, paru sous le label Orchidée noire.

En 1987, pour « La fête à Ferré », qui ouvre les Francofolies de la Rochelle, paraît un numéro de la revue locale Clair de terre, dans lequel Ferré signe, amicalement, un mot bref.

1990 : le Figaroscope propose à Léo Ferré, qui est alors sur la scène du TLP-Déjazet, de commenter sept photographies de la capitale. Il le fait brièvement. La rédaction titre à ce sujet Le Paris de Léo.

Les autres parutions seront posthumes. Chorus, en 1994, publie « L’ouverture de cette particulière trahison des faits… », qui ne figurait jusque-là que dans le dossier de presse – un simple feuillet – du premier disque produit par EPM-Musique, On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. On trouve aussi dans ce numéro Mon Général.

Libération, en 2000, donne un extrait de L’Imaginaire et le texte sans titre, retrouvé : « Le 1er janvier de l’an 2000... »

En 2001, La Revue des Archers, fondée à Marseille par Richard Martin, propose un court extrait de L’Opéra des rats, que le comédien avait monté en 1983 et repris en 1996.

En 2003, Libération a l’excellente idée de faire paraître six textes écrits pour la station de radio Europe n° 1 en 1960. L’ensemble est intitulé par la rédaction du journal Ici Léo Ferré… Ce sont des textes inédits hormis pour ceux qui avaient pu les entendre des décennies plus tôt.

C’est en 2005 que la Lettre à l’ami d’occasion est rendue publique par le bulletin d’informations Les Copains d’la neuille. J’ai fait dans ce numéro une présentation de ce texte qui se rapporte encore à l’histoire de Ferré et des surréalistes, et n’y reviendrai donc pas.

Il existe de très nombreuses autres parutions qu’au cours du temps, Léo Ferré put faire dans des programmes de spectacles, des ouvrages de toute nature, des pochettes de disques… Une recension serait sans fin et n’intéresserait probablement guère. Ici, on constate qu’il est sollicité par des publications de tout bord (Arts est couramment considéré comme de droite… mais est lu par tout le monde et, pour commencer, par Breton ; Les Lettres françaises, L’Humanité sont communistes ; Le Monde est considéré comme de gauche par les gens de droite et de droite par les gens de gauche ; Libération, Les Nouvelles littéraires sont de gauche au sens large…) À noter la position étonnante du Figaro. Dans les années 70, il conspuait Ferré. Dans les années 80, il lui consacrera de bons articles, lui offrira un long entretien dans le Figaro magazine, la couverture du Figaro Méditerranée, le commentaire libre de photos dans Figaroscope… Étonnant revirement.

Arts du 9 au 15 janvier 1957.

France-Observateur du 20 octobre 1960.

Les Lettres françaises du 19 au 25 janvier 1961.

Les Lettres françaises du 24 octobre 1963.

Nous Deux, décembre 1969.

Pilote, n° 737, du 20 décembre 1973.

Les Nouvelles littéraires du 20 décembre 1979 au 3 janvier 1980.

Le Monde du 29 août 1980.

Le Monde du 3 avril 1981.

Le Monde du 1er décembre 1983.

Chanteuses, chanteurs, vos papiers !, n° 2, mars 1984.

L’Humanité-dimanche du 14 octobre 1984.

Le Monde, Dossiers et documents, spécial « Showbiz », juillet-août 1985.

Une autre chanson, n° 15, juin-juillet-août 1985.

Clair de terre, spécial « Francofolies », juillet 1987.

Figaroscope du 14 au 20 novembre 1990.

Chorus, n° 8, été 1994.

Libération du 3 janvier 2000.

La Revue des Archers, n° 1, printemps-été 2001.

Libération des 12 et 13 juillet 2003.

Les Copains d’la neuille, n° 8, printemps-été 2005.

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dimanche, 18 janvier 2009

Dans les revues des années 70

La décision de créer une revue prise, il faut au groupe libertaire Louise-Michel de la Fédération anarchiste le temps de rassembler les textes, de concevoir une maquette, d’envoyer la copie chez l’imprimeur (La Cootypographie, à Asnières), de corriger les épreuves, de signer le bon à tirer – toutes ces opérations réalisées à une époque sans traitement de texte et sans internet, et le premier numéro de La Rue, « revue culturelle et littéraire d’expression anarchiste », paraît, sur quatre-vingts pages, daté… mai 1968. C’est un pur hasard mais, rétrospectivement, c’est amusant. En troisième de couverture, cette mention : « Cet ouvrage a été réalisé par des ouvriers syndiqués ». Le second numéro comptera quatre-vingt-huit pages et sera imprimé chez Borel à Paris, avec la flamme « Fédération du Livre CGT FO ». Les numéros compteront cent pages à partir du n° 4 et, à compter du n° 5, ce sera l’imprimerie 718 à Paris qui assurera le travail. Trimestrielle, la revue est présentée sous une couverture (dont la photographie – une rue pavée – est signée Hubert Grooteclaes) qui change de couleur à chaque livraison. Les responsables de la revue sont Maurice Joyeux et sa compagne Suzy Chevet. Dos carré, impression soignée – la tradition typographique est toujours vivace chez les anarchistes – La Rue va connaître une quarantaine de numéros. Léo Ferré publie des textes dans les douze premiers et répondra à une interview de Françoise Travelet dans le n° 34, en 1984. L’entretien est illustré par un dessin de Gil. Dans le n° 1, il publie Je donnerais dix jours de ma vie, journal des onze premiers jours de janvier 1968, vécus à Perdrigal (du 1er au 11 inclus, cela fait en effet onze jours, mais Léo Ferré a toujours eu des problèmes avec le compte du temps). Dans le n° 2, il donne Le Chemin d’enfer ; dans le n° 3, Perdrigal ; dans le n° 4, I have a rendez-vous avec le wind ; le cinquième numéro propose Des armes et Les Anarchistes ; le sixième, Le Chien ; le septième, Le mot, voilà l’ennemi ; le huitième, Guesclin ; le neuvième, Le Conditionnel de variétés ; le dixième, Paris, je ne t’aime plus, L’Été 68 et Comme une fille ; le onzième, Le silence ne téléphone jamais ; la douzième livraison, enfin, comprend La Violence et l’ennui. Pas toujours mais la plupart du temps, ces textes sont, au moment de leur parution, soit inédits, soit enregistrés dans le disque plus ou moins contemporain de la parution. Au sommaire, on relèvera entre beaucoup d’autres les noms de Michel Ragon, Jean-Pierre Chabrol, Maurice Laisant, Jehan Jonas, Bernard Clavel, Françoise Travelet, Roger Grenier, Maurice Frot, Arthur Mira-Milos (alias Dominique Mira-Milos, alias Dominique Lacout) et quelques auteurs plus anciens : Jean Richepin, Jean-Baptiste Clément, Victor Hugo.

 

En 1976, Léo Ferré publie aussi dans la revue de photographie Zoom un des très nombreux textes qu’il consacrera à son ami photographe. Celui-ci s’intitule simplement Hubert Grooteclaes et voisine évidemment avec quelques images de lui.

 

Durant ces années, Ferré publie aussi quelques textes dans la presse, mais ils n’entrent pas dans le dessein de cette note.

 

La Rue, n° 1, mai 1968.

La Rue, n° 2, octobre 1968.

La Rue, n° 3, 1er trimestre 1969.

La Rue, n° 4, 2e trimestre 1969.

La Rue, n° 5, 3e trimestre 1969.

La Rue, n° 6, 4e trimestre 1969.

La Rue, n° 7, 1er trimestre 1970.

La Rue, n° 8, 2e et 3e trimestres 1970.

La Rue, n° 9, 4e trimestre 1970.

La Rue, n° 10, 1er trimestre 1971.

La Rue, n° 11, 3e trimestre 1971.

La Rue, n° 12, 4e trimestre 1971.

Zoom, n° 37, mai 1976.

La Rue, n° 34, 2e trimestre 1984.

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samedi, 17 janvier 2009

Dans les revues des années 60

Les revues des années 60 font appel à Léo Ferré à plusieurs reprises.

 

Dans son numéro 5, Janus dont l’objectif avoué est « l’homme, son histoire et son avenir » et qui n’hésite pas à affirmer « Janus, la grande revue des grands problèmes, répond dans ses cahiers consacrés à une seul sujet aux questions d’aujourd’hui sur hier et demain », propose le thème « L’Homme et ses idoles ». C’est dans cette revue que paraît pour la première fois Les idoles n’existent pas, cette belle prose de  Léo Ferré qu’on retrouvera dans la pochette du double disque enregistré en public à Bobino, en 1969. Les signataires des articles sont Mircea Eliade, Gabriel Marcel, Henri Noguères, Edgar Morin. On traite de la religion, de l’idolâtrie, des mythes, des symboles, de la science, du culte de la personnalité. On est alors en pleine vague « yé-yé » et Léo Ferré parle de la télévision et des idoles de la chanson. Son texte est suivi de Quand j’étais môme. Le rédacteur en chef est Claude Manceron, le directeur Noguères et l’éditeur, la Nouvelle librairie de France et Robert Laffont.

 

Le numéro 22 de Planète propose Pureté, chagrin d’adulte…: il s’agit de réflexions sur sept photos, des portraits en noir et blanc de la petite Marianne Grooteclaes, évidemment réalisés par son père. Au sommaire, entre autres, une découverte du dessinateur Desclozeaux. Planète est dirigé par Louis Pauwels, qui n’est pas encore un homme de droite. La revue s’installe dans le mouvement alors à la mode, mélange d’ésotérisme et de science-fiction, avec un brin de fantastique. Ce pêle-mêle aboutira plus tard à la collection « Les Énigmes de l’univers », dirigée chez Robert Laffont par le même Pauwels, collection à la couverture noir et or, qui sera très contestée pour son manque de rigueur et son sensationnalisme, alors qu’elle se prétendait sérieuse. Le texte de Léo Ferré sera repris dans un numéro hors-série de cette même publication, intitulé « L’amour à refaire » (au sommaire, Jean-Louis Barrault, Suzanne Lilar, Geneviève Dormann, Reich…) qui, quelques années plus tard, voguera sur la mer de la libération sexuelle, de l’amour libre, lorsque, dans la mouvance de 1968 et au cœur du féminisme grandissant, leur mode intellectuelle se sera affirmée.

 

Janus et Planète sont ce qu’il est convenu d’appeler des « revues de bibliothèque » ou des « revues-livres », c’est-à-dire qu’elles sont imprimées en offset, brochées comme de véritables ouvrages et disposent d’une couverture d’un grammage important, comparable à celui des livres. Leur contenu, qu’on l’apprécie ou pas, est assez solide. Elles n’ont de revue que le caractère collectif et la relative abondance de l’illustration (en noir et blanc ou en trichromie), chose alors rare en imprimerie. On observe qu’une mode graphique leur confère un format carré, d’ailleurs très agréable. Ce même format se retrouvera dans Plexus, revue traitant de sujets à connotation sexuelle (« Plexus décomplexe », est-il affirmé dans une allitération), dans laquelle Ferré ne signera rien mais où l’on retrouvera à plusieurs reprises le nom et les images de Grooteclaes.

 

L’éditeur Jean-Jacques Pauvert ayant repris Le Crapouillot, fondé avant-guerre par Galtier-Boissière, on voit paraître un numéro 66, spécial « Hommage au Crapouillot, histoire d’un journal libre et de son directeur, hommages, commentaires et souvenirs » contenant des textes de très nombreux auteurs (Rostand, Simenon, Lanoux, Guillemin, Paulhan, Maurice Garçon, Morvan Lebesque, Michel Vaucaire, Guy Béart, Roger Peyrefitte, Boudard, Max-Pol Fouchet…), dont Ferré. Curieux destin que celui de ce journal d’abord anticonformiste et frondeur, puis de gauche, qui deviendra d’extrême-droite quand Minute le reprendra. Pour l’heure, il est de grand format, a un dos carré, est sous-titré « Magazine libre trimestriel » et Léo Ferré y signe un article, à ma connaissance le seul où il salue publiquement un éditeur : « Jean-Jacques Pauvert – que je tiens pour le premier éditeur de langue française », écrit-il. Pauvert est alors l’éditeur non-conformiste, prenant des risques et connaissant de perpétuels démêlés avec la censure, comme son concurrent Éric Losfeld avec qui il arrive qu’on le confonde, notamment à cause de certaines similitudes de leur catalogue (surréalisme, érotisme, érudition).

 

Durant ces années, Ferré publie aussi quelques textes dans la presse, mais ils n’entrent pas dans le dessein de cette note.

 

Janus, n°5, « L’Homme et ses idoles », février-mars 1965.

Le Crapouillot, n° 66, « Hommage au Crapouillot », mai 1965.

Planète, n° 22, mai-juin 1965.

Dossier Planète, hors-série, n° 1, « L’amour à refaire », décembre 1971.

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jeudi, 15 janvier 2009

Dans les revues littéraires des années 80

Dans les années 80, de nombreuses revues littéraires ont demandé à Léo Ferré de leur confier des textes, ce qu’il a toujours fait. C’était bien évidemment afin d’inscrire au sommaire un nom prestigieux et de compter sur une « locomotive » pour vendre le numéro (la plupart du temps, le n° 1). À cette période, relever les parutions ferréennes tenait du pari ou du jeu de piste. Il y en eut en effet beaucoup et je ne suis pas certain de les connaître toutes. Depuis, les textes en question ont tous été repris dans tel ou tel recueil mais alors, il s’agissait la plupart du temps d’inédits.

 

Cela n’a jamais empêché ces publications de demeurer confidentielles. La palme revient à la revue libertaire La Cannibale, qui parut… une seule fois et mit immédiatement fin à ses activités, après avoir donné à lire Le Noir et l’érotisme dans le numéro « Noir, variations sur une anti-couleur ». Il est d’ailleurs remarquable que, fondée quelques années auparavant, La Rue, « revue libertaire et culturelle d’expression anarchiste » publiée par le groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste, soit parvenue à proposer près de quarante livraisons. Il est vrai que La Cannibale était beaucoup moins intéressante que sa sœur aînée. Les temps, déjà, avaient changé, le niveau baissé et le public disparu. Toutefois, le Magazine libertaire connut, lui, un certain intérêt et Ferré lui donna Une page n’est jamais blanche.

 

Il y eut aussi la revue Jungle, élégamment sous-titrée « Sur les pas fauves de vivre », qui reçut En ces temps-là, des vagabonds…pour le numéro ayant pour thème « Errances et vertiges » ; la revue Grande nature, un brin luxueuse et bellement imprimée, qui put ressortir Guillaume, vous êtes toujours là !, texte paru auparavant dans Le Monde, pour une livraison évoquant Apollinaire ; la revue L’Encrier qui, elle, existe peut-être encore, fit paraître une livraison consacrée aux « Poètes de la rue » : elle contenait La poésie est dans la rue et un texte extrait du porte-folio L’Éternité de l’instant. Il y eut Introduction à la folie dans les Cahiers Créativité et folie que l’éditeur Actes Sud avait repris et qui disparut fort vite.

 

Quel enseignement peut-on tirer de cette revue des revues ? Dans les années 70, Ferré est au faîte de sa gloire mais les seules publications qui lui demandent des textes sont celles de la Fédération anarchiste. Dans les années 80, les demandes se multiplient, provenant de divers horizons et mêlant Léo Ferré aux écrivains et aux universitaires (en vrac, Michel Decaudin, Nabile Farès, Tristan Cabral, Julia Kristeva, Sam Shepard, Hervé Guibert, Marcel Moreau, Tennessee Williams, Verlaine, Corbière, Laforgue, Mistral, Richepin, Rimbaud, Hugo, Lionel Bourg…) Dans le même temps, il se trouve à cette époque de sa vie et de sa carrière où il va chanter de plus en plus fréquemment et de plus en plus longtemps, chaque fois. Toujours au même moment, il publie aussi quelques textes dans la presse, mais ils n’entrent pas dans le dessein de cette note.

 

Cahiers Créativité et folie, n° 1, février 1984.

Magazine libertaire, n° 1, 1984.

Grande nature, n° 1, hiver 1984-1985.

Jungle, n° 8, 1985.

La Cannibale, n° 1, avril 1987.

L’Encrier, n° 26-27, janvier 1990.

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mercredi, 14 janvier 2009

Une question d’interprétation

Au lu ou à l’audition d’Avec le temps, on considère habituellement que « on n’aime plus » représente l’échec. On peut facilement penser exactement le contraire, et c’est d’ailleurs, à mon avis, le sens que donne Léo Ferré à cette chute. Ne plus aimer, ici, c’est être victorieux, même a minima (« tout seul peut-être mais peinard »).

 

Évidemment, si on reste sur un plan biographique, on peut dire que Ferré veut nous faire croire qu’il n’aime plus, alors qu’on sait bien qu’en réalité, on n’oublie rien. Des deux opinions, « on oublie tout » et « on n’oublie rien », celle de Brel était plus juste : une de ses chansons portait ce titre, On n’oublie rien, mais, si elle est plus exacte, elle est malheureusement écrite en charabia (d’un autre texte de Brel, Il nous faut regarder, Catherine Sauvage disait : « C’est du belge »). On ne cesse jamais d’aimer, même si on a quitté l’autre. Personne (et heureusement) ne remplace personne. On ne « refait pas sa vie », contrairement à ce qu’on dit, mais les vies se succèdent, simplement.

 

Il reste que, du point de vue littéraire, un artiste a écrit « on n’aime plus » à la clausule d’un texte où il montre qu’avec le temps, on oublie. On a beau savoir que c’est faux, le texte, lui, est là et c’est de lui qu’on doit parler. Donc, affirmer que « on n’aime plus », c’est l’échec, est à mon avis un contresens. L’auteur nous présente ici la fin du sentiment comme une libération, donc une victoire.

 

Dans la réalité, ce n’est pas vrai, mais le texte est là, qui dit l’intention de l’auteur. Peut-être dit-il, d’ailleurs, plus que son intention. Peut-être prouve-t-il l’effort désespéré que fait un homme pour se convaincre qu’on oublie tout et le reste. Mais on tombe là dans le biographisme, dont on ne veut pas.

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samedi, 03 janvier 2009

Lettres d’amour

Je tente de me rappeler l’impression que me fit, en 1970, l’écoute de La Lettre. Ce beau texte amoureux n’était pas alors ressenti – du moins par moi, du haut de mes dix-huit ans et ne connaissant Ferré que depuis une année – comme quelque chose de particulièrement autobiographique, si bien que l’allusion à l’« enfant de la honte » demeurait obscure ou bien uniquement littéraire : on sait bien qu’un auteur peut écrire une chanson d’amour dans le vide, c’est-à-dire qu’elle sera non dédiée, non inspirée par quelqu’un en particulier.

 

En revanche, on était frappé par les images, le ton et naturellement la voix du chanteur. Quand l’existence de Mathieu fut rendue publique par son père, en 1974, on comprit que La Lettre était réelle. Marie apparut ensuite, dans une plaquette puis dans un disque, en photo, après avoir été en quelque sorte présentée dans la chanson L’Espoir.

 

Lorsque parut, en 1986, Lorsque tu me liras, il y eut moins (ou davantage, c’est selon) d’étonnement. Il était alors vraiment évident qu’on entendait là le texte d’une lettre authentique, adressée à Marie et dont le contenu même laissait comprendre qu’elle datait de nombreuses années auparavant. Il faut dire que, dans l’intervalle, bien des aspects de la biographie de l’auteur avaient été révélés et que son histoire était mieux connue, encore que, de son vivant, on ne soit pas allé jusqu’à la recherche biographique détaillée qui exista par la suite.

 

Qu’est-ce qui poussa l’artiste à graver, longtemps après, Lorsque tu me liras, alors que La Lettre l’avait été quelques mois à peine après sa rédaction ? On imagine qu’il existe un certain nombre d’autres lettres qui furent envoyées à Marie.

 

Léo Ferré n’aimait pas beaucoup qu’on cherche qui était le ou la dédicataire, qui était l’inspirateur ou l’inspiratrice d’une œuvre. Il estimait que ce qui comptait, c’était le résultat artistique. Ce point de vue est parfaitement compréhensible et, sans le faire totalement mien, comment ne pas lui reconnaître une pertinence ? Cependant, Christie est nommément citée dans Lorsque tu me liras : il est donc difficile de vouloir ignorer de qui il s’agit. C’est pour cela qu’on peut rêver au pourquoi de la mise en musique de ces deux lettres. Uniquement celles-là.

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lundi, 17 novembre 2008

Léo Ferré, les années-galaxie, histoire d’un livre

On sait l’histoire du premier volume consacré à Léo Ferré dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » par Charles Estienne, paru en 1962 sous le numéro 93. On n’y reviendra pas ici.

 

En 1969, Pierre Seghers cède sa maison à Robert Laffont. Les déboires qui, dans les années qui suivirent, surgirent à propos de la nouvelle collection « Poésie et chansons » dont le livre d’Estienne constitua le numéro 1, aboutirent à une procédure judiciaire. L’éditeur fit une fleur à l’artiste : bien qu’ayant gagné son procès, il accepta de donner néanmoins satisfaction à Léo Ferré et réintégra le livre en « Poètes d’aujourd’hui », à sa place initiale, sous le numéro 93. C’était élégant.

 

En 1986, les éditions Seghers (devenues une simple marque de la maison Laffont) s’avisèrent que le volume d’Estienne datait quelque peu et firent connaître à Léo Ferré leur intention de commander un nouveau tome. Dans la collection « Poètes d’aujourd’hui », cela se produisait quelquefois. Par exemple, le Rimbaud de Lionel Ray avait remplacé celui, un peu dépassé, de Claude-Edmonde Magny. C’était un souci d’éditeur parfaitement normal : une collection, surtout prestigieuse comme celle-là, servant de référence depuis des décennies, doit être périodiquement reconsidérée, mise à jour. À l’époque, elle était dirigée par Bernard Delvaille.

 

Léo Ferré n’avait pas oublié les problèmes connus autrefois. Il posa ses conditions : la préface serait de Françoise Travelet ; les photographies d’Hubert Grooteclaes ; le volume porterait le numéro 93 bis. Surtout, il exigea que le premier tome, celui d’Estienne, soit maintenu au catalogue. Sans cela, il refuserait la parution du nouveau livre. Comme il conservait l’entier copyright des textes qui devaient y figurer, son plein accord était donc indispensable et il obtint tout ce qu’il avait demandé. Avec cette nuance, certes peu importante, qu’au numéro 93 bis, l’éditeur préféra 93-2. J’ignore pourquoi.

 

Léo Ferré fut ainsi le seul auteur à compter au catalogue deux volumes de la fameuse collection.

 

En 1988, Robert Laffont se retira et vendit sa maison à Fixot. Dans un livre de souvenirs publié des années plus tard, il a laissé entendre que cela ne lui avait pas plu mais qu’il n’avait pu faire autrement : il ne donne aucun détail.

 

Arriva ce qui devait arriver, étant donné ce qu’on sait de la politique éditoriale de Fixot : très rapidement, le fonds Seghers disparut et, avec lui, la collection célèbre. Les volumes cessèrent d’être réimprimés. Quelques années plus tard, une timide renaissance fut tentée : sous un habit mis au goût du jour, on fit ressortir une poignée de « Poètes d'aujourd'hui » ultra-célèbres, voire classiques. Ce fut tout. Plus tard encore, on ressortit quelques titres en « Poésie et chansons », notamment le calamiteux Georges Moustaki de Cécile Barthélémy, mis à jour par elle-même, ouvrage qui constitue une catastrophe langagière, une aberration stylistique et un véritable éventaire de coquillages.

 

Les deux Ferré, eux, n’ont pas été repris.

 

 

 

Passage Léo Ferré, les couvertures de ces deux livres, dans toutes leurs versions.

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vendredi, 03 octobre 2008

Monsieur Tout-Chant

Je continue à espérer d’un musicologue qu’il s’attache à étudier l’influence de la musique sacrée chez Léo Ferré, ainsi que les aspects de son chant qui se rapprochent de la cantillation, la psalmodie, la prédication… Évidemment, Céline Chabot-Canet pose cette question de loin en loin, mais ne la développe pas, en tout cas pas suffisamment du tout. Il y a longtemps que ce sujet m’intéresse, mais je ne suis pas compétent pour le traiter. Pourtant, il faut être sourd pour n’entendre pas, dans sa musique, son phrasé, sa diction parfois incantatoire, ce registre si reconnaissable, tellement identifiable, mais pour en traiter, il faut des connaissances spécialisées, un vocabulaire, que je ne possède pas.

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vendredi, 12 septembre 2008

Il y a quinze ans, II

Un bref complément à ma note du 17 juillet dernier. Aux parutions du quinzième anniversaire de la disparition de Léo Ferré, sont à ajouter le livre de Perraudeau et celui de Céline Chabot-Canet. Cependant, l’ouvrage de cette dernière était déjà annoncé en 2007 (lire ma note Aspects de la recherche musicale). J’ai commandé ces ouvrages dont la diffusion n’est pas gigantesque, ne les ai pas encore reçus.

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jeudi, 17 juillet 2008

Il y a quinze ans

Je redoutais le quinzième anniversaire de la disparition de Léo Ferré, craignant une exploitation commerciale difficilement supportable, mais, finalement, les parutions auront été modérées, bien plus que pour le dixième anniversaire, en 2003. Je veux parler, naturellement, des publications de circonstance, celles, parfaitement inutiles, dont sont spécialistes les marchands.

Sans – naturellement – porter le moindre jugement sur leur contenu, je rappelle les trois livres mis en vente : le Valade, le Perrin, la réédition du Frot. Encore le Valade était-il annoncé depuis plusieurs mois. Barclay a sorti un double CD de compilation, toujours le même, estampillé « 15e anniversaire ». Les Copains d’la neuille ont donné leur quatorzième livraison, mais elle n’est pas liée à la date en question. Quant aux publications et rééditions de La Mémoire et la mer, elles auraient eu lieu de toute façon. Au total, on est loin du déluge éditorial de 2003 où, si ma mémoire est bonne, on avait dû accueillir pas moins de vingt-trois parutions.

Sur un plan plus personnel, j’ai reçu sur mon lieu de vacances, à deux reprises, des appels d’une journaliste de La Vie quercynoise, hebdomadaire lotois, qui devait rédiger un article sur un sujet dont elle ignorait manifestement tout. Je reconnais volontiers qu’elle avait le désir de savoir et de prendre l’attache de personnes susceptibles de la renseigner sur Léo Ferré et le Lot. La mairie de Gourdon la renvoya vers Bernard Legendre qui l’orienta vers moi. Je l’ai ensuite aiguillée sur d’autres personnes.

Les anniversaires ne me touchent guère. L’absence de Léo Ferré n’est pas plus forte la quinzième année que la première et, qui plus est, j’aimerais autant qu’on célébrât le 24 août plutôt que le 14 juillet… À ce propos, 2013 approche à grands pas (« Vingt ans déjà » sera le leitmotiv) et, surtout, 2016 (« Léo Ferré aurait cent ans »). Espérons que, d’ici là, des initiatives non liées aux anniversaires auront su prendre date, marquer durablement l’histoire de l’artiste.

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vendredi, 28 mars 2008

En écho

On l’a dit ici à plusieurs reprises : si l’on peut n’être pas d’accord pour mettre sur le même plan Léo Ferré et les noms illustres qu’habituellement on lui associe, il n’en demeure pas moins qu’il est nourri de ces auteurs. Ce qui est amusant, au-delà de leur présence effective dans son œuvre (lorsqu’il les chante, par exemple) ; au-delà de leur influence stylistique indéniable (il n’est pas le seul, la prosodie de Jean Ferrat doit beaucoup à Aragon) ; c’est le « détournement » qu’il se plaît à faire de certaines de leurs œuvres, de leurs tournures, de leur climat.

À La Mort des amants, il donne une introduction nouvelle qu’il reprend en conclusion : « L’amour sans la mort, ce n’est pas tout à fait l’amour », c’est-à-dire un des aspects du poème lui-même qu’il a mis en prose et isolé, en épigraphe comme en clausule.

Lorsqu’il écrit Le Bateau espagnol, on ne risque rien à affirmer que Le Bateau ivre vogue non loin dans son esprit : « J’étais un grand bateau descendant la Garonne » répond directement à « Comme je descendais des fleuves impassibles » et « Porteur de blés nouveaux avec des coups de trique » est un écho à « Porteur de blés flamands et de cotons anglais ». Dans cette même chanson, « Le bonheur ça vient toujours après la peine » répond à « La joie venait toujours après la peine ».

L’Âme du vin, encanaillée chez Odéon, éclot soudain en L’Âme du rouquin.

Il est d’autres rapprochements possibles comme les « citations » dans le corps des textes. « On passe à l’examen d’ minuit » de Vingt ans provient de L’Examen de minuit, expression consacrée depuis 1857. « Avec nos magnétophones qui se souviennent de ces voix qui se sont tues » est une « citation » de « L’inflexion des voix chères qui se sont tues ».

On remarque par ailleurs que les poésies dont on retrouve chez lui l’écho, il les a aussi chantées, bouclant ainsi la boucle des influences intellectuelles (le terreau nourricier, le lieu fondateur), des tournures stylistiques (la prosodie brodée au chiffre des grands poètes) et de l’interprétation dans tous les sens du terme (les choix artistiques de la mise en musique d’une part et le chant proprement dit d’autre part).

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mercredi, 12 mars 2008

La the môme

Il existe chez Léo Ferré un côté « témoin de son temps », peut-être involontaire d’ailleurs. Je ne pense pas ici aux textes « de chansonnier » qui fustigent l’époque, mais à de petites notations contenues dans les chansons, ici et là, dont voici un exemple qui, personnellement, me paraît frappant. Il s’agit de l’image d’une femme délurée en attendant d’être libérée et de ses métamorphoses successives.

En 1961, l’époque n’a plus la rigidité des années 50, la Ve République est jeune encore mais porteuse de promesses de stabilité et, si la guerre d’Algérie empêche d’être serein, une légère – oh, très légère – évolution des mœurs se fait jour. La femme jeune et un peu délurée d’alors s’appelle « jolie môme ». L’appellation en elle-même vaut d’être commentée. « Môme » est une survivance de l’argot des années 40 et 50, qui fait de la femme « la môme » (fût-elle Piaf), éventuellement « la môme vert-de-gris » (Peter Cheyney), « bébé », « la petite », « fillette ». La femme est alors tenue pour perpétuellement mineure. Quand elle ose, pourtant, avec l’insolence altière de sa jeunesse, elle ne porte pas de soutien-gorge, mais uniquement lorsqu’un solide pull-over la barricade et la protège : elle est « tout’ nue / Sous [s]on pull ».

Rapidement, viendra 1968 qui changera tout. Deux ans plus tard, en 1970, la jolie môme a grandi, elle s’appelle « la the nana » et porte une jupe extrêmement courte, « à ras l’bonbon », qui a remplacé « [s]a barrièr’ de frous-frous ». Si l’on écoute attentivement, on retrouve cette même fille juste après, qui croise dans Les Pops. Cette fois, elle a « la jupe en trop ».

On mesure le chemin parcouru : le pull-over a disparu, la jupe a raccourci puis elle a été enlevée. C’est l’époque de la révolution sexuelle et de l’amour libre ; profitant de l’évolution des mœurs, de la maîtrise de son corps due à la contraception et de l’air du temps qui permet aux « enfants » de s’inventer « la vraie galaxie de l’amour instantané », l’éternelle jolie femme, pleine de vie et de joie, à présent est « pop et [est] tout’ nue » et le poète « [l’]attend ». Autrefois, il lui disait : « Viens chez moi », cette fois il l’attend et l’on devine que c’est « dans la rue » puisque – il l’a dit ailleurs – « ces enfants dans la rue sont tout seuls » et que l’amour et le sexe sont devenus « des soucis de chien ». Ne nous exhorte-t-il pas, d’ailleurs, à faire l’amour « dans le quartier des chiens où l’on n’fait que passer » ?

La liberté sexuelle n’aura qu’un temps, hélas. Le sida survenu se chargera de l’interdire pour longtemps. Un temps, Léo Ferré se moquera de la peur qui s’empare de la société, en raillant le sida dans quelques plaisanteries de fin de récital. Rapidement, il prendra conscience de la réalité de l’épidémie et ne dira plus rien à ce sujet. La jolie femme passe la main et disparaît (sous cette forme) de ses écrits.

Bien entendu, faire ici un relevé de l’image des femmes chez Ferré n’est certes pas le sujet. Je voulais simplement souligner la permanence d’une notation des mœurs dans ses chansons. J’espère ne pas avoir trop sollicité les textes dans ce bref rapprochement que je viens d’opérer et que je crois justifié.

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lundi, 24 décembre 2007

Contourner l’obstacle

Au collège des Frères des écoles chrétiennes, Léo Ferré découvre les poètes et les auteurs interdits en arrachant les pages de leurs ouvrages et en les cachant dans son livre de messe. Délicieux plaisir de la transgression mêlé à celui de la découverte et de l’enchantement de découvrir des textes et des univers qui le satisfont. Mais pas seulement. Car cette façon de faire – une forme de résistance instinctive qui s’organise d’elle-même et solitairement – va conditionner son esprit pour longtemps, en cette période de formation, puis d’apprentissage. Interdiction, désormais, égale moyen à trouver pour tourner l’interdit.

Certainement, les études de droit qu’il suivra, même de loin, même distraitement, même s’il passe plus de temps au Dupont-Latin qu’à la faculté, contribueront à ancrer en lui cette manière que je résume ici en trois mots : contourner l’obstacle.

Durant toute sa carrière, chaque fois qu’il sera en butte à un événement extérieur l’empêchant de s’exprimer ainsi qu’il l’entend, Ferré va contourner l’obstacle. C’est-à-dire ne jamais insister outre-mesure, ne pas persister dans la voie bloquée, ne pas avancer dans le brouillard, ne pas foncer obstinément la tête la première, mais, tout simplement, s’y prendre autrement. Comme font les avocats qui se servent du droit pour obtenir gain de cause, en cherchant la faille, interprétant, plaidant, avec les ressources de leur art – si c’en est un – ainsi que leurs études les ont formés avant qu’ils accèdent au barreau.

Une première manifestation de résistance organisée se situe en 1957, quand Ferré, qui ne parvient pas à faire jouer son oratorio lyrique depuis sa création à Monte-Carlo en 1954, cet oratorio qui a été refusé par la radio, a l’idée d’« échanger » des droits que lui doit la maison Odéon contre deux disques : La Chanson du mal-aimé et Les Fleurs du mal dont il sait pertinemment qu’il ne trouvera pas d’éditeur pour réaliser un disque entier – au moins pour le moment. Pour faire bonne mesure, il réclame et obtient l’orchestre de la Radiodiffusion française pour son œuvre consacrée à Apollinaire. À l’obstacle de l’édition et de l’exécution impossibles, il oppose un contournement : le renoncement à ses droits.

Lors de l’affaire d’À une chanteuse morte, face au refus de diffusion de la chanson enregistrée, il utilise son moyen d’action favori : l’interprétation publique. À Bobino, les spectateurs de 1967 découvrent la chanson et, toujours pour faire bon poids, se voient distribuer une copie de l’assignation faite à la Compagnie phonographique française. Ferré perdra son procès en janvier 1968, mais la question n’est pas là. Il y a eu de nouveau contournement d’un obstacle.

En 1969, quand il rencontre Brel et Brassens, la question est posée par Brel, quant à l’attitude à adopter si l’on se trouve face à un mur. Les réponses que chacun apporte sont très fidèles à leur tempérament respectif. Sans hésiter, Léo Ferré dit : « Moi, je le contourne ».

Lorsque, au moment de sa contestation par son jeune public, il finit par se rendre compte que les discussions d’après spectacle au cours desquelles il est sommé de se justifier en permanence, ne mènent à rien, le mécanisme se met en marche. Comment éviter ces demandes de comptes qui l’ennuient et ces explications qui ne solutionnent rien ? En contournant l’obstacle. Lorsqu’il entame sa dernière chanson, sa voiture est devant la porte, prête à partir. Au dernier mot de la dernière œuvre, il sort de scène et, tandis que s’élèvent les applaudissements, il est en coulisses où on lui tend son blouson ou son manteau, une cigarette déjà allumée, puis il s’engouffre dans l’auto. Lorsque les lumières se rallument dans la salle, il est parti depuis un moment déjà. Solution de fuite, certes, mais aussi contournement de l’impossible obstacle, contournement d’une situation refusée par lui. Cela, d’ailleurs, n’aura qu’un temps, et il recommencera ensuite à recevoir les spectateurs avec la gentillesse qu’on lui connaît.

En 1975, le disque Ferré muet dirige Ravel et Léo Ferré est le couronnement de la méthode en question. Il ne peut pas, par une clause de son contrat expiré, enregistrer ses chansons dans une autre maison, durant deux années. Soit. Il enregistre donc ailleurs… la musique. Et, chez ce même éditeur (CBS), un disque jumeau où, sur sa partition, Pia Colombo chante pour lui les chansons qui, autrement, auraient été retardées de deux ans. Toujours un coup de griffe supplémentaire : les deux pochettes, manifestement conçues dans le même esprit, proposent deux textes brefs qui informent le public de ce qui se passe. Juridiquement imparable, cette réaction de « survie » artistique se manifeste encore dans un cas d’expression entravée.

J’ai choisi ces quelques exemples mais, certainement, la liste n’est pas close. Ce qui est intéressant, c’est de remarquer que cette façon d’agir devient constitutive de l’artiste, qui ne renoncera jamais à sa libre expression. Elle entre en jeu chaque fois qu’il refuse une situation donnée, qu’il n’a pas choisie et dont il estime qu’elle l’enferme. Et dans Thank you Satan, en 1961, on entend bien, parmi la litanie des raisons que l’artiste donne à son remerciement, la formule explicite : « Le moyen de tourner la loi ».

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jeudi, 13 décembre 2007

Comme dirait Léo Ferré

J’ai toujours été amusé par les expressions qui, créées par un auteur, passaient un jour dans la langue courante jusqu’à devenir universelles, jusqu’à ce que l’on oublie parfois le nom de l’auteur. Il y a aussi le cas où le nom d’un personnage imaginaire devient un archétype (« un gavroche », par exemple).

Sans aller jusqu’à cet anonymat qui est la forme suprême de la célébrité, que peut-on observer qui soit issu de l’œuvre de Léo Ferré ou des poètes qu’il fit connaître ? Voici quelques documents amusants dont je garantis l’authenticité. Tous ont été en vente dans le commerce, distribués gratuitement ou ont paru dans des journaux.

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Exposition photographique, Gentilly.

 


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Roman de Francisco Casavella.

 

 

 

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Roman d’Yves Navarre.

 

 

 

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Carnets de Jean Daniel.

 

 

 

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Concours de poésie.

 

 

 

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Carte postale.

  

 

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Carte postale.

 

 

 

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Prospectus d’une compagnie théâtrale.  

 

 

 

 

 

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Carte postale.

 

 

 

 

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  Encart dans la presse.

 

 

 

 

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Ouvrage de Normand Baillargeon.

 

 

 

 

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Roman de Zoé Valdès.

 

 

 

 

Ce n’est pas tout. On peut ajouter à cette liste illustrée de nombreux titres scrupuleusement relevés au fil des ans, dont je ne possède pas les images. Ainsi, Comme un cheval fourbu, roman de Jean Contrucci ; À mes oiseaux piaillant debout…, poèmes par Ahmed Kalouaz ; Au détour d’un regard, photographies par Gérard Luthi ; Et il ventait devant ma porte, nouvelles par Christiane Baroche ; Thank you Satan, film d’André Farwaggi ; Avec le temps, va…, numéro de la revue Taille réelle ; Je connais gens de toute sorte, par Philippe Labro. Et la manifestation annuelle Le Printemps des poètes.

Certes, il peut s’agir, je le reconnais, de formes d’hommage, de dettes reconnues, et des expressions comme « la vie moderne » ne revêtent pas un caractère d’originalité suffisant pour prétendre que Ferré les a créées. « Comme un cheval fourbu » est déjà plus personnel, ainsi que « Du vent et des bijoux » ou « Dieu est nègre ». « L’ordre moins le pouvoir », s’agissant d’une publication consacrée aux anarchistes, constitue bien sûr une référence explicite. Je note, sans autre commentaire, que, très souvent, aucune allusion n’est faite à l’emprunt du titre dans le corps du livre, au verso de la carte ou dans le cadre de la manifestation.

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samedi, 08 décembre 2007

Ferré dans les anthologies de poésie

Léo Ferré entre très tôt dans une anthologie, et pas n’importe laquelle, celle effectuée par Benjamin Péret. Ferré a alors l’estime et l’appui des surréalistes. Dans Anthologie de l’amour sublime (Albin Michel, 1956 ; rééd. collection « Bibliothèque Albin Michel », n° 6), Péret publie donc L’Amour. Ferré a quarante ans, son texte clôt le volume car les poètes sont présentés par année de naissance et il est le plus jeune des auteurs retenus. Après une notice d’ordre biographique, Péret conclut que cette chanson « pourrait être le chant de l’amour sublime ». Il fait suivre le texte imprimé d’un fac-similé de la partition manuscrite.

Deux années plus tard, Max-Pol Fouchet, dont on retrouvera le nom dans l’œuvre de Ferré, fait paraître une Anthologie thématique de la poésie française (Seghers, 1958 ; rééd. 1980). Il propose Paris dans la section « Paris » et Madame la Misère dans la section « Pauvreté » et ne présente pas individuellement les poètes choisis.

Dans la continuité de son célèbre Livre d’or de la poésie française, Pierre Seghers donne un Livre d’or de la poésie française contemporaine (Marabout-Université, n° 174, 1972), volume dans lequel il choisit Dieu est nègre. Je cite intégralement son introduction : « Saura-t-on un jour pourquoi André Breton, après avoir dit à Léo Ferré qu’il était un grand poète, lui fit le lendemain des réserves ? Toute la question de la « chanson poétique » est dans cette volte-face. Poésie de l’écriture, de la réflexion, du mystère d’une part, et d’autre part la parole portée par le chant, l’élaboré devenant populaire, la recherche débondant des tonneaux de vrai vin. Des nourritures spirituelles aux agapes terrestres, de l’intellect au cœur des hommes. Les princes, mais ils sont de plus en plus isolés, « n’aiment pas ça ». Par discrétion, je ne citerai pas un poème que je tiens pour admirable, Madeleine, publié dans Poète... vos papiers ! (La Table Ronde, 1956), ne retenant cette fois que Dieu est nègre. Je vous le dis « tel quel », bouchez-vous le nez ! De toute manière, Rutebeuf et Aragon ne seraient pas les poètes qu’ils sont, sans Ferré. Cf. Léo Ferré, par Charles Estienne (Poètes d’aujourd’hui, n° 99 [sic]).

Gallimard lance une collection de poésie destinée à la jeunesse, qui comprend, entre autres titres, La Nuit en poésie (collection « Folio-Junior », n° 206, 1980). On y trouve un extrait de Rappelle-toi. Il s’agit d’un simple quatrain, celui qui commence par « Cette neige de nuit avec mes cheveux gris ». La notice indique : « Poète, musicien et chanteur dont les textes traduisent les prises de position personnelles. Son état est celui de la révolte – un anarchisme viscéral ».

Cette même collection va sélectionner, pour Le Rêve en poésie (collection « Folio-Junior », n° 198, 1981), le poème Dieu est nègre. La notice sur l’auteur est identique à la précédente. C’est la seconde fois que ce texte est remarqué dans une anthologie.

Ce ne sera pas la dernière. Quatre ans plus tard, on retrouve Dieu est nègre dans Cent poèmes contre le racisme choisis par Claire Etcherelli, Gilles Manceron et Bernard Wallon que procure la Ligue des Droits de l’homme, avec une préface d’Élie Wiesel (Le Cherche-Midi, 1985). Dans la notice d’introduction, il est précisé que Léo Ferré « est allé à l’encontre de bien des préjugés péjoratifs et méprisants en rendant hommage dans ce poème au jazz et aux musiciens noirs ».

Enfin, Pierre Delanoë inclut Les Poètes dans De Charles d’Orléans à Charles Trenet, anthologie et portraits de la poésie française (Éditions du Layeur, 1996). Ferré est présenté ainsi : « Il a si bien parlé des poètes Léo / Qu’il mérite à son tour un bon coup de stylo / Poète lui aussi, chanteur, compositeur / Baladin, Cabotin, peut-être, mais Seigneur / Il a mis en chansons Guillaume Apollinaire / Et puis Louis Aragon, Rimbaud et Baudelaire / Il était fou, anar et comme sa guenon / Vieux singe très malin et habile en chanson / « C’est extra » ce parcours un peu trop tourmenté / Fini en désaccord avec la Société, / Celle du show-bizness, loin de la vie d’artiste / Des poètes d’abord, ce qui le rendait triste / Lui l’auteur à succès passait en Italie / Des nuits à bricoler dans son imprimerie / Léo « Avec le temps » du « Tango » jusqu’au rap / Il a fait sa valise et il a mis le cap / Sur les vert pâturages de l’autre côté / Du miroir de Cocteau, Léo « Le mal aimé » ».

Ce panorama est volontairement limité aux anthologies de poésie stricto sensu, à l’exclusion des livres thématiques très illustrés, du genre « Chansons sur Paris de 1852 à 1963 » ou « Les 35847 plus belles chansons d’amour pour la fête des mères choisies par Jules Les Églises et préfacées par Ly Nreno », tous ces albums parfaitement inutiles et coûteux dont l’édition française nous abreuve. Il donne, après les recensions du Who’s who in France et celles des dictionnaires et encyclopédies, encore un aperçu de ce que les auteurs – quelquefois poètes eux-mêmes comme Péret, Fouchet, Seghers – ont pu retenir de Léo Ferré.

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jeudi, 06 décembre 2007

Ferré dans les dictionnaires et les encylopédies

Après l’inventaire du Who’s who in France, il peut n’être pas inutile d’en établir un autre. 

« Auteur de chansons dont il écrit le plus souvent texte et musique (…), il a composé une Symphonie interrompue et un oratorio pour quatre soli, chœurs et orchestre sur La Chanson du mal-aimé d’Apollinaire ainsi que deux concertos et un opéra », écrit entre autres le Dictionnaire illustré des musiciens français (Seghers, 1961), à propos de Léo Ferré.

« Chanteur et compositeur monégasque (…). Il écrit les textes et la musique de ses chansons. Est également l’auteur d’un oratorio et d’une Symphonie interrompue », relève Frank Onnen dans Encyclopédie de la musique (collections « Références », n° 6, Séquoia, 1964), ouvrage d’un éditeur belge que l’inspection générale de l’éducation musicale offrait comme prix aux élèves de la ville de Paris.

« Révolté, tendu, vengeur, L. Ferré a traité la chanson avec rigueur (…). Il est aussi l’auteur d’un opéra (La Vie d’artiste, 1950), d’un oratorio sur le poème d’Apollinaire La Chanson du mal-aimé (créé en 1954) » conclut le Dictionnaire de la chanson française de France Vernillat et Jacques Charpentreau (collection « Les dictionnaires de l’homme du XXe siècle, n° D 27, Larousse, 1968).

En 1969, le Grand Larousse encyclopédique en 12 volumes consacre à Ferré une notice dans son supplément, tome 1. Il y est question de « chansons amères et grinçantes, cruelles et anarchistes, qui ne manquent ni d’humour ni de poésie » et le recueil Poète… vos papiers ! est mentionné.

L’Encyclopedia Universalis, dans son volume 18, publie, en 1974, une notice dans laquelle on peut lire : « Son œuvre est sans cesse tiraillée entre la poésie pure (L’Étang chimérique, par exemple) et la mise en musique des poètes (…) d’une part, la chanson politique d’autre part (…). Il va, en 1968, alors qu’il se trouve au sommet de sa gloire, effectuer un étonnant virage et contribuer sans doute à la rénovation de la chanson française. (…) Ses œuvres, qui ne doivent alors plus rien à la conception classique de la chanson, deviennent une sorte de poésie orale, parlée, qui frappe par sa sincérité d’inspiration, sa beauté formelle et sa violence ».

Frank Lipsik écrit, lui : « Il se remet en cause totalement sans la moindre humilité et c’est en 1969 Le Chien, qui claque comme un coup de fouet et qui marque définitivement la nouvelle carrière de Léo Ferré, plus engagé, plus difficile, plus solitaire, mais encore plus grand, plus riche et plus exigeant » (Le Dictionnaire des variétés, Mengès, 1977).

Sobrement, le Petit Larousse en couleurs de 1980 note : « Chanteur français, né à Monte-Carlo en 1916, auteur de chansons amères, grinçantes, parfois anarchistes et pamphlétaires ».

Le Dictionnaire universel des noms propres de Robert, dans son tome 2, indique, toujours en 1980 : « Ses chansons prennent la forme de pamphlets, de professions de foi ou de poèmes, sur des orchestrations utilisant souvent des genres populaires (musiques de danse) ».

Le Grand Larousse universel de 1983, dans son volume 6, parle de nouveau de ces « chansons amères et grinçantes, cruelles et anarchistes, qui ne manquent ni d’humour ni de poésie » en précisant que Ferré « reste un auteur quelque peu marginal, qui contribuera néanmoins, plus que d’autres, au renom de la chanson française ».

L’Encyclopedia Universalis, dans le Thesaurus-Index 1, A-Friedländer, en 1985, avance : « Établi en Italie depuis 1972 [sic], il se produit moins souvent aujourd’hui. Il a cependant publié deux ouvrages (Le [sic] Testament phonographe, 1980 et Dis donc, Ferré…, 1980 [sic]) et a enregistré plusieurs beaux albums comme Et… basta !, La Violence et l’ennui, Ludwig, L’Imaginaire, Le Bateau ivre, etc. »

« Sa façon de chanter, pour particulière qu’elle soit, émeut souvent. Les yeux fermés, les jambes écartées, Ferré se pose en grand prêtre, illuminé et revendicateur », écrit Pascal Sevran dans Le Dictionnaire de la chanson française (Lafon-Carrère, 1986).

Le Grand Larousse en 5 volumes, publié en 1987, reprend, dans son volume 2, les notices précédemment publiées par la maison, en supprimant la mention « qui ne manquent ni d’humour ni de poésie ».

« Un grand monsieur que cet anarchiste de cœur », conclut Alain-Pierre Noyer dans son Dictionnaire des chanteurs francophones de 1900 à nos jours (Conseil international de la langue française, 1989), après une notice exclusivement biographique.

Christian Dureau relève « une incursion dans la pop-music (il travaille avec le groupe Zoo) » dont il estime qu’elle « précède un retour à un style plus pur, plus proche de sa vraie nature, répondant mieux à ce qu’attendent ses inconditionnels. Aujourd’hui encore, il demeure le vieil anarchiste que l’on sait, le lion à la crinière blanche toujours prêt à choquer et à dire ce qu’il a sur le cœur. Il vit en Toscane avec sa seconde [sic] épouse » (Dictionnaire mondial des chanteurs, Vernal-Philippe Lebaud, 1989).

L’Universalia 1994, la politique, les connaissances, la culture en 1993, que publie en 1994 l’Encyclopedia Universalis, écrit, sous la signature de Michel P. Schmitt : « désenchanté, lassé peut-être à certains moments d’être statufié dans le personnage de l’« anar » qu’on apprécie tant que son anticonformisme ne met pas la propriété en danger, Ferré se retire en Toscane avec Marie, sa nouvelle compagne et, reddition ou provocation supérieure (« I am un immense provocateur »), fait des enfants. (…) Ce « vieux mec de trois jours et de dix mille ans » (L’amour meurt) se place de façon inédite au carrefour de la chanson de variétés, de l’anarchie de cœur, d’un romantisme intimiste et visionnaire à la fois et même d’une forme d’« écriture du désastre », quand la poésie est réduite au constat qu’Il n’y a plus rien ».

Voici donc un panorama, certes non exhaustif, des notices dévolues à Léo Ferré dans les dictionnaires et les encyclopédies (à l’exclusion de celles contenues dans les innombrables histoires de la chanson, ou dans plusieurs anthologies de poésie). Dans ces ouvrages, la neutralité de l’ordre alphabétique interdit de le mettre plus qu’un autre en avant. Bien entendu, je n’ai pu citer que des extraits de ces présentations, souvent longues. J’ai ignoré la quasi totalité des éléments biographiques, les listes de titres, pour m’attacher à ne relever que des fragments pouvant composer le portrait le moins inexact possible.

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lundi, 03 décembre 2007

Ferré au Who’s who

On sait que les notices du Who’s who sont remplies selon un canevas préalable, mais toujours par les intéressés. Il peut, par conséquent, être intéressant de relever de quelle manière ils désirent se présenter, au fil du temps. On passera bien sûr sur la naissance et la filiation, immuables, comme sur les études suivies ou la liste des œuvres, pour examiner les éléments mouvants.

Léo Ferré entre au Who’s who dans l’édition datée 1959-1960, achevée d’imprimer au mois d’avril. Il se définit comme : « Compositeur. Artiste de variétés » et se dit : « Marié en 1950 avec Mlle Madeleine Rabereau (un enfant : Annie) ». Il donne pour adresse professionnelle : « 9, avenue Saint-Michel, Monte-Carlo, principauté de Monaco » et pour adresse privée : « 28, boulevard Pershing, Paris (17e) ». Il se présente donc comme marié au moment de sa rencontre avec Madeleine, qu’en réalité il n’épousera que le 29 avril 1952. Il présente la fille de Madeleine comme leur enfant. Il fournit l’adresse de ses parents comme domiciliation professionnelle.

Dans l’édition 1971-1972 du célèbre annuaire, il donne comme profession : « Compositeur. Artiste lyrique ». La mention de son mariage, de sa femme et de la fille de celle-ci n’a pas changé bien qu’ils soient séparés depuis 1968. C’est que son divorce n’est pas encore prononcé. Mathieu, lui, n’est pas encore connu. L’adresse professionnelle est toujours celle de l’appartement monégasque de ses parents. Il n’y a plus d’adresse privée, bien qu’il soit fixé en Italie.

Pour l’édition de 1973-1974, pas de changement dans la profession ni dans la situation de famille. Sans doute, la notice a-t-elle été rendue avant que le divorce soit prononcé, le 28 mars 1973 et, de toute façon, avant qu’il épouse Marie-Christine Diaz, le 5 mars 1974, avant, également, la naissance de Marie-Cécile, le 20 juillet 1974. L’adresse professionnelle est : « 54, rue Mazarine, Paris (6e) ». Aucune modification en ce qui concerne l’adresse privée : toujours Monaco.

Dans sa livraison de 1983-1984, après la profession, identique, on peut lire : « Marié (trois enfants : Mathieu, Marie, Manuela) ». L’adresse donnée est unique, c’est celle de « Castellina-in-Chianti, Italie (provincia di Siena) ». Sa première fille, Marie-Cécile, est encore appelée Marie.

Le Who’s who de 1984-1985 ne présente, sur les points qui nous intéressent, aucune modification.

Bien entendu, je ne possède pas toutes les notices et il aurait fallu disposer de celles, intermédiaires, pour établir un panorama complet. On voit cependant combien les dictionnaires biographiques peuvent, d’une manière générale, être sujets à interprétation, même lorsqu’ils sont mis à jour annuellement.

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lundi, 08 octobre 2007

Chanter Baudelaire

On sait que Léo Ferré posait le volume de vers sur son piano et cherchait. Si cela ne marchait pas très vite, il tournait la page et passait à un autre poème. C’est lui-même qui, à plusieurs reprises, a expliqué ainsi (en substance) sa manière de composer sur les textes des poètes. Dans la note Des musiques pour Verlaine, j’avais fait quelques observations sur l’origine des poèmes retenus, recueil par recueil. Dans le cas de Baudelaire, si l’on exclut L’Étranger, seule pièce du Spleen de Paris à avoir été chantée, tous les autres titres proviennent des Fleurs du mal, et pour cause. On ne peut donc tirer d’enseignement du choix de tel ou tel livre : il n’en existe qu’un.

Pourtant, quelques remarques peuvent être formulées, dont je ne suis pas sûr qu’elles aient une signification.

Au total, si je ne me suis pas trompé, Léo Ferré a mis en musique, au fil des années, cinquante-six poèmes extraits des Fleurs (je compte ici, bien sûr, la livraison de 1957, celle de 1967, les titres épars dans le disque de 1986 et les vingt maquettes de travail dont on ne connaît que les douze que Murat vient d’enregistrer). Sauf erreur, le recueil comprend cent cinquante-cinq poésies. C’est dire que Ferré a mis en musique plus du tiers du livre, ce qui est considérable. Il ne s’agit pas, toutefois, de calculer des pourcentages mais de rapprocher ces chiffres de ce qu’il disait de sa méthode de travail. Car au vrai, la table des matières des Fleurs, si l’on vient y cocher les poèmes mis en chansons, met en lumière quelques évidences. Un certain nombre de titres sont isolés, mais de grands pans se détachent. Ainsi, on s’aperçoit que :

Le Guignon et La Vie antérieure se suivent.

« Avec ses vêtements… », Le Serpent qui danse et Une charogne se suivent.

Harmonie du soir et Le Flacon se suivent.

Ciel brouillé et Le Chat se suivent.

À une Malabaraise, Bien loin d’ici, Moesta et errabunda et Le Revenant se suivent.

Les Hiboux, La Pipe, La Musique et Sépulture se suivent.

L’Examen de minuit et L’Héautontimorouménos se suivent.

Le Soleil et À une mendiante rousse se suivent.

Recueillement et À une passante se suivent. 

« Je n’ai pas oublié… », « La servante au grand cœur… » et Brumes et pluies se suivent.

Ces « ensembles » sont de deux à quatre titres. Comme on le sait, il reste encore une huitaine de poèmes dans les maquettes de Léo Ferré et peut-être cela modifiera-t-il encore ces relevés de titres.

Cela implique-t-il que Ferré, qui pouvait « tourner la page » quand la musique ne lui venait pas, parvenait quelquefois, a contrario, à mettre en musique plusieurs textes consécutifs, peut-être dans un élan d’inspiration et de travail ? Mais ces mises en musique n’ont pas été faites au même moment. Alors ? On observe cependant que Ciel brouillé et Le Chat figurent dans la même livraison ; À une Malabaraise et Moesta et errabunda également ; Les Hiboux et La Pipe aussi ; Recueillement et À une passante encore. Ou bien, justement, revenait-il parfois, feuilletant le volume, à des endroits déjà chantés et, à ce moment-là, tournait-il la page dans un sens ou dans l’autre et trouvait-il une musique pour le poème précédent ou suivant ?

Peut-on déduire quelque chose de tout cela ?

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mercredi, 03 octobre 2007

De la durée comme sens

Les récitals de Léo Ferré ont toujours été parmi les plus longs. Dans les années 80, ils le seront davantage encore et s’établiront à trois heures (le spectacle de 1984 au Théâtre des Champs-Élysées, par exemple), parfois un peu moins : deux heures et demie (le spectacle Léo Ferré chante les poètes au TLP-Déjazet, en 1986). Il en ira ainsi jusqu’au bout.

Existe-t-il une signification particulière à cette durée très rare – au moins dans ce qu’il est convenu d’appeler « variétés » ? Dans ces années, Ferré n’est plus contesté, il chante dans un silence complet et une attention soutenue. Puis le public l’applaudit debout, à la fin du récital. Progressivement, il va même être applaudi debout dès son entrée en scène (par exemple, au TLP-Déjazet en 1990, entre autres). C’est dire qu’il dispose, pour chanter, du meilleur accueil et d’un public qui est a priori dans d’excellentes dispositions.

À ce moment de sa vie, il n’a vraisemblablement rien à craindre, artistiquement parlant. Il pourrait aussi bien ne se produire qu’une heure et demie, comme le font la plupart des chanteurs. Il chante deux fois plus longtemps. Pour le spectacle consacré aux poètes, il aurait pu chanter une demi-heure de plus, ne serait-ce que parce que son répertoire comprenait encore beaucoup de poèmes mis en musique, qui n’ont pas été retenus pour ce programme : il se limite cette fois-là à deux heures et demie, ce qui est de toute manière exceptionnel.

Cet allongement de la durée des spectacles se produit, paradoxalement, dans ces années où il chante le plus et où il parcourt, même si ce n’est pas lui qui conduit, le plus de kilomètres. Autant de raisons qui pourraient l’amener à chanter moins longtemps. Il n’en est rien. Sa résistance physique est un moyen, un outil, mais elle n’est pas une réponse à la question que je me pose : quelle est le sens de cette importante durée, ce à quoi rien ne l’obligeait ? Existe-t-il une réponse d’ordre artistique ?

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lundi, 01 octobre 2007

Aznavour

On sait que Léo Ferré débuta au cabaret Le Bœuf sur le toit, fin novembre 1946, en même temps que Charles Aznavour qui se produisait alors en duo : le tandem Roche-Aznavour. La tournée en Martinique, qui eut lieu en 1947, fut refusée par Aznavour et Ferré l’accepta.

En 1967, dans le Jean-Roger Caussimon qu’il rédige pour les éditions Seghers, Ferré traite Aznavour de la façon suivante : « Ne voit-on pas le « poète » Aznavour, perclus de dollars et « d’engagements » haut le pied, tel une locomotive lancée sur les rails de l’indifférence générale ? Chaque époque a le poète qu’elle mérite : parolier subtil, musicien « à l'écoute » qui touche plus de droits d’auteur que Debussy, et que Ravel, et que Stravinsky, Hugo du tout-venant qui a mis l’octosyllabe dans l’escalier de France-Dimanche en précisant qu’il revient tout de suite ». Il ajoute une longue note : « Je tiens à préciser que mon propos est ici de Poésie et de chanson d’Aujourd'hui. Ce n’est pas en tant que confrère que je parle d’Aznavour mais en tant qu’introducteur à Caussimon. Une élégance tacite, d’ordinaire, nous interdit, à nous autres les artistes de « variétés », de parler de l’un ou de l’autre et souvent l’on nous fait dire ce que nous n’avons jamais dit. Le cas d’Aznavour est assez significatif pourtant, il se met d’ailleurs lui-même assez en vedette pour qu’il n’ait pas à s’offusquer de se voir au « pinacle » une fois de plus, sans que j’aie à prendre plus de précautions oratoires qu’il ne convient. Si ses activités « littéraires et musicales » me paraissent en défaut, son talent « commercial », par contre, est sans égal et je n’apprendrai rien ni à lui, ni à quiconque dans ce sens. Cependant, comme on l’a intitulé, lui aussi, « Poète d’Aujourd’hui », il m’eût paru malhonnête de ne pas aller au bout de mon sujet et de prendre un chemin de traverse. La critique de hasard est ainsi faite qu’elle n’admet pas les règles de « fair play » que certains critiques de métier admettent eux, parfois, pour des raisons extra-professionnelles. Qu’Aznavour se rassure ! J’ai autant de mésestime pour ce qu’il écrit que j’en ai pour ce qu’écrit un autre « Poète d’Aujourd’hui », qui s’est plu à se sanctifier lui-même sous le nom de Saint-John Perse, ancien diplomate et Prix Nobel de Littérature. C’est dire que je laisse Aznavour en bonne compagnie. C’est ce que ne manqueront pas de lui faire savoir bon nombre de « littéraires » en renom. Bien entendu, je prends l’entière responsabilité de tout cela et Pierre Seghers, promoteur de cette brillante collection, serait en droit de me demander « d’alléger » ma pensée... mais je sais qu’il ne le fera pas et l’en remercie » [1]. La charge est très dure. Elle ne me gêne pas, car je tiens Aznavour pour ce qui se fait de pire : prétention abominable, thèmes empreints de démagogie dégoulinante (La Mamma, La Bohême, Comme ils disent...), « effets » appuyés, interprétation qui « en fait des tonnes », prosaïsme, musique inexistante…

En 1969, lorsque Ferré chante durant vingt jours à partir du vendredi 3 octobre au cabaret parisien Don Camilo, 10, rue des Saint-Pères (Littré 65-80 ou 71-61) dans un dîner-spectacle, Gainsbourg, qui habite à quelques mètres, vient le voir souvent, mais il n’est pas le seul. Aznavour se rend le samedi 4 au Don Camilo et les journalistes photographient les deux hommes dans l’escalier, comme on peut le voir ci-dessous.

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Leur rencontre paraît plutôt cordiale. En tout cas, Paris-Jour des 11 et 12 octobre 1969 en fait l’unique illustration de l’article consacré à Ferré (ci-dessous).

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Le samedi 29 avril 1978, Aznavour, à qui TF 1 consacre un Numéro un, invite Ferré à l’accompagner au piano dans son émission, tandis que lui-même chante La Chambre. Léo Ferré accepte. L’extrait correspondant a été ajouté récemment aux archives de l’INA. Souriants, les deux hommes s’embrassent ensuite. On pensera ce qu’on voudra de cette interprétation du poème de Baer par Aznavour. Il reste que les rapports entre les deux hommes sont très étonnants.

Le jeudi 22 mars 1990, Ferré fait un séjour de très courte durée à Paris pour un spectacle privé, destiné à RTL. Une soirée exceptionnelle qui se déroule en présence, entre autres, d’Aznavour.

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Publiquement au moins, Aznavour n’a jamais dit que du bien de Léo Ferré, à ma connaissance. Il s’est toujours montré bon camarade, je le reconnais volontiers. Ferré, lui, semble être revenu sur son opinion, en tout cas être à même de dissocier l’auteur Aznavour et l’individu.

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[1]. Léo Ferré, Jean-Roger Caussimon, collection « Poètes d’aujourd'hui », n° 161, Seghers, 1967.

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jeudi, 20 septembre 2007

La notion de « texte intégral »

Lorsque le Livre de Poche est apparu, en 1953, la maison Hachette, qui en était l’éditrice et l’avait introduit en France sur le modèle du paperback américain, prit immédiatement soin de préciser sur les couvertures : « Texte intégral ». Ce qui paraît aller de soi mais il faut savoir qu’à l’époque, il existait, notamment pour les romans, des adaptations condensées de textes parus auparavant dans des éditions plus sérieuses.

Je m’interroge sur ce qu’est devenue cette notion, en ce qui concerne deux recueils de textes de Léo Ferré.

Il suffit de comparer les tables des matières pour constater qu’entre l’édition originale parue chez Édition n° 1 en 1993 et le tirage en Livre de Poche sous le numéro 9626, en 1995, le recueil La Mauvaise graine a un peu maigri. Les titres manquants sont, sauf erreur de ma part : Et vogue vogue la galère, Qui pourrait maintenant, Le Faux poète, L’Homme lyrique, Paris, Ma vieille branche, À la folie, La Vie moderne, La rue est la galaxie de l’outrage, L’Araignée, Au premier hibou de service, Demain, La Banlieue, Les Amants tristes, Alma Matrix, Et… basta !, Words… words… words…, Je vivais dans une sorte de malédiction confortable, Je parle à n’importe qui, L’Imaginaire, Ma vie est un slalom, Death… death… death…

La couverture ne précisant pas « Texte intégral », il n’y a rien à dire, mais on peut s’étonner de la disparition d’une vieille tradition qui était pratiquement ressentie comme un contrat de confiance entre l’éditeur et le lecteur. Or, surprise, le volume a reparu sous une seconde couverture en 2000, avec, cette fois, la mention en question : « Texte intégral », imprimée en bas à gauche. Que nenni : les textes, les mêmes, manquent toujours. Il y a donc abus, sinon mensonge, de la part de l’éditeur.

Il n’y a qu’à comparer également Testament phonographe, paru chez Plasma en  1980, ayant connu une deuxième édition au Gufo del Tramonto (1990), une troisième chez La Mémoire et la mer (1998), une quatrième dans la collection « 10-18 » sous le numéro 3356 (2001), enfin une cinquième chez La Mémoire et la mer (2002) pour se rendre compte qu’entre les volumes de grand format et celui de « 10-18 », il y eut aussi une cure d’amaigrissement, plus réduite il est vrai que dans l’exemple précédent. Les titres manquants sont, sauf erreur de ma part : Adieu, La Damnation, La Femme adultère, Pacific Blues, Paris c’est une idée, Les Passantes, Tu sors souvent la mer. Là encore, la couverture ne précisant pas « Texte intégral », il n’y a rien à dire, mais on constate que la logique éditoriale qui était celle des collections de poche ne va plus de soi. Un coup d’œil au catalogue de la collection « 10-18 » pour l’année 2001 ne rassure guère : aucune allusion n’est faite à l’intégralité ou non des textes.

Alors, qu’est devenue la notion de « Texte intégral » ? Le Livre de Poche ou « 10-18 » ont publié autrefois des volumes bien plus gros. Il ne peut donc s’agir d’une simple question de format, de nombre de pages. Je ne comprends pas. Sans parler de cette autre question, plus importante encore : qui décide de couper, que coupe-t-on et pourquoi ?

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dimanche, 16 septembre 2007

Une opinion sur la musique de Ferré pour Apollinaire

« L’exemple de Poulenc ne doit pas nous faire oublier que d’autres musiciens se sont tournés moins discrètement vers Apollinaire et n’ont pas hésité, eux, à toucher au recueil Alcools. Ils sont en tout une vingtaine. Nous citons simplement parmi eux – car M. Pouilliart reviendra bientôt sur un certain nombre de noms – Jean Absil, Robert Caby, Luigi Cortese, Georges Dandelot, Léo Ferré, Arthur Honegger, Jacques Leguerney, Jean Rivier, Daniel Ruyneman et même Louis Bessières. Ces musiciens sont de répertoire et de style très différents et les poèmes les plus utilisés sont Le Pont Mirabeau, Clotilde, L’Adieu.

Nous reconnaissons volontiers que certaines de ces mélodies, au lyrisme assez appuyé, sont agréables à entendre. Mais elles ne savent pas toujours éviter l’écueil dont Poulenc s’était si bien gardé. La poésie d’Apollinaire étant dans Alcools essentiellement lyrique, elle souffre de s’ajuster à une autre source de lyrisme qui la contraint à s’effacer derrière un air et un refrain étroitement déterminés. Nous pourrions même dire que le courant mélodique existant à l’origine et celui qui lui est artificiellement imposé, finissent par se contrarier et par annihiler la puissance d’évocation du poème. La poésie ne gagne rien à passer sur ce lit de Procuste, et un long poème se montre particulièrement réfractaire à ce traitement. La Chanson du mal-aimé supporte que sa lecture se détache sur un fond musical, mais elle est elle-même défigurée par toute tentative de transformation mélodique intégrale et l’on est frappé de voir à quel point le pompeux oratorio de Léo Ferré manque d’invention et de grandeur. La convention la plus plate y tient lieu d’inspiration. Tout y est annoncé, préparé à grand renfort de thèmes élémentaires : les Cosaques Zaporogues prennent appui sur des réminiscences de Khatchaturian, le tzigane de la fin s’est vu précéder d’un air de violon réglementaire. Quant aux sept épées, elles sont environnées d’héroïques accords de trompettes. La technique est un peu trop facile : ce procédé d’anticipation sonore a pour effet d’orienter l’imagination de l’auditeur vers les clichés les plus traditionnels et ruine la variété du poème. Les sautes d’humeur d’Apollinaire, les résonances étranges des images qu’il juxtapose se dissolvent dans la monotonie. Une réussite, cependant, nous paraît d’autant plus éclatante qu’elle est unique. La traduction de la strophe « Voie lactée ô sœur lumineuse / Des blancs ruisseaux de Chanaan » est un véritable chef-d’œuvre. Elle doit son charme à la voix d’un jeune garçon qui vibre imperceptiblement comme un clignotement d’étoiles et qui la porte de façon presque immatérielle à des hauteurs vertigineuses. Elle nous prouve à son tour que l’accord total entre un poème et sa transposition lyrique ne peut être qu’un miracle de court instant ».

Voilà le jugement consigné dans les Actes du colloque « Apollinaire et la musique » réunis par Michel Décaudin (Journées Apollinaire, Stavelot, 27-29 août 1965), ouvrage publié par l’asbl Les Amis de Guillaume Apollinaire, Stavelot, 1967. Je ne connais pas le nom de l’auteur de cette contribution. On sait que les amoureux d’un poète ne tolèrent guère qu’on touche à ses œuvres. Peut-être est-ce le cas de cet exégète d’Apollinaire.

Cette opinion retrouvée dans mes archives n’est pas étonnante. La vieille question de la mise en musique des poèmes est ici encore remise sur la table avec les mêmes sempiternels arguments. On a examiné ce point dans Avec Luc Bérimont. Je relève que ce sentiment négatif concernant La Chanson du mal-aimé est le seul du genre, tout au moins à ma connaissance. Tous les échos que j’ai lus sur la question étaient plutôt positifs.

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